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Ewa

Le défi social dans les transports publics franciliens

GPRC Conf 2022

La rentrée a été marquée par le manque de conducteurs de bus en Ile-de-France, se traduisant par une diminution de l’offre (en particulier à Paris intra-muros où l’offre était 25 % inférieure à ce qui était attendu par IDFM, l’autorité organisatrice des transports). Les différents acteurs de la mobilité, invités de la table ronde qui s’est tenue juste avant la cérémonie de remise des Grands Prix de la Région Capitale, ont cerné l’origine des tensions et expliqué leurs plans pour y remédier.

Les opérateurs de transport peinent à recruter. « Nous connaissons des difficultés de recrutements inédites », reconnaît Alexandre Guyot, DRH bus et tramways à la RATP. Pour retenir et attirer les meilleurs talents, les différents opérateurs se font concurrence entre eux et subissent celle d’autres secteurs d’activité également en tension en cette période où le taux de chômage s’établit autour de 7 %. En région parisienne, où le coût de la vie est plus élevé qu’ailleurs, la pénurie de main-d’œuvre est exacerbée par les départs vers la Province.

Pour faciliter le recrutement de conducteurs de bus, le gouvernement a publié un décret (n° 2021-542) permettant d’abaisser l’âge minimal de conduite de 21 à 18 ans. Les pouvoirs publics cherchent aussi à renforcer l’apprentissage. Pour autant, la situation reste tendue. La RATP qui évalue ses besoins à 1 500 conducteurs de bus cette année, en avait embauché 820 à fin septembre.

De leur côté, les entreprises d’Optile recherchent 800 conducteurs. Leur président, Youenn Dupuis constate : « Entre 2015 et 2019 l’offre en grande couronne a augmenté de 20 %. Jusqu’alors, nous étions parvenus à relever le défi de cette croissance. Mais la tension s’est accentuée en raison de la hausse du taux d’absentéisme des conducteurs en poste. » Sous sa casquette de président d’Optile, « il y a là un sujet structurel, lié au niveau social de la France. Comparé au même secteur à l’international, on est à des niveaux qui ne se justifient pas par l’exercice de ce métier », insiste Youenn Dupuis. Egalement DGA IDF de Keolis, il pointe un problème et évalue à 3 % l’augmentation de l’absentéisme. La RATP est tout particulièrement touchée par cette vague d’absentéisme. Le renforcement des contrôles menés en interne a permis de relever 500 arrêts frauduleux concernant 230 salariés et a donné lieu à des révocations et des licenciements. Pour faciliter le retour à la normale, la RATP a mis en place une prime de présence. « Depuis octobre et au moins jusqu’à la fin de l’année, les conducteurs assidus toucheront entre 100 à 200 € mensuels », explique le DRH.

Transdev fait aussi la chasse aux arrêts maladie de complaisance. Pierre Talgorn insiste sur la nécessité de mieux concilier vie privée et professionnelle. « Pour garder et attirer des candidats aux postes de conduite, nous devons chercher à concilier les rythmes de vie professionnel et personnel, prendre en compte les trajets domicile travail de nos salariés et travailler avec eux sur les salles de repos et les sanitaires », préconise le directeur régional IDF chez Transdev.

Keolis a également réalisé un sondage auprès de ses conducteurs, dont les résultats ont permis de tordre le cou à certains préjugés. « Nous avions tendance à penser qu’ils voulaient des horaires de bureaux, travailler de jour, ce qui n’est pas toujours le cas. Certains préfèrent travailler le matin, d’autres les soirs ou le week-end. Nous essayons d’en tenir compte », assure Youenn Dupuis.

Renforcer l’attractivité des métiers

Tous cherchent des panoplies de mesures pour rendre les métiers plus attractifs. Chez Transdev, cela passe par l’envoi de candidatures simplifiées et par un système de cooptation incitatif. « Nous versons une prime aux salariés qui parrainent des candidats », détaille Pierre Talgorn. Le dirigeant mise aussi sur la communication pour valoriser et mieux faire connaître le métier de conducteur, y compris sur le terrain. Pour présenter le métier et tenter de susciter de nouvelles vocations, Transdev va à la rencontre des Franciliens, avec un bus pour l’emploi équipé d’un simulateur de conduite. « Sur une demi-journée, nous pouvons recevoir jusqu’à 50 CV », se félicite Pierre Talgorn. « Nous favorisons aussi l’apprentissage et avons plus de 300 postes en formation prévus d’ici la fin de l’année. Tout cela cumulé devrait nous permettre de passer la vague difficile », espère-t-il. 

