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Ewa

Un groupe « pivot »… et la SNCF comme meneur de jeu ? Par Jean-Claude Favin Levêque

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Jean-Claude Favin Levêque apporte son point de vue suite aux Assises du ferroviaire en revenant plus particulièrement sur trois thèmes : l’infrastructure, la notion de dumping social et le choix de la SNCF comme entreprise pivot. Il regrette qu’ils aient focalisé l’attention au détriment de celui qu’il juge primordial : la performance du ferroviaire français.
  Je me réjouis qu’un débat se soit enfin ouvert en France sur le ferroviaire. Le mérite en revient pour partie aux Assises. Je regrette toutefois un manque d’esprit critique vis-à-vis des discours bien léchés des institutionnels. Pour ma démonstration, je prendrai trois thèmes dominant le débat actuel : l’infrastructure, le dumping social et l’entreprise pivot.
L’infrastructure est un sujet dimensionnant pour le ferroviaire. Le consensus s’est fait (enfin !) pour dénoncer une situation bicéphale nuisible. La solution allemande de holding est alors avancée avec un argument massue : l’activité infra a permis à la Deutsche Bahn de faire des gros bénéfices qui ont financé son développement conquérant en Europe. Ce réalisme paraît de bon aloi. Et pourtant, cela ne résiste guère à une analyse un peu plus fine.
Première interrogation, comment peut-on gagner de l’argent en rassemblant une activité SNCF qui ne gagne pas d’argent avec une de RFF qui n’en gagne pas non plus ? Tout le monde affirme que la filière infrastructure est déficitaire dans sa globalité. Difficile de croire que l’économie des mirifiques coûts de transaction va réussir ce miracle. La réalité est autre et le bon résultat allemand relève de l’une ou l’autre (voire les deux) des propositions suivantes :
• Les coûts de production infrastructure de la DB sont inférieurs ;
• La contribution du client final (chargeur ou voyageur) est supérieure.
Deuxième interrogation, comment l’Europe peut-elle accepter une situation qui est contraire à sa politique sur deux points ?
• L’équité concurrentielle, la DB, gérant l’infrastructure, étant à l’évidence avantagée par rapport aux entreprises ferroviaires clientes ;
• la baisse des coûts que l’UE recherche pour améliorer la compétitivité du ferroviaire et permettre son développement.
En d’autres termes, on imagine mal qu’une telle situation perdure. Même si l’UE peut autoriser le modèle juridique de la holding, elle exigera « une muraille de Chine » pour empêcher tout flux financier entre l’infrastructure et les activités commerciales. Donc ce fameux modèle allemand était certainement un bon modèle pour les vingt années passées, parfait pour bien gérer la transition mais certainement pas celui pour le futur.

Deuxième idée simple qui semble faire consensus, la SNCF ne peut pas être concurrentielle si les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde. En l’absence de convention collective, les nouveaux entrants bénéficient d’un avantage compétitif imparable et de plus immoral car reposant sur le dumping social. Ayant posé le problème en ces termes, on en tire facilement la conclusion que la future convention collective ne doit pas être trop éloignée du fameux statut cheminot. Regardons de plus près.
Tout d’abord, quarante pour cent des effectifs du groupe SNCF, agents en filiales et CDI de l’Epic, ne sont pas au statut. Ensuite, le surcoût éventuel des agents de l’infrastructure (circulation et infra) et des gares (exception sur ce point pour un éventuel appel d’offres incluant des gares), soit un peu plus de 60 000 personnes, est supporté de façon identique par les trains de la SNCF et de ses concurrents (tous paient les mêmes péages). Restent environ 90 000 agents aux activités administratives, commerciales ou de production ferroviaire. Pour plusieurs de ces activités, une convention collective n’aura pas d’impact sur le différentiel concurrentiel. Par exemple, la maintenance des nouveaux entrants sera soit réalisée dans leur pays s’il s’agit de compagnies étrangères et le plus probablement sous-traitée (à un industriel, voire une entreprise ferroviaire historique) pour les autres.
Ce fameux dumping social se résume très majoritairement au domaine des roulants, conducteurs et contrôleurs. Affinons. Le surcoût retraite ne pourra pas être effacé. On ne fera pas payer des cheminots qui ne sont pas au statut une surcharge pour la retraite de ceux au statut. Là encore, la convention collective quelle qu’elle soit n’aura aucun effet. Les rémunérations ? Je ne crois pas un instant au dumping social sur ce point. En cas d’écart significatif, il serait tellement facile à la SNCF d’aller débaucher chez ses concurrents des conducteurs, longs et chers à former. Je suis même persuadé que les conducteurs auront une meilleure rémunération chez les concurrents… en roulant davantage.
Voilà le point essentiel d’écart entre la SNCF et ses concurrents mais qui n’a rien à voir avec le dumping social : la productivité des personnels roulants. Il est loin d’expliquer le différentiel de compétitivité de 30 % à 50 % mis en évidence par certains benchmarks. Mais il y contribue. Son origine est connue ; c’est le fameux RH0077, règlement interne à la SNCF, qui fixe l’utilisation des agents et notamment les roulements. Sa rigidité va bien au-delà de simples surcoûts opérationnels car elle pénalise la flexibilité et la réactivité de l’entreprise, éléments difficiles à traduire en chiffres (combien coûte un contrat perdu ?)
La vérité est qu’il faudra adopter une convention collective et abandonner le recrutement des cheminots au statut. Cela est indispensable pour créer un corps professionnel homogène et commun aux entreprises ferroviaires françaises. Cette convention collective doit être dans les standards européens, assez loin du RH0077. Sinon, les entreprises françaises seraient condamnées à une moindre compétitivité et la SNCF à délocaliser toutes ses activités non purement françaises. Mais la SNCF ne peut pas esquiver une réforme interne délicate par la simple formule magique de la mise en place d’une convention collective.

Et le pivot ? Quelle drôle d’idée ! Voilà trois mois que je tourne dans ma tête cet Ovni communicatoire sans en comprendre le sens. Quelle acception du mot ? Le pivot du basket, homme talentueux, par lequel passe une majorité de ballons ? Peu crédible dans un monde concurrentiel d’exiger des autres entreprises ferroviaires qu’elles attendent la bonne distribution d’un Tony Parker SNCF ! Cette pièce mécanique autour de laquelle tournent les autres ? Mais la principale qualité d’un pivot est sa stabilité et son immobilité. Cela est peu porteur pour une entreprise. Plus exactement, cela me paraît être un projet d’administration, laquelle est naturellement persuadée que le monde ne peut aller bien que si elle contrôle toutes les pièces en mouvement. Mais pourquoi donc la SNCF veut-elle se faire institutionnaliser comme pivot alors que personne ne lui conteste son rôle de leader français du ferroviaire. Manque-t-elle à ce point de confiance en elle ? C’est sa place naturelle. Sa mission, car elle a une mission, est d’être le champion qui entraîne derrière elle tous les autres athlètes ferroviaires français. Mais aucun champion n’est désigné par décret. Il gagne sa place. Je suis certain que les cheminots sont prêts à le faire sans se faire traiter de pivot.

