Après plus de deux semaines de polémiques, l’affaire des “trains trop larges” en Espagne a provoqué la démission du président de la Renfe et celle de la secrétaire d’État aux Transports. Retour sur une commande passée par la compagnie publique espagnole, qui a fait des erreurs de dimensions…
L’affaire aurait pu se limiter à un simple cafouillage car le problème a été identifié rapidement et aucun train n’a été construit. Tout a commencé en 2020, quand la Renfe a commandé 31 trains pour les réseaux périurbains des régions de Cantabrie et des Asturies au constructeur CAF… et lui a fourni des instructions qui rendaient impossible le passage des wagons dans certains tunnels. Quand Renfe a lancé l’appel d’offres pour ces trains, en 2019, les instructions adressées aux candidats se limitaient à indiquer les gabarits déterminés par la norme en vigueur. Les règles qui régissent les dimensions du matériel roulant en Espagne ont en effet été édictées en 2015 par l’Agence nationale de sécurité ferroviaire (AESF). Mais une rame fabriquée selon ces standards aurait le toit trop large pour passer sous les voûtes de certains tunnels de Cantabrie et des Asturies, percés à la fin du XIXe siècle, particulièrement bas et étroits. CAF, qui a décroché le contrat, aurait en premier signalé le problème, en mars 2021.
Une solution simple dont personne n’a voulu endosser la responsabilité
Une fois repérée, l’erreur aurait pu être corrigée rapidement. Le 5 avril dernier, le ministère des Transports a annoncé que, pour rectifier le tir, la “méthode comparative” serait appliquée : Renfe mettra un des trains actuellement en service sur les lignes en question à disposition du constructeur pour qu’il fabrique son matériel selon les mêmes proportions.
Avant cette décision, Renfe, l’AESF et Adif (le gérant du rail espagnol), ont été incapables de fournir à CAF une réponse qui lui permette de lancer la fabrication. Pire, les trois entités avaient déjà identifié la méthode comparative comme étant la solution indiquée, en 2021. Mais personne n’aurait voulu endosser la responsabilité d’autoriser ce procédé, inédit en Espagne. “Les directives de l’UE forcent à rendre le transport ferroviaire de plus en plus sûr. Ajoutez à cela l’accident d’Angrois (en 2013, 80 morts dans un déraillement qui a traumatisé le pays, NDLR) dans un secteur où personne ne veut courir le moindre risque. Cela mène à observer la norme, même si elle est mauvaise”, estime le quotidien local asturien El Comercio, qui a dévoilé l’affaire.
Des élections régionales en ligne de mire
“C’est un travail bâclé inqualifiable. Ce n’est pas digne d’un gouvernement sérieux. Des têtes doivent rouler”, s’est enflammé le 2 février Miguel Angel Revilla, président du gouvernement régional de Cantabrie. Les trains en service sur les lignes périurbaines (concernées par ce renouvellement de matériel) sont vieux de 40 ans pour certains et souffrent de pannes fréquentes. Les usagers s’en plaignent, et les élections régionales du 28 mai approchent. Les présidents de région mettent une pression maximum sur le gouvernement central.
Pendant deux semaines, le ministère des Transports, dont dépendent Renfe, Adif et l’AESF, a tenté de circonscrire l’incendie. Consulté par VRT, il insiste : “Aucun argent public n’a été gaspillé (…) il n’y a aucun problème de financement et le contrat suit son cours.” Le ministère des Transports assure que ce contretemps n’entraînera pas de surcoût pour cette opération à 248 millions d’euros. Mais la mauvaise gestion de l’incident retardera la livraison, prévue pour 2024, d’au moins deux ans, sur des lignes qui en ont particulièrement besoin. Un “groupe de travail institutionnel” réunissant des représentants des trois organismes incriminés a ainsi été constitué avec “l’objectif initial que les premiers trains circulent (…) en 2026”. Deux hauts cadres d’Adif et Renfe ont été démis de leurs fonctions le 6 février. Une enquête interne doit encore établir l’ensemble des responsabilités de ce fiasco.
Mais le 20 février, la ministre des Transports, Raquel Sánchez, s’est réunie avec le président de Cantabrie, Miguel Ángel Revilla, et le président des Asturies, Adrián Barbón. À cette occasion elle a annoncé les démissions de Isabel Pardo de Vera, la secrétaire d’État aux Transports (et ex-présidente de l’Adif, le gestionnaire du réseau ferré), et de Isaias Taboas, qui présidait depuis 2018 la compagnie ferroviaire espagnole.
La ministre a aussi formulé plusieurs promesses : la gratuité des trains pour tous les usagers des réseaux concernés, la livraison de sept trains de plus que prévu en 2026 et la rénovation d’une partie du matériel roulant déjà existant.
Alban Elkaïm