CAF France, filiale de l’entreprise espagnole Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles, a conquis la place de deuxième acteur de l’industrie ferroviaire en France. Alain Picard, qui en a pris les rênes il y a trois ans, entend faire monter en puissance son entreprise en profitant d’un climat propice au développement des transports collectifs, a-t-il expliqué lors d’un Club VRT organisé le 6 juillet 2023.
Directeur général de CAF France depuis trois ans – après une carrière à la SNCF –, Alain Picard se montre optimiste : « La prise de conscience de l’urgence climatique s’élève, rendant plus que jamais nécessaire le report modal des déplacements de la route vers les transports collectifs ». En France, rappelle-t-il, « 32 % des émissions de gaz à effet de serre sont causés par les transports, mais le ferroviaire n’en produit qu’une part infime. » Le développement de ce mode de transport, tant pour les voyageurs que pour le fret, doit être utilisé comme un levier pour parvenir à la décarbonation. « J’ai la conviction que nous sommes arrivés à l’heure des transports collectifs. Cela fait longtemps que nous n’avions pas eu autant de possibilités de développement », résume-t-il.
Premier axe pour y parvenir : commencer par mieux remplir les trains avant de travailler sur la décarbonation des matériels. « Faire de la décarbonation de nos matériels l’alpha et l’oméga du contrat de filière avec l’État est étonnant », affirme- t-il, avant de se réjouir de l’annonce de la Première ministre portant sur 100 milliards d’euros pour le ferroviaire. « Cela fait longtemps que je travaille dans le secteur et c’est la première fois qu’il y a autant d’engagements positifs. »
Loi de programmation
Reste que cette annonce est très imprécise. Mais plutôt que se joindre aux esprits chagrins, il invite la filière à jouer un rôle proactif : « Les acteurs qui comptent, comme la SNCF, la RATP ou les équipementiers doivent agir collectivement et insister pour avoir une visibilité sur les montants programmés chaque année. » Une loi de programmation donnerait de la visibilité. C’est essentiel pour permettre au secteur de se préparer.
Autre défi : attirer les talents pour assurer le développement du transport ferroviaire. Or, le secteur manque d’attractivité. Les jeunes ingénieurs sont surtout attirés par la tech et l’aéronautique alors que l’industrie ferroviaire va être touchée par des départs à la retraite massifs : CAF France s’attend à voir partir, ces prochaines années, 37 % de ses effectifs de son site de Reichshoffen. De plus, le constructeur a un vrai progrès à réaliser en matière de notoriété car, comme l’explique Alain Picard, « on pense trop souvent que nous sommes la Caisse d’allocation familiale et nous recevons régulièrement des demandes d’allocation ! »
Montée en puissance
Le groupe espagnol connaît pourtant une forte ascension de ses activités, avec 14 500 collaborateurs, réalisant 3 milliards de CA, dont 45 % en matériel roulant, 25 % en autobus – sous la marque Solaris –, le reste en activités de maintenance, de services et en composants. « Nous sommes le dernier constructeur à fabriquer nous-mêmes nos roues », précise Alain Picard.
L’activité du groupe, réalisée à 90 % en dehors de la péninsule Ibérique, a doublé en cinq ans. Après avoir misé sur l’Amérique du Sud pour se développer, le constructeur espagnol s’est réorienté sur l’Europe, à partir de 2005. La société a démarré modestement son activité en France en 2008, avec le rachat d’un hangar au constructeur français Soulé, à Bagnères-de-Bigorre (65), où travaillaient 80 personnes. « C’était un pari. Nous nous étions dit que si nous avions une capacité de production en France, nous finirions par gagner des contrats. » Cela a effectivement fini par payer. CAF a remporté un contrat pour équiper en trains Intercités les lignes Paris-Toulouse et Paris-Clermont. Fin 2020, CAF, réuni en consortium avec Bombardier Transport, a gagné un appel d’offres pour fournir des trains à la ligne B du RER francilien. En juin 2022, CAF a conquis à Montpellier un marché portant sur 77 rames de tramways, soit, selon le constructeur, « la plus grande commande de tramways en tranche ferme jamais réalisée en France. » Avec, à la clé, près de 224 millions d’euros pour équiper la future ligne 5, mais aussi remplacer les matériels vieillissants de la ligne 1.
