Le face-à-face Bussereau/Savary
Si on parlait des transports publics pendant la prochaine campagne présidentielle ?
Par Dominique Bussereau Ancien ministre, député Les Républicains et président du conseil départemental de Charente-Maritime, président de l'Assemblée des départements de France, vice-président du Gart.
Le transport public ne sera pas hélas, une fois de plus, un sujet phare de la prochaine campagne présidentielle mais il l’a été lors des récentes élections municipales et régionales.
Pourtant depuis 2002, l’offre de transports publics a augmenté de plus de 40 % et le report modal est devenu une réalité dans de grandes agglomérations : 15 % à Lyon, 13 % à Toulouse, etc.
A travers trois appels à projets, le Grenelle de l’environnement a permis la construction de 1 000 kilomètres d’infrastructures de transports collectifs en site propre (TCSP) pour 15,5 millions d’euros.
Le législateur que je suis a participé au Parlement et au gouvernement à l’élaboration d’un véritable bouquet législatif : loi du 21 août 2007 sur le service minimum, loi du 27 janvier 2014 créant les autorités organisatrices de la mobilité avec des compétences élargies, loi du 22 mars 2016 réprimant les incivilités et améliorant la sécurité dans les transports (bravo Gilles Savary !), etc.
Pour être exhaustif, la loi du 27 janvier 2014 permet enfin
– après dix ans de combat – la dépénalisation et la décentralisation du stationnement payant de surface au bénéfice du transport public.
Parallèlement le renouveau du tramway (voulu, on l’oublie trop souvent, par le président Giscard d’Estaing dès 1974) avec 26 réseaux a réduit la place de la voiture en ville et permis des renouveaux urbains spectaculaires, dont Bordeaux fait figure d’exemple.
Aujourd’hui le développement du covoiturage, y compris sur de courtes distances, les voitures ou vélos en libre service, l’open data modifient chaque jour les transports au service de tous les publics.
C’est un atout pour la France mais c’est aussi un phénomène européen, mondial même si un immense continent comme l’Afrique reste en quasi-déshérence.
Cet hymne joyeux ne doit pas cacher quelques zones d’ombre :
– La crise du financement du transport public est une dure réalité : il y a un effet de ciseaux entre la baisse tendancielle des recettes (du fait de tarifs trop bas), de la hausse absurde de la TVA, du rendement plafonné du versement transport, d’une hausse tendancielle des coûts d’exploitation du fait de l’étalement urbain et périurbain et enfin des normes certes socialement utiles mais très contraignantes (accessibilité, pollution). Du coup, le ratio moyen recettes/dépenses a chuté de 39 % il y a dix ans à 31,5 % ;
– Le vieillissement de certaines infrastructures d’autant plus criant que l’on en construit chaque jour de nouvelles ;
– L’abandon scandaleux de l’écotaxe qui bloque et freine tous les nouveaux projets ;
– La fraude endémique et hélas son acceptation silencieuse dans beaucoup de réseaux ;
– Les effets pervers de la loi Notre qui complexifient le transport local au lieu de lui donner de la souplesse et de la proximité.
Néanmoins, il nous faut rester optimistes : le développement du transport public a donné à la France trois magnifiques groupes parmi les cinq premiers « Multinational Operators for local Transport Service » au monde : Keolis, Groupe RATP, Transdev. Grâce à eux et à nos industriels du secteur, la France joue un rôle de premier plan dans le développement mondial du transport public.
Ces grands acteurs et nos collectivités doivent permettre la transformation définitive du voyageur ou de l’usager en véritable client, en faisant jouer intelligemment la concurrence intermodale.
Nous attendons tous des transports sécurisés, avec un système maximal de sûreté, un service sans interruption à motifs sociaux ou calendaires, des véhicules confortables, climatisés, accessibles au numérique.
Nous devons pour cela changer de système et abandonner la seule économie de l’offre.
La digitalisation, le pouvoir de décision du client entre des offres diverses, les systèmes d’information en temps réels, la multiplication des services, l’apport de nouvelles offres de mobilité dans le cadre d’une économie circulaire, doivent permettre de conduire le client 24 heures sur 24 et 365 jours par an d’un point A à un point B.
Le transport de demain sera donc de plus en plus public mais aussi de plus en plus diversifié : TER, RER et TCSP pour le mass transit, cars et bus classiques ou à haut niveau de service, transport à la demande, autopartage et covoiturage, taxis et VTC, vélos ou deux roues électriques, marche à pied sans oublier – il faut être réaliste ! – la voiture individuelle.
