Bienvenue dans le monde robotisé des transports de demain ! Un véhicule électrique totalement autonome pour les transports publics, c'est une première en Suisse, mais aussi en Europe et dans le monde. Deux des modèles Arma du fabricant lyonnais Navya, aux couleurs de CarPostal sont en effet entrés en service commercial le 23 juin, après une inauguration en bonne et due forme dans la ville chef-lieu du canton du Valais. Et c'est assez bluffant de voir ce petit véhicule de 11 places se mouvoir tout seul, dans les rues étroites du centre-ville de la cité de 32 000 âmes, détecter les obstacles et calculer leur trajectoire pour adapter sa vitesse. Le tout grâce à ses multiples caméras et lidars embarqués permettant de « voir » jusqu’à 150 m et de s’arrêter en présence de tout obstacle situé à moins de 90 cm.
C’est à l’issue de six mois de circulation et de tests en site fermé et de l’autorisation donnée par l’Office fédéral des routes (Ofrou) de circuler en ville que les autorités locales ont confirmé cette expérimentation grandeur réelle – le projet « SmartShuttle » – qui doit durer jusqu’en octobre 2017. Elle a vu le jour dans le cadre du mobility lab, qui a vocation à faire émerger des solutions de mobilité innovantes, comprenant la ville de Sion et le canton du Valais, l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et la Haute école spécialisée de suisse occidentale (HES-SO) ainsi que La Poste.
Depuis décembre, des essais sur site fermé avaient permis à CarPostal d'éprouver le véhicule autonome et de déterminer quelques adaptations nécessaires comme l'ajout d'une deuxième batterie offrant de 6 à 12 heures d'autonomie ou l’installation d’une palette mobile permettant l’accès aux fauteuils roulants. « Nous sommes convaincus de disposer aujourd'hui de deux véhicules ultramodernes qui répondent aux exigences pointues du transport de personnes dans l'espace public », peut ainsi affirmer Daniel Landolf, le directeur de CarPostal. Et Susanne Ruoff, la directrice de la maison mère, La Poste, précise qu'« elles n'ont pas vocation à remplacer les cars postaux classiques, mais à être utilisées là où jusqu'à présent aucun mode de transport public ne pouvait être proposé. Elles pourraient surtout servir de bus sur appel [TAD, NDLR], de navette sur des sites d'entreprise ou encore de desserte de zones piétonnes ».
S'agissant de courtes distances, on pense principalement aux situations où le voyageur est chargé. Typiquement le trajet de ou vers la gare devrait être particulièrement ciblé. C’est en tout cas l’ambition ultime à Sion où, pour démarrer, la navette sera proposée sur une boucle touristique de 1,5 km. L'idée de l'exploitant helvète, c'est aussi de gagner des parts de marché, en occupant tous les segments de la mobilité, dans le cas présent le premier ou dernier km. Les Suisses parcourent en effet chaque jour 37 km en moyenne, majoritairement en voiture, même si « CarPostal enregistre une augmentation de 3 à 4 % par an du nombre de passagers depuis plusieurs années », poursuit Suzanne Ruoff. Il y a encore des clients à séduire !
Gratuits, les modèles P13 et P14 de Navya, baptisés ici Valère et Tourbillon, du nom des châteaux qui dominent la ville, circulent à 20 km/h du mardi au dimanche de 15h à 17 ou 18h. Desservant au passage deux parkings et traversant une zone piétonne, une zone de rencontre (zone à 20 km/h) et croisant aussi des rues circulantes, où la navette devra parfois céder la priorité à droite. Autant de situations permettant d’éprouver son comportement.
Pour le directeur de l'EPFL, André Schneider, cette initiative permettra aux chercheurs « de collecter des précieuses données en conditions réelles et d'affiner leurs algorithmes que ce soit pour la gestion de flotte, l'intégration des situations rencontrées, la communication entre les véhicules et avec les voitures ou usagers ». Il s’agit aussi d’analyser le comportement des utilisateurs et les autres usagers de l’espace public.
C’est la start-up BestMile, issue de l’EPFL et partenaire du projet européen CityMobil 2, qui a développé le logiciel de supervision des navettes, permettant à l’exploitant de gérer sa flotte et au client de suivre le déplacement des véhicules automatiques en temps réel grâce à l'appli SmartShuttle. C’est une brique dans le complexe software de navigation du véhicule intelligent.
Un véhicule qui a tenu la vedette lors du récent Salon européen de la mobilité de la porte de Versailles. Navya, est en effet en affaires avec ni plus ni moins que la RATP, Transdev et Keolis… Tous les opérateurs sont pour une fois d’accord quant à l’avenir des navettes autonomes. Navya n’est pas le seul sur ce nouveau créneau. Il y a notamment la Z10 d’EasyMile, ou encore Olli, présenté il y a une semaine à Washington, fabriqué par Local Motors et dirigé par l’intelligence artificielle d’IBM, et, de plus, Tesla a annoncé travailler sur un véhicule. Mais l'entreprise née du rachat en 2010 de la société Induct Technology a pris quelques années d’avance sur ses concurrents. D’une voiturette autopilotée, vedette du CES 2013 de Las Vegas, Navya a fait évoluer le véhicule vers les standards du transport collectif, tout en fabricant les batteries.
Son vice-président Henri Coron, annonce que la navette Arma sera également inaugurée le 26 juillet dans le centre-ville de Perth en Australie et qu’elle roulera aussi à Lyon Confluence à partir du 3 septembre. « Nous espérons que cette mise en circulation en Suisse facilitera son homologation partout en Europe, assure-t-il. Et nous savons que nous allons de toute façon récolter des millions de précieuses data. » A Paris, elle devrait aussi à l’horizon juin 2017 servir de liaisons entre les gares de Lyon et d’Austerlitz.
Autant de développements prometteurs pour un véhicule capable de rouler à 45 km/h, mais dont les tests de freinage sont effectués à 60 km/h. La charge complète s’effectue en six heures, mais Navya promet une recharge rapide en deux heures par induction d’ici à la fin de l’année. L’entreprise a vu ses effectifs passer de six à 60 en six ans et prévoit d'employer 150 personnes en 2017. Sa navette est commercialisée 200 000 euros, assortie d’un contrat de maintenance et d’exploitation. « Il faut compter de 38 000 euros de frais d’exploitation par an et par véhicule, poursuit Henri Coron. Dont 10 800 euros correspondent aux licences et aux upgrade de logiciels et 18 000 à l’exploitation. »
Navya estime que ces faibles coûts pourraient faire réfléchir certains opérateurs. Henri Coron pense notamment aux gestionnaires d’aéroports qui dépensent des fortunes, notamment en salaires de conducteurs, pour proposer des bus aux passagers entre les parkings et les aérogares qu’il faut faire tourner pratiquement 24 heures/24. « A Lyon-Saint-Exupéry, ce sont par exemple 12 millions d’euros de frais annuels pour 32 bus et 180 conducteurs, a-t-il calculé. Nous estimons qu’avec 40 navettes circulant toutes les trois minutes, nous proposerions la même capacité de transport mais pour seulement 1,6 million… » On dirait bien que la Google Car, qui fait moins parler d’elle ces derniers temps, n’a plus qu’à bien se tenir…
cecile.nangeroni@laviedurail.com