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Bruno Faivre d’Arcier, professeur à l’université de Lyon 2, au Laboratoire d’économie des transports.
Publié le 03/04/2014 à 02h06

Bruno Faivre d’Arcier prône une politique des transports qui englobe l’ensemble de la mobilité, y compris automobile. Selon lui, il faut mettre en place une forme de tarification de l’usage de la voiture qui aurait l’avantage de trouver de nouvelles sources de financements et de réduire la congestion. « Je propose de faire payer un abonnement de transport public aux automobilistes ! »

 

 

Ville, Rail & Transports. Quels constats dressez-vous de la situation économique des transports publics ?

Bruno Faivre d’Arcier. Les statistiques publiées par le Gart (hors Ile-de-France qui est un cas particulier) sont intéressantes car, alors qu’entre 1995 et 2005 on observait une dérive relativement forte des dépenses, on voit entre 2006 et 2010 une sorte de stabilité du coût des transports publics. Mais entre 2010 et 2012, les dépenses repartent à la hausse. Elles sont ainsi passées, pour la province, de 6,2 milliards à 7,7 milliards d’euros. Soit une hausse de plus de 25 % du coût des réseaux en euros constants. C’est inquiétant même si la structure de ce financement semble assurée pour le moment.
Le versement transport (le VT) assure aujourd’hui 46 % environ du financement, les usagers 17 % (cette part est en baisse, elle était de 20 % en 2010). Côté collectivités, la contribution est de 35 %, donc une hausse de 43 % par rapport à 2005.
Ces évolutions masquent plusieurs paramètres. Notamment le développement des premières lignes de TCSP, qui se traduit par une hausse du taux de VT passant de 1 % à 1,75 % et encore la « prime » à la ville touristique qui permet aux grandes villes de faire passer ce taux à 2 %.
Mais le VT est avant tout lié à l’activité économique, puisque son assiette est la masse salariale des entreprises, publiques et privées. A taux constant, on constate dans certaines villes que son rendement diminue du fait de la crise.
Il est évident que les collectivités ne pourront pas continuer à supporter une hausse des coûts, de moins en moins payée par les usagers.

VR&T. Dans ces conditions, faut-il augmenter le prix des transports ?

B. F. d’A. Une hausse des tarifs semble inéluctable. Le ratio dépenses d’exploitation sur recettes commerciales diminue chaque année et est en moyenne de 29 % en 2012. Ce qui est faible par rapport à d’autres pays, qui certes ne bénéficient pas du VT.
La hausse des prix est avant tout un choix de politique publique. Il consiste à déterminer qui doit payer, l’usager ou le contribuable ?
On considère généralement qu’un réseau qui affiche un ratio dépenses sur recettes de 50 % est bien géré. La recette doit donc augmenter et les dépenses doivent être maîtrisées. Pour cela, il existe plusieurs solutions.
La tarification plate (basée sur la durée d’utilisation quel que soit le déplacement) est fréquemment pratiquée en France. Mais un paiement lié à la consommation réelle aurait l’avantage de donner un signal à l’usager sur le coût du service rendu. On s’interroge sur la nécessité d’aller dans ce sens en France, ainsi qu’au développement du postpaiement. A Singapour, la tarification est totalement basée sur la distance parcourue !
A contrario, le TER à un euro est un mauvais signal. De plus, il incite à habiter toujours plus loin et contribue à l’étalement urbain.
On peut aussi réfléchir au système d’abonnement tel qu’il s’est développé en France. C’est une des raisons de la baisse de la recette par voyage des réseaux. En général, les abonnements ont des prix très modérés.
On peut même se poser la question de savoir s’il est pertinent de conserver les abonnements (tout en continuant à proposer des tarifs intéressants aux plus modestes).
Les abonnements génèrent beaucoup de petits trajets supplémentaires. Ils nécessitent parfois d’augmenter l’offre pour une recette qui est nulle. Si on offre un abonnement à prix très bas, on incite des gens qui auraient peut-être marché, à prendre les transports publics. Beaucoup de réformes tarifaires ont ainsi attiré plutôt des piétons que des automobiles. Or, la marche joue un rôle important, y compris pour la santé !
Il y a des réseaux dans le monde où le système des abonnements n’existe pas. A Tokyo par exemple, il existe un abonnement officiel mais son prix est tellement astronomique que personne ne l’utilise et chaque trajet est payé selon la distance parcourue. Par contre, les trajets domicile-travail sont intégralement remboursés par les employeurs en fonction de la distance parcourue. C’est une des villes où les transports publics sont excellents et très utilisés.

VR&T. Comment mettre un frein aux dépenses qui s’emballent ?

B. F d’A. On n’est pas encore dans la situation de Turin, qui dépend des financements de la région et qui a été obligé récemment de réduire de 17 % en 4 ans ses véhicules-km, en raison des réductions budgétaires !
En France, depuis 1975, le coût par voyage a progressé à un rythme très important, quasiment +8 % par an en euros courants. Les exploitants sont incités (via les contributions forfaitaires dans les contrats) à augmenter la fréquentation. Mais parallèlement on constate une inquiétante dérive des coûts de production.
Ils ont tendance à recruter davantage de personnels pour des raisons de sécurité et de marketing. Les conventions collectives vont aussi dans ce sens d’un alourdissement des coûts. Et les AOT cherchent à développer leur offre de transport de manière conséquente : leurs PTU s’étendent, conduisant à la hausse de l’offre-km. La couverture géographique est agrandie mais sur des territoires moins denses. Ceci génère beaucoup de véhicules-km mais peu de trafic voyageur.
En 2011, le coût du voyage en province était ainsi de 1,9 euro(1). La recette par voyage n’atteignait même pas 60 centimes (53 centimes exactement). Chaque voyageur induit donc un déficit de 1,4 euro. Il y a un vrai problème de business model dont sont bien conscientes les autorités organisatrices de transport (AOT) et les exploitants.
Pour maîtriser les dépenses et proposer une offre plus performante, tout le travail mené par certains réseaux sur la hiérarchisation des lignes de transport constitue une évolution positive.
C’est ce qui a été fait par exemple à Lyon avec Atoubus, un projet qui a permis de restructurer les lignes et de mettre en place une fréquence efficace (10 minutes sur les lignes fortes) avec une bonne amplitude horaire. C’est un service attractif pour les gens qui avaient l’habitude de prendre leur voiture.
Les réseaux peuvent en profiter pour diminuer le niveau de service en périphérie. Car de toute façon, il y a peu de personnes
à transporter.

