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Ewa

Les « petites lignes ferroviaires » : survie ou agonie ?

Auray-Quiberon petite ligne

Les 9 000 km de petites lignes du réseau vont être désormais traitées en trois blocs : l’un rejoint le réseau national, un bloc intermédiaire sera à responsabilités partagées, le troisième dépendra entièrement des régions. Même si l’Etat entend développer les petites lignes ferroviaires, tout porte à croire que les finances des régions vont être largement sollicitées…

Par Gilles Nougaret

En février 2018, la veille de l’examen par le Parlement du projet de loi sur le nouveau pacte ferroviaire, le rapport Spinetta avait recommandé la fermeture de près de 9 000 km de petites lignes (désormais appelées « ligne de desserte fine du territoire »). Certes, ce rapport avait aussi recommandé la réalisation d’un état des lieux complet de ces lignes avant toute fermeture. Mais c’est peu dire que cette précaution n’avait guère calmé les inquiétudes. Face au tollé, le Gouvernement s’était empressé de refuser la première recommandation, tout en retenant la seconde. Signe de la sensibilité du sujet et, peut-être, d’un désaccord persistant entre le ministère des Transports, conscient de l’état de ces lignes, et le ministère des Finances, soucieux d’orthodoxie budgétaire, la rédaction de cet audit1, confiée au préfet François Philizot, s’est avérée particulièrement laborieuse. Ainsi, il aura fallu attendre le 20 février 2020, date du premier comité interministériel aux ruralités, pour que ce fameux rapport2 sorte des limbes, et encore, dans une version très épurée ne comportant que dix pages… Si l’on ne peut que regretter l’opacité persistante entourant les travaux du préfet Philizot, son rapport « expurgé » a toutefois le mérite de jeter les bases d’une stratégie cohérente, que l’on peut résumer en quatre points principaux.

Premièrement, un ordre de grandeur des besoins de financement est enfin donné : sous réserve de complications techniques, ces besoins sont évalués à 7,6 milliards d’euros jusqu’en 2028.

Deuxièmement, en accord avec les régions, trois blocs de petites lignes sont distingués : un premier bloc, qui ne constitue qu’une « petite partie » des petites lignes, intégrera le réseau structurant3, dont les investissements de renouvellement seront financés à 100 % par SNCF Réseau ; un deuxième bloc, qui constitue « la majeure partie » des petites lignes, continuera d’être cofinancé par SNCF Réseau, l’Etat et les régions, étant précisé que la participation de l’Etat dépendra de l’importance des lignes ; un troisième bloc, qui regroupe les lignes dont le financement incombera à 100 % aux régions4.

Troisièmement, s’agissant du troisième bloc, la gestion de ces lignes sera transférée aux régions, en application de l’article 172 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 20195. Les régions, en tant que futures gestionnaires, sont donc appelées à étudier toutes les possibilités : maintien du réseau existant, passage au train léger (moins onéreux tant à l’achat qu’en maintenance) ou passage au mode routier.

Quatrièmement, dans une allusion transparente à certaines pratiques passées de SNCF Réseau, dont les relations avec la plupart des régions étaient notoirement exécrables, le rapport Philizot exhorte à un pilotage du système ferroviaire véritablement partagé entre les trois acteurs principaux (Etat, SNCF Réseau, régions). Une fois ces bases posées, il convenait de déterminer la part contributive6 de SNCF Réseau, de l’Etat et des régions pour le deuxième bloc de lignes. S’agissant de SNCF Réseau, les choses paraissent claires : malgré une reprise d’une partie de sa dette par l’Etat, son endettement stratosphérique implique que sa part contributive dans le financement des petites lignes (8 %) reste inchangée, nonobstant l’intégration du premier bloc de lignes dans le réseau structurant. Quant à l’Etat et aux régions, le Gouvernement a annoncé, lors du comité interministériel du 20 février 2020, la négociation dans chaque région de plans d’actions déterminant le périmètre7 de chacun des trois blocs de lignes. Après quoi, la part contributive de chacun des trois acteurs concernés (Etat, SNCF Réseau et régions) sera négociée dans le cadre d’avenants aux contrats de plan Etat-Région 2015-2020, dont le volet « mobilités » sera prolongé jusqu’en 2022, en attendant la signature des prochains contrats de plan Etat-Région 2021-2027.

