Capable de transporter davantage de passagers avec les mêmes moyens, en toute sécurité et avec une flexibilité sans pareille, le métro automatique semble promis à un bel avenir. Mais il reste quelques freins à son développement. A l’occasion du salon Transrail Connection 2017, Ville, Rail & Transports a rassemblé des spécialistes de ce moyen de transport en plein développement, devant une assistance de professionnels.
Pour prendre la mesure du développement du Métro Automatique Intégral (MAI) autour de la planète, Ville, Rail & Transports a fait appel à Olivier Fafa, directeur Systèmes de transports de Systra. « En regardant la carte du monde des métros automatiques en fonctionnement ou en projet, on constate qu’il y a des zones où il n’y en a pas. Notamment en Amérique du Nord. Et on peut se demander pourquoi. Parce que faire du métro automatique, c’est offrir une qualité de service incomparable. D’ailleurs, les villes qui en ont déjà ont tendance à y recourir à nouveau, car lorsqu’on a goûté l’excellence, on a envie de recommencer », assure Olivier Fafa.
Le développement des métros automatiques pourrait bien connaître prochainement un coup d’accélérateur. Pékin doit lancer sa première ligne. Avec un système chinois. Un nouveau venu sur le marché des spécialistes des automatismes, où l’on trouve Siemens, Alstom, Bombardier, Thales, Ansaldo STS, ou encore le coréen Hyundai. La très forte présence de la technologie française dans le domaine explique que nous arrivions en tête du classement des pays les plus équipés, devant le Canada, Singapour, les Emirats arabes unis et l’Italie. « Notre petit pays profite du terreau industriel et de l’audace des opérateurs pour aller de l’avant plus vite que d’autres », se félicite M. Fafa.
Ces dernières années, le nombre de kilomètres de lignes automatiques n’a cessé de croître. « Je pense qu’on aura davantage que les 2 300 km qu’on nous annonce à l’horizon 2025 », avance-t-il, plus optimiste encore que l’UITP (voir l’entretien avec Philippe Martin). Et même si de nouveaux pays s’y convertissent, la France pourrait conserver son avance, car de nouvelles lignes sont prévues avec les 200 km du Grand Paris Express, mais aussi à Lyon, Marseille, Toulouse et Rennes… « Lorsqu’on doit faire une nouvelle ligne de métro, il ne faut pas hésiter à le faire en automatique intégral », encourage M. Fafa, qui invite aussi à migrer les lignes de métros classiques vers cette technologie sans conducteur.
« Sans conducteur, mais pas déshumanisé », précise Edgar Sée, directeur d’opérations Automatisation de la ligne 4 RATP. « Métro automatique ne veut pas dire autonome », confirme Philippe Leguay directeur international Systèmes urbains chez Keolis. Il existe quatre niveaux d’automatisme. Le GoA1 où le conducteur gère les différents aspects de la conduite du train, mais les franchissements de signaux et les survitesses sont gérés par le système. Le GoA2, où le train est en pilotage automatique et le conducteur chargé de l’ouverture et de la fermeture des portes, autorise la mise en mouvement du train, surveille la voie et gère les imprévus. Le GoA3 où un personnel est présent à bord pour gérer l’ouverture et la fermeture des portes et les imprévus. Et le GoA4, métro 100 % automatique sans personnel à bord, tous les modes dégradés étant gérés depuis le poste de contrôle. « Le GoA4 demande du personnel, presque autant qu’un métro classique, mais avec de nouveaux métiers, plus intéressants », assure Philippe Leguay.