Voilà donc trois thèmes majeurs qui sont ressortis des Assises. Méritent-ils le fait d’occuper le devant de la scène ? Au contraire, ils ont focalisé l’attention du microcosme et l’ont détourné du seul sujet qui vaille, la performance du ferroviaire français qui affiche un double handicap tant dans la compétition modale (rail-route) que celle purement ferroviaire. L’esprit administratif dominant a mis l’organisation au premier rang, générant de beaux débats intellectuels. Faut-il construire des lignes nouvelles ou rénover le réseau ? Débat purement théorique. A l’inverse de cette approche technocratique, l’esprit d’entreprise ne s’intéresserait qu’à l’objectif et au résultat à obtenir, certain que la méthode s’imposerait d’elle-même selon le principe de réalité. Bref, il faudrait une vision ferroviaire pour la France et ne pas parler que de l’intendance, définir une stratégie avant de fixer les principes d’exécution.   

Ewa

Gouvernance : la CGT propose « un système où il n’y a plus de RFF » Par Gilbert Garrel, secrétaire général de la CGT Cheminots

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Invité à réagir sur les Assises du ferroviaire, Gilbert Garrel déplore qu’elles n’aient pas fait l’objet d’un véritable débat public et qu’elles n’aient pas exploré toutes les pistes de réflexion, que ce soit pour envisager des solutions répondant aux attentes du pays ou en matière de gouvernance efficace de l’entreprise. Ville, Rail & Transports. Vous aviez manifesté pour réclamer un débat sur le ferroviaire. Les Assises ont-elles répondu à vos attentes ?
Gilbert Garrel. Les Assises ne se sont pas engagées de la bonne manière. On est parti de réflexions libérales, avec pour objectifs la concurrence libre et l’équilibre économique. On a très peu tenu compte de la place que doit tenir le ferroviaire dans le transport national, de la réponse à apporter aux besoins de la population, du rôle du ferroviaire dans la réindustrialisation du territoire. Tout a été pris à l’envers, avec des présidents englués dans une dimension économique et qui n’ont pas pris en compte deux autres critères de développement durable : le social et l’environnemental.

VR&T. Ce débat a largement évoqué l’impact de l’ouverture à la concurrence…
G. G. Avant toute évolution, il aurait fallu faire un retour d’expérience de la directive 91-440 et du premier paquet ferroviaire. Ce qui n’a toujours pas été fait. Cette directive prévoyait le désendettement du système, qui a été effectué en Allemagne, mais pas en France. Or, on s’est vite rendu compte du poids énorme de la dette ! Malgré cette absence de bilan, la concurrence est présentée comme un fait inéluctable. Et pourtant, le fret montre bien que l’ouverture à la concurrence n’a rien réglé, bien au contraire.

VR&T. Les Assises ont donné l’occasion de comparer les expériences entre divers pays européens. Qu’en retenez-vous ?
G. G. Les comparaisons faites avec les systèmes étrangers par certaines personnes dites qualifiées n’étaient absolument pas objectives. En Grande-Bretagne, on a un train pour les riches, avec une hausse de 12,5 % des tarifs en 2011. En Suède ? Le développement ferroviaire n’est pas lié à l’ouverture à la concurrence mais à un engagement fort de l’État, à la taxation des poids lourds, à des investissements énormes pour développer le ferroviaire, à l’attention à l’environnement… Et puis, lors d’un récent colloque organisé par les CCE de la SNCF et de RFF, des syndicalistes suédois nous ont dit qu’aujourd’hui le système conduit à une casse des conditions sociales. Et le pays commence à avoir de sérieux problèmes de sécurité. En Espagne, il y a des trains de banlieue vétustes autour des grandes métropoles, de la grande vitesse pour les riches, les autres prennent le bus, et il n’y a pas de fret. Est-ce cela qu’on veut ?

VR&T. La concurrence est effective en France dans d’autres secteurs. Le chemin de fer doit-il faire exception ?
G. G. Dans les secteurs libéralisés, l’eau, l’aérien, la poste, l’énergie, la santé, la concurrence a peu souvent entraîné des hausses de qualité et rarement des baisses de tarifs. Il y a un point commun : une dégradation des conditions sociales des salariés. Le pays est en droit d’avoir un vrai débat public national, à partir duquel on peut prendre des décisions, tout en restant dans la législation européenne, qui n’oblige en rien à ouvrir à la concurrence.

VR&T. Pourtant, dans le ferroviaire, déjà, l’ouverture à la concurrence s’annonce aussi sur les trains d’équilibre du territoire.
G. G. Et pour ce faire on va subventionner fortement le matériel, la modernisation des lignes ! Ce serait injuste de mobiliser des subventions publiques pour attribuer ces lignes à des privés. Alors que la SNCF a dû se débrouiller avec des subventions très basses, y compris dans la convention TET conclue jusqu’en 2013.
Surtout, dans la question de la concurrence, il y a les conditions sociales. Tout le monde parle de cadre social harmonisé. On ne parle à ce propos que de la réglementation du travail. Mais il y a des clauses statutaires qui sont directement visées, comme le financement du T2, c’est-à-dire la partie de nos cotisations salariales qui sert à financer notre régime spécifique, qu’il est question de supprimer. Je rappelle que ce T2 est entièrement payé par nos cotisations. Il n’a rien à voir avec la compensation versée par l’État pour notre régime de retraite, conformément à une clause européenne, du fait du déséquilibre démographique induit par les efforts de productivité et les réductions d’effectifs que l’État nous impose depuis des années. Le T2 garantit tout ce que nous avons négocié en 2007 : la pénibilité, l’ouverture des droits à la retraite à 55 ans – même si cette possibilité est écornée –, ou le fait que nos retraités sont payés au trimestre à échoir. Or, ce T2, pour les trains régionaux, Guillaume Pepy voudrait le refacturer aux régions, ce qu’elles ne peuvent que refuser. Et ce qui est une façon de conduire à sa suppression, en montrant qu’on ne peut pas le financer.
La dernière tendance, c’est d’embaucher hors statut pour faire mourir le système. Actuellement, dans l’établissement public SNCF, on recrute environ 50 % des cadres hors statut, et 20 % de l’ensemble des cheminots. Normalement, les embauches hors statut, dans l’Epic, devraient se conformer à des normes précises que la SNCF contourne. Et puis, dans le déroulement de carrière, il y a la volonté d’abroger la partie liée à l’ancienneté. Lorsqu’on s’attaque au statut, il faut avoir conscience du fait que c’est un avantage à mesurer à sa juste valeur, avec ce qu’il permet d’indépendance des salariés par rapport aux pouvoirs politiques et aux pouvoirs économiques. Cela a un impact direct sur la sécurité. Quand nous sommes au taquet, on dit stop.

VR&T. Pas les autres salariés d’entreprises ferroviaires privées ?
G. G. Chez ECR, on voit des conducteurs travailler 13-14 heures. Des journées de travail inimaginables, avec 200 km en voiture pour prendre son poste, puis 200 à 300 km sur une locomotive. Avant d’attaquer ce qui est considéré comme la journée de travail, le conducteur a déjà fait cinq-six heures… L’indépendance constitutive du statut permet de fournir un service public de qualité. Dans le système privé, on est loin de cela. Nous avons les expériences de l’aérien, du routier, du maritime. Le chemin de fer se transforme en entrant dans cette jungle. Les franchissements de carré, les défauts d’essais de freins commencent à se généraliser.