Tout cela étant écrit et au vu de l’importance de ces sujets dans notre vie quotidienne je m’autorise cette question : et si l’on en parlait quand même pendant la campagne présidentielle ?
Les 25 « Glorieuses » de la mobilité
Par Gilles Savary Député PS de la Gironde et ancien vice-président de la commission Transport du Parlement européen.
Le palmarès des mobilités célébré chaque année par VR&T depuis 25 ans a accompagné et mis en exergue la formidable révolution silencieuse qui a affecté nos transports publics qui, de simples moyens techniques de déplacement, sont devenus insensiblement des « marqueurs » d’évolutions sociétales majeures :
1. La révolution urbaine provinciale
A partir des initiatives pionnières de Nantes, puis de Grenoble et de Strasbourg à la fin des années 80, un mouvement quasi généralisé de réorganisation des transports collectifs urbains s’est déployé dans toutes les grandes villes de province et accompagne aujourd’hui encore leurs développements urbains. Il a privilégié, non sans débats, des modes de transport que l’on croyait révolus ou ringards comme le tramway (aujourd’hui le câble !) associés à des projets ambitieux de rénovation ou de renouvellement urbain, intimement associée à l’aménagement de la ville.
Ce mouvement de fond a été accompagné d’évolutions institutionnelles qui ont bouleversé l’approche des transports collectifs : compétences accrues des intercommunales urbaines, intégration des modes doux, PDU, financements dédiés et réimplication financière de l’Etat à travers l’Afitf, plus récemment dépénalisation des amendes de stationnement, et coopérations renforcées entre AOT… Ce formidable « chantier » n’a pas manqué de renforcer la compétence complexe reconnue aux exploitants français et à Alstom au plan international. Les transports urbains français sont devenus l’un de nos savoir-faire les plus compétitifs sur les marchés mondiaux.
2. L’irrésistible exigence d’intermodalité
Servies par une magnifique élite d’ingénieurs, nos politiques de transports sont longtemps demeurées des « politiques d’offre » régies par des décisions politiques et des solutions techniques génériques, venues d’en haut.
Par ailleurs nos politiques de transport se sont longtemps déclinées sur un mode sectoriel cloisonné, disposant chacune de leur propre administration, sans stratégie ni vision d’ensemble. Experte en transports, la France n’en reste pas moins en très grand retard d’intermodalité.
La révolution urbaine qui caractérise notre époque, a profondément remis en question ces approches modales étanches. Du pédibus au TGV, en passant par les aires de covoiturage ou les plateformes d’échange multimodales, les politiques de mobilité consacrées par la création des AOM par la loi Maptam renversent la table des vieilles politiques modales ! Seul l’Etat, perclus de verticalité, peine encore à s’y convertir.
3. La « demande » prend le pouvoir
Modèle d’offre, les transports deviennent insensiblement un modèle de demande. Cette évolution spectaculaire, qui déconcerte les politiques et les administrations centrales, tient à la résonance de trois phénomènes contemporains :
– le développement des transports collectifs urbains et l’irrésistible affirmation de politiques de mobilités complexes et intégrées ;
– la libéralisation des transports qui a surtout suscité l’émergence extraordinairement rapide de nouveaux modèles économiques plébiscités par une clientèle de plus en plus sensible au prix sur toute autre considération ;
– l’avènement de l’ère numérique et de l’économie collaborative dans les transports de personnes bouleverse non seulement les modèles économiques traditionnels, mais place désormais l’usager client internaute au cœur du rapport de force ! C’est probablement le défi le plus redoutable posé à notre approche traditionnelle de la mobilité.
4. La quête du Graal de la mobilité « durable » : La COP21 s’est montrée particulièrement timorée dans ses préconisations en matière de report modal. L'objectif de mobilité durable est pourtant dans les esprits depuis le livre blanc en 2001 de la Commissaire Loyola de Palacio ! Il s'agissait de mettre en place une politique volontariste de transfert des trafics des modes polluants sur les modes vertueux grâce à des incitations fiscales.
On sait ce qu’il est advenu de l’écotaxe française, mais on peut observer a contrario que dans les pays qui l’ont mise en place, le transfert des trafics de la route sur le rail ne dément pas une tendance générale à l’échec de ce type de politique comportementale. Les humains n’ont pas renoncé à voyager mais la mobilité explose dans les pays émergents, mais également à la faveur (un comble !) du développement spectaculaire du low cost aérien, de l’économie collaborative routière et de l’open data. Le débat est loin d’être tranché de ce qui, des incitations financières ou des évolutions technologiques, sera le plus décisif vers des transports propres !
Ce qui est sûr, c’est que le renoncement à la mobilité n’est pas pour demain !