Quand Bordeaux change d’époque
«Le bonheur est à… Bordeaux », titrait récemment Le Parisien. Le journal rendait publics les résultats d’une enquête de l’institut CSA sur la ville dans laquelle une majorité de Français aimeraient vivre. En tête du classement, la cité girondine. Comment imaginer un tel engouement quand, il y a encore vingt ans, on ne parlait d’elle que comme d’une « belle endormie ». Et encore, c’était pour être aimable car, entre le trafic automobile et les façades grisâtres du centre-ville, il fallait avoir de la mémoire ou de l’imagination…
Bordeaux, qui a toujours joui d’une localisation entre terre et mer exceptionnelle, présente aujourd’hui un visage totalement métamorphosé. Cette transformation, saluée par les enquêtes d’opinion, Bordeaux la doit à l’inhabituelle coopération entre les élus de droite et de gauche. Bien sûr Alain Juppé est aujourd’hui le premier des rénovateurs mais avec lui, il y a eu, il y a encore Alain Rousset (PS), président de la Région Aquitaine et Vincent Feltesse (PS) qui furent tous deux présidents de la CUB – devenue Bordeaux Métropole en janvier dernier.
Les projets foisonnent. Que l’on en juge sur seulement deux années. Entre 2013 et 2015, mise en service du pont Jacques-Chaban-Delmas, le plus haut pont levant d’Europe, mise en service d’une première partie de la troisième phase des lignes A et C du tramway, ouverture du nouveau stade de plus de 40 000 places, livraison des premiers programmes immobiliers sur d’anciennes friches ferroviaires, etc. La métropole s’est donnée pour objectif de construire 50 000 logements le long des axes de transports pour atteindre à horizon 2030 le seuil symbolique du million d’habitants, contre 730 000 aujourd’hui.
D’autres réalisations sont attendues. La Cité des civilisations du vin est prévue en 2016, le pont Jean-Jacques-Bosc entre Bordeaux et Floirac en 2018… et bien sûr la LGV en 2017. Une LGV qui va s’accompagner d’un nouveau quartier. Là aussi, la ville et l’Etat ont investi massivement. Sur un territoire de 738 ha au sud de l’agglomération, Bordeaux Euratlantique, Opération d’intérêt national (OIN), est l’un des plus grands projets urbains en France (voir encadré p. 40). Avec comme pierre angulaire la gare Saint-Jean, cette cité dans la cité se déploiera sur les deux rives de la Garonne, via le futur pont Jean-Jacques-Bosc : logements, centre d’affaire, bureau, espaces verts, culture avec l’emblématique Meca (Maison de l’économie créative et de la culture en Aquitaine).
Saint-Jean Belcier ne sera donc plus un quartier de gare (synonyme, jusqu’il y a peu, de lieu interlope) mais un écrin flambant neuf pour la nouvelle LGV. Avec son carré VIP, comme il se doit. Mais VIP au sens actuel, c’est-à-dire, le luxe de vivre mieux en ville, lenteur et volupté au pied de la grande vitesse (voir encadré p. 38 et interview p. 41).
Les politiques de déplacements ont été au cœur de la transformation de la ville. Juppé dès son arrivée abandonne les projets de métro de son prédécesseur et opte pour le tram. La réflexion sur la mobilité se poursuit à mesure que la ville se rénove. En 2012, Vincent Feltesse lance un Grenelle des mobilités et fait plancher pendant six mois les principaux acteurs institutionnels sur les problèmes de congestion. Il en résulte la signature, le 6 février dernier par l'ensemble des entités (Bordeaux Métropole, le département, la région, le conseil général, la CCI, La Poste, EDF, Keolis, l’aéroport, au total 22 acteurs) d’une charte des mobilités de l’agglomération bordelaise. Celle-ci comprend 20 principes d’actions « pour une mobilité fluide, raisonnée et régulée ». 17 mesures sont prises dont le déploiement de « contrats employeurs-salariés-collectivités » pour la mise en place de Plans de déplacements entreprise (PDE), un plan coordonné de covoiturage, une nouvelle politique de stationnement ou un plan coordonné vélos.
L’arrivée de la LGV s’inscrit dans cette politique de déplacements dont elle constitue en quelque sorte le couronnement. Le fait que Bordeaux soit dans moins de deux ans à deux heures de Paris donne une dimension supplémentaire à la transformation de la cité girondine à laquelle l’ensemble des acteurs se sont préparés et crée des attentes nouvelles. « Le marché de l’immobilier est relativement stable depuis une dizaine d’années, avec 75 % de transactions inférieurs à 500 m2, il est porté principalement par des transactions sur les PME, Constate Pierre Coumat, président de l’Observatoire de l’immobilier d’entreprises de Bordeaux (OIEB), avec l’arrivée de la LGV, nous disposons aujourd’hui des outils pour faire des opérations de taille plus importante pour accueillir les entreprises qui souhaite bénéficier d’un phénomène vitrine à Bordeaux. »
Pour autant, les Bordelais sont conscients que la LGV ne fait pas tout. « Elle n’est en fait qu’un accélérateur, un amplificateur des tendances préexistantes », comme aime à le rappeler Jean-Marc Offner, directeur général de l’a-urba, l’agence d’urbanisme de Bordeaux. Auteur, il y a vingt ans, d’un article sur le mythe des effets structurants du transport, il a jeté un vrai pavé dans la mare à une période d’euphorie générale concernant la grande vitesse. « Mais aujourd’hui, pour Bordeaux, les indicateurs sont au vert tant en termes d’attractivité pressentie qu’effective si l’on en juge par son dynamisme économique et démographique et par les hausses de fréquentation touristique. » Bordeaux d’ailleurs vient d’être élue « Meilleure destination européenne », devant Lisbonne et Athènes par le site de l’association European Best Destination. « La LGV arrive au bon moment », souligne Jean-Marc Offner.
