Dossier Chine. L’heure chinoise
… pour sa part en Europe. Même chassé-croisé industriel. Les constructeurs européens redoutent l’arrivée du mastodonte formé par la fusion de CNR et de CSR… et fournissent en attendant métros, locomotives, trains à grande vitesses et technologies afférentes à la nouvelle première puissance économique mondiale.
« Nous, nous avons le droit de vendre des Airbus, d’investir en Chine et les Chinois ne pourraient pas investir chez nous ? Mais dans quel monde sommes-nous ? », Manuel Valls le 7 décembre dernier sur France 2 justifiait le choix d’un partenaire chinois pour l’aéroport de Toulouse : le groupe Symbiose, auquel l’Etat a cédé 49,9 % du capital de la concession de l’aéroport, qui court jusqu’en 2046, l’Etat restant propriétaire des infrastructures et du foncier. La même année a vu, au mois de mars, le constructeur automobile Dongfeng Motor Group prendre, tout comme l’Etat français, 14 % de PSA. 2015 vient de s’ouvrir par le passage du Club Med sous le contrôle du groupe chinois Fosun. Pierre & Vacances Center Parcs signait pour sa part une lettre d’intention en décembre dernier pour un partenariat avec Beijing Capital Land (BCL)… L’accumulation des exemples fait peur. Pourtant, malgré un bond récent, l’investissement chinois en France représente moins de 1 % des investissements étrangers…
La peur (ou le fantasme) ne vient pas que du volume. L’accord avec PSA s’accompagne de transfert de technologie. Il en va de même depuis des années pour Airbus. Et c’est une question majeure dans les transports terrestres. Le développement des villes chinoises s’accompagne d’un besoin criant d’infrastructures et de services de transport, les campagnes chinoises se vidant chaque année de 25 millions de personnes.
Les villes grossissent à vue d’œil, les réseaux de transport aussi. Shanghai a construit en 20 ans le premier réseau de métro du monde. Ce n’est pas fini. On recense des projets de métro dans 37 villes chinoises. Et l’on s’attend à une explosion des tramways.
Entre les villes, le réseau à grande vitesse (quatre couloirs nord sud, quatre couloirs est ouest) a été édifié à une allure stupéfiante. La première ligne, Pékin – Tianjin, a été inaugurée pour les Jeux olympiques, en 2008. Précisément le 08 08 08, le 8 étant nombre faste en Chine. Le réseau rapide (à grande ou très grande vitesse) compte aujourd’hui 12 000 km. 16 000 sont attendus à la fin de la décennie.
Que peuvent faire les Européens face à la puissance chinoise ? En tout cas, ne pas se bercer d’illusions : ce n’est pas fini. La Chine veut hisser sa part dans l’économie mondiale au niveau de sa part dans la population. Elle représente 19 % de la population mondiale (7 % pour l’UE, 4,5 % pour les Etats-Unis). Son PIB représente 12,6 % du total mondial (contre 23,6 % pour l’UE et 22,6 % pour les Etats-Unis). La Chine est bien partie mais pas encore arrivée. L’objectif n’est en soi pas expansionniste, mais il a des effets mondiaux dévastateurs. Cette croissance n’est possible qu’avec des matières premières qui ne se trouvent pas en Chine. D’où une énorme attention de la puissance chinoise à la maîtrise des matières premières, à celle des infrastructures ou des flux logistiques qui permettent d’en contrôler l’acheminement.
Les transports urbains et ferroviaires ne sont qu’une pièce de la politique de puissance. Mais, pour leurs propres besoins, et dans leur politique étrangère surtout dirigée vers les pays émergents, les Chinois ont besoin d’acquérir et développer ces savoir-faire. C’est déjà fait en grande partie. Dans des domaines très pointus (signalisation par exemple), ce n’est pas encore tout à fait ça. S’ils ciblent surtout les pays émergents, les Chinois n’en font pas moins de l’ombre aux Occidentaux, qui jouissaient jusqu’à présent d’un avantage technologique et comptent sur les marchés tiers pour trouver des relais de croissance. Qui plus est, les Chinois ne s’en tiendront sans doute pas là. La vente de trains de banlieue à Boston, l’an dernier, a « fait l’effet d’un coup de tonnerre » dit un spécialiste de l’industrie ferroviaire européenne. C’est à cette aune qu’il faut considérer la prochaine naissance du mastodonte mondial de la construction ferroviaire.
