Le 3 avril était le premier jour du conflit à la SNCF. C’était aussi le début du débat parlementaire sur le « pacte ferroviaire » du gouvernement. Jusqu’à présent, on avait surtout entendu le gouvernement d’un côté, les syndicalistes de l’autre. Les politiques entrent en scène. À l’Assemblée nationale, le groupe LREM, son allié Modem, et les centristes de l’UDI sont favorables à la réforme. Les Républicains, assez d’accord sur le fond, ont plus de mal à en convenir. Du PS au PC via La France insoumise, la gauche est opposée au texte gouvernemental. Deux points font tiquer la plupart des députés. La méthode expéditive du gouvernement. Et, sur le fond, la question de la dette qui n’est pas réglée.
Christian Jacob
(Les Républicains) : « Une réforme mal préparée »
Sur LCP, Christian Jacob, président du groupe, a demandé le 3 avril le retrait des ordonnances accompagnant la réforme de la SNCF afin que le Parlement puisse juger « en transparence » du contenu du texte. Pour lui, « ce sont les usagers qui payent la note d’une réforme mal préparée ».
Rappelons aussi que Maël de Calan, proche d’Alain Juppé et candidat malheureux à la présidence du groupe, juge que le « statut des cheminots est complètement anachronique et doit être réformé ».
Un porte-parole, devant la commission du Développement durable de l’Assemblée nationale, se veut critique sur « le service fourni par la SNCF ». Le groupe sera particulièrement attentif sur les pouvoirs attribués aux régions et sur les questions de transfert de matériel. Il regrette que le texte législatif actuel occulte la question de l’aménagement du territoire.
Pour sa part, Dominique Bussereau ancien ministre, démissionnaire des Républicains, se dit naturellement favorable à la réforme et nous rappelle qu’il a « toujours été pour un changement de statut de la SNCF, favorable à un mode de recrutement nouveau, et favorable aux textes européens ». Soutenant l’ouverture à la concurrence dans les TER, il pense qu’on peut en attendre des avantages « non seulement en termes de coûts mais aussi de qualité de service et d’offre ». Un accord de principe qui ne l’empêche pas de regretter un climat de SNCF bashing, qui amène à mélanger des questions distinctes, de statut et la dette.
Jean-Baptiste Djebbari
(La République en marche) : « Un besoin politique de dire ce qu’on va faire sur la dette ».
Présentant le 3 avril devant la commission du Développement durable le projet de loi sur un nouveau pacte ferroviaire, dont il est le rapporteur, et qu’il soutient par définition, Jean-Baptiste Djebbari a indiqué qu’il déposerait un amendement pour maintenir l’avis conforme de l’Arafer sur la fixation des péages ferroviaires. Le député LREM de la Haute-Vienne compte aussi demander au gouvernement d’éclairer le débat sur les petites lignes et de déterminer quels sont les moyens nécessaires pour les maintenir. Particulièrement les lignes qui voient passer moins de 20 trains par jour. Il reconnaît par ailleurs, selon Les Echos, qu’« il y a un besoin politique de dire ce qu’on va faire sur la dette, quand et comment ».
Didier Le Reste
(Parti communiste) : « Contre l’ubérisation de la société »
Pour le conseiller de Paris, ancien secrétaire général de la Fédération CGT Cheminots, « on dit qu’il s’agit de rendre le chemin de fer plus efficace, mais c’était déjà ce qu’on disait lors de la réforme de 2014. Et on devait s’attaquer à l’endettement du système ferroviaire. Rien n’a été fait. Cette réforme ne s’attaque pas au désendettement, qui est une question cruciale. Et Macron ne peut pas faire de chantage : nous vous désendettons à condition que vous changiez… Les 47 milliards de dette de Réseau, c’est une dette de l’Etat. » Didier Le Reste défend, avec la CGT, la création d’une caisse de défaisance, libérant les comptes du poids de la dette, et propose en plus que « la BCE porte la dette sur le long terme, dans le cadre d’un plan de développement des infrastructures européennes. »
De plus, dit-il, « je ne vois pas qu’il soit question dans la réforme de développement du train. On dit que ce n’est pas à Paris qu’on doit décider des lignes secondaires. En fait, elles vont tomber à terme dans les régions, avec les gares. Ce sera un coup terrible porté à l’aménagement du territoire. »
Le changement de statut juridique de la SNCF ? « Le gouvernement dit que ce n’est pas de la privatisation. On peut en douter, instruits par l’exemple de GDF, de France Telecom et d’EDF. Les actions incessibles ne le seront pas longtemps. Et on perd l’avantage qu’offre l’Epic SNCF ; sans la garantie de l’Etat, les frais financiers augmenteront, donc les péages et de ce fait les tarifs. »
Socialement, « la SNCF n’est pas loin d’être à l’os. La SNCF a perdu 25 000 emplois depuis 2008, va en perdre 24 000 d’ici 2023. En 2008, elle avait 34 milliards de dette, aujourd’hui 53 ». Et il dénonce dans le projet de réforme une volonté d’aligner les conditions sociales sur la base et « d’ubériser la société ».