A ce jour, la ligne 1 du métro parisien est le seul exemple réussi de transformation d’une grande ligne classique en automatique. Mais d’autres projets de migration sont en cours : la ligne 4 de la RATP mais aussi des lignes de métro à Lyon et Marseille. « Mais on ne voit pas un enthousiasme sur ce sujet, alors que nous plaidons pour que les exploitants y pensent au moment de leur renouvellement de matériel roulant, ou lors de création d’une extension. Le faire à ce moment-là n’occasionne que quelques surcoûts », souligne le représentant de Keolis. La mise en automatique de la ligne 1 du métro parisien a coûté 650 millions d’euros. « Il fallait changer le matériel roulant et remettre à jour le système de signalisation. Le seul surcoût important a donc été l’installation des portes palières, soit 100 millions », témoigne M. Sée, avant de préciser que le passage à l’automatisme a permis de gagner en vitesse commerciale et d’augmenter de manière conséquente la fréquentation de cette ligne. « Les portes palières ne sont pas obligatoires, précise M. Fafa. Certaines lignes automatiques n’en ont pas : la L1 de Budapest ou la ligne D à Lyon. »
Mais Benoit Gachet, directeur des Ventes Produits–Technologies de Bombardier Transport précise : « Ces portes palières sont un élément de sécurité et de régularité des trains et, en obligeant les voyageurs à cesser de monter, elles ont aussi un impact sur l’usure du matériel roulant, puisqu’elles évitent les surcharges. »
Outre le marché de la création de lignes et celui de la migration de lignes existantes, les industriels peuvent aussi tabler sur le marché du remplacement des automatismes vieillissants sur les lignes déjà en service. Pour le moment, le seul exemple est celui du métro de Taipei. Mais c’est un marché qui va arriver. Des appels d’offres ont déjà été lancés pour la ligne 14 de la RATP, qui va profiter de son prolongement au nord et au sud pour renouveler son système. Et la RATP, de plus, est en train d’automatiser la ligne 4 comme elle a automatisé la ligne 1. « Ce projet, lancé à l’été 2013, entre dans sa phase d’exécution. Il nécessite une mise à niveau de l’infrastructure et de la signalisation. Des investissements qui s’imposaient même si le passage en GoA4 n’avait pas été programmé, précise M. Sée. Mais l’automatisation de la ligne nous oblige à installer des portes palières et à refaire le génie civil des quais. Ils seront rehaussés au niveau des planchers des trains pour faciliter les échanges voyageurs. Quant au projet système, il couvre le système CBTC avec la rénovation du poste de commande et l’installation de moyens visuels indispensables. Pour ce qui est du matériel roulant, la ligne va récupérer les rames qui équipaient la ligne 14 et en acquérir 20 neuves. »
Constructeurs et exploitants estiment que même les plus sceptiques finiront par se laisser convaincre par les performances des MAI. « Cela fait 35 ans nous en faisons et nous n’avons jamais eu à déplorer le moindre décès, se félicite Philippe Leguay. Le GoA4 garantit 99,5 % de disponibilité du matériel et 99,9 % de ponctualité », poursuit-il. Damien Convert, directeur de la plateforme urbaine, Alstom Digital Mobility, ajoute que l’automatisme peut permettre d’anticiper les pannes, d’optimiser le retournement des trains en bout de ligne ainsi que l’ouverture des portes pour offrir un meilleur service. Et que la technique permet une plus grande granularité de l’offre en mettant en place des régimes variables dans la journée et d’offrir un service continu 24/24.
Malgré toutes ces qualités, les métros automatiques ne représentent encore que 6 % des métros dans le monde. Il existe encore des freins à lever pour assurer son développement. « Certains réseaux voudraient aller vers l’automatisme mais se heurtent à la question sociale », a pu constater M. Sée. L’automatisme rencontre des réticences dans les pays où le coût de la main-d’œuvre est faible et où l’on veut garder les conducteurs. « En Afrique, en Inde ou en Asie, il faut expliquer qu’il faut continuer à embaucher du personnel, mais pour faire autre chose que de la conduite, plutôt que de renoncer aux métros automatiques et à leur qualité de service incomparable », plaide M. Fafa.