 

Cette stratégie pour les petites lignes appelle trois remarques

En premier lieu, il faut reconnaître que l’appréciation de la pertinence de la fermeture ou du maintien de ces petites lignes constitue une question fort délicate. Ainsi, d’un côté, comment ne pas être sensible aux arguments des disciples de l’orthodoxie budgétaire, lorsqu’ils déplorent le coût excessif de ces lignes (qui représentent 40 % du réseau) au regard du faible trafic qu’elles supportent ? En outre, l’argument écologique peut faire long feu pour les 85 % de petites lignes non électrifiées, surtout lorsqu’elles sont peu fréquentées8. Mais, d’un autre côté, apprécier l’utilité des petites lignes uniquement en fonction de critères économiques constituerait sans doute une erreur : d’autres critères peuvent tout aussi légitimement être retenus, tels la sécurité routière, l’environnement ou l’aménagement du territoire. A ce dernier égard, sans doute faut-il se garder de comparaisons hâtives avec certains pays voisins ayant drastiquement réduit le périmètre de leur réseau (Allemagne, Royaume-Uni ou Italie). En effet, la densité de la population en France étant moindre, la question de l’aménagement du territoire s’y pose de manière spécifique. Par ailleurs, la faible fréquentation de certaines lignes résulte non pas d’un tracé obsolète ou inadapté aux besoins de la population, mais d’un cercle vicieux en quatre étapes : le sous-investissement entraîne un fonctionnement erratique, qui entraîne une baisse de l’offre de transport, qui entraîne une baisse de la fréquentation. Ainsi, des petites lignes actuellement peu fréquentées9 pourraient retrouver une incontestable pertinence économique et sociale, pour peu que les travaux de maintenance nécessaires fussent exécutés et qu’une offre plus adaptée fût instaurée.

En d’autres termes, les petites lignes souffriraient davantage d’un manque d’offre pertinente que d’une faible demande10.

Ajoutons que l’équilibre économique dépend aussi de l’efficacité du prestataire, tant les surcoûts d’exploitation11 de SNCF Mobilités12 (devenue SNCF Voyageurs) laissent parfois songeurs, quand ils ne frisent pas la caricature. L’acuité de la question est telle que – singulier paradoxe – on en arrive à se demander si la concurrence (grâce à la baisse des coûts d’exploitation qu’elle induirait) ne pourrait pas revitaliser le secteur.

En définitive, si le maintien de petites lignes peut parfois relever davantage de l’acharnement thérapeutique que d’une saine médication (et, partant, d’un sage usage des deniers publics), il n’en demeure pas moins que l’approche strictement comptable, par son relatif simplisme, n’est rationnelle qu’en apparence.

En deuxième lieu, compte tenu de la diversité des situations, seule une approche casuistique semble pertinente, de sorte qu’il faut se féliciter, avec prudence, de la méthodologie du rapport Philizot (du moins telle qu’elle ressort des dix pages rendues publiques…). En effet, outre qu’elle propose un classement cohérent et consensuel de chaque ligne dans l’une des trois catégories précitées, cette méthodologie vise à déterminer, après négociations et pour chaque ligne, les financeurs et leurs parts contributives respectives. Le cas du train léger13 est à cet égard topique : seule une approche au cas par cas permettra de déterminer la pertinence de ce procédé vanté par le Gouvernement, mais non exempt de critiques. Ainsi est donc récusée (du moins en théorie) l’approche quelque peu technocratique du rapport Spinetta, qui poussait à « sabrer » dans les petites lignes, sans guère de nuance.