VR&T. L’EPSF n’évoque pas une recrudescence du nombre d’incidents depuis
l’arrivée de la concurrence…
G. G. L’EPSF dit surtout qu’il n’a pas les moyens de jouer les gendarmes du rail, pas la possibilité de mesurer. Mais beaucoup de signaux d’alarme s’allument et l’on en tient moins compte qu’avant. On banalise certains incidents de sécurité, tant qu’ils ne provoquent pas d’accidents. Attention à ce qui peut arriver lorsque les salariés sont managés seulement par des critères économiques. Comme dans le ferroviaire, les marges bénéficiaires ne peuvent être que très réduites, lorsque le privé arrive, il joue sur les conditions sociales et la productivité. Cela a un impact sur la sécurité. Lors des Assises, ces questions ont été largement occultées.

VR&T. En ce qui concerne la gouvernance du système, êtes-vous en plein accord avec la direction de la SNCF ?
G. G. On nous dit qu’il y a seulement deux voies possibles. Aller plus loin dans l’éclatement du système. Mais partout où l’on est allé très loin, on a multiplié les interfaces, sans diminuer les coûts, et chacun travaille en fonction de ses impératifs internes. Cela s’est vu à la suite du récent changement de service en France. RFF était obnubilé par les travaux à moindre coût, la SNCF par le fait de faire passer ses trains. Chacun a tiré dans son sens !
Et puis il y a la holding à l’allemande, comme le demande Guillaume Pepy. Mais attention, la SNCF est allée très loin dans la séparation par activités. Cela entraîne des conflits dans la SNCF et un vrai gaspillage de moyens humains et matériels. La proposition CGT, c’est qu’il faut un intégrateur, avec la possibilité d’utiliser les moyens pour rendre l’ensemble cohérent. Un exemple : actuellement, sur Bordeaux, il y a 10 conducteurs de trop au Fret, qu’on ne peut pas utiliser ailleurs, alors qu’il en manque 20 pour Voyages et TER. C’est une aberration complète alors que les conducteurs sont capables de conduire tous les trains.
De plus, séparer la roue du rail, dans un système aussi rigide que le ferroviaire, cela n’est pas bon. Y a-t-il d’ailleurs un autre système guidé où l’on sépare l’infrastructure et l’exploitation ? Les ascenseurs, le tram ? Il n’y en a pas. Comment organiser les travaux dans le ferroviaire sans convergence d’intérêts ? Et la sécurité c’est toute une chaîne : maintenance de la voie, du matériel. L’efficacité de tout le système passe par la coopération. En Suisse, tout le monde est autour de la table. On ne peut fonctionner que comme ça, du fait de la rigidité du ferroviaire. Chacun est assujetti à la qualité du travail que fait l’autre. Aussi faut-il une entreprise intégrée, avec des entités, mais une direction qui garantisse la coordination de l’ensemble des services. Ce serait notre troisième voie.

VR&T. Une telle voie peut-elle être eurocompatible ?
G. G. Cela suppose trois conditions. Que l’on renforce les pouvoirs de l’État à travers la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) qui serait chargée du développement du réseau, de la fixation du prix des sillons… L’Araf, comme il y a des opérateurs privés, doit être en capacité de vérifier que les critères d’attribution des moyens soient respectés. Et puis, il faut renforcer l’EPSF. Qu’elle devienne un vrai gendarme du rail, capable d’aller plus loin qu’une simple vérification du fait que les normes sont connues et appliquées. Tout ceci permettait un développement fort du rail, conforme aux orientations du Grenelle. Et, dans ce système, il n’y a plus de RFF.

VR&T. Comment financer le ferroviaire de demain ?
G. G. Nicolas Baverez dit qu’il manque 1,5 milliard par an, et il veut baisser les coûts. Il recommande les gains de productivité, la sous-traitance, la mise en concurrence d’entreprises de travaux, l’attaque du statut des cheminots, du T2, du déroulement des carrières… Or, la dette qui pèse tant sur le système devrait en fait être dans le budget de l’État. La dette ferroviaire, c’est 32 milliards et donc 1 milliard d’intérêts par an pour RFF. Si on la requalifie en dette de l’État, ce sera à un taux beaucoup plus bas, ceux que l’on fait aux banques, à 1 % au lieu de 5 %. Actuellement pour faire face, on limite les travaux, on augmente les tarifs. On ne cherche pas des recettes nouvelles.
Les régions paient de plus en plus. Pourquoi ne peuvent-elles pas bénéficier du Versement transport ? Je propose de plus de créer les conditions d’une épargne populaire, avec une sorte de Livret A dédié au financement de l’infrastructure. Et puis il faut stopper les injustices. Pour les routes, qui paie ? On évoque maintenant la taxe poids lourds pour 2013… Elle est toujours reportée en fonction du poids de ce lobby. La privatisation des autoroutes ? C’est deux milliards de bénéfices en 2011 et cela va augmenter tous les ans. Or elles pouvaient avec une part de leurs bénéfices financer les infrastructures de transport alternatives à la route. Il y a des moyens. Et puis, nous sommes dans un système où, quand un centre commercial ou un parc de loisirs s’installe, l’État se charge d’amener les clients, les employés. Il faut qu’il y ait une contribution de ceux à qui le transport profite. On ne responsabilise pas les entreprises sur ce point.

VR&T. Depuis le 16 juin 2011, date de votre manifestation, les choses n’auraient pas avancé ?
G. G. Nathalie Kosciusko-Morizet nous avait dit alors : « Je vous ai entendus, il va y avoir un débat public. » Il n’a jamais eu lieu, car les Assises n’ont pas été un débat public. Il n’y a pas 10 % de cheminots qui savent qu’il y a eu des Assises ferroviaires. Et l’on n’a retenu que ce que l’on voulait retenir. Face à cela, nous avons créé sur le territoire nos états généraux, pas seulement entre cheminots. Sur la pertinence du service public, le rôle de l’État, la problématique posée par le fait d’avoir des voies pour tout le monde dans un système hyperrigide. Tout cela mérite un débat d’une autre nature. La prochaine étape de nos états généraux, c’est l’invitation lancée aux politiques lors d’un meeting le 4 avril à Paris. Nous voulons en particulier faire s’exprimer les députés européens. Car il y a des élus qui, écharpe en bandoulière, manifestent aux côtés des cheminots pour garder un guichet, ou leur ligne, et qui, dans le même temps, prennent à Strasbourg des décisions qui vont complètement dans un sens contraire, celui de l’éclatement du système, de l’ouverture à la concurrence, des seuls critères de rentabilité… Nicolas Baverez évoque la fermeture de 11 200 km de ligne, soit plus de 30 % du réseau, si les régions ne financent pas les déficits. On remplacerait les trains par des bus. Mais, sur certaines lignes, il y a du fret et des TER. Si on met des bus pour remplacer les TER, il n’y a plus de partage possible du coût de la ligne, et cela renchérit le coût du fret. Les choses sont complètement liées. On ne peut prendre les trains un par un. Il est important que le débat sur l’ensemble de ces questions ait lieu.