Alain Juppé, maire de la ville et président de Bordeaux Métropole, partage cet optimisme : « Il s’agit vraiment d’un saut qualitatif pour la clientèle d’affaires comme pour celle du tourisme de court séjour. Le nombre de voyageurs devrait doubler », estime-t-il (lire l’interview p. 36). Mais le succès tiendra aussi au nombre de dessertes quotidiennes et au maillage régional. Or, cette question n’était pas réglée à l’heure où nous mettions sous presse. Elle a fait l’objet d’une forte polémique entre SNCF, les collectivités et Lisea, le concessionnaire de la LGV. La première craint de perdre beaucoup d’argent en exploitant cette LGV en raison des péages élevés demandés par Lisea tandis que les collectivités qui ont participé à son financement réclament en contrepartie un nombre conséquent d’arrêts. Alain Juppé, lui, demande une vraie navette avec Paris, comme en bénéficient Lille ou Lyon. Et attend le prolongement de la ligne vers Toulouse. Pour lui « Bordeaux a vocation à être le carrefour ferroviaire du Sud-Ouest européen ». Et de fait, la ville n’a de cesse que de travailler son attractivité en jouant la carte régionale. « La grande région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes va créer de nouvelles interdépendances », ajoute Jean-Marc Offner.
Bordeaux cultive l’image d’une métropole ouverte qui veut prendre sa place dans le sud-ouest de l’Europe en promouvant un nouvel art de vivre dans la ville, une ville tournée vers la mise en valeur du patrimoine et de la nature. La cité girondine a par ailleurs des ambitions en matière numérique. Elle a été récemment été labellisée Métropole French Tech, ce dispositif lancé par le gouvernement en 2013 visant à accélérer la croissance des start-up et des entreprises numériques dans les territoires qui leur sont les plus fertiles, et à appuyer leur développement à l’international. Là encore, Bordeaux Euratlantique a joué un rôle majeur puisque la Cité numérique, vitrine des savoir-faire du numérique en Aquitaine et à Bordeaux Métropole se trouve dans son giron. En somme, il souffle en ce moment sur la cité girondine un petit vent Californien fort agréable. Avec la LGV, comme cerise sur le gâteau.
Delphine Roseau
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« Nous demandons une vraie navette TGV, similaire à la desserte de Lyon ou Lille »
Entretien avec Alain Juppé, maire de Bordeaux
Alors que Bordeaux se prépare à devenir une métropole d’un million d’habitants et qu’elle a investi dans de nombreux projets, son maire, Alain Juppé, regrette que la proposition de desserte TGV ne soit pas à la hauteur des attentes et des ambitions de la ville.
Ville, Rail & Transports. La première arrivée du TGV à Bordeaux date de 1990, en quoi le fait de réduire le trajet d’une heure va-t-il selon vous changer la donne ? Est-ce que l’on peut véritablement parler d’un bouleversement ?
Alain Juppé. Depuis 1990, le TGV roule à grande vitesse sur une partie seulement du trajet, entre Paris et Tours. Avec les travaux réalisés depuis plusieurs années sur la voie, le temps de trajet est de 3 heures 15 au minimum, soit aux limites supérieures du champ de pertinence du TGV. La mise en service de la ligne nouvelle mettra Bordeaux à 2 heures de Paris. Elle permettra de faire aisément l’aller-retour dans la journée, voire de travailler une partie de la journée à son bureau, tout en pouvant assister à une réunion à Paris ou Bordeaux. Il s’agit vraiment d’un saut qualitatif pour la clientèle d’affaires comme pour celle du tourisme de court séjour. Le nombre de voyageurs en gare de Bordeaux devrait doubler.
VR&T. On constate qu’un foisonnement d’initiatives sont mises en place autour de différents quartiers que ce soit Bordeaux Euratlantique, l’écoquartier Ginko, le bassin à flots avec la Cité des civilisations du vin et bien d’autres. Quelles sont les synergies attendues entre ces aménagements et réalisations et l’arrivée du TGV ? Qu’en attendez-vous ?
A. J. Le projet urbain de Bordeaux
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Publié le 03/06/2024
Publié le 25/04/2024