
Augmenter les tarifs des transports publics, les moduler en fonction de leur usage, et relancer la « vignette » automobile mais en l’étendant à tous les modes de transport : ce sont quelques-unes des propositions chocs formulées par Gilles Savary et Gilles Carrez pour éviter aux transports publics franciliens, lourdement déficitaires, de foncer dans le mur.
Dans un rapport publié le 30 juin par l’Institut Montaigne et intitulé « Mobilités en Ile-de-France : ticket pour l’avenir », les deux anciens députés, (l’un ancien député PS de la Gironde, l’autre LR du Val-de-Marne), fins connaisseurs des transports, jugent que le modèle de financement de l’exploitation des transports publics franciliens est « déséquilibré » et sa viabilité menacée d’ici 4 ou 5 ans.
En cause, la crise sanitaire qui s’est traduite par un déficit d’1,3 milliard d’euros en 2021. Rappelons qu’au plus fort de la crise, la fréquentation des transports publics (trains, métros, bus ou tramways) s’est effondrée jusqu’à 5 % de son niveau habituel, asséchant les recettes d’Ile-de-France Mobilités, l’autorité organisatrice des transports. Aujourd’hui, tous les passagers ne sont pas revenus : il en manque encore entre 5 et 10 %. « 5 % de fréquentation en moins représente un manque à gagner de 150 millions d’euros, 10 % de moins représente 300 millions d’euros de manque à gagner », résume Gilles Savary. La crise actuelle (guerre en Ukraine et toutes ses conséquences, hausse des prix de l’énergie, des taux d’intérêt et de la dette…) accroît encore la pression.
Un milliard de dépenses annuelles en plus avec le Grand Paris Express
Or, les projets de développement des transports franciliens ne se sont pas arrêtés avec la crise, nécessitant d’importants investissements, et de nouvelles lignes de transport vont bientôt être mises en service (nouveaux tramways, prolongements de lignes de métro et d’Eole, CDG Express, Grand Paris Express), contribuant à alourdir un peu plus la facture.
On sait depuis des années que le Grand Paris Express (200 km de lignes autour de Paris, 68 gares) coûtera chaque année 1 milliard d’euros en frais de fonctionnement supplémentaires. Mais on n’a rien prévu pour les financer.
Actuellement, le coût de fonctionnement des transports publics franciliens est « majoritairement pris en charge par les contributions des entreprises », via le versement mobilité (VM), rappelle le rapport, tandis que la part payée par les usagers ne cesse de reculer. Elle représente environ le quart du coût réel des transports. Cette part payée par les usagers « est l’une des plus faibles d’Europe pour un réseau de cette envergure », soulignent les deux anciens élus. Selon eux, il faut « impérativement » augmenter les recettes.
Augmenter les tarifs
Ce n’est pas la première fois qu’un rapport plaide pour une hausse des recettes. Dans un rapport publié en février dernier, la Cour des Comptes l’envisageait aussi, parmi d’autres pistes, pour remettre à flots les finances d’IDFM. Mais aujourd’hui, le contexte inflationniste et les revendications en faveur d’une hausse du pouvoir d’achat, et parfois en faveur de la gratuité des transports ne poussent pas vraiment dans ce sens. « Nous alertons sur le mirage de la gratuité. Faire payer les transports permet de mener une politique sociale et de faire payer ceux qui le peuvent : il n’est pas normal par exemple de ne pas faire payer ses transports à un touriste qui viendrait de dépenser 500 euros dans les grands magasins. Cela permet aussi de réguler les flux de passagers », affirme Gilles Savary. « Les voyageurs sont avant tout sensibles à la qualité de l’offre. On le voit à Lyon, où la hausse des tarifs s’est accompagnée d’une hausse de la fréquentation grâce à l’amélioration de l’offre ». Pour Gilles Carrez, « les recettes tarifaires devaient augmenter au même rythme que le PIB régional. C’est le cas dans la métropole lyonnaise qui a réussi à faire remonter le ratio recettes sur dépenses à hauteur de 50 % ».