En troisième lieu, tout porte à croire que les finances des régions vont être fortement mises à contribution. Certes, l’Etat, directement ou par l’intermédiaire de SNCF Réseau, reste impliqué dans le financement des petites lignes, soit à 100 % pour les lignes du premier bloc, soit partiellement pour celles du deuxième bloc. Certes, le Gouvernement a affirmé que la crise sanitaire ne remettait pas en cause le programme de renouvellement des petites lignes14. Certes, le président de la République lui-même, dans son entretien télévisé du 14 juillet, a déclaré vouloir « redévelopper les petites lignes », tandis que le plan de relance du 3 septembre dernier prévoit pour celles-ci 300 millions d’euros supplémentaires.

Toutefois, outre que, comme vu précédemment, le troisième bloc sera à 100 % à la charge des régions, la détermination de la part contributive de l’Etat et des régions au titre du deuxième bloc demeurera l’objet d’intenses négociations, dont on pressent qu’elles aboutiront probablement à un effort financier substantiel de celles-ci15.

Ajoutons que le transfert de gestion signifie que l’AOT bénéficiaire16 devient gestionnaire d’infrastructure de plein exercice, donc en charge des nombreuses et épineuses questions techniques inhérentes à cette fonction, ce qui pourrait rebuter même les régions les mieux disposées. Ainsi, il conviendra d’attendre l’issue des négociations entre l’Etat et les régions, dans le cadre des plans d’actions et des futurs contrats de plan Etat-Régions 2021‑2027, afin de savoir si le rapport Philizot aura constitué, pour les petites lignes, un remède adéquat ou la cigarette du condamné.

