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Ewa

Belfort – Delle : comment rattraper un loupé ?

Correspondance à Meroux entre une rame RE des CFF, au départ pour Delle et Bienne (Suisse), et une ZGC du TER Bourgogne Franche-Comté, qui attendra 59 minutes avant de repartir pour Belfort…
belfort delle
Sur le papier, la ligne rouverte entre Belfort et Delle, à deux pas de la frontière, aurait tout pour plaire : rétablir un lien ferroviaire entre Belfort, le sud du Territoire et la Suisse, tout en reliant la gare de Belfort-Montbéliard TGV à ses environs.

 

Un an après, le constat est sans appel : la réouverture de la ligne entre Belfort et Delle, à la frontière suisse, est considérée comme un « bide » par les usagers. Afin d’étudier un remède à cette situation, les acteurs français et suisses cherchent des solutions.

Sur le réseau ferré national, les fermetures de « petites » lignes se poursuivent, la dernière en date ayant touché la voie ferrée entre Lille et Commines, à la frontière belge. Mais d’autres lignes bénéficient d’une réouverture, fondant de grands espoirs sur leur fréquentation future. C’était le cas, il y a un an, de la ligne de 22 km entre Belfort et Delle, à la frontière suisse. Et sur le papier, cette ligne semblait avoir tout pour être un succès : le long d’un itinéraire routier, déjà très fréquenté (qui a récemment bénéficié de grands travaux), les usagers du rail se voyaient proposer un raccourci considérable entre Belfort et la Suisse toute proche, donnant aux milliers de travailleurs frontaliers français un accès en principe direct au canton du Jura et à tout le réseau suisse. Enfin (et surtout, pour la clientèle venue du reste de la France) cette ligne rouverte marque un arrêt à Meroux, en correspondance directe avec la gare de Belfort-Montbéliard TGV et ses relations vers Besançon TGV, Dijon, Paris, Lyon, Marseille, Montpellier, Mulhouse, Bâle, Zurich, Strasbourg, Luxembourg ou Francfort…

Avec un tel potentiel, une fréquentation quotidienne de l’ordre de 1 500 à 3 500 voyageurs ne semblait pas hors d’atteinte lors de la réouverture de la ligne, le 9 décembre 2018, après 26 ans de fermeture de bout en bout. Mais un an plus tard, le « bide » constaté au cours des premières journées de service a été confirmé : quelque 200 voyageurs seulement empruntent chaque jour la ligne rouverte.

Sans donner dans les discours simplistes, il n’est pas très difficile de comprendre la désaffection du public, rien qu’en essayant de lire l’horaire du service annuel 2019. Qu’y constate-t-on ?

Déjà, cet horaire est quasiment illisible, car truffé de cas particuliers (circulations assurées hors ou pendant les périodes de vacances scolaires, par exemple). Non seulement, ce tableau donne les circulations entre Belfort, Delle et Bienne (Suisse), mais il est considérablement alourdi par les colonnes consacrées aux relations TGV vers tous les coins de France (mais aussi vers l’Allemagne ou le Luxembourg) !

Et une fois que l’on commence à se retrouver parmi tous les trains affichés, on constate qu’il n’est tout simplement pas possible de relier sans changement Belfort à la Suisse…

En effet, une correspondance s’avère obligatoire à Meroux (arrêt de la gare TGV) ou à Delle pour qui voudrait relier en train la ville du Lion au Jura suisse. Car si c’est bien une ligne que l’on a rouverte entre Belfort, Delle et la Suisse, ce sont deux dessertes qui y sont proposées : d’une part, des TER Bourgogne-Franche-Comté font la navette entre Belfort et Meroux (gare TGV) ou Delle, sans jamais quitter le territoire français ; d’autre part, des relations RE assurées par les CFF entre Bienne et Meroux via Delle, sans jamais pousser jusqu’à Belfort (alors que ce serait techniquement possible).

Reconnaissons que les correspondances sont généralement bien étudiées (une poignée de minutes à Meroux, voire une bonne vingtaine de minutes à Delle). Mais des « ratés » existent (52 minutes d’attente à Meroux en milieu de matinée en période scolaire). Ceci s’explique par le fait que si un semblant de cadencement existe (en particulier du côté CFF et dans une moindre mesure pour les TER), la desserte entre Belfort et Meroux présente parfois des « trous » aux heures creuses… On est loin des « 16 allers et retours par jour en 27 minutes » en TER promis entre Belfort et Delle pendant les travaux de reconstruction de la ligne…

 

Dite « Flirt France », cette rame suisse RABe 522 repart vers Bienne sur la ligne rouverte fin 2018 entre Belfort et Delle. Autorisée en France, elle ne dépasse pourtant pas la halte de Meroux sur la ligne vers Belfort…

 

Et qu’en est-il des correspondances à Meroux entre trains régionaux et TGV ? Même celles-ci ne sont pas vraiment privilégiées : la robustesse des horaires est faible en cas de retards et, même quand tous les trains sont à l’heure, des « loupés » existent à la gare TGV (tel ce TER qui part pour Belfort une minute avant l’arrivée du TGV en provenance de Marseille !) Et pour l’élargissement vers le nord de la zone de chalandise de la gare TGV, le rendez-vous est manqué une fois de plus, comme l’a signalé dès décembre 2018 l’AUT-FNAUT Lorraine : les correspondances entre les TER Épinal – Belfort et Belfort – Meroux ne permettent pas aux Lorrains du sud de prendre le TGV…

Comment en est-on arrivé là ? Plutôt que de chercher à voir dans cette situation le résultat d’un sabotage calculé, la vérité est plutôt à trouver dans les intérêts contradictoires des acteurs concernés.

La ligne proprement dite est globalement réussie, même si sa réouverture a pris bien plus de temps que prévu : la première étape vers sa remise en service remonte quand même à décembre 2006, avec le retour des trains à Delle, après 11 ans de fermeture. Pendant les 12 années suivantes, en attendant la réouverture de la ligne vers Belfort, Delle était la seule gare française uniquement accessible par la Suisse !

Finalement, les travaux de reconstruction de la ligne ont été lancés en 2015. Non seulement la voie unique a été reposée, mais son tracé a été dévié au niveau du franchissement de la LGV Rhin-Rhône, dont la construction avait littéralement coupé en deux l’ancienne ligne (où une desserte fret s’était jusque-là maintenue). Sur la ligne reconstruite, un point d’arrêt TER facilitant la correspondance avec la gare TGV (ouverte en 2011) a donc été établi. Au total, cinq arrêts ont été créés ou recréés sur le tracé rouvert, sans compter Belfort et Delle. Cette dernière gare est toutefois passée à trois voies, les systèmes d’électrification n’étant pas les mêmes de part et d’autre de la frontière. En effet, c’est sous caténaire 25 kV 50 Hz française que la ligne a été rouverte en 2018 (au-delà, du côté suisse, la caténaire 15 kV 16,7 Hz est arrivée dès 1933).

Restait à voir comment la ligne reconstruite serait desservie. L’affaire semblait entendue : les TER de Bourgogne-Franche-Comté relieraient Belfort à sa gare TGV et à Delle, alors que les RE Bienne – Delémont – Delle des CFF seraient prolongés vers la gare TGV et Belfort-Ville. Cette solution offrant des relations intéressantes et un service globalement fréquent était techniquement possible question capacité (la voie unique permet des croisements à Meroux et Grandvillars, outre Belfort et Delle). Et même si les ZGC françaises ne peuvent pas aller plus loin que Delle, la sous-série de rames Flirt suisses en service sur la ligne a été spécialement étudiée pour pouvoir fonctionner sur les lignes françaises électrifiées sous 25 kV 50 Hz (cette série RABe 522, dite « Flirt France », est également en service sur le Léman Express).

Mais dans les faits, en l’absence d’une subvention pour compenser le déficit d’exploitation entre Belfort-Ville et la gare TGV, la desserte assurée par les rames CFF ne pénètre pas plus loin en France que la gare de Meroux. D’où la situation en vigueur depuis décembre 2018…

Et cette situation n’a pas de quoi satisfaire grand monde. Même si le besoin existe pour les « frontaliers » français de gagner tous les jours la Suisse voisine, la route permet d’aller globalement plus vite que le train, faute de fréquence suffisante de ce dernier et de desserte de bout en bout. Même constat pour la clientèle – captive s’il en est – des scolaires, pour qui la desserte par car est bien mieux adaptée. Enfin, il ne semble pas que les Jurassiens suisses soient intéressés outre mesure par la possibilité de prendre le TGV vers le vaste monde. « Par jour, on doit avoir quatre ou cinq Suisses qui se rendent à la gare TGV », estime Bernard Tournier, membre du conseil FNAUT BFC.

Un dernier rendez-vous manqué est celui du fret. Alors que la ligne peut techniquement accueillir des trains lourds tractés par des locomotives, en commençant par les trains de travaux qui l’ont fait renaître, elle a été homologuée pour les trains de voyageurs uniquement. Dommage pour la livraison en Suisse des locomotives H4 par l’usine belfortaine d’Alstom, effectuée par un grand détour via Mulhouse et Bâle, sur une artère qui n’a pas vraiment besoin de circulations supplémentaires. Dommage également pour le transport des ordures ménagères de Belfort à la localité voisine de Bourogne (sur route depuis 2007). Dommage enfin pour les entreprises présentes le long de la voie, à laquelle se connectaient au moins cinq embranchements avant la coupure de la voie pour la réalisation de la LGV Rhin-Rhône.

C’est dans ce contexte, au bout d’un an de remise en service, que les autorités françaises et suisses se sont réunies le 17 décembre dernier à Delle. Coprésidée par David Asseo, représentant du ministre de l’Environnement du canton suisse du Jura, et Michel Neugnot premier vice-président de la région Bourgogne Franche-Comté, cette réunion avait pour but le lancement de la gouvernance de la ligne transfrontalière Belfort – Delle – Bienne. Cinq groupes de travail ont été mis sur pied à l’occasion : planification et exploitation ; tarification et distribution ; promotion et communication ; collège des associations représentant les parties prenantes ; et enfin un comité de coordination, présidé par la région Bourgogne Franche-Comté, qui devra assurer la coordination des travaux et le suivi du développement de la ligne. Les trois premiers groupes devront se réunir aussi souvent que nécessaire, en tout cas au moins trois fois par an, contre une fois par an au moins pour le groupe collège des associations et deux fois par an pour le comité de coordination, qui sera doté d’un secrétariat permanent.