Propos recueillis par François Dumont et Pascal Grassart

Ewa

Le gouvernement installe son gendarme de la qualité dans les transports

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Un site a été lancé le 20 février pour donner aux voyageurs de multiples informations relatives aux trajets en train, en avion ou en car. Une autorité chargée de suivre l’évolution de la qualité de service dans les transports doit aussi contribuer à faire pression sur les opérateurs. Réagissant après plusieurs retards médiatisés d’avions et de trains, Nicolas Sarkozy l’avait réclamée lors de l’inauguration du TGV Rhin-Rhône en septembre. C’est chose faite. Nathalie Kosciusko-Morizet a installé le 16 février l’Autorité de la qualité de service dans les transports au sein du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l’Ecologie. Présidée par Eric Raoult, député de la Seine-Saint-Denis et maire (UMP) du Raincy, elle comprend 37 membres, parlementaires et représentants des collectivités publiques, opérateurs de transport, associations de consommateurs et personnalités qualifiées. Sa mission est d’inciter les opérateurs à améliorer leurs services en publiant des indicateurs fiables, notamment sur leur ponctualité. Des indicateurs recensés en partie depuis le 20 février dans un nouveau site, qualitetransports.gouv.fr.
Côté ferroviaire, c’est la SNCF qui devrait fournir les chiffres sur la ponctualité des trains après concertation avec RFF. En cas de désaccord (car leurs statistiques ne sont pas toujours concordantes), la Direction des circulations ferroviaires devrait avoir le dernier mot.
Ce site fournira aussi des explications sur les droits des voyageurs et les démarches à accomplir pour les faire valoir. Des réponses aux questions qui se posent le plus fréquemment sont en ligne, et des formulaires de réclamation ou d’inscription à des services accessibles. Par exemple, une personne handicapée pourra directement s’inscrire, via ce site, au service Accès plus de la SNCF. Des liens permettront d’être réorienté vers les sites des opérateurs ou d’administrations de l’Etat. Il sera enfin possible aux internautes de faire part de leurs avis. Ceux-ci seront transmis à la nouvelle autorité, qui sera aussi une force de propositions.
Dans un premier temps, seuls 120 liaisons aériennes et 100 trajets grandes lignes sont concernés. D’ici la fin de l’année, seront ajoutés les TER, les transports urbains des agglomérations de plus de 500 000 habitants et les cars interurbains. « Jamais un tel exercice dédié au service des passagers n’avait atteint une telle dimension en Europe », s’est félicité NKM. Et la ministre de l’Ecologie d’ajouter : « C’est également pour les pouvoirs publics un moyen d’exercer une pression amicale sur les opérateurs de transport pour qu’ils améliorent la fiabilité de leur service. Eux-mêmes sont demandeurs pour montrer que beaucoup de trains et d’avions arrivent aussi à l’heure. »
Pour l’association d’usagers Avuc, qui affirme avoir reçu près de 1 200 doléances à la suite des changements horaires des trains en décembre, dont « seules quelques dizaines ont été réglées », l’annonce de cette autorité « relève de la démagogie ». Dans un communiqué publié jeudi 16 février, elle assure que « la situation n’a cessé de se dégrader » et que « ni la SNCF ni RFF ni le gouvernement ni les régions n’ont été capables de régler les problèmes ». Selon des statistiques du ministère des Transports, 25 millions de bagages ont été égarés dans les aéroports en 2010, les TGV ont cumulé en décembre dernier 1 108 heures de retard et de leur côté les avions, 1 245 heures. Chaque année, en France, plus de 1 100 millions de voyageurs prennent le train et plus de 120 millions l’avion.

Marie-Hélène POINGT

Ewa

Dominique Bussereau : « J’espère qu’on ne va pas revenir à la SNCF de papa »

Dominique Bussereau

Entretien avec l’ex-ministre des Transports, président du conseil général de la Charente-Maritime

Dominique Bussereau n’a pas de doute : il faut aller jusqu’au bout de la séparation RFF/SNCF et donner à Réseau ferré de France les moyens de devenir pleinement gestionnaire d’infrastructure. Il reste grand défenseur du projet de Snit qui trouve aujourd’hui plutôt des détracteurs. Très attentif à la qualité de service, l’ancien ministre décerne la mention « peut mieux faire » à la SNCF. Enfin, Dominique Busserau souhaite que le consensus entre les grandes forces démocratiques en matière de transport ne soit pas mis à mal par le débat électoral. Ville, Rail & Transports. Un débat a focalisé l’attention lors des Assises du ferroviaire, celui sur la gouvernance du système. Quelle est votre position ?
Dominique Bussereau. Je suis fondamentalement hostile à une réunification SNCF-RFF. Une reconstitution de la situation du passé est d’ailleurs complètement impossible par rapport aux directives européennes. Quant à la holding à l’allemande tant vantée par certains, c’est une situation qui est considérée par l’Europe comme ne pouvant durer. Je ne suis donc ni pour un retour en arrière, ni pour une copie du modèle allemand, qui serait aussi une forme de retour en arrière.
Il faut au contraire aller jusqu’au bout, que RFF gère et entretienne les infrastructures dont il est le propriétaire, soit en direct, en intégrant les agents de SNCF Infra, soit en faisant appel à d’autres prestataires, comme RFF le fait déjà dans des marchés de rénovation.

VR&T.?Et comment fonctionner ensuite ?
D. B.?Il faudra aller plus loin. Nous avons adopté des positions intermédiaires, sur Gares & Connexions, sur la Direction des circulations ferroviaires, mais après cette période de transition, il faudra sortir des ambiguïtés. Je suis favorable à une séparation entre l’opérateur historique et le gestionnaire d’infrastructure poussée à son terme, de telle façon que les choses soient claires pour tout le monde.

VR&T.?Gares & Connexions joue pourtant bien le jeu…
D. B.?C’est vrai, on l’a vu avec Thello. Mais, tout récemment, j’ai pris à la gare Montparnasse un train pour La Rochelle. On pouvait lire des messages sur des panneaux qui annonçaient qu’il y avait du retard du fait du déraillement d’un train d’une entreprise ferroviaire qui n’était pas la SNCF… J’ai demandé à Guillaume Pepy : « Si c’était un train de la SNCF, le dirait-on ? » De plus, dans le TGV, au-delà de Gares & Connexions, les contrôleurs attribuaient ce retard, sur instruction d’ailleurs, au « déraillement d’un train d’une entreprise ferroviaire privée ». C’était exact, mais ce n’était pas très fair-play, Guillaume Pepy me l’a d’ailleurs concédé. Cela partait à la limite d’un bon sentiment, pour bien expliquer les choses, mais ces messages étaient « limites » !

VR&T. Un accord vient d’être trouvé sur les péages, quelle est sa portée ?
D. B.?J’ai toujours poussé cet accord pour une vision à long terme des péages, entre la SNCF et RFF, et je crois que c’est un bon accord. Et, sur l’offre TGV, je suis content que Guillaume Pepy ait annoncé des achats de matériel. Car la méthode qui consiste à prolonger les TGV, ou à transformer les Corail en Téoz, puis les Téoz en Intercités, c’est un peu comme si on faisait monter les passagers d’Air France, sur un vol Paris – Nice, dans une Caravelle ou un Mercure dont on aurait changé les sièges et repeint la carlingue. On voit bien que dans l’attrait du TER, il y a ce qui vient du matériel, d’un confort différent qu’offrent des trains modernes et confortables, dans lesquels les clients sont fiers de voyager.
Pour en revenir aux péages, je n’arrive pas à comprendre qu’il n’y ait que leur augmentation qui ait entraîné la moins forte progression de SNCF Voyages. Je ne voudrais pas qu’on revienne au bon vieux temps d’une entreprise subventionnée, qui ne gagnerait de l’argent que sur l’Ile-de-France parce que c’est le Stif qui paye, ou sur le TER parce ce que ce sont les régions qui payent. Je ne voudrais pas que l’on se désintéresse du TGV.