VR&T. Quel rôle donner à l’automobile ?

B. F. d’A. En périphérie, la voiture est économiquement plus performante. Dans le centre-ville, le transport public, mais aussi, ne l’oublions pas, la marche ou le vélo, sont adaptés et performants. Chaque mode a son domaine de pertinence.
Tout ce qui contribue à diminuer l’usage de la voiture en ville va dans le bons sens. Et ne peut que conduire à une augmentation de la fréquentation des transports publics.
Mais pour cela, il faut avant tout améliorer la qualité de l’offre et s’inscrire dans une logique permettant de réaliser des gains de productivité. On sait qu’une augmentation de la vitesse commerciale permet de gagner sur un double niveau : c’est moins cher car il faut moins de véhicules et c’est plus attractif, on peut donc inciter les automobilistes à laisser leur voiture au garage. Vis-à-vis des automobilistes, il est possible d’augmenter les tarifs car ils sont peu sensibles au prix puisqu’ils acceptent de payer dix fois plus cher leur trajet en prenant leur voiture plutôt que les transports collectifs. L’automobiliste a une grande sensibilité à la qualité du service proposé : d’où l’intérêt de travailler sur l’accroissement de la fréquence, de la vitesse commerciale… Je prône un système cohérent qui englobe l’ensemble de la mobilité, y compris automobile.

VR&T. Comment y parvenir et aller plus loin ?
B. F. d’A. Nous travaillons actuellement sur l’idée d’un prix de la mobilité urbaine, tous modes confondus. Il est nécessaire de prendre en compte les évolutions des comportements dans les déplacements qui sont de plus en plus multimodaux. Le client apparaît moins fidèle : il ne fait pas chaque jour le même aller-retour aux mêmes heures avec le même mode de transport.
Aujourd’hui, compte tenu des nouveaux PDU, aller en centre-ville en voiture fait perdre du temps. Beaucoup d’automobilistes commencent à « basculer » sur les transports publics.
Nous appuyons sur cette idée de multimodalité et sur une forme de tarification de l’usage de la voiture qui permettrait de réduire la congestion. Ne faut-il pas dans ce cadre réfléchir à une offre tarifaire multimodale qui intègre la voiture ? Tout en instaurant des contraintes sur le stationnement ou la vitesse de circulation.
Pourquoi par exemple ne pas mettre en place une réglementation demandant à l’usager de la voiture en ville d’afficher son abonnement de transport public sur son pare-brise ? Ainsi, l’automobiliste contribuerait au financement du système de mobilité globale. Il achèterait ce droit à l’AOT, tout en étant incité à utiliser les TC.
Nous sommes en train d’évaluer l’impact d’un tel système sur l’agglomération lyonnaise et le niveau de recettes qui en découlerait pour financer les modes alternatifs.
Pour ne pas placer ce dispositif sous le feu des critiques (selon lesquelles on favorise les plus aisés qui seuls auraient à l’avenir les moyens de payer ce droit à l’automobile), on peut envisager une tarification sociale, comme pour les transports collectifs. Le droit de circuler pourrait ainsi ne coûter que 2 euros à un ménage peu aisé ayant trois enfants mais 50 euros à un couple de cadres supérieurs. Cette solution permet de répondre aux critiques généralement formulées à l’encontre du péage urbain. C’est une piste de travail car tout le monde est bien conscient qu’il y a un problème de financement en France et qu’il faut réduire les trajets automobiles en ville. Il faut encourager le basculement des automobilistes sur les transports publics sans pour autant interdire l’usage de la voiture, car ceux-ci ne peuvent satisfaire tous les besoins de déplacement.

VR&T. Comment associer plus étroitement les entreprises de transport à ces évolutions ?

B. F. d’A. Il faut effectivement associer plus les opérateurs à l’organisation des réseaux. Dans certaines villes dans le monde, les opérateurs bénéficient de plus de liberté pour optimiser les réseaux. Mais si on accorde plus de flexibilité aux opérateurs, il faut en contrepartie un objectif de performance incitant à la réalisation d’économies. Ce sont ce qu’on appelle les performance-based contracts en Australie par exemple. La rémunération n’est pas seulement indexée sur le volume du chiffre d’affaires. En France, les délégations de service public fonctionnent en général sur la base d’une subvention forfaitaire. Cela donne une grande visibilité aux élus en matière de financement sur la durée du contrat, ce que les élus apprécient. Mais cela n’incite pas à la performance. Pour passer à cette logique de performance, les AOT auraient intérêt à se doter d’outils d’expertise et de compétences plus poussés.

Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt

(1) Calculé sur les réseaux de plus de 100 000 habitants, à partir des données de l’Enquête annuelle sur les réseaux de transport public urbain (DGTIM, Gart, UTP, Certu)

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