1 Sa publication, très attendue par les régions, a été ajournée à plusieurs reprises. Mieux, si l’on ose dire, une audition du préfet Philizot par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale prévue le jeudi 17 octobre 2019 a dû être annulée, faute de communication préalable du fameux rapport…
2 Comment croire qu’une étude approfondie de l’état de cette fraction du réseau national, sujet hautement technique s’il en est, tienne en dix pages ? Cette situation singulière inspira cette cruelle (et sans doute injuste) boutade au sénateur Olivier Jacquin : « ce rapport a un mérite, il va vite à lire car il n’y a pas grand chose dedans » (Sénat, audition de Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’Etat chargé des Transports, 25 février 2020).
3 Le réseau structurant est composé des lignes à grande vitesse, du réseau Ile-de-France et des lignes UIC 2 à UIC 6 pour les autres régions. Les lignes de desserte fine du territoire relèvent des lignes UIC 7 à 9.
4 Selon le Gouvernement, ces trois blocs de lignes représentent respectivement 1500 km, 6 500 km et 1000 km de lignes. A titre d’exemple, la ligne Caen-Alençon-Le Mans-Tours pourrait être l’une des quinze lignes pressenties du premier bloc ; la ligne Brive-Aurillac relèverait du deuxième bloc (voir en ce sens Sénat, commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, audition de Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’Etat chargé des Transports, 25 février 2020).
5 Cet article 172 a créé deux dispositifs de transfert : le premier, prévu par le nouvel article L.2111-1-1 du code des transports, porte sur le transfert de l’ensemble des missions de SNCF Réseau ; le second, prévu par l’article L.2111-9-1-A du même code, porte sur le transfert de deux de ces missions seulement (maintenance et développement du réseau). Le décret d’application n°2020-1820 de ce très important article 172 a été signé le 29 décembre 2020.
6 Jusqu’à présent, les engagements financiers étaient « couverts pour un quart par l’Etat, huit pour cent par SNCF Réseau et les deux tiers par les régions» (rapport Philizot « expurgé », p.4). Précisons que les petites lignes sont exclues de l’ambitieux programme d’investissements de renouvellement « confié » à SNCF Réseau par la loi d’orientation des mobilités sur la période 2019-2037, qui ne concerne que le réseau structurant.
7 A ce jour, seuls deux plans d’actions ont été signés, l’un entre l’Etat et la région Grand Est et l’autre entre l’Etat et la région Centre-Val-de-Loire ; avant la crise sanitaire, le Gouvernement escomptait la conclusion prochaine d’un tel protocole d’accord avec la région Bretagne et avec la région PACA.
8 Voir en ce sens Cour des comptes, Les transports express régionaux à l’heure de l’ouverture à la concurrence, Des réformes tardives, une clarification nécessaire, p.59 : « Un train TER diesel transportant 10 voyageurs (comme, par exemple, entre Saumur et La Roche-sur-Yon) émet 539 grammes de CO2 par voyageur-kilomètre, soit une pollution près de cinq fois plus élevée qu’une voiture occupée par 1,9 voyageur. Le train ne présente donc un intérêt écologique que s’il transporte suffisamment de voyageurs, de préférence sur un réseau électrifié. »
9 La diminution du nombre de schémas de desserte, la suppression d’arrêts intermédiaires, l’instauration d’arrêts à la demande ou encore un cadencement optimisant les correspondances peuvent substantiellement améliorer la qualité du transport ferroviaire et, partant, augmenter la fréquentation.
10 Voir en ce sens CEREMA, Quel avenir pour les petites lignes ? Potentiel, technique, gouvernance, 2020.
11 Les principales causes de ces surcoûts sont bien connues : règles d’avancement et d’ancienneté du statut des cheminots, régime spécial de retraite, faible temps de travail moyen des agents, personnels peu polyvalents, coûts élevés des personnels des fonctions support et de direction (voir en ce sens Cour des comptes, Les transports express régionaux à l’heure de l’ouverture à la concurrence, op. cit., pp.69-71).
12 La cour des comptes a ainsi relevé, non sans étonnement, que SNCF Mobilités a demandé aux régions de prendre en charge le surcoût lié à la réforme des retraites des cheminots, ce que certaines ont accepté en tout ou partie « alors que rien ne les y obligeait », tandis que d’autres le refusèrent et obtinrent gain de cause devant le juge administratif… (Cour des comptes, Les transports express régionaux à l’heure de l’ouverture à la concurrence, op. cit., p.67).
13 Voir en ce sens M-H Poingt, « Pourquoi le train léger n’est pas la solution miracle pour les petites lignes », Ville, Rail & Transports, 28 février 2020.
14 Sénat, commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, audition du secrétaire d’Etat chargé des Transports Jean-Baptiste Djebbari, 10 avril 2020 : « nous devons maintenir la priorité aux investissements de sécurité et à la régénération des petites lignes ferroviaires ».
15 Comme le rappelait sans ambages le président de l’Arafer, lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi du 27 juin 2018, « quand l’Etat dit « l’Etat ou les régions », ça se termine généralement par « les régions » ! »(audition de B. Roman le 22 mai 2018 in Sénat, Rapport de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, n°494, 23 mai 2018, p.214).
16 A l’instar de SNCF Réseau, une AOT bénéficiaire devra notamment assumer la répartition des sillons, la tarification de l’infrastructure, la gestion opérationnelle, la maintenance et le développement du réseau, la gestion des gares ou encore la rédaction du document de référence du réseau… Le tout en respectant les normes de sécurité et d’interopérabilité ferroviaires, ainsi que le sacro-saint principe de non-discrimination à l’accès aux infrastructures ferroviaires… Quant aux questions relatives aux compensations financières résultant du transfert et à la mise à disposition du personnel nécessaire, elles ne sont pas moins complexes…

Ewa

Les leçons des franchises pour l’exploitation du réseau ferroviaire britannique

Grand Bretagen Arriva

La France fait le choix d’ouvrir le transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence… et les Britanniques, pionniers de la libéralisation, renationalisent provisoirement leurs franchises… La crise due au Covid-19 en est la cause, mais elle n’explique pas toutes les difficultés du système. Quelles leçons peut-on tirer d’une expérience de plus de 20 ans pour réussir ici l’ouverture du réseau ?