Puis, en septembre 2022 à Marseille, la Régie des transports métropolitains (RTM) l’a choisi pour la fourniture de 15 nouvelles rames de tramways (plateforme Urbos), un contrat évalué à 57 millions d’euros, avec une option qui permettra d’augmenter le nombre de tramways en fonction des futures extensions du réseau.
« Désormais, 150 personnes travaillent à Bagnères- de-Bigorre et nous en aurons 200 en 2025 », précise le directeur général de CAF France.
Rachat réussi à Reichshoffen
Avec le rachat, l’année dernière, du site de Reichshoffen employant 800 salariés, dans le Bas-Rhin, CAF France est encore monté en puissance sur le marché hexagonal. Alstom devait en effet s’en séparer pour obtenir le feu vert européen pour son rachat de Bombardier Transport. C’est sur ce site que CAF produit le Régiolis, sur lequel il travaille avec Alstom. « Nous avons réussi notre pari », estime Alain Picard. CAF France emploie désormais 1 000 personnes et prévoit d’en recruter 300 autres pour continuer à se développer.
La France est ainsi devenue le premier marché du groupe espagnol, puisque CAF y réalise 25 % de son carnet de commandes de matériels roulants. « La France est un marché stratégique où nous avons de réelles perspectives de développement. CAF est le second constructeur français. » Le directeur général met en avant une structure très souple, qui a la capacité de s’adapter à des besoins différents, proche de ses clients, capable de fournir des trains en Australie, au Docklands Light Railway à Londres, mais aussi des tramways à Boston ou à Montpellier. « Notre taille nous permet d’être agile et d’offrir des coûts plus serrés qu’un grand groupe. Nous avons un caractère urbain plus marqué que nos grands concurrents », souligne-t-il. CAF réalise la moitié de son activité dans le transport urbain.
Un atout, selon son dirigeant, au regard du potentiel énorme de ce marché, et alors que tous les autres constructeurs sont davantage focalisés sur le ferroviaire. CAF est coté en bourse à Madrid. Le groupe dispose d’un bloc de contrôle constitué de salariés qui possèdent 25 % de son capital, tandis que la Caisse d’épargne basque en détient 14 %. « Cela nous rend non opéable et nous confère un modèle de gestion de bon père de famille. Cela nous donne de la stabilité. Nous sommes petits, agiles et urbains, avec un modèle actionnarial original et solide », résume Alain Picard.
Privilégier les acteurs locaux
Pour gagner des parts de marché dans notre pays, CAF affirme réaliser ses contrats dans les usines françaises, qui sont multiproduits et travaillent également pour l’exportation. « Nous souhaitons d’abord réussir nos projets en cours, RER B, train Oxygène, Régiolis… mais nous allons aussi nous positionner sur des trains plus capacitaires avec deux niveaux, ou du matériel de plus petite capacité pour les petites lignes. En France, les trains régionaux sont notre coeur de métier. » Le constructeur s’intéresse aussi aux services express métropolitains et proposera des trains de petite capacité décarbonés et des Intercités. Il vise également les trains de nuit, ayant déjà livré des trains Caledonian Sleeper au Royaume-Uni. Enfin, parmi les gros appels d’offres à venir, le renouvellement des RER C est attendu avec impatience.