VR&T. Comment faire pour que les TGV attirent plus de monde encore ?
D. B.?La SNCF a su être imaginative, créer des TGV province – province, des Dijon – Nice, des Strasbourg – Montpellier. A part cela, je trouve que l’offre commerciale est assez décalée par rapport à l’évolution de la société. Je reviens du Canada, où j’ai pris un vieux train diesel qui n’a plus d’âge, qui circule sur voie unique, entre Québec et Montréal, et dont la vitesse commerciale n’est pas supérieure à 80 ou 90 km/h. Mais il y a un vrai service à bord, et une Wifi parfaite sur les trois heures de trajet. La SNCF n’a pas assez développé des produits pour prendre le TGV plus attractif.
Je pense aussi à l’accueil Grands Voyageurs. Par rapport à ce que fait l’aérien, le ferroviaire a beaucoup de retard. J’utilise chaque semaine le salon Grands Voyageurs de Paris-Montparnasse… c’est assez terrifiant ! Il est fermé le week-end : les compagnies aériennes ferment-elles leurs salons ? Puis, le seul contact qu’on a avec les agents chargés de l’accueil, c’est de leur montrer sa carte pour prouver qu’on a le droit d’être là, cela rappelle le lycée quand il fallait montrer sa carte au surveillant… La SNCF a amélioré ses gares, a fait dans la signalétique des progrès de grande qualité. Mais les produits annexes autour du TGV n’ont pas été développés. La progression de la clientèle pourrait être plus importante qu’elle ne l’est.

VR&T. Vous avez préparé la convention des Trains d’équilibre du territoire, qui a été signée par Thierry Mariani. Qu’en attendez-vous ?
D. B.?Primo, je pense que l’avenir, ce sont des automoteurs qui peuvent se coupler et permettre des accélérations plus rapides. Cela permettra d’ailleurs d’avoir des gammes de matériel dans la continuité du TER. Les futurs matériels régionaux d’Alstom ou de Bombardier doivent être capables, dans une version intervilles, d’apporter un confort que les voyageurs aujourd’hui n’ont pas. Les premiers Corail sont entrés en service en 1975…
Deuxio, je suis favorable à l’entrée d’opérateurs autres que la SNCF dans le TET. Car, autant la SNCF a été imaginative, comme je le disais, en inventant pour le TGV des nouvelles relations, autant, avec les TET, on est resté sur le Chaix de 1946… On fait des Caen – Tours, alors qu’on a une forte demande entre la Normandie, l’Aquitaine et la côte basque. En Allemagne, Veolia a créé des trains qui assurent des dessertes de la Baltique en partant des grandes villes de l’ex-Allemagne de l’Est, propose des Leipzig – Kiel sans arrêt à Berlin. L’opérateur a su faire venir une nouvelle clientèle en créant des liaisons nouvelles sur lesquelles il n’y a pas de concurrence aérienne. On pourrait être plus imaginatif. Mais cela implique de disposer de matériels différents, capables d’utiliser des lignes à grande vitesse, sur certains parcours, à 220 km/h. Le TET, on a repeint la façade, mais l’on a rien changé au commercial. C’est pourquoi j’avais souhaité une convention de trois ans. Pour que l’on puisse dans ce laps de temps se poser la question de l’ouverture à la concurrence de ces liaisons.

VR&T. La concurrence des TET annoncée lors des Assises était donc inscrite en creux dans la convention ?
D. B.?C’était « en creux » de ne pas se marier avec la SNCF trop longtemps, et de dire à la SNCF : est ce que vous allez nous proposer du nouveau matériel ? Je sais bien qu’il faut faire travailler les ateliers de Saintes, dans ma région, ou de Périgueux, mais il y a un moment où on ne pourra plus bricoler les Corail. Il faudra de plus se poser la question du service, car le TET, ce n’est pas que du cabotage, ce sont aussi des longs parcours fait par des gens qui n’ont pas d’autre solution de transport. Ceci suppose de leur apporter un minimum de service. Or le TET aujourd’hui, c’est, je dirais par définition, l’absence de service.

VR&T. On est sorti des Assises avec le sentiment que le schéma national des infrastructures de transport mis au point par Jean-Louis Borloo et vous allait être entièrement réexaminé. Qu’en pensez-vous ?
D. B.?Contrairement à mon ami Hervé Mariton, je ne pense pas qu’il y ait des choses folles dans le Snit. Pour Tours – Bordeaux, le financement de la partie publique est assuré par des collectivités de prolongement : par les collectivités du Limousin, qui ont l’espoir de Poitiers – Limoges, ou par des collectivités de Midi-Pyrénées. Il y a un engagement moral vis-à-vis de ceux qui financent une ligne qui leur permettra, ensuite, d’avoir des relations de bout en bout. Toulouse, qui est la quatrième ville de France, qui a un aéroport enclavé, de plus en plus demandé par Airbus pour ses vols d’essais, et qui offre donc de moins en moins de créneaux pour les passagers, doit être à trois heures de Paris et bénéficier de toutes les connexions. C’est évident. Les relations avec l’Espagne, il faudra les faire. Ou alors on rompt les relations politiques et économiques ! Nîmes – Montpellier, c’est aussi une demande forte de l’Espagne. La desserte de Nice, c’est compliqué, c’est très cher, mais on devra le faire. Nice est le deuxième aéroport français, si on veut du report modal, il faudra aller à Nice.
Le projet de doublement de la LGV Sud-Est par l’Ouest me semble obligatoire aussi. J’en avais eu l’idée, que j’avais proposée à Jean-Louis Borloo et à Brice Hortefeux, en leur disant : on ne fera jamais un TGV Paris – Clermont, mais puisqu’il faudra doubler Paris – Lyon à terme, faisons une ligne qui mette la gare d’Austerlitz dans le réseau de la grande vitesse et qui règle le problème de tout le Massif central en reliant ensuite Lyon. Rien ne me semble fou dans le Snit.

VR&T. Cela veut-il dire qu’il faut selon vous faire tout le Snit ?
D. B. Le seul projet que je considère comme devant être revu, c’est le doublement par Amiens de la ligne conduisant au tunnel sous la Manche. Il faut profiter de la ligne nouvelle normande vers Caen, Rouen et Le Havre, qui pourra être ensuite prolongée jusqu’au tunnel, ce qui fait que cette ligne ne sera pas en cul-de-sac.

VR&T. Et tout faire très vite ?
D. B. Naturellement non. Il faudra trouver des financements. Il y aura des délais. Mais Toulouse, c’est une urgence. Cela dit, on peut faire des économies dans la réalisation des projets. Sur Tours – Bordeaux, on aurait pu faire un milliard d’économie si les maires d’alors n’avaient pas fait pression pour que les TGV desservent les centres-villes. La question a été intelligemment réglée à Reims ou à Besançon, avec des gares nouvelles qui ne sont pas trop éloignées de la ville et reliées par fer. Ce qui coûte cher, ce sont les raccordements au réseau classique pour desservir les centres-villes.
Mais c’est aujourd’hui une réalité historique économique qu’un pays comme la France, qui a des difficultés, réalise à la fois la LGV jusqu’à Strasbourg, Le Mans – Rennes, Nîmes – Montpellier et Tours – Bordeaux. Et puis, cela dynamise ; une LGV, comme un tramway dans une ville, cela amène les responsables à repenser l’aménagement du territoire.
Nous parlons des LGV ; mais il y a un autre projet très important, qui est le canal Seine – Nord. Il faut absolument le faire car, du fait – hélas !  – des problèmes de fret ferroviaire, il faut du fret fluvial en France. De toute façon il se fera. Nicolas Sarkozy y tient et, en cas d’alternance, du fait de l’implication des régions Picardie et Nord-Pas-de-Calais dans ce projet, il se fera aussi.