Par Timothée Lachenal

Timothée LACHENAL
Timothée Lachenal, fondateur du cabinet de conseil en stratégie ferroviaire Raillissime Consulting.

Depuis le 3 décembre 2019, l’Etat et les régions françaises ont la possibilité d’ouvrir à la concurrence l’exploitation de leurs services ferroviaires conventionnés. L’Etat (avec l’ouverture des lignes TET Nantes-Lyon et Nantes-bordeaux) et plusieurs régions françaises (dont Hauts-de-France, Sud et Grand Est) se sont engagés résolument dans cette voie. La concurrence dans le transport ferroviaire de voyageurs conventionné arrive pour de bon en France.

Parallèlement, le Financial Times du 31 juillet 2020 nous informait que, pour assurer la continuité des opérations ferroviaires dans un contexte de crise sanitaire, le gouvernement britannique avait de facto procédé à la renationalisation complète des franchises britanniques. Ironie de l’histoire donc, où l’on voit la France ouvrir l’exploitation de ses trains de voyageurs à la concurrence alors même que la très libérale Albion les renationalise. Mais qu’en est-il dans les faits ?

A l’heure où l’Etat et les Régions se mettent en ordre de marche pour définir les allotissements et les règles du jeu commercial des futurs contrats, considérer les forces et limites de l’exemple britannique qui offre près de 25 ans de retour d’expérience est essentiel.

Le modèle historique des franchises britanniques

En 1997, le chemin de fer britannique a été privatisé avec pour objectif l’amélioration des services et la réduction des coûts d’exploitation, et donc des subventions, en attirant de nouveaux entrants sur le marché. L’attribution par appel d’offres de contrats de franchises pour l’exploitation du réseau a dès le début été un élément clé du système privatisé. Au Royaume‑Uni, les contrats de franchises ferroviaires sont pour la plupart attribués par le ministère des transports. En tant qu’autorité organisatrice, le ministère conduit le processus d’appel d’offres de bout en bout, depuis la définition du cahier des charges jusqu’au suivi opérationnel du contrat. Pour assurer un service public de qualité, le ministère développe des cahiers des charges incluant de nombreuses exigences, notamment sur la desserte minimale et les niveaux de service attendus. Pour remporter une franchise, les opérateurs ferroviaires doivent offrir une offre technique de haute qualité et, selon le cas, le paiement d’un premium au gouvernement sur les franchises rentables, ou la demande d’une subvention aussi faible que possible pour les franchises pour lesquelles les coûts d’exploitation sont supérieurs aux recettes commerciales.

La libéralisation a dopé la croissance ferroviaire outre-Manche

La libéralisation du chemin de fer britannique a déclenché une véritable renaissance du transport ferroviaire de voyageurs outre-Manche. Quand le marché fut privatisé à la fin des années quatre-vingt-dix, les trafics voyageurs étaient en berne (diminution de 20 % entre 1950 et 1997). Depuis la privatisation, l’impulsion des opérateurs privés a créé un essor sans précédent, avec un doublement du nombre de voyageurs entre 1997 et 2017. Par ailleurs, la libéralisation a permis des investissements privés massifs dans le système ferroviaire. Par exemple entre 2007 et 2017, le secteur privé a investi 5,2 milliards de livres (environ 5,8 milliards d’euros) dans le matériel roulant. La concurrence a aussi été un véritable moteur de l’innovation qui a permis une amélioration nette des services offerts aux clients. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut s’attendre à ce que l’ouverture à la concurrence en France soit une bonne nouvelle pour le ferroviaire français.

On ne saurait néanmoins ignorer le fait que le modèle des franchises n’a pas été qu’un succès. Examinons les faiblesses majeures de ce modèle et tirons-en quelques enseignements pour le marché français.

