La prise de contrôle d?Eurostar par la SNCF et LCR est autorisée par la Commission européenne qui promet de regarder de très près les conditions de concurrence sur les itinéraires concernés par l?ouverture La Commission européenne a accordé son feu vert le 17 juin dernier à la prise de contrôle d’Eurostar par la SNCF et le Britannique London Continental Railways (LCR), opération qui lui avait été notifiée fin avril. Un feu vert néanmoins assorti d’un certain nombre de conditions, l’opérateur ferroviaire français et son partenaire ont dû prendre des engagements « visant à faciliter l’entrée de nouveaux opérateurs sur les routes Londres – Bruxelles et Londres – Paris ». En effet, les services de la direction générale de la Concurrence craignent que la nouvelle société, baptisée Eurostar International Limited, ne soit en position trop dominante sur ces trajets.
Jusqu’à présent, Eurostar était une coopération assez souple entre trois partenaires, la SNCF, LCR (via sa filiale EUKL) et la Société nationale des chemins de fer belges, la SNCB. Chacune des compagnies avait ses propres actifs, et notamment ses propres rames. Une organisation compliquée et coûteuse. A partir de maintenant, il y aura donc une société à part entière, a priori plus efficace car la gestion sera rationalisée. La SNCF détiendra 55?% des parts, LCR 40?%?et la SNCB 5?%.
Même si les acteurs restent les mêmes, pour la Commission, cette efficacité nouvelle se traduit par un risque accru d’atteinte à la concurrence. « Dans la situation précédente, si un partenaire voulait partir, il pouvait vendre ses actifs, explique Amelia Torres, porte-parole pour la Concurrence, alors que désormais il ne pourra que vendre ses actions, ce qui n’affectera pas les parts de marché d’Eurostar. »
Comme le trafic passager international est libéralisé depuis le 1er janvier 2010, Bruxelles a voulu préparer le terrain pour ceux qui s’intéressent à ce trajet. « Pour fournir des offres alternatives aux passagers, il est important que les opérateurs actuels et futurs puissent utiliser l’infrastructure », rappelle-t-elle dans l’explication qui accompagne sa décision. Pour éviter une enquête approfondie, qui aurait retardé toute l’opération de plusieurs mois, le groupe Eurostar a dû prendre plusieurs engagements. Eurostar affirme s’être mis d’accord avec la Commission pour garantir à ses concurrents potentiels au moins un créneau aller-retour Paris – Londres et Bruxelles – Londres en période de pointe le matin et en fin d’après-midi.?Il a aussi dû promettre l’accès aux gares internationales de Paris-Nord, Londres Saint-Pancras et Bruxelles-Midi à leurs futurs concurrents. Ceux-ci pourront vendre leurs billets à des guichets spécifiques ou encore informer les passagers sur place. Ils auront aussi accès aux services de maintenance légère disponible dans les dépôts gérés par la SNCF, LCR ou encore la SNCB à Bruxelles.
Enfin, le troisième et dernier engagement rendu public par Bruxelles concerne, lui, les sillons : « les parties se sont engagées à céder un certain nombre de créneaux horaires au bénéfice des nouveaux entrants si ces derniers ne peuvent les obtenir dans les conditions normales d’allocations telles qu’elles sont mises en œuvre par les autorités gestionnaires d’infrastructure », écrit la DG Concurrence dans le communiqué transmis à la presse. Une phrase qui mérite un décryptage : elle vise les heures de pointe, où le trafic atteindrait déjà le maximum des capacités selon Bruxelles ; si le gestionnaire d’infrastructure (RFF en France, Infrabel en Belgique ou HS1 en Grande-Bretagne), ne lui a pas octroyé de sillon, le concurrent lésé sera en droit dans certains cas de déposer une réclamation et d’obtenir qu’Eurostar cède l’un des siens dans le créneau d’une demi-heure qui l’intéresse, le gestionnaire d’infrastructure devra le réattribuer à l’issue d’un nouvel appel d’offres excluant la filiale de la SNCF ! « C’est un raisonnement inspiré de ce qui ce passe dans le secteur aérien, pointe un spécialiste des transports. Les compagnies aériennes sont souvent propriétaires de leurs créneaux, quand il y a un rachat, on les contraint à vendre certains de leurs slots à la concurrence ». D’ailleurs dans ses explications, la Commission européenne fait ouvertement l’analogie avec l’aérien. Néanmoins, cette analogie méconnaît le fonctionnement du ferroviaire où les compagnies ne sont pas propriétaires des sillons mais les demandent à intervalles réguliers, souvent annuels et où les gestionnaires les attribuent au mieux-disant selon des critères de choix transparents. Une procédure organisée par la législation européenne.
Cependant, si le gendarme européen de la concurrence insiste sur ce point, cela reflète avant tout son manque de confiance dans l’indépendance des gestionnaires d’infrastructure, et donc dans l’application par les Etats du premier paquet ferroviaire, cet ensemble de législations qui fixe le cadre d’une concurrence loyale en Europe. En clair, une nouvelle fois, la SNCF fait les frais de l’absence de régulateur en France. Car tant que le régulateur n’existe pas, personne ne surveille les décisions prises par RFF. « Il y a trop de proximité entre l’opérateur et le gestionnaire, explique une source européenne. RFF est dépendant techniquement de la direction de la circulation ferroviaire, qui est toujours au sein de l’opérateur historique, son objectivité peut être mise en cause. »
Dans l’attente de la mise en place de l’Araf et de la révision annoncée pour l’automne du premier paquet, Bruxelles semble donc utiliser cette décision pour rétablir l’équilibre, et éviter une situation trop favorable à la SNCF. Une attitude que les Allemands de la Deutsche Bahn doivent apprécier, elle leur est indirectement favorable, ils se préparent justement à lancer leurs trains à grande vitesse vers Londres dans la perspective des jeux Olympiques de 2012.
Isabelle ORY
Publié le 05/04/2024