La situation s’est déjà améliorée. « Nous avons connu une vraie difficulté au sortir de l’été, au moment où des salariés avaient prolongé leurs congés. Les efforts menés par l’entreprise ont permis de rétablir la situation. Nous sommes passés de 250 conducteurs manquants en septembre, à moitié moins, en recourant à l’intérim. Pour assurer le service, chaque matin, nous réorganisons le planning en fonction des absences de dernière minute, en donnant priorité au scolaire et au transport à la demande dans des lieux où l’on est dépendant du service. Et nous effectuons des rotations, pour que ce ne soit pas toujours les mêmes usagers qui soient impactés », détaille-t-il.

La SNCF n’est pas tout à fait logée à la même enseigne. « Nous avons la chance que le métier de conducteur de train soit encore attractif », affirme Sylvie Charles. La directrice de Transilien rappelle que cette profession permet de gagner 32 000 euros annuels, auxquels peuvent s’ajouter 5 000 euros de variable.

Actuellement, il manque encore 50 conducteurs sur les 2 650 employés par Transilien. D’où la suppression de quelques trains. En cause : le Covid qui a fait prendre du retard dans les formations. Or, former un conducteur prend un an…

Pour accélérer le mouvement, la SNCF souhaite réduire le temps de formation à 10 mois. Elle le fait déjà dans quelques écoles. « Dédier les conducteurs à la ligne à laquelle ils seront destinés pour leur premier emploi permettrait de réduire à quatre mois leur formation. Ils auraient ensuite la possibilité d’en changer en recourant à la formation continue », explique Sylvie Charles. Avec le risque, reconnaît la dirigeante, d’une certaine monotonie au fil du temps. « Mais il est possible d’évoluer fortement au sein de la SNCF », rappelle-t-elle.

Nouveaux publics

Pour recruter, les entreprises se tournent vers de nouveaux publics. Elles vont chercher des candidats à la reconversion, militaires, postiers… et proposent de les former au métier de conducteur de bus pour la deuxième partie de leur carrière. En Ile-de-France, des centres d’apprentissage ont été ouverts et, en guise d’incitation, IDF mobilités promet une prime de 2000 € aux personnes qui se formeront.

La féminisation des équipes fait aussi partie des ambitions. « Il faut changer les préjugés. Pour être conducteur, plus besoin de compétences techniques. Le métier a évolué. Quand il y a une panne, pas besoin de savoir faire de la mécanique, il faut connaître les procédures », indique Sylvie Charles.

Transilien a mis en place des partenariats avec les universités, notamment avec celle d’Evry, où des professeurs sont chargés de repérer les étudiants en échec qui pourraient devenir conduire des trains. La faculté prend en charge l’enseignement théorique et la SNCF la partie pratique. Pour que les candidats puissent vérifier s’ils sont faits pour ce métier, la SNCF leur propose un Mooc. La compagnie vérifie aussi leurs capacités d’apprentissage et de raisonnement.

Partenariat à revoir avec les AO

« Ce qui s’est passé à la rentrée dans les transports publics, en raison de la pénurie de conducteurs, est désastreux », commente de son côté François Durovray, le président de l’Essonne. « Il y avait une vraie attente. Beaucoup de Franciliens soucieux de réduire leur impact environnemental, avaient décidé d’abandonner leur voiture. Confrontés aux dysfonctionnements, ils ont renoncé. Il faut en tirer les leçons », estime l’élu, également administrateur d’IDFM. « Pour attirer des talents, il faut revaloriser les métiers de service. Démontrer qu’être conducteur, cela a du sens, que ce sont des acteurs de la transition, utiles aux autres. »

Regrettant que notre pays valorise davantage les professions intellectuelles aux dépens de celles de la main et du cœur, il invite au changement. « Ce qui passe par une meilleure répartition de la valeur entre les différents métiers », affirme François Durovray. Le président de l’Essonne recommande aux opérateurs de transport d’accueillir des collégiens pour leurs stages de 3e, afin de leur faire connaître les métiers et susciter des vocations. Il leur suggère également d’aller piocher des candidats parmi les deux millions de bénéficiaires du RSA. 