Des franchises qui flanchaient bien avant la crise de la Covid

Le problème majeur auquel l’industrie du rail britannique a fait face dans le modèle de franchises était l’incitation très forte à offrir le paiement d’un premium très élevé (ou à demander une subvention très faible) au ministère des Transports pour remporter les contrats, ce qui passait par exemple par des prévisions de croissance de recettes ou de performance opérationnelle irréalistes. Ainsi, depuis 2012, de nombreux contrats ont été attribués sur la base d’hypothèses beaucoup trop optimistes, avec des conséquences sérieuses pour les acteurs. En juin 2018, le gouvernement reprenait en main pour la troisième fois en douze ans l’exploitation du réseau Intercités East Coast après la déroute de son exploitant Virgin Trains East Coast, un groupement entre Stagecoach et Virgin. Bien que les recettes de Virgin Trains East Coast couvraient largement ses coûts d’exploitation, les prévisions de trafic réalisées lors de la préparation de l’offre étaient bien trop optimistes et peinaient à se matérialiser, si bien que la marge opérationnelle ne permettait plus de couvrir le paiement du premium que l’exploitant s’était engagé à payer au ministère. Pour honorer ses engagements, la compagnie ferroviaire a dû utiliser les 165 millions de livres (environ 185 millions d’euros) de garantie fournie par ses maisons mères. Le ministère a repris l’exploitation de la ligne à épuisement de la garantie. Autre exemple : en janvier 2020, le ministère des Transports reprenait le contrôle de la franchise Northern au groupe de transport Arriva, suite à ses difficultés répétées à fournir un service de qualité dans la région.

La baisse des recettes voyageurs consécutive à la crise de la Covid a obligé le gouvernement britannique à mettre en place des mesures d’urgence pour assurer la continuité des opérations. Pour sauver l’ensemble des opérateurs de la faillite, le ministère des Transports a suspendu les contrats de franchises et les a remplacées par des mesures temporaires qui prévoient que les opérateurs soient compensés pour leurs coûts, plus une faible marge (mesures qui, selon l’office national anglais de statistiques, équivalent à une nationalisation). Les contours de la réforme structurelle dont la préparation est engagée depuis 2018 et qui est attendue pour 2021 ne sont pas encore connus, mais l’on peut s’attendre à ce que, à l’avenir, le ministère britannique des Transports se concentre dans son rôle de stratège et abandonne les franchises au profit de contrats de concessions dont l’exploitation sera confiée à des opérateurs privés. Ceux qui espéraient la renaissance de British Rail seront donc déçus : la renationalisation – temporaire – liée à la crise sanitaire et la réforme structurelle attendue laisseront les opérateurs privés au centre du système.

Revenons en France. Pour garantir la stabilité financière de l’exploitant sur toute la durée du contrat – ce qui est dans l’intérêt commun de l’Autorité Organisatrice de la Mobilité (AOM) et de l’exploitant -, nous proposons que les conditions suivantes soient réunies.


LES DÉFAILLANCES DES NOMBREUSES INTERFACES REQUISES PAR LA FRAGMENTATION DU RÉSEAU NE PERMETTENT PAS LE BON FONCTIONNEMENT D’UNE INDUSTRIE QUI DOIT, PAR NATURE, RESTÉE INTÉGRÉE

 

D’abord, les contrats liant l’AOM et l’exploitant doivent être attribués sur des critères réalistes. Les AOM devront avoir à cœur d’évaluer de manière critique la viabilité financière des offres. Des offres financières agressives adossées à des taux de croissance de trafic ou des hypothèses de réduction de coûts héroïques devront être écartées. En outre, les critères d’attribution des contrats devront donner un poids important à l’élément qualitatif des offres en comparant leur crédibilité et non pas seulement leur compétitivité financière.

