En (re) lançant depuis Londres, fin novembre, son offensive sur le métro du Grand Paris, Jean-Pierre Farandou espérait être entendu avant que l’appel d’offres pour l’exploitation ne soit lancé.
Celui-ci, craint le patron de Keolis, pourrait bien réduire le rôle de l’opérateur à la portion congrue et laisser le beau rôle à la RATP, gestionnaire d’infrastructure. N’est-il pas trop tard ? Selon nos informations, au ministère des Transports, on considère que la loi et le décret déjà arrêté ne laissent pas de place aux demandes de Keolis. Car en confiant au gestionnaire d’infrastructure le système central de sécurité, la loi confère de fait la responsabilité des automatismes et de la circulation à la RATP. En juin, une lettre d’Alain Vidalies l’a précisé à ses destinataires, dont le patron de Keolis et celui de Transdev. Interprétation en ligne avec celle d’Elisabeth Borne.
De quoi doucher les espoirs de Keolis, qui espère voir un grand rôle confié à l’opérateur quel qu’il soit, et cela sans toucher à la loi, afin de ne pas perdre de temps. Le ministère au contraire souligne qu’une majorité nouvelle pourra arrêter une position différente, mais qu’elle devra changer la loi. De plus, les appels d’offres sur l’infrastructure pour la ligne 15 Sud et la ligne 14 Sud sont en cours. Or, ils dépendent eux aussi du futur partage des rôles entre RATP et futur exploitant. Changer ce partage en cours de route forcerait à revoir ces appels d’offres. Soit un an de retard.
Le modèle Crossrail
Quant à la RATP, elle s’est montrée, a dit un porte-parole à la suite des propos de Jean-Pierre Farandou, « extrêmement surprise par cette déclaration à l’occasion d’un déplacement à Londres, alors même que l’organisation retenue pour la dernière ligne Crossrail est précisément la même que celle retenue pour le Grand Paris Express, avec un gestionnaire d’infrastructure et un opérateur différents (en l’espèce, TfL et MTR, opérateur du métro de Hongkong). Le Royaume-Uni ne saurait être suspecté de vouloir protéger des opérateurs historiques ». L’exemple de Crossrail, cela dit, ne met pas fin à la polémique. D’une part il ne s’agit pas d’un métro automatique sans conducteur. D’autre part, observe-t-on chez Transdev, l’appel d’offres britannique précisait que le gestionnaire d’infrastructure TfL ne pouvait pas postuler à l’exploitation… à la différence de ce que s’apprête à faire la RATP.
Sur le sujet du Grand Paris Express, Transdev partage historiquement les positions de Keolis. Mais l’exprime de façon plus nuancée. Il y a un an, des déclarations sur le même sujet de responsables de Transdev, lors d’un colloque, avaient valu un coup de téléphone indigné d’Elisabeth Borne à Jean-Marc Janaillac, alors patron du groupe, sur l’air de « la loi c’est la loi, et j’applique la loi ». Transdev et Keolis étaient alors alignés.
La position de Transdev sur le fond n’a pas changé. Le groupe considère que l’exploitant doit se voir reconnaître une responsabilité globale pour l’exploitation courante et la maintenance des automatismes. Mais juge que le moyen d’y parvenir n’est sans doute pas une attaque frontale de la RATP. Et qu’il vaut mieux tenir compte de l’intérêt du groupe RATP, qui va répondre à l’appel d’offres pour l’exploitation du métro. Transdev considère en effet qu’une mission trop large confiée à la RATP gestionnaire d’infrastructure, en interférant avec la mission d’exploitant, rendrait la participation de l’entreprise historique à l’appel d’offres contestable, du fait du risque d’une distorsion de concurrence. En définitive, les intérêts pourraient converger. A la RATP d’ailleurs, on juge que l’expérience au jour le jour de la ligne 14 montre bien que l’exploitant joue un grand rôle. Much ado about nothing…
Risque de distorsion de concurrence
Mais le risque de distorsion de concurrence, Transdev le pointe aussi sur un autre sujet francilien… en visant cette fois Keolis. Le fait que le groupe SNCF assume la gestion du tram express T11 au titre du monopole mais le confie à sa filiale Keolis fait sérieusement tiquer. D’autant que le groupe SNCF devrait faire de même avec les trams express suivants, T12 et T13. Sujet que la RATP aussi regarde attentivement, comme elle s’interroge sur la réponse que la SNCF pourrait apporter aux futurs appels d’offres TER, via Keolis…
Pour les nouveaux marchés du transport (cars Macron, métro du Grand Paris, TER, tram express), les règles ont grand besoin d’être précisées. Pour l’instant selon les dossiers, Transdev juge parfois comme la RATP contre Keolis, parfois comme Keolis contre la RATP… Un Transdev qui, se présentant comme groupe privé, tente de trouver sa place face à RATP/RATP Dev, SNCF/Keolis de l’autre. Pas facile, vu la puissance des deux monopoles publics. Pour autant, on ne prendra la filiale de la Caisse des dépôts et de Veolia ni pour un perdreau de l’année ni pour un Robin des bois.
F. D.