Pour un bon fonctionnement de ces groupes dont les travaux devraient débuter « sans tarder », selon les deux coprésidents de la réunion de décembre, il serait souhaitable qu’y participent les différentes entités administratives des deux côtés de la frontière (République et canton du Jura, Office fédéral des Transports, conseil départemental du Territoire de Belfort, Grand Belfort, communauté de communes du Sud Territoire et communes françaises disposant d’une gare), les exploitants ferroviaires (CFF, SNCF Mobilités et Réseau), ainsi que les transports publics (communauté tarifaire Vagabond, côté suisse, et Syndicat mixte des transports du Territoire de Belfort).

On le voit, le nombre d’acteurs à coordonner est considérable pour une ligne de 22 km, constat que dresse également la FNAUT Bourgogne Franche-Comté. Cette dernière est également « dubitative », compte tenu de « la volonté des représentants suisses de maintenir en l’état actuel la desserte en y apportant toutefois les aménagements qui pourraient être jugés nécessaires à la suite des débats ». Or, pour les représentants des usagers, « il faut agir rapidement, revoir les correspondances à Belfort-Montbéliard TGV vers la Suisse, mais aussi vers Belfort-Ville, faire cesser les ruptures de trajet entre Delle et Belfort à la gare TGV, et étudier la possibilité de trajets directs et d’ouvrir des correspondances de et vers Epinal, comme le demandent les élus vosgiens ». Quand on sait que beaucoup de « ratés » actuels concernent des correspondances manquées à quelques minutes près, voici une liste d’améliorations qui ne coûteraient pas très cher…

Patrick Laval

Retrouvez l’intégralité du dossier dans notre numéro du mois de février

Ewa

Deux morts après un déraillement à 290km/h en Italie

Une rame ETR500 d’un train « Flèche Rouge » que TrenItalia fait circuler à la vitesse de 300 km/h.

Jeudi 6  février vers 5 h 30, près de Casal Pusterlengo, au sud-est de Milan, une rame « Flèche rouge » de Trenitalia a déraillé à 290 km/h sur la ligne à grande vitesse Milan – Bologne. Les deux agents de conduite ont perdu la vie dans l’accident, et 31 voyageurs ont été blessés.

De l’avis des sauveteurs, une catastrophe a été évitée, dans la mesure où la rame était fort peu remplie à cette heure de la matinée. La motrice menante a déraillé la première, entraînant une rupture d’attelage avec la voiture suivante, puis elle s’est couchée aux abords de la voie après avoir, semble-t-il, heurté un bâtiment d’exploitation.

Une aiguille indûment disposée 

Les causes du déraillement n’ont pas encore pu être totalement élucidées. Toutefois, le magistrat en charge de l’enquête judiciaire, Domenico Chiaro, laissait entendre, le soir même à Lodi (ville la plus proche du lieu de l’accident), qu’une aiguille indûment disposée pour la voie déviée pouvait être à l’origine du déraillement. Des travaux de maintenance des infrastructures étaient en cours sur ce secteur, et l’on songe bien sûr déjà à l’éventualité d’une erreur humaine lors de la restitution de l’intervalle. « Si l’aiguille avait été disposée pour la voie directe, le train n’aurait jamais déraillé », devait même ouvertement déclarer Domenico Chiaro à quelques journalistes.

Les déraillement sur LGV sont exceptionnels

Les déraillements de trains commerciaux sur lignes à grande vitesse sont très rares. En Allemagne, la catastrophe d’Eschede (rupture d’un bandage de roue) le 3 juin 1998 avait fait 101 morts et 88 blessés. En France, deux évènements sont restés dans les esprits : Macon-Loché-TGV (défaillance, lors d’un freinage, d’un tiroir anti-enrayeur sur une rame) le 14 décembre 1992, et Ablaincourt-Pressoir (survenue d’un fontis sous la plate-forme de la voie) le 22 décembre 1993. Aucun de ces deux évènements n’avait entraîné de graves dégâts corporels.

Philippe Hérissé

Ewa

3ème ligne du métro de Toulouse : le marché du système de transport attribué d’ici l’été

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Avec l’envoi mi-janvier du cahier des charges définitif aux quatre candidats en lice, l’avant-dernière étape vient d’être franchie vers l’attribution du marché de maîtrise d’œuvre et d’ensemblier du système de transports de la 3e ligne du métro de Toulouse, attendue d’ici l’été. Ce marché comprend le matériel roulant (des rames de 2,5 à 2,7 mètres de large), les automatismes de conduite, la voie, l’alimentation en énergie, les façades des quais, les équipements spéciaux du garage atelier et les véhicules de maintenance des infrastructures, ainsi que la maintenance (du matériel roulant, des équipements et des infrastructures).

Les quatre candidats sélectionnés fin 2018, qui ont participé au dialogue compétitif avec Tisséo Ingénierie durant l’année 2019, sont Alstom Transport, Siemens Mobility, le groupement mené par Hitachi STS avec Inéo UTS, Hitachi Rail Italy et GCF, et celui mené par l’espagnol CAF avec Thalès, ETF, TSO et Egis Rail.

Les candidats ont envoyé des responsables à Toulouse afin de mettre toutes les chances de leur côté pour remporter cet énorme marché, l’ensemble de la ligne de 27  km, dimensionnée pour transporter 15 000 passagers par heure et par direction, étant estimée à 2,7 milliards d’euros. « Nous avons été challengés par le syndicat mixte durant un dialogue intensif et compétitif, a indiqué Olivier Achard, dirigeant de Thalès, à la Tribune Toulouse. Désormais, chacun doit se positionner d’ici le mois d’avril et nous attendons un retour de la part de Tisséo au début de l’été 2020 ».

Catherine Stern

Ewa

Métros, trams, trains : cap sur l’autonomie

conference metro 2019

Ville, Rail & Transports organisait le 26 novembre à Paris une conférence sur les défis de la nouvelle génération de métros et RER automatiques et leur déclinaison pour les tramways et les trains… avant que ne circulent, un jour, des rames à conduite entièrement autonome.

L’automatisme, c’est déjà une vieille histoire en Europe, berceau des métros automatiques qui ont aujourd’hui plus de trente ans. Aujourd’hui, la toute nouvelle génération est prête à se glisser sur les rails : en 2020, il y aura le NeoVal de Rennes, les lignes A et B du métro de Lyon, l’extension d’Eole, de la Défense vers Mantes-la-Jolie à l’ouest de la métropole francilienne, puis les premières lignes du Grand Paris Express (GPE) à partir de 2024.

La prochaine étape, c’est l’autonomie, nouveau Graal de la filière du transport ferroviaire. Que revêt le concept d’autonomie dans le ferroviaire lourd ou léger ? Jusqu’où peut aller l’autonomie ? Pourra-t-on vraiment se passer de l’humain ? Le monde ferroviaire, les voyageurs et les pouvoirs publics, sont-ils prêts à accepter l’idée d’un train lancé à 300 km/h sans conducteur à bord ? C’est à toutes ces questions qu’ont tenté de répondre les intervenants de la conférence organisée le 26 novembre par Ville, Rail & Transports, à Paris, en présence de quelque 200  invités.

Agilité, efficacité économique

« Le défi aujourd’hui, c’est de ne plus construire de nouvelles infrastructures pour répondre à l’augmentation de la demande de transport collectif, mais d’optimiser l’infrastructure existante pour des raisons évidentes de coûts », a rappelé Edouard Dumas, responsable des comptes SNCF et Société du Grand Paris chez Siemens. Autrement dit, « gérer l’obsolescence, maintenir en vie des systèmes existants, mixer l’analogique avec le numérique, et faire preuve d’agilité et d’efficacité économique grâce à l’automatisation », a résumé François Vinsonneau, directeur du Centre d’excellence métro et tramway chez Keolis.

La filiale de la SNCF exploite de vieux et de nouveaux métros et tramways automatiques en France et dans le monde (Lille, Lyon, Docklands à Londres, Manchester, Shanghai, Hyderabad, Doha etc.).

Aujourd’hui, l‘automatisme serait donc devenu une réponse technologique face au défi de l’augmentation de la demande de transport collectif, en Ile-de-France comme dans d’autres grandes métropoles françaises et étrangères. Le défi c’est d’automatiser la conduite, non pas pour faire l’économie de conducteurs, mais pour augmenter la capacité des réseaux de transport urbain, périurbain, régional et même des lignes ferroviaires à grande vitesse, sans construire de nouvelles infrastructures que le système ferroviaire ne peut plus s’offrir.

Optimiser les débits et les distances

Si Siemens voit la vie en VAL, c’est parce que tout nouveau projet de métro qui voit le jour aujourd’hui dans le monde est forcément automatique, voir autonome. Mais on est loin des automatismes des années soixante-dix qui ont fait la renommée du métro de Mexico, puis du Val à Lille en 1983. « Avec le système CBTC de Thales ce ne sont plus les mêmes automatismes », commente Edouard Dumas.

Le CBTC (Communication Based Train Control) qui équipera le NeoVal de Rennes, l’extension de la ligne 14 vers Orly et les lignes 15, 16 et 17 du Grand Paris Express est un système de contrôle automatique du trafic ferroviaire qui se base sur la communication continue entre le train ou le métro, et des ordinateurs chargés de piloter le trafic. Avec des cantons mobiles déformables pour raccourcir la distance entre trains successifs.

« L’objectif n’est pas forcément de faire l’impasse sur les conducteurs, mais de faire passer des métros ou des trains plus fréquents, même aux heures de pointe grâce à des solutions de télécommunications et grâce au digital qui permettent de fluidifier le trafic », veut souligner Edouard Dumas.

La conduite automatique n’est plus le seul avatar du métro, le train peut aussi se conduire sans intervention humaine.

C’est par exemple le projet NExTEO, système de signalisation ferroviaire ERTMS (European Rail Traffic Management System), qui fera en 2024 de l’assistance à la conduite et de la régulation automatique des trains avec un cantonnement mobile – comme pour les métros – afin d’optimiser le débit et la distance entre les trains.

Conçu en partenariat par les équipes de la RATP et de la SNCF pour être implémenté sur l’extension de la ligne Eole (55 km vers l’ouest de La Défense, dont huit kilomètres de tunnel en plein Paris avec des contraintes de circulations en zone ultra-dense), puis les lignes B et D du RER, ce nouvel automatisme promet de faire passer 22 trains par heure et par sens, puis 28, au lieu de 16 actuellement.