Les Chinois ont deux principales façons d’acquérir le savoir-faire qui leur manque encore (mis à part l’espionnage). D’abord les transferts de technologie. C’est de cette manière qu’ils ont acquis, auprès de Siemens ou des Japonais, les technologies de la grande vitesse. C’est ainsi qu’ils développent leurs compétences en signalisation. La plupart du temps, le transfert se fait à une JV, dans laquelle, selon la loi, la part des partenaires étrangers est minoritaire (à quelques exceptions près).
Les JV ont été en vogue. La consigne du pouvoir a changé. Il faut aujourd’hui acquérir les entreprises disposant du savoir-faire. Ce qui permet d’en disposer seul et d’acquérir un portefeuille de clients. Quelle que soit la position retenue, les Chinois adoptent intelligemment une posture modeste, expliquant qu’ils ont besoin de progresser et comptent sur la coopération. C’est le discours qu’ont dû tenir le ministre des Transports et le président de l’administration des chemins de fer à Alain Vidalis, le secrétaire d’Etat aux Transports, qui les a rencontrés, en Chine, en novembre dernier.
Dans l’exploitation de transport, le transfert de technologie n’est pas l’essentiel. Jusqu’à présent, la Chine a principalement réservé l’exploitation de ses réseaux à des sociétés locales. Des JV minoritaires sont cependant possibles. La naissance en 2014 d’une JV entre Keolis et Shentong, la société du métro de Shanghai est extrêmement importante. Elle ouvre au groupe français les portes de l’Empire du milieu, et permet aux deux alliés de partir en bonne position sur des appels d’offres dans le monde. RATP Dev et Transdev, les deux autres géants français du transport, qui font cause commune en Asie via une JV 50/50, ont déjà mis le pied en Chine, dans les bus de Nankin et le tramway de HK. Le premier des deux partenaires vient de fraterniser avec le réseau de Chengdu, en attendant plus si affinités. Autre grand du transport, Arriva, filiale de la DB, réserve, elle, ses ambitions à l’Europe.
Quant à MTR, la société du métro de Hong Kong, elle exploite déjà dans le « mainland » des métros à Pékin, Shenzhen et Hangzhou. Présente à Londres et à Stockholm, elle représente, même si c’est avec le label particulier de « HK », une percée chinoise en Europe.
Transférer le savoir-faire ou pas, c’est le dilemme auquel doivent répondre les Européens. S’y refuser, c’est renoncer à tout contrat. Et c’est oublier que la Chine, en un peu plus de temps certes, a des moyens de développer elle-même les technologies. Le pays « produit » un million d’ingénieurs par an… Le faire, c’est se priver d’un avantage compétitif, mais c’est avoir une chance de pénétrer le marché, à l’aide des JV jusqu’à présent constituées. Et les grands groupes européens ont su profiter de la croissance énorme de la Chine pour fournir en masse métros, locomotives, trains à grande vitesse, systèmes de signalisation… tout en transférant la technologie à des joint-ventures où ils restent par définition très présents. Ainsi deviennent-ils durablement alliés, en Chine et ailleurs, des entreprises de la première puissance économique mondiale. Laquelle pourrait mettre ainsi en œuvre l’un des grands préceptes de Sun Tzu : « l’art de la guerre, c’est de vaincre sans combat. »
François DUMONT
Marché urbain. Un nouveau modèle de développement pour les villes chinoises
Confrontées à une urbanisation galopante, les autorités chinoises ont pris conscience de l’importance des enjeux liés à la qualité de l’air et à l’efficacité économique. Ils cherchent désormais à favoriser le développement de réseaux de transport collectifs. Les grands opérateurs de transport public français se mettent sur les rangs.