VR&T. Comment se présente à ce propos le débat de la présidentielle sur les transports ?
D. B. J’ai lu ce que dit Roland Ries, officieusement pour l’instant, des positions de François Hollande sur la gouvernance du ferroviaire, dont nous parlions pour commencer. Je vous l’ai dit, je ne pense pas du tout, contrairement à lui, qu’il faille réunifier l’infrastructure autour de la SNCF. Je vois bien les gens qui poussent dans cette direction. J’espère que les positions des candidats à la présidentielle seront équilibrées et modernes, et qu’on ne va pas revenir à la SNCF de papa. Ce point nous divise. De même, on peut avoir des sensibilités différentes sur la privatisation des aéroports. Pour le reste, la politique des transports en France est assez heureusement consensuelle.
Si François Hollande était élu, vu le poids de Jean-Marc Ayrault, je ne vois pas un gouvernement socialiste renoncer à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je ne le vois pas non plus renoncer à l’écotaxe pour les poids lourds en 2013. Je rappelle que la loi Grenelle a été votée à l’unanimité. Après, la politique a repris le dessus. Mais les transports, dans l’ensemble, sont un sujet assez consensuel. Au Gart, il n’y a pas de coupure droite-gauche sur les transports urbains. D’ailleurs, je n’ai pas de différents fondamentaux avec des conseillers qui travaillent pour le candidat Hollande, comme Pascal Auzannet, ou, dans le cadre de Terra Nova, Philippe Segrétain, qui sont des personnes que je connais bien et que j’apprécie.

VR&T. Vous-même, travaillez-vous pour le candidat Sarkozy ?
D. B. Je ferai ce qu’on me demandera de faire. Je crois que, sur les sujets de transports, il est important de conserver le consensus entre les grandes forces démocratiques qui peuvent diriger le pays. Nous avons assez d’occasions de nous disputer sur d’autres sujets !
    

Propos recueillis par François DUMONT

Ewa

Pour une nouvelle ambition publique ferroviaire par Gérard Lahellec, vice-président du conseil régional de Bretagne

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Le vice-président du conseil régional de Bretagne, en charge de la mobilité et des transports, livre son analyse des Assises du ferroviaire qui viennent de se conclure. Outre le fait que « c’est plutôt la lutte fratricide entre SNCF et RFF qui a attiré l’attention de tous », il regrette qu’on n’ait pas pensé davantage à associer les régions quand il s’est agi d’imaginer une nouvelle gouvernance pour le système ferroviaire français. • Des assises pour quoi faire ?
Les Assises du ferroviaire se sont terminées le 15 décembre 2011 avec un bilan contrasté. Pourtant, le système ferroviaire français a besoin de réformes profondes pour sortir de l’impasse actuelle, qu’elle soit financière ou organisationnelle, mais aussi pour répondre aux enjeux de mobilité d’aujourd’hui et de demain. C’est vital pour les citoyens et les territoires. La France a besoin de réinterroger son modèle ferroviaire pour le mettre en phase avec ses propres ambitions publiques.
Les quatre commissions des Assises (Europe et Concurrence, Gouvernance, Economie, Filière industrielle) ont travaillé et émis des propositions. Parmi celles reprises par le gouvernement, citons l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence pour les TET (trains Corail) et les TER en 2014, la maîtrise de la dette par la mise en sommeil des nouveaux projets d’infrastructures (Snit) pour rechercher de nouvelles méthodes d’évaluation des projets, une nouvelle étape de décentralisation avec des compétences renforcées des régions, et enfin un besoin de regroupement de tous les métiers en lien avec l’infrastructure, pour en finir avec les imbrications multiples ingouvernables.

• Ne pas confondre dette et investissements utiles !
On notera au passage que le gel des projets d’infrastructures nouvelles (Snit) au nom de la dite maîtrise de la dette constitue une illustration de la confusion entretenue entre endettement et réalisation de projets utiles aux populations, car, en réalité, avec des investissements nouveaux, bien maîtrisés par une vraie politique publique, ce ne sont pas des dettes que l’on transfère aux générations futures mais un capital utile pour les décennies à venir. Il est donc urgent aussi de reconsidérer cette question.
A ce stade, on notera aussi le silence sur la gestion de la dette (rien ne change, elle reste en l’état dans le système ferroviaire) et l’absence de propositions pour abonder le système avec de nouvelles sources de financement (versement transport régional, taxes nouvelles…). S’agissant de la dette, le ministère de l’Economie n’accepte pas une réintégration au sein des comptes publics de l’Etat. On paie aujourd’hui l’hypocrisie d’hier sans jamais assainir les finances du ferroviaire, condition pourtant indispensable pour mettre en œuvre des perspectives de développement.

• Des thématiques absentes du débat
Alors que l’on pouvait penser que les débats allaient se cristalliser sur l’ouverture à la concurrence, c’est plutôt la lutte fratricide entre SNCF et RFF qui a attiré l’attention de tous. La SNCF défendant un modèle complètement intégré avec un pilote unique, RFF préconisant plutôt une séparation forte entre le gestionnaire d’infrastructure et le transporteur. L’Etat a renvoyé tout le monde à ses chères études, en demandant des travaux complémentaires pour rechercher une 3e voie avec comme critères essentiels énoncés : haut niveau de sécurité, compatibilité européenne, capacité des pouvoirs publics à intervenir, gagner des marchés à l’export, tenir compte de la particularité des personnels cheminots.

• Ne pas céder aux tentations libérales !
Dans ce panorama composite et encore incertain, la tendance naturelle des tenants du libéralisme est de rechercher des alternatives du côté des options créant l’illusion de recettes nouvelles pouvant parvenir du marché et de la mise en concurrence. Mais parmi les hypothèses à explorer, il faudrait d’abord permettre aux régions d’apporter leur vision pourtant si précieuse des nouveaux enjeux de mobilité et permettant de replacer le ferroviaire, avec les autres modes de transports collectifs, au centre du jeu.
Avant le débat sur le choix des solutions techniques (organisationnelles ou financières) à mettre en place et à partir de son expérience, la Bretagne souhaite qu’il soit tenu compte des principes fondateurs auxquels elle croit fondamentalement pour poser les bases de la refondation du système ferroviaire. Région périphérique, caractérisée par une réalité économique peu captive et sa péninsularité, la Bretagne est très attachée à un modèle ferroviaire fiable, sécure et unitaire ; elle est également attachée à l’exemplarité sociale et au respect du statut des cheminots ; mais, à la lumière de son expérience, elle est en droit d’exprimer dès réserves dès lors que l’on évoque le pilotage de tout l’ensemble ferroviaire par dévolution à un seul acteur ; elle est encore plus hostile, quand certains expliquent les vertus d’une séparation totale, ouverte à la concurrence, sans pilote identifié, chargé de gérer l’ensemble. Les raisons de ces réserves sont illustrées par certaines situations vécues ; on peut ainsi constater, d’une part, ce qu’il est advenu de l’abandon de toute ambition en matière de fret ferroviaire et, d’autre part, ce qu’il en est de la difficulté récurrente à mettre en œuvre les politiques de dessertes et de respect des horaires découlant de l’incapacité du gestionnaire des infrastructures de garantir les conditions de réalisation de travaux.