« Avec une gestion facilitée des situations perturbées, indique Jérôme Lefebvre, directeur du projet NExTEO chez SNCF Réseau. En clair, en cas d’incident léger, le train n’est pas arrêté mais ralenti, puis le trafic reprend en fluidité. En cas d’incident grave, les trains, au lieu d’être stoppés en pleine voie ou sous un tunnel, sont arrêtés en station pour permettre aux voyageurs de descendre », explique-t-il. « Associé à la nouvelle infrastructure, NExTEO fera d’Eole la ligne RER la plus rapide dans le tronçon central, avec une vitesse de 120 km/h », ajoute Jérôme Lefebvre.

Même principe sur la LGV Paris – Lyon, la ligne à grande vitesse la plus empruntée d’Europe. Elle représente un tiers du trafic TGV national et accueille des liaisons transeuropéennes avec l’Espagne, l’Italie et le nord de l’Europe, mais elle a atteint le maximum de ses capacités. Avec le NExTEO, SNCF, Réseau a pour ambition d’accueillir sur la ligne trois trains supplémentaires aux heures de pointe. Et répondre par la même occasion aux objectifs d’interopérabilité des matériels roulants.

« L’automatisation nouvelle génération est un vrai plus pour apporter de l’agilité et de l’efficacité économique à nos réseaux de transport, mais les systèmes sont de plus en plus complexes, et ça prend du temps de faire monter en puissance les équipes opérationnelles pour, in fine gagner 2, 3, 4, 5 points de capacité », tempère François Vinsonneau, représentant de Keolis.

Automatisme, autonomie, quelle différence ?

automatisation ligne 4
L’automatisation de la ligne 4 du métro de Paris fait suite à l’automatisation intégrale réussie de la ligne 1.

« Automatisme et autonomie sont deux notions différentes », insiste Vincent Duguay, directeur des projets urbains France chez Systra. L’ingénieriste est maître d’œuvre du GPE, et en charge de l’automatisation des lignes A et B du métro de Lyon.

« L’autonomie suppose que le véhicule est en interaction permanente avec son environnement, ce n’est pas évident en milieu urbain. Les défis sont propres à chaque système et au cas d’usage », poursuit-il (sur ce sujet, lire aussi l’interview de Stéphane Feray Beaumont, vice la smart mobility chez Alstom en page 43). Des différences, mais des défis communs : autonomes ou automatiques, les systèmes ont pour exigence absolue de garantir l’évitement des collisions et l’intégrité des communications.

Et pour les transports autonomes, de lutter contre le risque cyber. Pour Systra, « il convient de travailler d’abord sur les transports autonomes en site propre et sur l’aide à la conduite autonome afin de remporter l’adhésion des usagers avant l’autonomie intégrale (GoA4, dans le jargon des « autonomistes »). Une position défendue par les opérateurs et l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) ».

Cueillir les fruits lorsqu’ils sont mûrs

Bombardier reste en marge de la course à l’autonomie et à l’automatisme nouvelle génération pour le marché des trains et des tramways : « Si on y va pour faire l’économie d’un conducteur, ça ne vaut pas le coup, restons sur l’automatisme classique (le Cityflow 650) pour les trams et les trains grandes lignes ou régionaux », commente Benoit Gachet, directeur des solutions de mobilités chez Bombardier.

Le constructeur participe au projet de téléconduite de l’institut de recherche technologique Railenium, basé à Valenciennes. Outre Bombardier, le projet réunit la SNCF, Alstom, Altran, Ansaldo, Apsys, Bosch, Spirops et Thales. Objectif : sortir deux prototypes pour les trains de fret et pour les TER, d’ici à 2023. Bombardier expérimentera ainsi le train régional Regio 2N à conduite autonome dans les Hauts-de-France.

Pas question de révolutionner les infrastructures pour tenter de recréer les conditions de circulation très prévisibles dans les tunnels du métro. Le défi consiste à détecter les obstacles en milieu ouvert – les branches qui tombent, les animaux qui traversent la voie. Et d’anticiper les réponses : inutile de freiner pour un sanglier qui sera déjà passé lorsque le train sera arrivé à son niveau…

Tous ces imprévus impliquent le recours à l’intelligence artificielle. Mais jusqu’où la vivacité d’esprit humaine est-elle remplaçable ?

« Il faut cueillir les fruits là où ils sont les plus mûrs », image Benoit Gachet. Et ceux qui le sont le plus sont les tramways : après l’avoir testé à Marseille sur le réseau de la RTM, Bombardier va développer l’automatisme sur le tramway de Francfort, avec l’assistance à la détection d’obstacles « Odas ». Un système purement optique pour aider le conducteur, de jour et de nuit, qu’il pleuve ou qu’il neige, en circulation intense et sur voie partagée.

Le système ne se substitue pas au conducteur qui peut reprendre la main. « Notre premier défi, c’est le contrôle de la vitesse, on a tous en tête l’accident du tram de Croydon dans la banlieue de Londres en 2016, dû à la vitesse excessive du tram », rappelle le représentant de Bombardier.

Demain, le train

« Nous commençons à travailler sur les environnements ouverts avec la SNCF, et avec Thameslink en Angleterre. Nous testons aussi un tramway autonome à Potsdam en Pologne, indique Edouard Dumas chez Siemens. Avec Thameslink, nous travaillons sur des trains autonomes grandes lignes, avec la problématique de la traversée nord ­– sud de Londres. Nous travaillons aussi sur les bus autonomes, mais demain, le grand défi de l’autonomie, c’est l’acceptabilité. Les industriels, les voyageurs, les pouvoirs publics sont-ils prêts à se passer de conducteurs ? », interroge le responsable des comptes SNCF et Société du Grand Paris chez Siemens.

« Pour la desserte terminale des trains de fret là où la valeur ajoutée d’un conducteur est minime, c’est une application envisageable à court terme, d’autant qu’elle augmente la compétitivité, mais pour les trains de voyageurs, le marché n’est pas mûr », estime le représentant de l’industriel allemand ;

A court terme, les automatismes tiennent donc encore la corde. « Mais si l’Europe a été le berceau de l’automatisation des transports, où en est la Chine aujourd’hui ? », interroge un participant dans la salle.

« Le premier métro automatique GoA4, c’est-à-dire totalement sans conducteur, a été mis en service fin 2017 à Shanghai, une autre ligne relie depuis cette année les quatre terminaux de l’aéroport de Pudong : l’automatisme n’était pas la priorité en Chine, mais le coup est parti, et comme tout va très vite dans l’empire du Milieu, on peut se demander en effet s’il ne deviendra pas le leader du métro GOA4 », répond François Vinsonneau, représentant de Keolis qui exploite le métro automatique de Shanghai.

« Depuis l’échec de la fusion entre Alstom et Siemens en 2019, CRCC a remporté cinq énormes contrats, dire que l‘Europe a une longueur d’avance aujourd’hui, c’est vrai, mais demain ? », concluent en forme d’interrogation les intervenants de la conférence.

Le roi du pantographe et des portes palières face aux défis de l’automatisation

« Au moment où je vous parle, 40 000 portes palières s’ouvrent et se referment sur les métros automatiques en France, les questions de l’automatisme sont vertigineuses pour un fabricant comme Faiveley », lance Geoffroy de Grandmaison, directeur marketing de l’équipementier franco-américain, racheté en 2016 par le Wabtec. Là où il y a un métro automatique, il y a des portes palières, et si elles ne valent que 2 % du coût du matériel roulant, elles comptent pour le tiers du coût des équipements. « La contrainte, c’est d’être précis au centimètre près, ce qui requiert un freinage rigoureux », autre spécialité de Faiveley qui avait inventé le pantographe de type Z (toujours le plus utilisé aujourd’hui), il y a tout juste 100 ans. Il a récemment mis au point un système « anti drag », pour détecter les personnes ou les sacs coincés dans la porte palière et empêcher le démarrage du métro. Du pantographe aux composants pour les métros automatiques, un siècle s’est écoulé.

«En autonomie, le train doit savoir répondre à un environnement changeant »

Pour Alstom, les défis de l’autonomie reposent sur la capacité des capteurs à anticiper les anomalies, qui permettront de gagner la confiance des usagers. L’autre défi, c’est l’homologation du système. Explication par Stéphane Feray Beaumont, vice-président Innovation & Smart mobility chez Alstom.

Ville, Rail & Transports. Quand verra-t-on circuler le premier train entièrement à conduite autonome ?

Stéphane Feray
Stéphane Feray Beaumont.

Stéphane Feray. Les trains sans conducteurs existent depuis déjà plus de 20 ans, il n’y a personne à bord et pour autant, ils ne sont pas autonomes puisque c’est l’infrastructure et la signalisation qui interagissent avec le matériel roulant. Pour imager, le métro peut foncer les yeux fermés dans le tunnel, les automatismes lui garantissent que la voie est libre. L’autonomie, c’est une autre dimension puisque le train doit savoir répondre à un environnement changeant. Pour Alstom, l’autonomie n’est donc pas un problème technologique mais de démonstration des performances (sécurité, exploitation) et d’acceptabilité auprès des clients. Tout dépend des cas d’usage : un train de fret autonome entre une voie de garage et un terminal fret, ça va arriver vite ; sur un corridor TGV, ce sera moins rapide. Pour un train de voyageurs, ce n’est pas la même histoire : arrêter d’urgence un tramway ou un TGV lancé à pleine vitesse parce que le capteur a détecté un obstacle, c’est compliqué. Les défis de l’autonomie, c’est la capacité des capteurs à anticiper les anomalies, et gagner ainsi la confiance des usagers. L’autre défi, c’est l’homologation du système, aujourd’hui, il n’existe pas de référentiel normatif donnant un cadre précis aux différents cas d’usage de l’autonomie et à l’emploi des technologies qu’elle nécessite.

VRT. Ne pensez-vous pas qu’il faudra toujours maintenir un agent à bord en particulier pour le mass transit, type RER en Ile-de-France ?

S. F.Le RER A est en pilotage automatique, le conducteur ne fait qu’ouvrir et fermer les portes et donner l’ordre de départ du train. Pour aller vers l’autonomie, il faudrait équiper le tronçon central de portes palières, mais en périphérie, on est en milieu ouvert. En mode dégradé, on aura donc toujours besoin de la présence d’un agent à bord pour assurer la prise en charge des passagers s’ils doivent descendre de la rame en dehors des stations. L’autonomie, ce sont les yeux et l’oreille du train : les lidars pourront détecter très en amont des anomalies engageant le gabarit comme, un affaissement d’accotement, la chute d’un arbre ou de branches sur la voie, et déclenchent le freinage d’urgence. La technologie autonome est capable d’aider à la conduite, de réagir à l’événement redouté, mais la mise en sécurité des voies et la prise en charge des passagers restent du ressort de l’humain. Finalement, la vraie question, c’est comment on exploite un train autonome, et quelles seront les procédures d‘exploitation imposées par l’opérateur ?