690 millions de Chinois dans les villes, soit un habitant sur deux, un taux de croissance urbaine en progression de 3 % par an (cette expansion devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2020, voire 2030), une explosion du taux de motorisation et un air irrespirable qui devient une des premières préoccupations des citadins… Les pouvoirs publics chinois ont désormais bien compris qu’ils devaient prendre à bras-le-corps la question de l’aménagement urbain et de sa desserte. Car jusqu’à présent les mégalopoles ont poussé si vite que la constitution d’un réseau de transports accompagnant la croissance n’a pas été pensée en amont. Le chantier est immense. Sur les 1 000 plus grandes villes du monde, 430 sont en Chine (150 villes ont plus d’un million d’habitants).
Les autorités publiques commencent à s’attaquer à ces questions, conscientes des enjeux pour les générations futures et pour la poursuite du développement économique. Adepte de la planification, le gouvernement chinois a ainsi élaboré dans son 12e plan quinquennal (2011-2015) un volet visant à réduire ses émissions polluantes et les gaz à effet de serre en accordant, entre autres, une priorité au développement des transports collectifs. Résultat, la part des fonds publics destinés au développement des transports urbains s’accroît.
La Commission nationale du développement et de la réforme responsable de la validation des grandes orientations industrielles du pays a approuvé le lancement de grands projets de transports et validé la construction de métros dans 37 villes pour un total de 3 127 km.
C’est ainsi que Wuhan, principale ville de la province du Hubei au centre du pays, a été désignée dès la fin 2007 pour devenir une conurbation « pilote en matière d’économie d’énergie et de développement durable ». Depuis 2004, cette mégalopole industrielle, qui abrite dix millions de personnes, connaît un développement économique impressionnant avec un taux de croissance à deux chiffres. Avec ses huit villes satellites (30 millions dans le Grand Wuhan qui s’étend sur 58 000 km2), son objectif est notamment d’améliorer le traitement des déchets, de réaliser des bâtiments durables et de construire un réseau de transport moins polluant.
Baptisée « province aux milles lacs », c’est aussi un des territoires de Chine où la communauté française est nombreuse. Pour resserrer les liens et monter un partenariat sur ces questions de développement durable, le gouvernement français a signé en 2010 une lettre d’intention avec les pouvoirs publics chinois. En 2013, cette intention s’est concrétisée un peu plus à l’occasion d’un voyage du président de la République et de Martine Aubry, représentante spéciale du quai d’Orsay pour la Chine. L’idée est de proposer et de concevoir en amont un nouveau modèle de développement basé sur une coopération interentreprises. Une délégation de grands groupes comme EDF, Veolia ou Alstom faisait partie de ce déplacement présidentiel. « Nous voulons montrer, en construisant de nouveaux quartiers en Chine, notre savoir-faire avec de grands groupes et d’autres acteurs dans l’ingénierie, le chauffage urbain, les transports, sans oublier nos urbanistes et nos architectes. D’où l’idée de proposer une offre globale, alors que souvent les entreprises françaises se font concurrence entre elles », expliquait Martine Aubry au Monde le 26 avril 2013, juste avant son départ.
Côté transports, les développements prévus sont impressionnants. Un des plus importants réseaux de transports urbains du pays (et l’un des plus modernes) est en train de s’édifier. Alors que Wuhan ne disposait que d’une seule ligne de métro en 2011, elle en comptait deux autres l’année d’après, parcourant une distance de 56,5 km. Aujourd’hui, il y en a quatre (la dernière a ouvert en décembre). Il est prévu que vers 2017 ou 2018, le métro s’étende sur 290 km. Et sur plus de 500 km à plus long terme. La mégalopole est également dotée de trois gares, dont une accueille le train à grande vitesse desservant plusieurs villes principales : Pékin, Canton et Shanghai, Wuhan se situant au milieu de la ligne Pékin – Canton.
A l’échelle de la province, les trains de banlieue appelés Intercités desservent la grande banlieue. Ils parcourent aujourd’hui 280 km de ligne et sont appelés à se développer. Le 13e plan quinquennal devrait s’attacher au « mass transit », notent des observateurs. En clair, au développement des trains de banlieue de type RER.