« Dans mon département, 37 % des bénéficiaires du RSA ont entre 25 et 35 ans. Il faut leur offrir des perspectives d’emploi. La région doit nous aider à nous adresser à ces personnes et à les former pour les remettre dans un processus positif. » François Durovray considère que la crise francilienne a mis le doigt sur la nécessité de renforcer le partenariat entre AO et opérateurs. « Cette crise arrive alors qu’on était arrivé à la fin d’un cycle. Les opérateurs avaient peu de visibilité sur le plan de charge pour les années à venir. On doit se poser la question de l’avenir, des besoins de mobilité, au-delà de nos mandats électoraux, pour mobiliser les moyens techniques et humains. »

L’impact de la concurrence

Si les opérateurs reconnaissent qu’améliorer les salaires peut contribuer à l’attractivité, Pierre Talgorn, rappelle qu’un chauffeur de bus démarre à 1900 €, sans compter la partie variable. Au-delà des conditions salariales, il faut aussi créer un climat de confiance, comme l’a constaté Transdev après avoir voulu réorganiser le travail, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des bus Optile. « Nous avons été confrontés à la forte sensibilité des conducteurs aux changements. Nous avons réagi et réajusté le temps de travail pour donner des garanties supplémentaires sur les rémunérations et les conditions de travail », rapporte Pierre Talgorn. « Chez Keolis, l’ouverture à la concurrence a permis d’instaurer un dialogue avec les employés et les OS, pour formaliser et cadrer les choses », affirme Youenn Dupuis. « Il y a deux phases dans la mise en place de nouveaux contrats. Une première phase de stabilisation. Le temps de recréer une entreprise ex nihilo, avec des salariés venant de différentes sociétés. Ensuite seulement on peut travailler à l’harmonisation pour gagner en performances. Cela ne doit intervenir que lorsque collectif est créé et que la confiance vis-à-vis de l’équipe de direction est là », prévient-il.

Pour la RATP, l’ouverture à la concurrence du réseau historique de bus de la RATP est prévue à partir du 1er janvier 2025. Le changement concernera 16 000 conducteurs (4 700 bus) 19 000 salariés perdront leur statut et seront transférés vers les entreprises qui auront remporté les lots. « Nous nous y préparons. Le temps de travail est un sujet essentiel et le législateur a décidé de mettre en place des règles spécifiques pour les conducteurs de bus ou d’autocar dont le parcours est majoritairement effectué dans la zone dense urbaine francilienne », explique Alexandre Guyot.

La direction mène des discussions avec les organisations syndicales pour se préparer aux échéances de 2025. « Tout le monde est rétif aux changements. Les faire accepter demande de la proximité et du sens. Il faut répondre aux interrogations légitimes des salariés. C’est pourquoi nous sommes en attente des textes qui permettront d’éclairer les conditions des transferts », souligne le DRH.

Pour anticiper les changements à venir, la RATP a procédé, le 1er août dernier, à la modification de l’organisation de travail des conducteurs de bus de la RATP. « Nous avons enregistré 269 démissions de conducteurs de bus dans les premiers mois de 2022. Le double par rapport à 2019. Mais le turn-over reste limité à 2 %, bien moindre que dans d’autres secteurs », précise Alexandre Guyot, en référence aux affirmations de syndicats sur une envolée du nombre de démissions.

La recrudescence des incivilités peut aussi peser dans la décision des conducteurs de bus à quitter le métier. « Les conducteurs qui avaient été traités en héros durant le Covid se retrouvent à nouveau victimes d’insultes. Ce manque de reconnaissance les affecte et a pu en pousser certains à passer à autre chose », regrette Youenn Dupuis. Keolis forme son personnel aux gestes et postures permettant d’éviter de rentrer en conflit avec les voyageurs et diffuse des messages de prévention.

De son côté, Transilien compte non seulement sur ses agents de sûreté mais aussi sur des techniques d’influences comportementales comme le recours aux Nudges, qui cherchent à inciter les voyageurs à adopter des comportements citoyens.

Plus globalement, François Durovray appelle à une réflexion sur la place à accorder au travail dans notre société. « Il faut en faire un débat politique et citoyen. C’est le meilleur coup de main qu’on pourrait donner pour résoudre les difficultés de recrutement auxquelles les sociétés sont confrontées ». Et l’élu de conclure :  « Pour trouver des solutions à ces tensions, il va falloir qu’on se réinvente. »

Valérie Chrzavzez