VRT. Pouvez-vous faire le point sur les automatisations de métro en cours ?

S. F.Alstom est impliqué dans un certain nombre de sujets : à Marseille, nous entamons le passage en automatique des lignes 1 et 2 avec la signalisation et le matériel roulant. A Lyon, nous sommes engagés sur la signalisation et le matériel roulant pour passer la ligne B en automatique et pour remplacer le système déjà automatique de la ligne D et à Toulouse, nous nous positionnons pour offrir le système complet – train, signalisation, infrastructure. Nous participons également à Lille à la création de la nouvelle génération de signalisation de métro automatique avec des fonctionnalités très avancées capables de satisfaire, par exemple, les cahiers des charges exigeant du métro automatique du Grand Paris Express ligne 18.

Livre : L’automatisation des transports publics

livreConnectés, électriques, partagés, les transports publics autonomes ont-ils un avenir ? Dans un livre blanc publié fin 2018, Systra a listé les opportunités offertes par ces nouvelles technologies pour le développement de transports publics autonomes, notamment les tramways, métros, et trains. Recensant aussi les défis, les freins, les perspectives et les enjeux. Un regard d’ingénieriste sur l’avenir des transports autonomes à travers une étude et un livre blanc de 160 pages.

Ewa

Le difficile choix d’être non-gréviste

Greve GDN 2019

Alors qu’une manifestation contre la réforme des retraites se prépare cet après-midi, la grève est toujours très suivie à la SNCF (où on compte en moyenne un train sur cinq sur Transilien, trois TER sur 10 essentiellement assurés par bus, un TGV sur cinq et un Intercités sur six) et à la RATP (si les lignes automatiques 1 et 14 fonctionnent normalement, et si les circulations de bus et des tramways sont assurées à 50 %, seuls un RER A sur deux et un RER B sur trois roulent durant les heures de pointe, les lignes 4, 7, 8, 9 et 11 fonctionnent partiellement également aux heures de pointe, tandis que les autres métros sont fermés).

Pour les conducteurs qui travaillent, l’ambiance peut être lourde, voire très hostile. Côté RATP, ce matin, sept dépôts de bus ont été bloqués jusqu’à 9 heures, soit pendant les heures de pointe, ce qui représente un tiers des centres de bus. Le même scénario s’était produit hier.

Des vidéos nous ont aussi été envoyées montrant des scènes d’intimidation vis-à-vis de conducteurs de tramway et de métro (voir ici). On y voit notamment, sur la ligne T2 à La Garenne-Colombes dans les Hauts-de-Seine, un conducteur de tramway, qui cherche à dégager les voies, sous les insultes de ses collègues grévistes, pour faire passer son véhicule. A peine a-t-il fini que les agents grévistes reversent des ordures sur les voies (voir ici).

Suite à ces comportements qu’elle « condamne », la RATP a porté plainte ce matin pour entrave à la circulation et mise en danger des voyageurs. « A chaque fois que nous serons confrontés à ces comportements, nous porterons plainte », indique un porte-parole. « Lorsqu’il y a intimidations, violences ou comportements en dehors des clous, la RATP dépêche systématiquement un cadre et un huissier qui constate les faits, ce qui peut conduire à un dépôt de plainte », ajoute-t-il.

Dans d’autres vidéos, on voit des attroupements de grévistes qui insultent des conducteurs accompagnés par des cadres, notamment sur les lignes 7 et 9 (voir ici), qui ne sont pas fermées à la circulation. Une autre (voir ici) montre des grévistes en train de faire « un feu dans leur local en brûlant des papiers. Le but est aussi d’intimider les non-grévistes », témoigne un agent.

Un conducteur nous a indiqué qu’il fait grève car il n’a pas envie de subir les brimades et humiliations qu’il avait connues lorsqu’il s’était risqué dans le passé à ne pas participer à un mouvement de grève. « C’est trop difficile à supporter quand quasiment tout un service est en grève », raconte-t-il. « Les conducteurs qui souhaitent travailler sont accompagnés par des cadres qui sont là en soutien. La direction peut leur proposer de venir en taxi. La hiérarchie leur laisse entendre qu’elle comprendrait qu’ils peuvent ne pas vouloir être grévistes mais qu’il leur est difficile de venir travailler dans ces conditions… ».

D’où une très forte hausse des arrêts maladie à la RATP. Contactée, la direction confirme cette hausse mais précise qu’elle n’en est pas à l’origine. La SNCF n’est évidemment pas épargnée. Un sabotage a ainsi été commis sur une installation électrique alimentant la LGV entre Paris et Marseille, au niveau de Chabrillan dans la Drôme. La SNCF qui affirme « une tolérance zéro envers ses actes de malveillances » devrait porter plainte.

M.-H. P.

Ewa

Les promesses du Léman Express

Leman Express CEVA

Le RER transfrontalier, qui doit relier Genève à Annemasse, s’élancera le 15 décembre. Il devrait transporter chaque jour 50 000 voyageurs et réduire de 12 % le trafic automobile. Mais pour le lancer il a fallu batailler.

« L’événement le plus marquant de la réussite du Léman Express a été la votation de 2009 » affirme Michel Boucher, vice-président chargé des Transports d’Annemasse Agglo et Premier adjoint d’Annemasse, chargé de l’Urbanisme. Il y a dix ans, les Genevois validaient ainsi largement, à plus de 61 %, les crédits supplémentaires de 113 millions de francs suisses nécessaires à la construction du CEVA. Pour l’élu, cette date signe la poursuite et l’aboutissement du projet transfrontalier : « le Léman Express, dès sa conception est l’histoire d’une bataille politique portée par les élus de part et d’autre de la frontière » indique-t-il en remarquant que « pour les problèmes techniques, on arrive toujours à trouver les solutions ». Les contraintes financières levées ont été suivies dans la foulée du rejet des recours juridiques bloquant le démarrage du projet.

En 2011, les travaux pouvaient être lancés 130 ans après la première convention entre la Suisse et la France pour réaliser une ligne ferroviaire. Au-delà de la liaison transfrontalière, côté français, le projet est aussi devenu pour les élus « une véritable nécessité pour le développement de territoire ». Avec un enjeu prioritaire : répondre aux déplacements domicile-travail automobiles, en forte augmentation, et la lutte contre la pollution grâce au report modal espéré. Environ 50 % de la population active d’Annemasse travaille à Genève et un tiers des actifs genevois résident dans le bassin annemassien. L’autre enjeu porte sur l’étoile ferroviaire dont Annemasse est le centre renforcé avec son nouveau pôle d’échange multimodal et son quartier en pleine extension.

Reste la dernière étape du projet, celle de la mise en service voyageurs. « Le Léman Express est conçu et construit comme un ensemble cohérent dont on a repensé entièrement l’offre aussi bien pour les relations directes transfrontalières que pour les liaisons TER » indique Armelle Laugier, cheffe de projet Léman Express à la SNCF et codirectrice de la nouvelle société Lémanis, filiale de SNCF et CCF, chargée de la Planification et de la Promotion de l’offre du nouveau RER transfrontalier. Avec, notamment, un train toutes les dix minutes aux heures de pointe entre Annemasse et Genève en 20 minutes, les promoteurs du projet misent à terme sur une réussite incontestable du Léman Express. 50 000 voyageurs par jour sont attendus et la fréquentation de la gare d‘Annemasse devrait être multipliée par huit, avec près de 9 000 clients par jour. Côté usagers, la Fnaut Rhône-Alpes a déjà donné son onction : « une très bonne chose » résume François Lemaire, vice-président de la Fnaut Rhône-Alpes, qui estime que le Léman Express permettra « un service à peu près cadencé » et de rattraper le retard en fréquence et en nombre de trains en Haute-Savoie. Satisfaction aussi sur le Léman Pass, tarification commune réseaux urbains-TER regroupant une vingtaine d’opérateurs et d’autorités organisatrices de transports (AOT), « une belle avancée moderne » dont la Fnaut attend le déploiement en exprimant toutefois son inquiétude sur la capacité du réseau haut-savoyard. Selon elle, le réseau majoritairement en voie unique va être fortement sollicité et la SNCF est attendue sur le niveau de la régularité, « un vrai challenge à relever ».

Succès pour la voie verte

Voie verte Leman ExpressDepuis 2018, la voie verte est ouverte aux piétons et à tout ce qui roule sans polluer et sans bruit. Longue de 12 km, au départ de la gare d’Annemasse, empruntant en partie le tracé du Léman Express et se prolongeant jusqu’à Genève, « la voie verte remporte un très vif succès » se félicite Michel Boucher, vice-président Mobilité d’Annemasse Agglo. Elle compte quelque 3 000 passages par jour répartis pour moitié entre cyclistes et piétons, avec un record de fréquentation en juin dernier à plus de 4 800 passages pour les loisirs ou les déplacements domicile-travail sur Annemasse – Genève (15 minutes en vélo).

Le Léman Express, une bonne affaire pour les CFF

Leman express Gare Eaux Vives

Opération importante pour les CFF, la réalisation du CEVA permet aussi à son département CFF Immobilier d’investir dans des projets porteurs et de valoriser leurs actifs immobiliers, conformément aux objectifs fixés par le Conseil fédéral. Le RER transfrontalier est une bonne affaire puisque les CFF se positionnent sur des terrains occupés par le trafic fret dont ils sont propriétaires et créent de nouveaux actifs immobiliers sur trois sites (Eaux-Vives, Lancy-Pont-Rouge, Chêne-Bourg) parmi les cinq gares aménagées dans le cadre du projet. C’est le cas de la gare de Lancy-Pont-Rouge, projet phare CFF et le plus avancé des aménagements conçus avec la volonté de créer de nouveaux pôles urbains. A Pont-Rouge où la nouvelle gare a été inaugurée en 2017, 138 000 m2, dont 88 500 m2 de bureaux et 600 logements, seront achevés d’ici 2021. Les ventes ou locations sont réalisées au prix du marché, CFF Immobilier investissant les bénéfices des opérations dans de nouveaux projets de développement et en affectant une partie à la caisse de pension de CFF. Enfin, une partie va à la création d’infrastructures ferroviaires, comme le Léman Express, ce qui représente environ 150 millions de francs suisses par an.