Pour faciliter les échanges entre trains, métros et bus, un autre mode de transport est en train d’apparaître dans le pays : le tramway. Aujourd’hui seulement une quarantaine de kilomètres de tramway y sont exploités. Ce qui n’est rien à l’échelle de la Chine. Mais on estime que d’ici à 2020, 2 000 km devraient être mis en service dans tout le pays. Dont 60 km à Wuhan. Et 800 km rien qu’à Shanghai. Pour les entreprises françaises de transport, qui ont dans ce domaine une forte expérience, qu’il s’agisse d’exploitation de trams et de trains ou de mise sur pied de politiques basées sur l’intermodalité, la Chine est un nouvel eldorado à conquérir. Les trois grands opérateurs de transport public français (Keolis, Transdev et RATP) se sont mis sur les rangs. Le marché reste encore très fermé. Mais à la vitesse où vont les choses en Chine, tout est possible.
Marie-Hélène POINGT
Keolis tisse sa toile
Le métro, le tramway et les trains intercités. Ce sont les trois segments qui intéressent fortement Keolis et qui sont appelés à se développer en Chine. Pour pénétrer ces marchés très fermés, l’opérateur de transport public noue des partenariats locaux. L’entreprise française mise sur son expérience, en espérant devenir demain un acteur de référence en Asie.
Keolis s’intéresse de longue date à la Chine. « Keolis est dans une logique de temps long », résume Jean-Pierre Farandou, son président. Le marché chinois étant très verrouillé, la filiale de transport public de la SNCF Keolis tente de s’y introduire via des partenariats avec des entreprises locales. L’entreprise a noué des contacts à Wuhan, dans le centre du pays. Avec succès puisqu’elle accompagne aujourd’hui la construction du futur hub multimodal de l’aéroport (voir encadré page 53).
Ce contrat très important doit lui permettre de passer d’une logique d’assistance à une logique d’exploitation. Et de basculer vers d’autres activités. « Nous apportons notre capacité à optimiser l’exploitation et à optimiser les coûts d’exploitation. Et notre capacité à répondre à des appels d’offres », poursuit Jean-Pierre Farandou. Aujourd’hui, les contrats s’attribuent par connexions, explique-t-on côté Keolis. Qui espère demain apporter son expertise dans le domaine de la contractualisation. « Le gouvernement central incite les villes à déléguer l’exploitation de leurs réseaux pour renforcer l’efficacité. Cette recherche contractuelle ouvre la porte à des gens comme nous », précise Bernard Tabary, le directeur international.
Dans le viseur de Keolis : les métros mais aussi les tramways. La société française a ainsi pris contact avec la société de bus de Wuhan qui sera responsable des futurs trams de la ville. 60 kilomètres de lignes sont envisagés, qui pourraient être réalisés dans les 5 ans.
Autre axe de développement : les trains Intercités reliant Wuhan à ses huit villes satellites qui se situent de 40 à 100 km de là et représentent plus de 30 millions d’habitants à desservir. « La récente décision de démanteler le ministère des Chemins de fer après une série de scandales, a changé la donne : une décentralisation des chemins de fer au niveau des provinces a été lancée », rappelle un bon connaisseur. La province du Hubei veut développer un réseau ferroviaire à grande vitesse qui comptera 6 lignes, certaines pouvant atteindre 80 km. D’où des discussions engagées par Keolis avec la province. Premier résultat tangible, le 3 novembre, à l’occasion de la visite à Lille d’un des hauts responsables de la province du Hubei, Keolis a signé un accord prévoyant sa participation à l’exploitation du futur réseau express de trains de banlieue du Grand Wuhan.
De même, l’entreprise française s’est positionnée à Shanghai, où est prévu un vaste programme de tramways : 800 km de lignes d’ici à 2015. La mégalopole dispose déjà aujourd’hui du plus grand réseau de métro du monde (550 km actuellement, 800 km prévus d’ici à 2020) et dont la fréquentation devrait dépasser les 10 millions de passagers l’an prochain. En 2010, Keolis a contacté la société exploitant le métro, Shentong Group. Cette société s’apprête à prolonger la ligne 8 pour la mettre en service mi-2017. Le choix de l’exploitant devait être connu au début de l’année. Mais d’ores et déjà les dirigeants de Shentong Group ne cachent pas leur intention d
Le dossier complet est réservé aux abonnés ou aux détenteurs d’un porte-monnaie électronique, connectez-vous pour y accéder.
*Formule numérique sans engagement à partir d’un 1€ par mois !
Publié le 30/12/2024 - Yann Goubin
Publié le 17/12/2024 - Severine Renard