On a vu dans le MaaS une sorte d’Eldorado technologique de la mobilité durable… Mais l’information aux voyageurs est devenue un nouveau standard pour tous les moyens de transport. Le MaaS permet aux transports en commun, à la marche ou au vélo de rester dans la course face à l’automobile. Pas de faire la différence. Là où le MaaS pourrait se développer, c’est en permettant aux plate-formes privées d’offrir des services de mobilité de toute sorte, comme le fait dès maintenant Uber. Avec des effets environnementaux et sociaux très contestables.
Par Nicolas Louvet et François Adoue
Le MaaS, de l’anglais Mobility as a Service (en français : « la mobilité en tant que service »), est certainement aujourd’hui l’acronyme le plus en vogue dans le secteur de la mobilité. Il est consacré sous l’appellation « service numérique multimodal » par la loi d’orientation des mobilités (2019) qui le définit dans son article 28 comme « un service numérique qui permet la vente de services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation », et qui entend en faciliter le développement aussi bien par des acteurs publics que par des acteurs privés. Le MaaS apparaît ainsi promis à un grand avenir. Mais, avant de parler de son futur, offrons-nous un précieux détour par le passé.
Le MaaS succède aux systèmes d’information multimodale en tant qu’Eldorado technologique de la mobilité durable. Ces systèmes d’information multimodale, accessibles depuis un ordinateur bien avant d’être développés en tant qu’application pour smartphone, étaient censés, comme le MaaS aujourd’hui, promouvoir l’usage des transports en commun, de la marche ou du vélo, au détriment de la voiture particulière. Comment ? En offrant à leurs usagers une information multimodale complète et actualisée en temps réel, autrement dit en offrant aux consommateurs une information pure et parfaite sur les différentes offres de transport : temps de parcours, coûts monétaires et même parfois coûts environnementaux ! L’enjeu était de réduire une supposée irrationalité des choix de déplacements conduisant à l’adoption de l’automobile, en plaçant l’individu face à son erreur d’appréciation. Or ces cas de choix sous-optimaux, s’ils existent et font l’objet de nombreux travaux de recherche, s’avèrent ne représenter qu’une part marginale de la mobilité quotidienne. On feint trop souvent d’oublier que les automobilistes, dans une large majorité de situations, ne disposent tout simplement pas d’alternatives avantageuses. De plus, bien peu de personnes sont en mesure de réviser constamment leurs choix de déplacement. On ne change généralement pas tous les jours son mode de transport pour aller au travail. Aussi l’information multimodale n’est utilisée que quand elle est utile, c’est-à-dire le plus souvent pour procéder à des choix dans des situations d’incertitudes (nouvelles destinations, perturbations sur le réseau).
C’EST EN PROPOSANT DES SERVICES ADAPTÉS AUX BESOINS DES UTILISATEURS QUE LES APPLICATIONS MaaS SE DÉVELOPPERONT. ET ÇA, LE SECTEUR PRIVÉ L’A DÉJÀ COMPRIS
C’est donc à la fois la portée (l’étendue des situations) et l’efficacité (le pouvoir d’influence dans les choix) de cette solution miracle qui ont été surestimées. Est-ce à dire que les politiques en faveur du développement de systèmes d’information multimodale ont été vaines ? Pas tout à fait. L’accès à une information de plus en plus fiable sur les trajets en transports en commun, marche ou vélo permet de donner le change face à une industrie automobile qui intègre de mieux en mieux l’information en temps réel sur les conditions de circulation, et de maintenir ainsi un équilibre dans la compétition modale. L’information aux voyageurs – quel qu’en soit le véhicule – s’est imposée comme un nouveau standard, répondant à une exigence aujourd’hui triviale des voyageurs, à l’instar de la mise à disposition de sièges confortables, ou de la climatisation dans nos voitures comme dans nos bus les plus récents.
Le MaaS entend compléter ces systèmes d’information multimodal en ajoutant au calculateur d’itinéraire la possibilité de payer son titre de transport et de le valider depuis son téléphone, de manière extrêmement simplifiée, et ce quel que soit le mode choisi pour le déplacement. Afin d’inciter à des choix de mobilité plus vertueux, les applications MaaS tendent à offrir un avantage pécuniaire à l’utilisation des modes alternatifs à la voiture. Elles peuvent proposer des abonnements croisés : l’abonnement aux transports en commun emporte par exemple le droit à une réduction sur l’abonnement aux vélos en libre-service ou encore à l’autopartage. Si ce type de politique tarifaire n’est pas nouveau, le MaaS pourrait en permettre la facilitation (inscription – et désinscription – en quelques minutes depuis son téléphone) et en soutenir la diffusion dans la population.
Par ailleurs, les applications MaaS peuvent proposer une formule de post-paiement : l’usager se déplace sur les différents réseaux, puis reçoit sa facture le mois suivant, tout en étant assuré de payer ce qui correspond à l’offre la plus avantageuse qu’il aurait pu anticiper. Il s’agit alors d’offrir une mobilité 100 % alternative à la voiture particulière à prix maîtrisé. Si ces différents avantages financiers peuvent séduire de nouveaux usagers, il convient néanmoins de rappeler que, de manière générale, les modes alternatifs sont déjà moins onéreux que la voiture particulière. L’argument financier ne suffira donc pas à séduire le plus grand nombre. C’est en proposant des services adaptés aux besoins des utilisateurs que les applications MaaS se diffuseront. Et ça, le secteur privé l’a déjà bien compris.
Les plateformes agrègent, au fil d’expérimentations et de partenariats à travers le monde, des services de mobilité de différentes natures. Uber, par exemple, ne propose plus uniquement un service de transports avec ou sans chauffeur (VTC, taxi, vélo à assistance électrique), mais propose tout à la fois de la livraison express de repas, de courses alimentaires, de fleurs, et même un service de messagerie pour les particuliers : à São Paulo (Brésil), l’individu peut remettre une lettre ou un petit colis à un chauffeur qui sera ensuite récupéré par un destinataire à l’arrivée, s’économisant ainsi l’aller-retour nécessaire à une remise en main propre. Ces MaaS en gestation dans le secteur privé ne se contentent pas d’offrir des services de transport de personnes, mais proposent de « sous-traiter » la mobilité auprès de travailleurs mobiles fortement précarisés. En s’attaquant frontalement aux activités et déplacements les plus contraignants et en ambitionnant de faire économiser du temps à leurs clients, les plateformes privées dessinent un futur bien différent de la « mobilité en tant que service », potentiellement moins écologiquement soutenable et certainement socialement moins équitable.