Leman Express et TER, même combat

L’apparition du « RER transfrontalier » dans le panorama alpin a permis de lancer une modernisation du réseau ferroviaire en Haute-Savoie dont va bénéficier le TER. « On apporte une réponse pragmatique et ambitieuse aux difficultés environnementales et des déplacements du grand bassin transfrontalier grâce à une offre de transport en commun massive » indique Martine Guibert, vice-présidente aux Transports de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Une réponse aux transports périurbains du quotidien domicile-travail, mais aussi à « un vrai projet territorial associant Etat, opérateurs et collectivités pour le développement de l’activité économique, par exemple les lignes Londres – Genève pour les sports d’hiver qui, grâce à la nouvelle offre intermodale transfrontalière, irriguent notre tourisme ».

Un projet ambitieux dont le pôle multimodal d’Annemasse entend retirer tous les bénéfices. La gare centrale du Léman Express fait partie des 18 gares aménagées pour améliorer l’accueil des voyageurs (allongement des quais d’accès aux trains, éclairage, signalétique, passerelles, etc) avec des travaux dimensionnés à sa future fréquentation en hausse qui devrait en faire la quatrième gare régionale : nouvelle ouverture avec un passage souterrain, création d’un quatrième quai et d’une nouvelle voie réservée à la liaison Genève – Annemasse, réaffectation des voies pour améliorer les déplacements voyageurs et fret ou encore deux parvis.

En outre, au départ d’Annemasse, deux axes sont modernisés vers, d’une part, Evian-les-Bains (à l’est), avec la création de deux voies de garage en gare d’Evian, la réorganisation des voies de service et la création d’un poste d’aiguillage informatique, et d’autre part, La Roche-sur-Foron (au sud), avec un aiguillage motorisé sur toute la branche et une signalisation ferroviaire améliorée.

Enfin, des passages à niveau accidentogènes prioritaires au classement national SNCF ont été supprimés à Etrembières et à Reignier à l’été 2019.

Au total, la région aura investi 320 millions d’euros dans l’opération Léman Express-TER, « et 400 millions à terme avec les futurs matériels roulants supplémentaires » précise Martine Guibert. L’opération avec le RER comme colonne vertébrale préfigure, selon elle, ce qui pourrait être développé dans les autres métropoles régionales. Pour l’heure, la région attend une fréquentation de 50 000 voyageurs par jour et une réduction du trafic automobile de 12 % au profit du ferroviaire, et mise sur une appropriation des services pour adopter de nouvelles habitudes.

Claude Ferrero

Ewa

Transition écologique : et si on payait son stationnement au poids ?, par Simon Guiot

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Par Simon Guiot, consultant chez SARECO, auprès des collectivités locales sur la mobilité urbaine et le stationnement automobile

Explosion des ventes de SUV, course à la puissance et à l’autonomie accrue des batteries chez les constructeurs de véhicules électriques… l’augmentation du poids des véhicules fait dérailler l’atteinte des objectifs de baisse des émissions de CO2 et plus largement de l’impact écologique lié à nos déplacements motorisés.

Et si, pour enrayer cette tendance, nous payions notre stationnement au poids ? Et si en conséquence les automobilistes étaient incités à s’orienter vers des modèles plus légers, et les constructeurs à ajuster leurs gammes pour répondre à cette nouvelle exigence de leur clientèle ? Les effets bénéfiques sur l’impact environnemental du transport automobile seraient nombreux, et sur plusieurs plans.

En premier lieu, le poids du véhicule a un impact direct sur sa consommation d’énergie, notamment en milieu urbain. La consommation d’énergie nécessaire en phase d’accélération du véhicule pour porter sa vitesse de 0 km/h au démarrage d’un feu par exemple à la vitesse maximale de 50 km/h est en effet proportionnelle à la masse selon la seconde loi de Newton.

stationnement Paris
Stationnement sur voirie à Paris, rue de la Pompe.

En second lieu, le poids du véhicule a également un impact sur l’énergie nécessaire à la fabrication du véhicule. L’enjeu est tout particulièrement important concernant les véhicules électriques, dans la mesure où une grande part des émissions liées au cycle de vie du véhicule et de sa batterie interviennent lors de la construction du véhicule. La limitation du poids des véhicules électriques limite directement la capacité des batteries, celles-ci représentant une part très importante du poids du véhicule. Cela va certes à l’encontre des tendances actuelles du marché de l’électrique, mais c’est absolument nécessaire pour que la voiture électrique puisse être une solution de demain et non une nouvelle impasse écologique liée au problème de la fabrication des batteries et de leur recyclage.

Sans compter les bienfaits induits pour les parcs de stationnement. L’augmentation des gabarits des véhicules pose de sérieuses difficultés à des ouvrages dont les murs ne sont pas amovibles. La maîtrise de la capacité calorifique des véhicules, elle aussi liée au poids et dans le cas des véhicules électriques à la capacité des batteries, pose de sérieux défis en matière de sécurité incendie à nos ouvrages notamment souterrains.

Ces enjeux ne sont pas pris en compte par les réglementations environnementales récentes mises en place au niveau français et européen. Les normes d’émissions de CO2 maximales imposées par la Commission Européenne sont justement modulées en fonction du poids des véhicules « afin de préserver la diversité du marché des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers ». Au niveau national, les tentatives de députés de la majorité et de l’opposition d’introduire un bonus-malus basé sur le poids des véhicules ou de restreindre la publicité sur les véhicules les plus lourds n’ont à ce jour pas abouti. Dans les deux cas, la pression exercée par les constructeurs qui ont construit leur stratégie commerciale et marketing sur des véhicules de plus en plus lourds comme les SUV ou les crossovers a été maximale. La solution pourrait-elle alors venir de nos Collectivités locales, dont l’action décentralisée peut s’affranchir davantage du poids des lobbies automobiles ? Leur mission de chef de file des politiques de stationnement leur donne un important levier d’action. La Ville de Paris a récemment annoncé réfléchir au sujet dans l’optique d’une mise en œuvre au cours du prochain mandat.

Mais comment mettre en œuvre cette tarification au poids ? Doit-on installer des balances sous chaque place de stationnement pour facturer le prix juste ? Heureusement, des solutions plus simples sont envisageables !

Le développement de la lecture de plaques pour le stationnement sur voirie comme dans les parkings hors voirie, permet d’associer sans difficulté un abonnement de stationnement à l’immatriculation d’un véhicule. Il suffit dès lors de relever lors de la souscription de l’abonnement le « poids à vide national » sur le certificat d’immatriculation du véhicule pour appliquer le tarif correspondant au client concerné. Dans le cas d’une tarification linéaire de 50 Ä par tonne et par mois, une Renault Clio IV de 1 215 kg se verra ainsi appliquer un tarif mensuel de 60,75 Ä, quand un BMW X5 toutes options incluses de 2 510 kg se verra appliquer un tarif mensuel de 125,50 Ä.

Le dispositif mérite d’être modulé, afin d’en maximiser l’efficacité et de traiter un certain nombre de spécificités. Une franchise de poids pourrait être accordée aux véhicules électriques dotés d’une petite capacité de batterie, par exemple de 30 kWh maximum, de manière à favoriser ce type de véhicules et compenser le surpoids qu’occasionne une batterie même petite. A l’inverse, une tarification exponentielle pourrait être envisagée à partir d’un certain poids « critique » fixé aux alentours de deux tonnes, pénalisant les véhicules dont l’impact écologique est le plus lourd.

La portée de ce dispositif peut être significative à court terme, ce qui est essentiel pour infléchir la tendance de nos émissions de CO2. Le nombre d’abonnés des parcs de stationnement et du stationnement sur voirie est en effet compris entre 1 et 2 millions à l’échelle nationale, principalement des habitants et travailleurs des grandes métropoles.

L’extension de la mesure aux stationnements occasionnels, payés à l’heure sur voirie ou dans un parking public permettrait de concerner un nombre d’automobilistes encore plus important. Mais dans la mesure où la lecture manuelle du poids du véhicule peut difficilement être réalisée par un agent à chaque stationnement, elle nécessite d’autoriser l’accès des exploitants de stationnement au système d’immatriculation des véhicules (SIV). Cet accès au SIV constitue par ailleurs une revendication ancienne des exploitants de stationnement, par les possibilités offertes en matière de contrôle du respect de la réglementation appliquée.

Alors convaincu(e) par cette mesure à la fois efficace et applicable ? Nous ajouterons qu’elle présente également l’atout d’un impact social positif, les véhicules légers, que ce soit neufs ou d’occasions, étant bien souvent les moins coûteux à l’achat !

Ewa

Le projet de la gare du Nord : le face-à-face Cukierman-Contassot

Cukierman-Contassot

Le projet de transformation de la gare du Nord fait polémique. Au centre du débat : la dimension commerciale. Pour Daniel Cukierman, ancien directeur des gares à la SNCF, les commerces plaisent aux voyageurs, tandis que l’élu parisien, Yves Contassot, co-président du Groupe Génération.s, estime aberrant de concevoir une gare comme un aéroport.

« Les commerces font entrer les gares dans un cercle vertueux »

Villes Rail et Transports. Daniel Cukierman, vous avez été directeur des Gares de la SNCF, et vous avez notamment lancé le projet de rénovation de la gare Saint-Lazare. Que pensez-vous de la polémique actuelle sur la gare du Nord ?

Daniel Cukierman. Avant de parler de la gare du Nord, je rappellerais qu’à mon sens, la SNCF a toujours été en retard sur les gares. On a fait de très belles gares quand on a créé le chemin de fer au XIXe siècle mais, après, on les a un peu laissés vivre « dans leur jus ». On a considéré que ce n’était pas important ou bien, quand on a créé le TGV, on a estimé que les gens ne feraient que traverser la gare pour monter dans le TGV comme on prend un métro.

La SNCF n’a créé une direction des Gares qu’en 1998, en retard sur tous les autres réseaux européens. Je ne parle même pas du Japon, où les gares sont de qualité et sont aussi des centres commerciaux. Les gares anglaises étaient dix fois plus modernes, utilisées et valorisées que les nôtres, il y avait alors de grands projets pour les gares comme Leipzig en Allemagne, ou Madrid-Atocha en Espagne et, en Suisse, Zürich est un modèle. Ce retard français n’est pas complètement comblé. Cela se traduit par le fait qu’on donne moins d’argent aux gares dans le budget de la SNCF que dans d’autres réseaux.