• Quand la tentation libérale génère une gouvernance aberrante et impossible !
On ne dénombre plus la multiplicité des structures de gouvernance rendant opaques et injustes les décisions en matière de stratégie de développement du ferroviaire. Réseau ferré de France (RFF), qui assure la maîtrise d’ouvrage de la réalisation et de la maintenance des infrastructures en mettant de plus en plus à contribution les finances des collectivités, et singulièrement des régions, fixe, en accord avec l’Etat, les tarifications des « sillons ». Mais la méthode utilisée consiste à facturer plus cher les infrastructures modernisées et financées par ces mêmes collectivités ; or ce sont aussi ces mêmes collectivités qui compensent le financement des TER ! Au fond, donc, plus les collectivités financent la modernisation des infrastructures et plus elles paient cher l’usage qui en est fait en matière de service public, sans que jamais leur avis soit sollicité !
Côté régulation et transport proprement dit, c’est une nouvelle instance (Araf) qui est réputée fixer les contours de ce qui est juste et déontologique en matière ferroviaire, mais les grandes absentes de celle-ci sont les instances publiques qui assurent une part non négligeable des financements.
Côté transporteur SNCF, de nouvelles instances se mettent en place, telle que Gares & Connexions, direction aux contours comparables à une filiale qui rémunère le capital qu’elle consacre à ses investissements à hauteur de 9 % !
Cette institution, qui assure très partiellement le financement de la modernisation des gares, ne parvient à rémunérer le capital investi à hauteur de 9 % qu’en imposant des tarifs d’usage du passage des trains et des voyageurs en gare à des tarifs élevés ; une fois encore, après que les collectivités ont participé au cofinancement de la modernisation des gares, ces dernières sont appelées à payer plus cher les prestations découlant des dessertes qu’elles mettent en place et qu’elles financent ! Les collectivités paient donc deux fois : une fois en investissements et une autre fois à l’usage !
Côté fret ferroviaire, la gouvernance de la stratégie est, de fait, sous la dépendance du groupe Geodis, ce qui aboutit naturellement à un positionnement stratégique de captation de marché plutôt qu’à une stratégie de développement des territoires ! La démonstration est donc faite que cet émiettement des gouvernances, aux connotations libérales, est générateur de gaspillages et d’inefficacités.

• La vraie question politique est celle de l’ambition publique !
La vraie question est celle de l’ambition publique et de la maîtrise par la puissance publique du système ferroviaire. Ce système ferroviaire auquel les Français sont très attachés appartient à la nation, et les élus doivent pouvoir rendre des comptes aux citoyens sur la nature et la qualité du service qui est proposé. N’est-il pas temps d’arrêter le processus d’émiettement des activités consistant à filialiser et à morceler toute une série d’activités ? Autorité de régulation du ferroviaire, Gares & Connexions, Fret SNCF… ces seuls exemples suffisent pour démontrer que le pilotage de l’ensemble ne peut pas être délégué à un tiers ; il doit être organisé par l’Etat et les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les régions. C’est la seule garantie pour que les intérêts collectifs soient préservés et que l’accès à la mobilité ferroviaire pour chaque citoyen ne soit pas soumis aux aléas des simples logiques de marchés des opérateurs quels qu’ils soient. Toutefois, le système a besoin d’unicité et de cohérence en matière de travaux, de sécurité et de fiabilité et de tarifications. Aujourd’hui, RFF, qui porte la dette de près de 30 milliards, emploie environ 1 500 salariés. Par ailleurs, ce sont près de 5 500 cheminot(e)s qui assurent les prestations de programmation des travaux, de gestion, d’organisation et d’élaboration des horaires. Pour des raisons d’efficacité et de sécurité, l’ensemble de ces missions doivent être assurées dans un cadre unique et cohérent. Ce qui semble le plus aisé et le plus efficace serait de verser l’ensemble de ces missions au sein d’un service unique de la SNCF ; mais ceci ne règle pas la question de la gouvernance ni la question de la dette ! Avec l’embarras encombrant que génère la dette et le refus de s’y attaquer, la tentation est grande de suggérer de verser l’ensemble de ces missions au sein de RFF. Mais dans les deux cas la question de fond posée est bien de savoir si oui ou non il y a lieu de mettre en place une gouvernance publique, assumant de part en part l’ensemble des décisions et dispositions organisationnelles s’y rapportant et cela est possible en respectant l’unicité du statut social des cheminot(e)s.

• Un choix de vérité et d’efficacité
Cette volonté affichée de pilotage par la puissance publique n’est pas synonyme de dérive financière ; elle s’inscrit dans un principe de réalité économique pour agir en responsabilité, y compris sur la maîtrise de la dette. Alors que le gouvernement ne gère la dette que par la réduction des dépenses, nous pensons qu’il faut agir simultanément sur les dépenses et les ressources. Si on veut redonner toutes ses chances au développement du ferroviaire en réponse aux attentes des populations, il faudra bien affronter le traitement de la dette historique pour apurer le système.

• Pour une ambition publique nationale et décentralisatrice
Redonner la prédominance de la gouvernance aux acteurs publics se conjugue aussi avec le rapprochement des lieux de décision au plus près des territoires. Les solutions à mettre en œuvre en Alsace ne sont pas nécessairement les mêmes que celles convenant à la Bretagne. Notre modèle centralisé est à ajuster, ce n’est plus à Paris que toutes les décisions doivent se prendre. Les exemples sont nombreux pour démontrer l’inefficacité de ce modèle, que ce soit à SNCF Proximités, qui filtre toutes les initiatives des directions déléguées TER, ou à RFF, qui dispose de peu d’autonomie en région et renvoie à sa structure centrale la plupart des prises de décisions. Pour de nombreux sujets, c’est à la région, autorité organisatrice du transport régional, en concertation avec les collectivités locales, de traiter directement avec SNCF et RFF pour décider du bien fondé des actions à mettre en place localement. Si besoin, la Bretagne est prête à expérimenter une nouvelle forme d’organisation qui donnerait sens à cette ambition publique permettant de proposer un service ferroviaire de qualité, moderne et adapté aux besoins de tous et de tous les territoires.
Mais cette nouvelle phase d’une décentralisation ferroviaire appelle aussi une grande ambition publique nationale pour que l’Etat et les régions assument pleinement leurs responsabilités en matière de gestion de la dette, de fixation des tarifs d’usage des infrastructures, de missions de dessertes du territoire et de stratégie de développement du ferroviaire.    