Côté transport urbain, il réaffirme ses ambitions pour les bus à hydrogène et électriques et sur la signalisation. « Le contexte est favorable et nous n’avons aucun doute sur notre capacité à gagner des appels d’offres pour alimenter nos deux sites de Reichshoffen et de Bagnères-de-Bigorre », assure Alain Picard. Si CAF gagne des marchés, le site de Reichshoffen se verra confier les trains et les RER, celui de Bagnères (Hautes-Pyrénées), les trams et les trains de petite capacité. CAF appelle de ses voeux le raccordement de ce site au réseau ferré, comme c’est le cas pour Reichshoffen. « Le raccordement est un gros atout pour les sites français, car en Espagne l’écartement des voies est différent et pose des problèmes d’exportation. » Parce que le ferroviaire est financé avec de l’argent public, le dirigeant estime qu’il faut privilégier les constructeurs locaux. « Il n’y a pas de raison que l’argent public serve à développer des trains en Chine. Si les Chinois veulent s’implanter en France, ils sont les bienvenus. Mais il n’y a pas de honte à dire que, quand on est dans un secteur qui dépend de l’argent public, il faut que soient privilégiés les acteurs locaux, surtout quand on a la chance d’avoir la troisième industrie mondiale. Le problème est différent pour les bus électriques, car il n’y a pas vraiment d’offre européenne sur le marché », précise-t-il.
Les batteries plutôt que l’hydrogène
CAF travaille sur l’innovation des batteries, sur l’hydrogène et la conduite autonome. « Pour répondre à la nécessité de décarbonation, nous pensons qu’il faut privilégier la batterie. À moyen et long terme, l’hydrogène sera une solution pour une partie des besoins, mais à court et moyen terme, les batteries répondent déjà à plus de 80 % des besoins de décarbonation des opérateurs et des autorités organisatrices des transports. »
CAF, qui s’est lancé dans le tramway à batterie il y a 12 ans, propose également des solutions de trolleybus à batterie. L’entreprise travaille à l’amélioration de l’autonomie, pour passer de 80 km aujourd’hui à 200-400 km dans les prochaines années. Elle avance aussi sur le sujet de la recharge rapide : « Pour nous, la batterie est la solution, alors que nos concurrents misent plutôt sur l’hydrogène ! À court terme, nous ne pensons pas qu’il y aura un gros marché pour l’hydrogène, car la plus grande partie des besoins de décarbonation trouve des solutions grâce aux batteries. Nos plus importants contrats, et notamment le plus gros, portant sur des trains à batterie en Allemagne, nous confortent dans cette conviction », affirme Alain Picard.
Le patron de CAF France estime que la filière ferroviaire française a de nombreux atouts : son savoir-faire, ses ingénieurs reconnus ou encore ses sites de production, mais considère qu’elle est pénalisée par son manque de visibilité. « La France dispose de la troisième industrie mondiale, après les Chinois et les Allemands. On ne le dit pas assez, c’est pourtant assez rare pour être souligné. »
Une filière très performante
Le directeur général de CAF fait remarquer que dans la supply chain, certains sous-traitants ne sont pas uniquement ferroviaires, ce qui fait, que bien que performante, la filière ne se reconnaît pas en tant que telle. « Pourtant, elle est performante, très diverse et très présente dans des petites villes, contribuant ainsi à l’ancrage territorial, à la différence d’autres industries, comme l’aéronautique. Notre facteur de fragilité, c’est la dispersion des acteurs. » Pour y remédier, il préconise un travail commun avec Fer de France ou l’AFIT, pour avoir un vrai poids de filière.
Pour conclure son intervention, le directeur général de CAF redit son optimisme en cette période plus que jamais favorable au transport public et invite à se retrousser les manches pour en profiter. « On ne peut que se féliciter d’avoir des engagements politiques pour le ferroviaire. Mettons-nous au travail pour multiplier par deux le nombre de voyageurs dans les trains. La filière doit être capable d’offrir des transports de qualité, en sécurité, à tous les Français. Nous devons relever le défi de l’innovation, réduire les délais d’homologation et attirer les talents. Nous sommes la troisième économie mondiale. »