 

VRT. Cela n’a pas empêché de construire de grandes gares nouvelles pour le réseau TGV ?

D. C. Oui, mais comme il n’y avait pas de direction des Gares, il n’y avait pas de maîtrise d’ouvrage forte. Les architectes avaient le pouvoir de décider. A l’époque l’école de Paul Andreu (alors architecte d’Aéroports de Paris, mort en 2018, NDLR) dominait. Et, selon cette école, le vide, c’est bien et, depuis l’aéroport, il faut voir les avions. On a eu la même chose avec les TGV : depuis la gare, il faut voir les trains. La pétition des architectes dans Le Monde, le redit : le vide c’est bien.

Pourtant, lors de la construction des stations du métro de Lille, chaque gare avait été confiée à un architecte différent et, pour protéger les œuvres des architectes, on avait décidé qu’il n’y aurait pas de publicité. Mais une enquête a été faite et 75 % des voyageurs interrogés ont dit : on veut de la publicité. Quitte à prendre le métro autant voir sur le quai d’en face le titre d’un journal, ou le film qui sort, etc.

Et certes, le vide peut être bien, mais pas toujours… Le passage entre la gare du Nord et le métro (Porte de) La Chapelle était vide, il était très sale et c’était un coupe-gorge.

Aujourd’hui, on est dans une nouvelle période. On veut s’occuper des gares, et on se rend compte que c’est ce qui plaît aux voyageurs.

 

VRT. Alors venons-en à la gare du Nord…

D. C. C’est la plus grande gare d’Europe en terme de nombre de voyageurs. Elle n’est pas à la hauteur de ce trafic. Elle ne l’est pas dans la partie TGV, encore moins dans la partie Eurostar quand on compare notre terminal à celui de St Pancras. Elle ne l’est pas non plus du côté Transilien, même si la rénovation de la mezzanine a amélioré les choses.

Parenthèse : déjà, à l’époque, la création de la halle pour le Transilien avait été faite en partenariat avec Altarea, c’était la première fois qu’on était dans ce schéma, avec un partenaire qui finance les commerces mais aussi l’aménagement de la gare dans les parties non commerciales. Ce qui a été fait pour le Transilien n’aurait pu être fait sans ce premier partenariat noué il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, cette partie transilienne de la gare du Nord fonctionne moins bien. Il y a trop de monde. La gare rencontre des problèmes classiques d’escalators qui ne fonctionnent pas toujours, mais aussi des problèmes de croisements de flux.

 

VRT. Tout ceci explique le projet de Gares et Connexions.

D. C. Oui, c’est un projet ambitieux, et il le fallait. La gare centrale de Berlin a coûté plusieurs milliards d’euros. Un projet allant jusqu’à 800 millions d’euros n’est pas une folie pour la première gare d’Europe.

Mais, pour l’instant, on ne sait pas trouver 800 millions pour moderniser la gare du Nord dans le budget de la SNCF. On ne sait déjà pas trouver assez d’argent pour moderniser le réseau, alors qu’on considère que c’est prioritaire. Il faut donc trouver un autre moyen, et les commerces peuvent apporter ce financement. Or, on est parti dans un débat idéologique sur les commerces, qui recoupe en grande partie le débat sur l’architecture. On entend un discours, disant : « le fait que les commerces financent, ce n’est pas bien ». Mais ce n’est pas de l’argent sale, et je ne vois pas pourquoi gagner de l’argent – y compris dans les transports publics – serait honteux.

Et on peut en gagner. Les aménageurs de centres commerciaux disent qu’il y a trois règles pour qu’un commerce fonctionne : le trafic, le trafic, le trafic. Là où passe du monde, le commerce marche bien. Mais qui profite de ce trafic ? Faut-il faire comme à la gare Saint-Lazare, où la SNCF en profite, ou comme à Châtelet-Les Halles, où seul Unibail en tire le bénéfice, et pas la RATP ? Quitte à utiliser l’ensemble des flux qui rapportent beaucoup d’argent autant faire quelque chose qui profite au transport public… Autant profiter des flux que l’on crée.

 

VRT. N’est-ce pas, au bout du compte trahir l’esprit de ce qu’est une gare ?

D. C. Mais non ! Le commerce n’est pas un moyen de financement par défaut. Ce que l’on fait plaît aux voyageurs. Les sondages le montrent et de plus, il faut croire que cela leur plaît, puisque les commerces ont dans les gares un chiffre d’affaires au m² trois fois supérieur à celui de la rue en face.

Par ailleurs, le commerce fait entrer dans un cercle vertueux. Si on prend l’exemple de Saint-Lazare, le plus achevé en France, les commerces apportent de la présence humaine, de la lumière et des exigences de propreté, de sécurité et de fonctionnement. Ce n’est pas étonnant que Saint-Lazare soit la gare la plus propre, que les escaliers mécaniques fonctionnent et qu’ils soient propres… Cette présence est utile et amène une amélioration globale de la gare.

 

VRT. A chaque fois on se pose des questions sur l’effet d’un tel centre sur le quartier, et la commission départementale d’équipement commercial – désavouée par la commission nationale il est vrai – s’est prononcée contre le projet de la gare du Nord.

D. C. Déjà, quand on a lancé la rénovation de Saint-Lazare, Jean Tibéri, maire de Paris, était contre, au nom des commerçants de la rue Tronchet. Aujourd’hui, ce quartier est celui où il y a le plus grand nombre de commerces en Europe et, malgré la présence de ce qu’ils pouvaient juger comme des concurrents à leur égard, les commerces de la rue Tronchet marchent bien.

A priori, des gens peuvent dire : on va tuer le commerce de quartier. Mais les cas concrets que l’on connaît – Saint-Lazare, gare de l’Est, Montparnasse –, montrent qu’au contraire on crée un pôle d’attraction.

De plus, si l’on regarde plus précisément le quartier de la gare du Nord, ce n’est pas être insultant que de reconnaître qu’on a des commerces plutôt bas de gamme, à l’exception du marché St Quentin, qui n’a pas de rapport avec ce que l’on peut faire dans la gare. Développer un pôle de qualité peut tirer vers le haut l’ensemble de la chalandise du quartier.

 

VRT. Il y a aussi un autre débat, sur la création d’un tel centre au détriment de la banlieue

D. C. Les architectes opposés au projet disent, regardez, les centres commerciaux ont du mal à vivre. Mais je préfère qu’on fasse vivre des commerces dans un lieu du transport public plutôt que dans un centre comme Aéroville, accessible uniquement en voiture. Or, ce sont les mêmes qui refusent et la gare du Nord, et Europacity (projet officiellement abandonné après l’interview, NDLR). On ne peut pas être contre les deux à la fois, sauf à avoir une position idéologique, d’être partout contre les commerces. Vu la taille et de ce projet et les besoins auxquels il répond, le projet de la gare du Nord mérite mieux que des postures idéologiques.

 

VRT. Et pourtant, ça ne passe pas bien. Pourquoi la polémique sur la gare du Nord ?

D. C. Il y a deux choses. On va détruire la halle banlieue qui existe aujourd’hui, et il peut y avoir une espèce de solidarité d’architectes, un réflexe corporatif.

Par ailleurs, le fait que l’on soit dans une période préélectorale peut expliquer le changement de point de vue de la ville de Paris. Il y a des années, j’avais montré à Bertrand Delanoë, qui n’était pas encore candidat à la mairie de Paris, le projet de la gare Saint-Lazare. Il l’avait approuvé mais, ensuite, il avait demandé que l’on renonce aux parkings. Ce n’était pas une critique technique. Il avait des problèmes d’équilibre interne à la majorité.

Ce que je trouve absurde dans la position de la ville, c’est qu’elle se dit prête à mettre de l’argent pour un projet de rénovation sans commerce. Mais, si la ville a de l’argent, autant le mettre directement dans l’amélioration des transports, pas en compensation d’autre chose qu’on supprimerait.

 

VRT. Il y a tout de même des arguments assez forts sur des cheminements bien compliqués.

D. C. Je ne connais pas assez en détail le projet pour dire que le nouveau système de circulation sera meilleur, mais, vu les flux extrêmement importants, séparer les entrants des sortants n’est pas idiot, et c’est ce qui est prévu au moins pour les TGV, les Eurostar ou les TER. Et cela se fait ailleurs. Quand Rudy Riciotti fait la gare de Nantes, il fait lui aussi passer les gens sur une passerelle avant de redescendre pour rejoindre les quais. Cela se fait à Rennes aussi. Et personne ne proteste. Ce fonctionnement que tout le monde admet ailleurs est critiqué gare du Nord, et je ne comprends pas pourquoi, si ce n’est que c’est un argument facile pour dire : vous compliquez inutilement les trajets des voyageurs.

Mais la gestion des flux, c’est complexe et le plus court n’est pas toujours le mieux. Jean-Marie Duthilleul et moi, nous étions contents, quand on a fait les gares du Stade de France, que ces gares ne soient pas trop près du Stade. Cela permet à la foule de s’étirer, et qu’on ne se retrouve pas avec des dizaines de milliers de personnes en même temps sur les quais. Dans des métros chinois, on a cru bien faire on créant des correspondances courtes entre deux lignes. Mais, dans des gares de correspondance, il y a tant de monde et les couloirs sont si courts que les gens n’arrivent pas à sortir du quai… Parfois, des parcours un peu longs peuvent permettre de « stocker » ou de diluer les flux.

 

VRT. N’y a-t-il pas, vu l’importance de ce projet, comme un effet de seuil, qui ne serait pas supportable ? C’est deux fois plus d’espace pour les commerces qu’à Saint-Lazare…

D. C. Gare Montparnasse, c’est 20 000 m² aussi, l’équivalent de ce qu’on veut faire gare du Nord. Et on n’a pas la levée de boucliers. On en est à la première moitié des travaux à Montparnasse. Deux choses me frappent. On utilise les travaux pour améliorer les espaces voyageurs, en créant des grandes salles d’attente, on a ouvert le toit de la salle d’échange pour donner de la lumière. Et je suis frappé par la qualité des commerces. A la fin des années 90, on avait du mal à attirer les commerces dans les gares. On avait des commerces classiques, Relay et le café croissant. Aujourd’hui les marques se battent pour aller dans les gares. Elles ont repéré qu’il y avait beaucoup de monde et des gens avec un fort pouvoir d’achat.

 

VRT. Comment faire, puisque partenariat il y a, pour que la SNCF en tire le maximum ?