Christophe Bouillon
(Parti socialiste) : « Une transposition ultralibérale »
« On aurait pu éviter la grève », dit le député de Seine-Maritime, responsable pour ce texte du groupe Nouvelle gauche. Il regrette « deux provocations : vis-à-vis des assemblées, l’urgence, qui n’était pas nécessaire. Et, vis-à-vis des cheminots, la provocation sur le statut », qui a conduit à la grève.
Le député PS remarque que « la dette perdure, alors que ce qui va aux frais financiers ne va pas à l’investissement ».
Statut des entreprises ? Le 4e paquet ferroviaire, qu’ont voté les socialistes, « ne force pas au changement de statut des entreprises ou des cheminots ». Bref, pas d’accord avec « une forme de transposition ultralibérale du gouvernement ». Pour lui, « SNCF Réseau doit rester un Epic ». Et Mobilités ne doit pas être transformé en simple SA (on se méfie de l’incessibilité des actions), mais en « SA à objet social étendu, qui permette de bien verrouiller le caractère public du système ».
Sur l’organisation du travail, Christophe Bouillon rappelle que la loi de 2014 poussait à une convention collective. De plus, « un effort propre à la SNCF a donné lieu à un accord sur la formation professionnelle dans des négociations avec l’UTP : le dialogue social avance. On fait comme si ce n’était pas le cas ».
La loi de 2014, de plus, est loin d’être négligeable. « Elle a créé les trois Epic, en répondant à des questions d’organisation, a institué la règle d’or, a permis le décret-socle pour l’élaboration d’une convention collective, a rendu obligatoire les contrats de performance entre les Epic et l’Etat, avec une trajectoire budgétaire et d’investissement. »
Le groupe va déposer des amendements, par exemple sur les statuts, sur la création d’un pôle d’appui pour aider les exécutifs régionaux à avoir une connaissance solide du transport régional pour les futures délégations de service public. Et va proposer un observatoire des tarifs parce qu’il n’est pas sûr que la concurrence, « ce soit le bonheur partout ».
Loïc Prud’homme
(La France insoumise) : « Le statut est un rempart »
Pour le député représentant la France insoumise, Loïc Prud’homme, le bilan actuel est catastrophique avec les milliers de kilomètres de voies vétustes, le réseau secondaire délaissé, et la séparation entre le transporteur (SNCF Mobilités) et le gestionnaire des infrastructures (SNCF Réseau), qui est à l’origine des « graves incidents » de ces derniers mois, comme la panne informatique géante de la gare Montparnasse l’été dernier.
Pour le député de Gironde, le statut des cheminots reste un rempart pour garantir la qualité de service et la sécurité. Et de prévenir prévient que son groupe « défendra farouchement ce que doit être un modèle ferroviaire présent sur tout le territoire et accessible à tous ».
Bertrand Pancher
(Union des démocrates et indépendants) : « Une bonne réforme qui était attendue »
Parmi ses soutiens, le gouvernement pourra compter sur l’UDI. Bertrand Pancher, a indiqué que son groupe « votera cette réforme sans état d’âme ». Le député UDI de la Meuse connaît bien le système ferroviaire. Il avait rédigé avec l’ancien député socialiste Gilles Savary un rapport sur le bilan de la réforme ferroviaire lancée en 2014. Aujourd’hui, il juge que le projet porté par le gouvernement est « une bonne réforme qui était attendue ». Selon lui, « personne ne doit être surpris, ni de son calendrier ni de son contenu. C’est dans la droite ligne du quatrième paquet ferroviaire. Depuis des années, on sait que la SNCF va devoir s’ouvrir à la concurrence. Donc, ce n’est pas une réforme révolutionnaire ».
Un bémol, la méthode. « Nous avons toujours souhaité que cette réforme et ses conséquences directes sur le fonctionnement de la SNCF donnent lieu à des débats et à des échanges avec les organisations syndicales ». Et il a regretté le recours aux ordonnances. Aujourd’hui, il se « félicite » de la décision des pouvoirs publics de remplacer les ordonnances par des amendements qui pourront être discutés, pour ce qui touche à la concurrence.
« Cette procédure nous apaise. Mais il serait aussi utile de préciser ce qu’on attend de notre opérateur ferroviaire national et de quels moyens il disposera pour remplir ses missions. Nous avons besoin de connaître l’échéancier de la dette et de connaître l’accompagnement financier en termes d’aménagement du territoire. Il aurait été utile d’avoir une loi d’orientation ferroviaire avant. Nous l’aurons après. Le gouvernement n’a pas eu d’autres choix que de s’engager comme il l’a fait pour des raisons de calendrier ».
Bertrand Pancher compte également soutenir un amendement sur le maintien de l’avis conforme de l’Arafer sur la tarification des péages, donc sur la nécessité d’avoir un régulateur fort.
François Dumont et Marie-Hélène Poingt
Publié le 05/04/2024