Ensuite, le partage des risques entre l’exploitant et l’AOM devra être défini avec soin, avec un équilibre entre le volume de gains attendus et l’amplitude des risques pris par l’opérateur, où chaque risque est alloué à la partie la plus à même de le gérer. L’expérience montre que ce principe théoriquement évident est souvent difficile à mettre en application de manière robuste. Les Britanniques, qui se confrontent depuis plus de vingt ans à ces difficultés, ont essayé avec plus ou moins de succès plusieurs formules. Un exemple qui a beaucoup fait débat concerne le risque sur les recettes. La prise de risque sur les recettes par l’opérateur est une bonne chose a priori car elle incite les opérateurs à faire croître le marché et à agir de manière très commerciale, mais elle a causé la faillite de plusieurs exploitants. En réponse, le ministère britannique des Transports a alors développé un mécanisme qui compense l’opérateur en cas de retournement macroéconomique totalement hors de son contrôle mais impactant toutefois sévèrement son chiffre d’affaires. Une bonne idée, encore faut-il que le mécanisme soit bien calibré, ce qui n’est pas chose facile. Un mécanisme de transfert de risques mal calibré conduit soit à une surexposition au risque de l’opérateur, soit à une surcompensation de l’opérateur par l’AOM, deux situations non souhaitables et qui détruisent de la valeur.

Un système fragmenté et une performance en baisse

Autre écueil à éviter : la privatisation à l’anglaise a conduit à une fragmentation poussive du réseau qui en rend la gestion inefficace. Les nombreux exploitants privés et le gestionnaire d’infrastructure ont trop souvent des intérêts divergents, et les incitations prévues dans les contrats commerciaux qui les lient les uns aux autres ne permettent pas toujours de produire un service optimal pour le client final. Les défaillances des nombreuses interfaces requises par cette fragmentation ne créent pas les conditions pour le bon fonctionnement d’une industrie qui doit, par nature, fonctionner de manière très intégrée. C’est ainsi que le changement d’horaires britannique de mai 2018 a viré au fiasco, avec des milliers de trains annulés ou retardés au niveau national. Certains accuseront le gestionnaire d’infrastructure, d’autres les exploitants, mais c’est bien l’échec du système qui s’est révélé lors de ce désastre industriel. En France, si la séparation entre les opérateurs et le gestionnaire d’infrastructure est essentielle afin d’assurer un traitement équitable des transporteurs par ce dernier, il sera primordial que SNCF Réseau prenne un rôle fort d’intégrateur du système ferroviaire pour garantir son intégrité au-delà des interfaces commerciales.

Des contrats trop risqués et à faibles marges qui rebutent les opérateurs

Toujours enclin à apprendre de l’expérience et de ses erreurs et afin de mieux s’assurer de la crédibilité des offres et de leur compétitivité, le ministère britannique des Transports a augmenté au cours des années le nombre de spécifications à respecter dans les cahiers des charges. La conséquence en est que répondre à un appel d’offres pour une franchise britannique est devenu un exercice très onéreux, ce qui, dans un contexte où la performance du réseau est médiocre, la prise de risque élevée et les marges plutôt faibles, a progressivement rendu le marché britannique de moins en moins attractif. C’est ainsi que National Express, le plus gros acteur du marché à la fin des années 2000, a vendu en 2017 ses activités ferroviaires d’outre-Manche pour concentrer ses ressources sur d’autres régions du monde jugées plus attractives, nous rappelant au passage que, dans un contexte où le marché est en forte croissance mais les ressources limitées, les AOM d’Europe et du monde sont en concurrence les unes avec les autres pour attirer les meilleurs opérateurs. Les groupes de transport raisonnent de manière globale et déploient donc leurs moyens financiers et humains sur les contrats les plus attractifs. Le ferroviaire est en pleine croissance et les opportunités ne manquent pas sur un marché désormais mondial dans lequel les exigences liées à la transition écologique sont un sérieux argument politique en faveur de ce mode de transport.