D. C. Je crois qu’aujourd’hui Gares et Connexions est nettement plus performant, plus expert en maîtrise d’ouvrage et en négociation de contrats que lorsqu’on a créé la Direction des Gares il y a vingt ans. Gares et Connexions est tout à fait en mesure de tirer un meilleur résultat que du temps de Saint-Lazare et ses derniers directeurs sont des experts dans le domaine.

De plus, si dans le partenariat, on inclut la maintenance c’est une garantie de qualité. Déjà parce qu’on sait combien cela va coûter. En tant que maître d’œuvre, l’investisseur surveillera que les choses soient maintenables. S’il a un contrat de plusieurs dizaines d’années, le mainteneur a tout intérêt à ce que la construction soit de qualité. Les investisseurs privés, c’est évident, cherchent toujours à grappiller de l’argent sur le projet. Les responsabiliser sur la maintenance est une forme de garantie sur la qualité de ce qu’ils font.

 

VRT. La gare du Nord rénovée doit être prête en 2024 pour les Jeux olympiques. Cela semble très serré. Est-ce possible ?

D. C. Le temps, pour un partenaire privé, c’est de l’argent. C’est aussi un autre aspect vertueux de la présence des commerces, sur la vitesse et la capacité de réaliser un projet. A Paris, les travaux de la gare de Lyon ont été lancés en même temps que ceux de Saint-Lazare, mais ceux de Saint-Lazare, faits en partenariat avec Klépierre­ – qui ont, c’est vrai, pris du temps – sont finis. Ceux de la gare de Lyon gérés par la SNCF seule ne le sont pas.

La gare sera-t-elle prête pour les JO ? Je n’en serais pas surpris. Il y a des clauses de pénalité très élevées s’il y a des retards, et cela coûterait très, très cher à l’investisseur.

Propos recueillis par François Dumont

« On entre dans une logique purement marchande qui est la négation de la SNCF »

Ville, Rail et Transports. Conseiller de Paris, vous êtes opposé au projet de rénovation de la gare du Nord. Pour quelle raison ?

Yves Contassot. Ce à quoi on assiste aujourd’hui avec ce projet, c’est déjà ce qu’on a vu avec la gare Saint-Lazare, ou ce qu’on voit aujourd’hui avec Montparnasse. En pire. Pour la SNCF, il faut que les gares parisiennes deviennent des centres de profit pour permettre d’entretenir les gares de province. On entre dans une logique assez délirante, purement marchande, qui est la négation de la SNCF en tant que service public. C’était déjà la même chose avec les algorithmes faisant varier les prix des billets en fonction de l’occupation. Cela remonte à l’époque où l’on a privilégié le TGV sur tout le reste en contractant un endettement colossal, ce qui conduit la SNCF à cette logique générale d’optimisation financière. Certes, la SNCF est victime des décisions de l’Etat, mais ses dirigeants s’y conforment avec une jouissance assez étonnante.

 

VRT. Pourquoi est-ce si aberrant ?

Y. C. Le projet part d’un premier a priori, c’est qu’il doit y avoir une maximisation financière des commerces. Les usagers ou clients sont une variable d’ajustement, ils ne sont plus une priorité. On veut donc construire une passerelle d’où il faudra redescendre pour accéder aux quais de la gare du Nord, afin de donner aux commerces quelques minutes supplémentaires par voyageur. La RATP, pour sa part, refuse de rouvrir certaines stations parce que cela ralentirait de quelques secondes ou d’une minute le trajet des usagers. La SNCF n’en a cure, que des centaines de milliers d’usagers soient retardés. Elle ne se place plus du point de vue de l’usager. Je ne parle même pas des gens à mobilité réduite. On va dégrader les conditions d’accès aux trains, ce qui est inacceptable. C’est comme pour le réaménagement du Forum des Halles. On avait d’abord prévu des sorties directes, du métro et du RER et Unibail a imposé que l’on passe par des espaces commerciaux.

Il y a un deuxième a priori, tout aussi aberrant, c’est l’idée qu’une gare doit fonctionner comme un aéroport. Les aéroports sont un cas à part. On est obligé d’y venir longtemps à l’avance et d’attendre, du fait des procédures d’accès aux avions. On a du temps. Ce n’est pas le cas du train. De plus, la SNCF s’inspire du modèle aérien sur un autre point : comme dans un aéroport, les dirigeants de la SNCF ne veulent pas de bas de gamme et ne se soucient pas des besoins des gens du quartier. Ils sont dans leur logique, d’avoir des loyers plus élevés et d’accroître la rentabilité.

 

VRT. Quel effet selon vous aurait la gare du Nord métamorphosée sur le quartier ?

Y. C. On veut plaquer un espace sur le quartier, en rien destiné aux habitants. Cela va être un point de fixation pour des gens qui sont un peu dans l’affrontement, notamment tous les jeunes qui viennent de territoires qui se sentent abandonnés. On va créer de la tension inutilement, alors qu’il y en a déjà beaucoup gare du Nord, cela va accroître le sentiment de frustration pour les habitants ou les gens de banlieue. Qui plus est, on fait cela alors que, en périphérie au moins, les grands centres commerciaux vont mal, que le commerce de proximité a le vent en poupe, et alors que le même groupe, filiale d’Auchan, veut construire Europacity… On peut s’interroger sur un tel projet et la rumeur veut qu’il y ait un deal amenant Auchan à renoncer à son projet à Gonesse, contre lequel ses concurrents sont vent debout, en lui garantissant la gare du Nord (peu après notre entretien, l’Etat abandonnait Europacity, NDLR). Le risque, dans ce contexte, c’est qu’un nouveau grand centre connaisse le sort du Millénaire (centre commercial d’Aubervilliers ouvert en 2011 et dont les résultats sont très loin des objectifs initiaux, NDLR), que très vite les boutiques ferment, ce qui est rarement un bon signe pour la suite.

 

VRT. La rénovation de la gare du Nord veut aussi répondre à l’accroissement du trafic.

Y. C. Ce pari de l’accroissement n’est pas déraisonnable. Notamment parce que des gens renoncent à l’avion au profit du train, particulièrement dans l’Europe du Nord. Il peut y avoir deux phénomènes qui se contredisent, d’un côté l’accroissement naturel du train renforcé par le souci écologique et, de l’autre, éventuellement des effets négatifs du Brexit. Mais l’accroissement n’est pas inenvisageable. Cela dit, je suis très prudent avec les prévisions de la SNCF. A la fin des années 80, ils nous avaient présenté une étude expliquant qu’avant la fin du siècle, c’était absolument certain, la Petite ceinture verrait circuler des trains de voyageurs et de fret. Si toutes les études sont de cette qualité, c’est sujet à caution…

 

VRT. Vous vous opposez aussi au projet de la gare du Nord pour des raisons de patrimoine

Y. C. Oui, parce qu’on va sinon détruire, ou au moins esquinter l’œuvre de Hittorff, classée monument historique. Or, si je ne siège pas à la Commission des monuments historiques, je siège à la Commission des sites. Et j’observe un forcing de l’Etat que l’on ne connaissait pas jusqu’à présent. Le préfet de Paris dit aujourd’hui à tous les services de l’Etat : l’Etat ne parle que d’une seule voix, j’impose de dire la même chose que moi. Cela ne s’était jamais fait. Il y a une reprise en main par le pouvoir politique. Cette logique s’applique partout. Et, gare du Nord, est dans un cas où l’Etat veut passer en force contre la mairie de Paris… Quant à la décision elle-même, très souvent on dit oui à un projet, même si on y est opposé, au motif que c’est réversible. De fait, pour la gare du Nord, heureusement, ça l’est. Ce n’est pas une raison pour mal faire. A la gare de l’Est, ce qui a été fait est autrement respectueux du cadre. A Montparnasse, je n’ai pas regardé en détail, mais on a beaucoup moins dénaturé la gare.

 

VRT. Vous êtes opposé aussi au projet d’Austerlitz…

Y. C. Oui, mais à Austerlitz, en ce qui concerne la gare, c’est moins dramatique, ils la dénaturent beaucoup moins, ils refont complètement la grande verrière et c’est plutôt bien, ils vont améliorer l’interconnexion avec le métro. Bien sûr, ils vont rajouter des commerces… Mais ce qui est vraiment contestable, c’est à côté : sur des terrains de la SNCF, on va construire des immeubles de 36 m, dans une même logique de rentabiliser au maximum. En bétonnant à tour de bras. On nous dit pour nous calmer que ce seront des immeubles de 7 étages, mais c’est impossible. 36 m, cela veut dire 10, 11, 12 étages…

La gare d’Austerlitz, c’est encore un exemple invitant à se méfier des prévisions de la SNCF… Elle considérait que cette gare allait devenir une sorte d’annexe de la gare de Lyon où les TGV étaient trop nombreux. D’où la nécessité selon elle d’une dérivation, au point que la SNCF avait fait réserver des espaces au milieu des immeubles construits sur la Petite ceinture à l’intersection du faisceau qui va à Austerlitz, pour pouvoir faire passer des TGV jusqu’à cette gare… Cela a coûté des fortunes pour rien : en fait les TGV ne passeront pas !

 

VRT. A quel type de financement recourir si on se passe de l’apport des commerces pour rénover les gares ?

Y. C. Ce doit être un financement public. Quand on fait financer un service public par des fonds privés cela se termine toujours mal. On ira de plus en plus loin jusqu’à la privatisation totale des gares. C’est la logique d’aujourd’hui. Macron est sur la ligne thatchérienne. Il crée des cars privés pour concurrencer les trains… Il y a cette idée, purement idéologique ou théorique, thatchérienne, que le privé fait mieux que le public.

 

VRT. La SNCF compte aussi faire en partie face au financement des petites gares de province par les revenus des grandes gares, notamment parisiennes, comme par un ruissellement…

Y. C. Mais il n’y a aucune raison que cela fonctionne comme ça. C’est vrai, la métropole est très riche, les touristes sont très nombreux. On retrouve là une vision extrêmement ancienne de l’Etat, consistant à renforcer Paris. Ce n’est pas entièrement infondé et Paris, de fait, finance beaucoup. Mais, ce faisant on continue à accroître les inégalités entre les territoires. On crée ou on accroît les inégalités puisque pour pouvoir financer, il faut accroître la richesse. On est dans la compensation plus que dans la réduction des inégalités. Et à la fin cela explose, comme en Italie où la Ligue du Nord en est venue à dire : on ne veut plus payer pour le Sud. C’est très dangereux.

