C’est un rapport sévère qui a été remis le 7 juillet à Guillaume Pepy et à Patrick Jeantet, les PDG de SNCF Mobilités et de SNCF Réseau, qu’ils avaient eux-mêmes commandé en février à un panel d’experts animés par Yves Ramette, ancien directeur général de SNCF Réseau Ile-de-France et ancien de la RATP, et par Alain Thauvette, ex-directeur de la région Ouest de DB Cargo et fondateur en France d’ECR.
Ce rapport sur la « robustesse » des services ferroviaires (que l’on pourrait définir comme une organisation permettant de résister aux aléas d’exploitation afin d’assurer un meilleur service) montre que cette capacité s’est considérablement dégradée au fil du temps à la SNCF. Même si, reconnaissent ces experts, la pression s’est fortement accentuée avec la croissance du trafic et que faire circuler 15 000 trains par jour représente « un exploit quotidien ».
« Nous nous sommes vite rendu compte que la notion de robustesse ne fait pas partie du langage courant de cette maison. Elle est reconnue mais elle ne fait pas partie du travail au quotidien. Chacun agit dans sa sphère sans échanger avec les autres, et on a plutôt tendance à parler de régularité. Or, la régularité n’est qu’un des éléments de la robustesse », explique Yves Ramette.
Un exemple de la dégradation du système : les autorités organisatrices des transports demandent la circulation de trains à des horaires que le réseau ne peut pas forcément assurer. Notamment en raison des travaux très lourds actuellement réalisés sur le réseau, qui obligent à limiter les vitesses de circulation.
Franck Lacroix, le patron des TER, racontait d’ailleurs il y a quelques semaines, en dressant un premier bilan de son action, que la SNCF accepte de faire circuler certains trains dont elle sait à l’avance qu’ils ne pourront pas tenir l’horaire annoncé. D’où la recommandation – presque étonnante tant elle semble évidente – des auteurs du rapport de donner à SNCF Réseau un rôle de prescripteur, en lui laissant la responsabilité de la conception de l’offre. « Il faut arrêter de faire des promesses non réalisables aux AOT. Et il faut que Réseau soit l’autorité de décision et d’arbitrage », souligne Yves Ramette.
Dans ce but, explique Isabelle Delobel, la rapporteure générale de cette mission et directrice de lignes Transilien E, P et T4, il va falloir faire le tour des régions et faire preuve de pédagogie pour discuter avec les élus de la mise en place d’horaires réalisables. Avec peut-être parfois le risque de faire circuler moins de trains. Les effets de cette recommandation ne sont pas attendus avant 2022, puisqu’elle implique de longues négociations et une remise à plat des sillons, région par région.
Autre constat, souvent pointé du doigt par les organisations syndicales : les métiers et les activités ont été « découpés », ce qui fait perdre la vision d’ensemble du système. De plus, et cette observation a déjà été formulée par de précédents rapports, notamment après plusieurs accidents ferroviaires, il y a une perte de savoir-faire industriel et la transmission est mal assurée. « Le système ferroviaire a perdu deux générations d’ingénieurs », estime Yves Ramette.
La primauté aux ingénieurs a été peu à peu délaissée dans les années 80, quand la SNCF a voulu devenir une entreprise avant tout commerciale. Une tendance qui s’est poursuivie dans les années 90 quand elle a développé une vision très financière de ses métiers, raconte un fin connaisseur du ferroviaire. « On a perdu le sens de la technicité et de la rigueur », estime-t-il.
Ces dernières années, des initiatives ont déjà été prises ci ou là pour y remédier. En Ile-de-France par exemple, Transilien a lancé la « Mass Transit Académie », qui a à son actif deux promotions. « Mais le processus industriel n’est pas assez formalisé et partagé », juge Alain Thauvette. « Il faut travailler tout le processus industriel et remettre de la rigueur dans les fondamentaux », renchérit Yves Ramette, tout en indiquant que ces constats ne sont pas nouveaux. « Nous avons lu un rapport de 1995 qui disait exactement la même chose que ce que nous avons constaté ».
Mais aujourd’hui, selon lui, « il y a des marges de manœuvre ». Guillaume Pepy et Patrick Jeantet ont adopté l’intégralité des recommandations et demandé, comme le suggère le rapport, de mettre en place une « task force » pour suivre la mise en œuvre de ces recommandations avant l’été 2018, en déployant un faisceau d’indicateurs. La SNCF y a tout intérêt car la non-robustesse a un coût, certainement important même s’il n’est pas chiffré pour le moment. Et en annonçant qu’elle va s’y attaquer, la SNCF donne des gages à sa ministre de tutelle qui a déjà fait connaître ses orientations : faire mieux pour moins cher, en ciblant prioritairement la mobilité du quotidien. M.-H. P