Damien Convert insiste sur l’avantage du métro automatique en matière de sécurité. « Le risque d’accident est quasi nul lorsque la ligne est dédiée. Pour les lignes partagées, l’automatisme est un plus, mais la technique ne garantit que de faire mieux que l’homme. Sans ségrégation, on ne peut pas atteindre le même niveau de sécurité qu’avec un métro entièrement automatique, mais on peut être 100, voire 1 000 fois plus sûr qu’avec un conducteur. »
Paul-Edouard Basse, directeur général Grands comptes chez Siemens, ajoute que passer des lignes partagées en automatisme se heurte à l’acceptabilité sociale en raison des risques. « On accepte davantage un accident de passage à niveau avec conducteur que sur une ligne automatique. » « Les lignes automatiques font l’objet d’une plus grande sévérité de la part de l’opinion publique », confirme Paul-Emile De Groote, directeur général de Transdev Aéroport Liaisons. Il poursuit : « L’automatisme c’est bien, mais ce que veut l’usager, c’est être transporté de A à B, et chez Transdev, on s’attache à apporter une expérience de transport confortable et une solution pour pouvoir faire l’emport de l’ensemble des passagers et ne laisser personne sur la plateforme. Ce qui implique parfois d’avoir à inventer des nouveaux modes, comme les rafales de trains, ou des moyens d’augmenter la capacité technique entre deux rames. »
« Si tout le monde reconnaît l’intérêt de passer en automatique des lignes très fréquentées, la technique présente aussi des avantages pour des lignes qui le sont moins. L’automatisme permet d’offrir une fréquence équivalente de passage en heures creuses et aux heures de pointe en utilisant des trains courts, de ne pas avoir à dégrader le service en allongeant les délais entre deux trains en période de moindre affluence », explique M. Gachet. Les lignes peu fréquentées gagneraient en attractivité si elles étaient automatiques, tout en gagnant en productivité. Rouler en heures creuses avec des unités de trois caisses et en heures pleines de six caisses permet de réduire de 30 % le nombre de km-voitures effectués. « A Montréal, le métro aura des trains de deux voitures qui seront accouplées aux heures de pointe pour offrir une plus grande capacité. Et en dehors de ces heures, on fera circuler des trains à deux voitures avec une fréquence attractive pour les utilisateurs, de manière à assurer une bonne qualité de service, explique Philippe Leguay. Pour la ligne B à Lyon, on va faire pareil, ce qui permettra de réduire de 30 % les kilomètres et d’avoir un impact sur la facture d’énergie de traction », ajoute-t-il.
Paul-Edouard Basse insiste sur le fait que l’automatisme est une vraie spécialité française et que cette technologie s’exporte. « Mais il faut prendre en compte les spécificités de chaque marché. On ne peut pas faire du copier-coller. Chaque cas est unique. » Siemens travaille à l’automatisation du métro de New York. « Notre client nous a demandé d’équiper 23 lignes d’ici 2049 en gardant les conducteurs pour des raisons sociales. » « Il ne faut pas proposer la même chose partout dans le monde, mais s’adapter aux spécificités locales », confirme Paul-Emile de Groote. « A Bombay, nous avons eu des difficultés à convaincre de mettre des portes palières. A Séoul, il y a deux conducteurs dans les trains, un à l’avant, un autre à l’arrière qui se repose, c’est dans leur culture, il faut s’adapter. » Alstom, qui a remporté la fourniture en matériel de trois des six lignes de métro automatique intégral à Riyad, constate que la tendance dans le monde est de demander à un industriel de proposer des offres intégrées. « L’intégration est le fil rouge de la difficulté et de la réussite du passage en MAI. Elle inclut l’automatisme de pilotage, le matériel roulant, le système d’information passager, de détection d’intrusion, de télémaintenance de connexion de sécurité la connexion au centre d’exploitation et de police… », détaille Damien Convert. « Nous constatons aussi une demande pour de l’anticipation. En utilisant les données du flux du métro, mais aussi du trafic routier, ce qu’on appelle le big data, on peut prédire les variations de demande et anticiper les hausses comme les baisses de trafic, pour pouvoir y répondre, tout en réduisant le coût d’exploitation. Le big data donnera la pleine valeur du métro automatique intégré », conclut-il.
Valérie Chrzavzez-Flunkert
Sur la photo de gauche à droite : Paul-Emile de Groote, directeur général Transdev Aéroport Liaisons, Philippe Leguay, directeur international Systèmes ferroviaires urbains de Keolis, Edgar Sée, directeur d’opération – automatisation de la ligne 4 de la RATP, François Dumont, directeur de la rédaction Ville, Rail & Transports, Paul-Edouard Basse, directeur grand compte de Siemens, Benoit Gachet directeur des Ventes Produits–Technologies de Bombardier Transportation, Olivier Fafa, directeur Systèmes de transport de Systra, Damien Convert, directeur de la plateforme urbaine, Alstom Digital Mobility.
SYSTRA – métro automatiques en cours