Patrick Jeantet est, depuis le début de l’année, le nouveau président de la Fédération des industries ferroviaires (FIF). L’ex-PDG de SNCF Réseau a expliqué à VRT ses priorités, qui passent notamment par la simplification des normes et la réduction des coûts. Un contrat de filière doit être signé avant cet été.
Ville, Rail & Transports. Où en sont vos réflexions deux mois après votre arrivée à la présidence de la Fédération des industries ferroviaires?
Patrick Jeantet. Je pars du constat que la part de marché du ferroviaire n’est que de 10 % alors qu’il présente un avantage majeur : c’est le mode le plus décarboné.
Il l’est d’autant plus si on prend en compte la durée de vie moyenne d’un train par rapport au temps moyen de possession d’une voiture qui n’est que de dix ans. C’est pourquoi la FIF veut lancer une étude sur le cycle complet de vie d’un train.
Si nous voulons doubler la part du train, il nous faudra aussi nous attaquer collectivement à la simplification du système et trouver des moyens de le rendre moins cher.
C’est en effet une vieille industrie qui a cumulé 156 ans de réglementation. Chez SNCF Réseau par exemple, on trouve des normes de conception dont on ne connaît même plus l’origine. C’est la même chose pour l’homologation du matériel. Et tous les deux ou trois ans, lors de sessions de STI (spécification technique d’interopérabilité, ndlr), de nouvelles normes sont ajoutées. Ce qui aboutit à une embolie du système et à une hausse des coûts.
La FIF veut se mobiliser sur ce sujet avec les industriels, la SNCF, la RATP. Nous devons être la mouche du coche.
VRT. Comment comptez-vous agir?
P.J. Le système est en train de se moderniser avec l’ERTMS * et avec le partenariat d’innovation Argos, destiné à lancer la nouvelle génération de postes d’aiguillage. Autrement dit, il est en train de passer du 19ème au 21ème siècle. Mais si on ajoute de l’informatique sans toucher au reste, le système se renchérira. C’est donc le bon moment pour faire entendre notre voix.
Il nous faut simplifier et accélérer. Le sujet de la réglementation est selon moi majeur. Il faut nettoyer les résidus du passé. Je ne comprends pas pourquoi on garde des réglementations dont on ne connaît même plus l’origine. Ce ne sont plus les mêmes matériels, les mêmes infrastructures. Il faut arrêter d’empiler.
Il faut aussi agir en faveur du fret, qui est le parent pauvre du ferroviaire alors que les TGV marchent très bien en France et sont plébiscités.
Nous demandons des investissements relativement raisonnables. Par exemple pour mettre au gabarit européen les grands axes ferroviaires. Ou en donnant la priorité au fret ferroviaire, ce qui permettrait de doubler sa part, notamment dans le domaine du transport combiné. Nous devons accélérer sur ces sujets.
A contrario, la décision d’autoriser les méga-camions fera basculer des parts ferroviaires à la route. Dire le contraire est une malhonnêteté intellectuelle absolue. Il faut avoir une vision holistique pour prendre les bonnes décisions.
VRT. Mais on constate que la FIF a du mal à se faire entendre. Comment faire ?
P.J. Pour maitriser la machine de la Commission qui est très bureaucratique, il faut une alliance entre industriels et institutionnels pour expliquer ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas.
VRT. A quoi va servir le contrat de filière sur lequel la FIF a travaillé et quand va-t-il être signé ?
P.J. L’ensemble des acteurs, c’est-à-dire les adhérents de la FIF mais aussi des groupes comme la SNCF et la RATP qui ne le sont pas, sont tous d’accord sur ce contrat de filière qui devrait être signé avant l’été. Il donne un cadre pour aligner la politique de l’Etat, des industriels et des opérateurs. L’Etat a mis des milliards dans l’automobile et a un peu oublié le ferroviaire. Pour avoir des systèmes moins chers, il faut financer davantage l’innovation.
Le contrat de filière organise le dialogue entre le privé et le public. Il doit aider à structurer notre filière comme cela a déjà été fait dans d’autres secteurs, notamment dans l’aéronautique. L’objectif, c’est de montrer que nous avons des objectifs communs.
VRT. Les déclarations d’intention qu’il contient sont nombreuses. N’aurait-il pas fallu les prioriser pour faciliter les décisions de financements publics?
P.J. Pour moi, le gouvernement s’est fixé deux priorités claires : le développement des Serm dans les métropoles et le doublement de la part modale du fret ferroviaire. Il convient maintenant de les mettre en oeuvre.
VRT. Les industriels peinent parfois à recruter. Comment rendre la filière plus attractive ?
P.J. Ce contrat peut aussi redonner de l’attractivité à la filière et à nos métiers. Il nous faut résoudre un des problèmes de notre industrie qui enregistre des commandes par à-coups. Qui dit à-coups, dit aussi licenciements, avec des salariés qui quittent notre secteur pour aller vers d’autres industries. Et quand la reprise est là, nous avons du mal à les récupérer. D’où la nécessité d’avoir de la visibilité.
Notre filière, qui travaille sur des produits décarbonés, a tout pour attirer les talents. Les technologies utilisées sont digitales et n’ont rien à envier à l’automobile ou à l’aéronautique. Nous sommes sur des technologies d’hyper pointe. Nous avons aussi des ambitions en matière de rétrofit pour augmenter la durée de vie et verdir le matériel.
Nous avons lancé le Rail Open Lab pour ouvrir le réseau ferroviaire aux jeunes start-up qui veulent tester leurs innovations.
VRT. Avez-vous un objectif qui vous tient particulièrement à coeur ?
P.J. Une des particularités du ferroviaire tient à l’éclatement des associations qui ont toutes leurs mérites : la FIF mais aussi le SETVF*, l’UTP, Fer de France… Je plaide pour un certain niveau d’unification qui nous permette d’avoir plus de poids dans les négociations avec l’Etat et l’Europe. On pourrait l’appeler le Gifer, le Groupement industriel du ferroviaire.
Dans un monde ferroviaire dominé par la SNCF, la RATP et Alstom, il faut entendre les problématiques des PME et des ETI (entreprises de taille intermédiaire, ndlr). Elles sont très implantées sur les territoires et créatrices d’emplois. La FIF est aussi leur porte-parole. Nous travaillons beaucoup grâce à des clusters régionaux, des lieux où se réunissent des entreprises locales et qui sont des relais dynamiques du ferroviaire. Quand je vois la force du Gifas*, je me dis qu’il n’est pas pour rien dans la montée en puissance d’Airbus face à Boeing.
Lancer le Gifer nécessitera de la volonté mais renforcera les liens entre les acteurs, créera de la confiance et sera bon pour tout le monde, la filière, la force de notre industrie et la planète.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt
*European rail trafic management system, système européen de signalisation
* SETVF (Syndicat des entrepreneurs des travaux de voies ferrées en France)
* Le Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales Gifas) représente l’ensemble des acteurs du secteur auprès des instances nationales, européennes ou internationales. Il contribue à la structuration de la filière.