Propos recueillis par François Dumont

Ewa

Ce que le gouvernement ne comprend pas au train, par Loïk Le Floch-Prigent

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Loïk Le Floch-Prigent, président de la SNCF de décembre 1995 à juillet 1996

Alors que le gouvernement se félicitait bruyamment de « sa réforme de la SNCF » et se préparait à en changer le patron, une série d’arrêts de travail est venue fragiliser le bel édifice jusqu’à perturber le départ des vacances scolaires dites de la « Toussaint ». Comment interpréter cette poussée de fièvre de l’automne et surtout comment imaginer la suite des évènements car le train est devenu essentiel pour les déplacements des Français, il est désormais plus rapide que la voiture tandis que tenant du bas carbone, il est recommandé par la poussée écologique.

Après avoir accusé bruyamment l’irresponsabilité syndicale, politiques et commentateurs ont fini par s’accorder sur le fait que la révolte 2019 est d’une autre nature que les grèves de l’année 2018 qui avaient gravement désorganisé le pays tout en n’ayant débouché sur aucune avancée sensible pour les cheminots. Cet incontestable échec des syndicats qui voulaient lutter contre la dernière réforme de la grande maison a laissé un goût amer chez tout le personnel qui s’est senti humilié quand on l’a traité de « nanti » et parlé de tous les « avantages » dont il bénéficiait. La population qui accepte bien les actions dans le transport collectif quand elles viennent défendre les conditions de sécurité sont au comble de l’irritation quand elle est prise au dépourvu avec des grèves surprises jugées corporatistes. La verbalisation habituelle parlant d’un peuple « pris en otage » par des mouvements d’arrêt de travail connaît d’ailleurs un réel succès et cette culture de la grève dont on accuse à juste titre la SNCF est certainement à modifier si les cheminots attendent un soutien de leurs revendications de la part des voyageurs.

Mais les arrêts de travail de ces derniers jours, après l’accident dans les Ardennes, ensuite relayés par le centre de maintenance des TGV de Châtillon sont des réactions spontanées de la base des cheminots et on aurait du mal à y voir les éléments d’un complot bien organisé pour affronter dans les meilleures conditions la grève annoncée le 5 décembre contre les projets de réforme des retraites.

Les cheminots sont sans doute dans l’ensemble des professions celle qui a l’esprit de corps le plus fort, leur dévotion au train et à sa bonne marche est totale, et souvent depuis des générations, des actions spontanées d’arrêt de travail d’hommes de terrain montrent un désarroi et une désespérance sans précédent. C’est cela qu’il faut analyser avec soin pour ne pas aggraver la situation actuelle et trouver des remèdes permettant un retour au travail dans l’enthousiasme car si la passion pour le train est toujours vivante, le corps social, lui, a perdu la foi en l’avenir.

Tout d’abord il faut faire attention à cette image propagée de façon excessive des « avantages » octroyés aux cheminots. A la création de la SNCF, dans la période de reconstruction de l’après-guerre, le travail dur effectué allait être rémunéré en « salaire différé », c’est-à-dire à travers des émoluments inférieurs au secteur privé et compensés par une retraite possible à tarifs élevés et prise plus tôt. Le fait que cette pratique se soit étendue à une bureaucratie toujours plus nombreuse n’a pas été une bonne chose, de même il fallait sans doute mieux faire évoluer cette tradition compte tenu de l’évolution du travail. Mais comme je l’ai souvent dit, le fait que des facilités soient données aux conducteurs de trains pour finir plus tôt leurs carrières m’est toujours apparu pleinement justifié, et je mets en regard la retraite proportionnelle des militaires de carrière qui correspond également à une « spécialité » légitime. Attaquer les « régimes spéciaux » de retraites sans discernement et en les jetant tous aux orties me semble à la fois puéril et irresponsable.

Mais surtout il va falloir expliquer au personnel de la SNCF ce qu’il doit faire et ce que va devenir leur maison commune. Si cela apparaît clair pour certains politiques et quelques administrations, on peut dire sans risques d’être démenti qu’ils sont bien les seuls à avoir ce point de vue. Et à chaque fois qu’un incident arrive ou qu’une initiative de transformation apparaît ce sont autant de flammèches qui viennent alimenter une poudrière latente. La fermeture des boutiques SNCF, la suppression de beaucoup de guichets, puis la solitude de certains conducteurs de TER sans ACT (ou contrôleurs) dans les voitures ont été mal accueillis par la clientèle comme par les cheminots. Il faut faire des économies pour affronter la concurrence leur dit-on, mais ces économies sont-elles correctement réparties entre les hommes de base et leurs superstructures, et surtout la concurrence c’est quoi ? A quelle sauce allons-nous être mangés ? La « nouvelle SNCF » que l’on nous présente comme le paradis qu’est-ce que c’est ?

Effectivement la doctrine de la concurrence salvatrice imprègne toutes ces dernières années de transformation de nos services publics, mais les confrères des cheminots, ceux du gaz et de l’électricité, ne plaident pas pour l’adopter sans effroi. Personne ne se satisfait des réformes sur le gaz, tant qu’à l’électricité, les tarifs augmentent sans cesse, on parle de démanteler EDF tandis que pour assurer une concurrence il a fallu obliger EDF à vendre à un prix d’ami une partie du courant produit aux concurrents créés à cet effet dans le cadre d’une loi « accès régulé à l’électricité nucléaire historique ARENH ». EDF est dans la tourmente pour satisfaire une idéologie de la concurrence qui n’est pas adaptée à la concentration des responsabilités nucléaires du pays. De la même façon, le réseau ferré ne peut s’adapter à une concurrence suscitée par les pouvoirs publics qu’en restreignant les actions de la SNCF elle-même ou en augmentant les prix à la clientèle, ce qui ne va pas dans le sens d’un service public national pour lequel se dévoue le personnel actuel . La théorie de la concurrence qui conduit à « sauver » le train est inaccessible pour plus de 150 000 personnes qui travaillent aujourd’hui dans cette belle compagnie, car elle n’est pas adaptée au monopole structurel constitué par un réseau de lignes sur lequel il faut réguler un trafic. On peut concevoir certaines lignes gérées par d’autres compagnies comme c’est le cas en Suisse, mais l’expérience britannique sur le modèle préconisé actuellement a été un échec cinglant et a été la cause de nombreux accidents, (les retards, on n’en parle même plus !).

Offrir une réforme à un corps social aussi important que les cheminots sans leur proposer un modèle, un mode de fonctionnement, une démarche, tout en leur faisant miroiter la fin de leurs avantages et des compressions de personnel est de mon point de vue irresponsable. Je le répète, sur le terrain, sans même parler d’adhésion, il y a surtout incompréhension. Or, on a la chance d’avoir avec la SNCF un personnel dévoué et compétent – encore – voulant à la fois la bonne marche des trains, une satisfaction de la clientèle et acceptant par avance des sacrifices si c’est pour faire avancer leur rêve : un pays qui a compris que le train, leur train, était essentiel pour la vie sociale et économique. Leur culture de la grève dont je ne lasse pas de dire qu’elle est désastreuse, ne doit pas faire oublier tous les efforts effectués quotidiennement et surtout lorsque tout le reste du pays dort ou est en vacances.

Ne pas mépriser, ne pas humilier, comprendre, expliquer, et se rapprocher constamment des problèmes posés par la base de ceux qui ont la responsabilité de transporter de plus en plus de français, et, finalement retrouver une doctrine du service public à la française que des discours tonitruants sur une concurrence artificielle qui n’existe nulle part ont fini par occulter : voilà un beau défi pour l’avenir.

Ewa

De plus en plus de succès pour les trains de nuit autrichiens

Nightjets

Le succès des trains de nuits se confirme pour la compagnie nationale des chemins de fer autrichiens ÖBB qui vient de présenter le design intérieur des 13 trains commandé à Siemens. Les nouveaux « Nightjets » – un investissement de « plus de 200 millions d’euros » – doivent entrer en service en 2022 et réservent une part importante aux couchettes.

« Au cours des derniers mois, les besoins d’offres en voyage respectueux de l’environnement ont fortement augmenté dans de nombreux pays. Cette tendance a été sérieusement prise en compte par les responsables politiques. Les trains de nuit sont très demandés en Scandinavie, en Allemagne mais aussi au Benelux », explique Bernhard Rieder, le porte-parole de la compagnie autrichienne. « Des liaisons avec la France sont à l’étude. Mais il n’y a pas encore de projet concret », ajoute-t-il.

Un taux d’occupation de 60 %

La ÖBB réalise désormais 18 % de son chiffre d’affaires voyageurs avec des trains de nuit dans toute l’Europe (26 liaisons, voir carte). Le directeur des grandes lignes de la ÖBB, Kurt Bauer, a annoncé un taux d’occupation de 60 %, soit 1,4 million de passagers – pratiquement l’objectif fixé – mais aussi un bénéfice d’exploitation. « On ne va pas s’enrichir avec ces lignes. Mais cette activité est devenue importante pour notre positionnement », a insisté Andreas Matthä, le président du groupe de transport autrichien. Il s’agit selon lui de proposer une alternative confortable et moderne au transport aérien.

Le contexte politique très favorable a décidé les Autrichiens à s’engager dans une stratégie de croissance en Europe. En 2020, ÖBB va ouvrir des nouvelles lignes depuis Vienne, vers Bruxelles (via Francfort) et Amsterdam, et depuis Zurich vers Hambourg et Berlin. Le patron d’ÖBB est en discussion avec la compagnie ferroviaire allemande, Deutsche Bahn (DB), pour étudier des liaisons avec Berlin. « Nous réfléchissons à renforcer nos coopérations », a confirmé Andreas Matthä au quotidien économique allemand Handelsblatt.

Un train de nuit entre Berlin et Bruxelles très demandé

Cette offensive commerciale devrait obtenir un écho très positif de la part du gouvernement allemand qui a annoncé une offensive dans le rail pour remplir leurs engagements climatiques. Ironie du sort : c’est la compagnie ferroviaire allemande qui avait suspendu en 2016 ses liaisons de nuit, chroniquement déficitaires. La DB enregistrait chaque année une perte de 30 millions pour 90 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Plusieurs députés européens allemands, de tous les bords politiques (à part l’extrême droite), ont réclamé à Angela Merkel la création rapide d’une liaison de nuit entre Berlin et Bruxelles. « Ce serait un signe fort », estiment-ils, alors que l’Allemagne doit assurer la présidence du Conseil de l’Union européenne au deuxième semestre 2020.

Christophe Bourdoiseau, à Berlin