En conclusion, les leçons apprises de l’expérience britannique sont précieuses pour éviter de reproduire les mêmes erreurs en France. Pour que le trafic se développe et que le marché prospère, les AOM devront attribuer les contrats sur des critères réalistes et pragmatiques, en évaluant avec prudence des offres financières trop agressives, tout en incitant les opérateurs à prendre des risques considérés. Le processus de réponse à appel d’offres devra rester simple et facile d’accès. SNCF Réseau devra prendre un leadership fort pour assurer la cohésion et l’intégration du système ferroviaire dans son ensemble. Ce sont les conditions qui permettront d’attirer des exploitants durables, innovants et responsables, au service des passagers.

Ewa

Après la tempête Alex, les circulations ferroviaires sont rétablies progressivement

tempete alex

Dans la vallée de la Roya, la réouverture se poursuit progressivement. Le 19 octobre, le train devait à nouveau desservir Saint-Dalmas-de-Tende. Non pas la gare elle-même, mais le sud du lieu-dit, grâce à une gare provisoire. Les agents ont travaillé plus d’une semaine à la réparation de la ligne au nord de Fontan (permettant d’atteindre Saint-Dalmas) et à la construction d’une halte à l’entrée de la commune.

Après avoir atteint la gare Fontan-Saorce, le 8 octobre, les trains ont dû provisoirement s’arrêter là. Le lendemain, les agents de la voie et du service électrique sont donc partis en reconnaissance, à pied ou en quad, afin d’évaluer les dégâts causés à l’infrastructure ferroviaire, par la tempête Alex, survenue le 2 octobre. « On a repéré deux affouillements », explique Olivier Gordienne, agent de la section Voie au pôle Infra de Nice et coordinateur. Les affouillements sont des endroits où la terre, sur laquelle la voie est posée, s’est effondrée à cause de l’eau qui s’est infiltrée en dessous, emportant également les sous-couches et le ballast, et ne laissant que les rails et les traverses à nu. « C’était au Pk 59,800 puis au 59,700 ou 750, je n’ai plus le chiffre exact en tête », poursuit l’agent.

Particularité de la ligne, elle part d’Italie et non de Nice, ce qui explique le décompte. Il a fallu ensuite remblayer. « On a monté là-haut deux pelles rail-route, puis une mini-pelle, uniquement routière, mais plus légère pour les endroits plus fragiles et instables qui n’étaient pas accessibles avec les pelles rail-route. » Dans le même temps, des agents de l’ingénierie sont intervenus pour expertiser l’ensemble des ouvrages de la zone. Il s’agit d’identifier, d’initier ou de programmer les travaux à réaliser pour rendre un à un les tronçons à la circulation, en toute sécurité. Ce qui est indispensable, malgré la volonté d’aller le plus vite possible.

Le 9 octobre, une draisine a pu effectuer une première circulation de reconnaissance au-delà de Fontan-Saorge vers Saint-Dalmas-de-Tende, mais à vitesse réduite, 10 km/h au maximum. Elle a surtout permis d’approvisionner ce village en vivres et en bouteilles d’eau. Et transporter quelques personnes.

Les inspections de ligne se sont aussi poursuivies au nord de la ligne, constatant qu’on ne pouvait circuler que jusqu’à l’entrée du tunnel au sud de la gare de Saint-Dalmas. La gare étant inaccessible depuis le sud, SNCF Réseau a demandé au gestionnaire du réseau ferré italien, RFI, de prendre en charge tout ou partie des travaux au nord de la ligne. Après une inspection, la ligne entre Saint-Dalmas et Tende, s’est avérée peu touchée. Cela a permis la circulation d’un train italien, le 15 octobre, jusqu’à Saint-Dalmas mais en provenance de la frontière.

Au sud de Saint-Dalmas, les équipes ont identifié un terrain le long de la voie entre deux ouvrages d’art, pour construire un quai provisoire. Il constitue depuis le 19 octobre un point d’approvisionnement logistique pour le sud du lieu-dit sur la commune de Tende. Aucune date n’est encore annoncée pour le rétablissement des circulations.

Yann Goubin