Les deux ex-Parlementaires ne proposent pas de solutions « univoques« , mais « plusieurs curseurs pour trouver 1,3 milliard« . Il faut à la fois « sécuriser » le versement mobilité et le faire mieux accepter aux employeurs, en reprenant la proposition de l’ancien député socialiste Philippe Duron qui, dans un précédent rapport remis il y a un an, recommandait d’interdire toute augmentation du VM dès lors qu’une collectivité déciderait d’abaisser le tarif des transports pour les usagers.
Il faut aussi, toujours selon eux, faire augmenter progressivement sur une quinzaine d’années, le ratio recettes sur dépenses, autrement dit la part payée par les usagers. Pas question toutefois de remettre en cause la tarification sociale mise en place pour les plus démunis. Pas question non plus de toucher au pass navigo dézoné. Mais il ne serait maintenu que pour les trajets domicile-travail, domicile-étude, domicile-santé. Les déplacements occasionnels sont principalement ciblés avec des tarifs renchéris pour « se rapprocher du vrai coût des transports ».
La tarification pourrait ainsi être modulée selon l’usage des réseaux de transport en fonction de paramètres, tels que le niveau de service rendu, l’heure du trajet ou la distance parcourue… « Cette tarification à l’usage fonctionnerait en post-paiement« , précise le rapport.
« On aboutirait à une tarification plus juste qui peut rapporter des recettes complémentaires », souligne Gilles Savary. « L’ensemble des ressources devraient progresser de 1 à 1,3 milliard à l’horizon 2030 », indique de son côté Gilles Carrez.
La région, les départements, Paris et l’Etat seraient chargés de décider collectivement de cette politique tarifaire, en définissant une trajectoire financière, à l’image de ce que font d’autres métropoles étrangères. « C’est l‘occasion de redonner de la vigueur à la gouvernance collective« , commente Gilles Savary. Pour disposer d’une action plus globale, le rapport propose d’étendre le périmètre d’IDFM à la gestion des routes structurantes en Ile-de-France, afin d’optimiser l’usage du patrimoine routier francilien existant et de l’articuler avec des solutions d’intermodalités.
Le retour de la vignette… y compris pour les vélos
Autre suggestion importante : la mise en place d’une redevance d’utilisation de la route, quel que soit le mode de transport, y compris pour les vélos et les trottinettes (qui profitent de pistes cyclables réservées et donc d’un effort financier de la collectivité). Seule la marche serait épargnée. Le montant de cette vignette serait adaptée en fonction de chaque mode et reversé au bénéfice des transports publics. « Il vaut mieux avoir une taxe avec une base faible mais avec une assiette large« , estime Gilles Carrez.
« On n’évitera pas un jour une nouvelle taxe. La TICPE est condamnée et la taxe carbone aussi. Il faudra donc trouver d’autres ressources. Il n’est pas illégitime que les utilisateurs de la route soient taxés, comme l’est le train quand il utilise les voies ferrées« , souligne Gilles Savry. « Nous ne proposons pas une taxe écologique mais une taxe d’usage. C’est difficile politiquement mais c’est plus acceptable que de faire des péages urbains avec des ZFE qui conduisent à exclure les populations qui ne peuvent pas payer« . Selon l’ancien député, « cette taxe d’usage de la route doit devenir un outil de la politique de transport ».
Le rapport évoque d’autres recettes possibles, basées par exemple sur la taxation de la valorisation du foncier (lorsqu’un nouveau mode de transport dessert un territoire) ou la taxation des colis. Il recommande aussi de décaler les horaires d’arrivée aux bureaux pour alléger les RER et les métros lorsqu’ils sont saturés le matin et le soir. Et il insiste sur la nécessité de mieux desservir les territoires périphériques oubliés du Grand Paris Express, en recourant à des cars express roulant sur des voies dédiées, avec des rabattements sur des pôles multimodaux.
Reste à savoir ce qu’il adviendra de ce rapport, alors que de nombreuses pistes esquissées relèvent de décisions de l’Etat. Pour Gilles Savary, qui a « bien conscience que les rapports s’accumulent dans les tiroirs ministériels« , certaines solutions seront tôt ou tard « imparables« .
Marie Hélène Poingt