Ewa

Paris et RFF veulent reconquérir la petite ceinture ferroviaire

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Après des années de tergiversations sur l’utilisation à faire de la ligne de la petite ceinture, inutilisée depuis 77 ans, la mairie de Paris et RFF pourraient bientôt tomber d’accord, a révélé le Journal du Dimanche du 13 novembre. Après des années de tergiversations sur l’utilisation à faire de la ligne de la petite ceinture, inutilisée depuis 77 ans, la mairie de Paris et RFF pourraient bientôt tomber d’accord, a révélé le Journal du Dimanche du 13 novembre. Ils ont commandé une étude prospective à l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) que le JDD a pu consulter pour constater que « des ébauches de projets y figurent qui, s’ils restent à valider, ont les faveurs de RFF et de la ville ». Paris et RFF avaient signé en 2006 une convention stipulant que la ligne pouvait accueillir des « aménagements réversibles », principalement des promenades, mais devait garder sa « vocation ferroviaire ». Aujourd’hui, sur 32 km de voies ferrées, 2 km sont utilisées par les RER C à l’ouest, et une petite section au nord sert au retournement des locomotives des gares du Nord et de l’Est. Pour le reste, l’étude de l’Apur suggère de créer une promenade pérenne sur la portion sud, du pont du Garigliano à la porte d’Italie, ou encore de faire circuler un tramway sur le tronçon est, entre la gare Evangile et la porte Dorée. La ligne passerait par les Buttes-Chaumont et le Père-Lachaise. Selon le JDD, RFF serait même disposé à céder certaines sections à la ville et souhaiterait « annoncer une position commune avec la mairie » au premier trimestre 2012, année échéance de la convention. De leur côté, les élus écologistes vont déposer un vœu au Conseil de Paris afin d’obtenir l’organisation d’un débat public.   

 C. N.
 

Ewa

Le débat sur le ferroviaire : l’heure des choix

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Le 15 décembre va se tenir la dernière séance plénière des Assises du ferroviaire.? Les quatre commissions (concurrence et Europe, gouvernance, finance, industrie) vont remettre leurs recommandations au gouvernement. Dernières pièces versées au dossier dans nos colonnes : Pierre Cardo, président de l’Araf, se prononce en faveur d’un RFF chargé du pilotage, de la coordination et de la planification. Alain Quinet, DGD de RFF, explore, en pragmatique, quelques pistes permettant de résorber en dix ans le trou annuel du système ferroviaire. Louis Nègre, président de la Fédération des industries ferroviaires montre comment la filière veut s’organiser, de façon indépendante de la SNCF Entretien avec Pierre Cardo, président de l’Araf
« J’ai envie d’une SNCF qui gagne, mais est-il normal qu’on multiplie ses fonctions ? »

Pierre Cardo plaide en faveur d’une réorganisation de RFF et d’une SNCF qui puisse se concentrer sur son cœur de métier. Et refuse une holding à l’allemande qui n’est pas conforme au droit européen et comporte des risques de discrimination.

Ville, Rail & Transports. Vous avez été auditionné, dans le cadre des Assises du ferroviaire, par la commission de la gouvernance et par la commission chargée de l’Europe et de la concurrence. Quel message est le vôtre ?
Pierre Cardo. Il n’y a pas de système parfait. Le système issu de la réforme de 1997 est au milieu du gué et on ne peut pas en rester là. Il faut progresser par étapes. Une première étape pourrait être de regrouper les fonctions de planification, de pilotage et de coordination. Et cela ne peut être que le fruit d’une réorganisation profonde du rôle du gestionnaire d’infrastructure. Le système de la holding à l’allemande tel que certains le préconisent n’est pas satisfaisant. Il n’est pas conforme au droit européen, et il comporte des risques de discrimination, quand bien même il disposerait d’un régulateur puissant. D’ailleurs, la DB a été récemment condamnée pour discrimination par des tribunaux allemands. N’oublions pas non plus que ce n’est pas le système de holding qui a fait le succès en Allemagne, c’est tout un ensemble, qui passe entre autres par la refonte du volet social et le règlement de la dette.
Au-delà de la gouvernance, il faut définir les périmètres. Est-il normal qu’il y ait des infrastructures ou des prestations de services, dues à tout le monde, qui soient attribuées ou rendues par un opérateur qui peut être tenté de se favoriser ? En Allemagne, pour ne pas dépendre de la DB, certains nouveaux entrants ont dû investir dans des ateliers, compte tenu des difficultés rencontrées pour accéder ou bénéficier d’une qualité de service satisfaisante pour la maintenance de leur matériel. Mais tous ont-ils les moyens nécessaires pour de tels investissements ?

VR&T. Vos réflexions vont à l’encontre de ce que souhaite la SNCF, qui compte sur une position d’opérateur pivot pour conforter sa position de champion national.
P. C. Moi aussi j’ai envie d’une SNCF qui gagne ! Mais si on veut que l’opérateur historique, non seulement ne subisse pas la concurrence mais en bénéficie, est-il normal qu’on multiplie les fonctions qu’il doit assurer ? Aujourd’hui, on lui demande de faire de la gestion déléguée d’infrastructure et d’accomplir des missions pour les autres. Ne vaut-il pas mieux lui donner les moyens de se concentrer sur son cœur de métier, avec les plus grandes chances de réussite en France comme à l’étranger ?

VR&T. L’Araf a un an d’existence depuis le 1er décembre. Où en est la montée en puissance de l’Autorité ?
P. C. Les contentieux commencent à s’accumuler. Nous avons réglé deux différends, un troisième est en cours d’instruction, deux autres devraient nous arriver dans peu de temps. Nous avons aussi en cours trois procédures de sanction. Ce sont des procédures moins codifiées que les règlements de différends, plus souples, laissant davantage de temps à l’investigation, portant sur des manquements plus globaux que les différends et qui, comme leur nom l’indique, peuvent donner lieu à des sanctions. Les thèmes évoqués portent principalement sur le rôle de l’opérateur historique comme gestionnaire des infrastructures de services de fret et sur la qualité des sillons alloués. Tout cela montre que nous sommes utiles. Nous avons envie de jouer notre rôle, de clarifier les règles qui s’imposent aux acteurs, par exemple en rendant le document de référence du réseau plus lisible. Dans le cadre des Assises, on nous suggère de faire, à l’image des Britanniques, un « code du réseau » fixant les relations contractuelles entre acteurs. Cela permettrait d’être en amont des problèmes. Pourquoi pas, mais encore faut-il avoir les moyens de le faire. Or l’Etat, par la loi de finances, a plafonné nos ressources. Elles ne dépendent pourtant pas du budget de l’Etat. Nous disposons de 3,7 ‰ des péages versés à RFF pour fonctionner, part que nous avons fixée en bas de la fourchette qu’on nous proposait. Cela nous assure aujourd’hui 11 millions d’euros, et voici que, sans concertation, on nous plafonne à cette somme. Nous sommes, de plus, sous la menace d’un plafonnement d’emplois, alors que nous sommes en période de montée en charge, pour un effectif prévu de 60 personnes. Veut-on avoir un régulateur qui favorise les usagers, protège les acteurs, optimise l’utilisation du mode ferroviaire ? L’autonomie, cela passe aussi par les moyens financiers. Je ne suis satisfait ni dans le fond ni dans la forme. J’ai toujours été extrêmement rigoureux dans ma façon d’utiliser les fonds publics.
  

Propos recueillis par F.?D.

 

Entretien avec Alain Quinet, directeur général délégué de RFF
« On peut réduire l’impasse financière du système en dix ans »

Quelle trajectoire prendre pour trouver un équilibre économique ? Alain Quinet propose une réforme des modes d’organisation permettant d’améliorer la productivité du système comme la disponibilité commerciale du réseau.

Ville, Rail & Transports. On évalue l'impasse du système ferroviaire à environ 1,5 milliard d’euros par an. Tout le monde est d’accord : à ce rythme, on va dans le mur. Mais comment résorber l’impasse ?
Alain Quinet. La situation financière du réseau ferré est en effet préoccupante. Il faut dans un même temps se garder de postures radicales et parfois caricaturales. On peut toujours demander que l’Etat reprenne les problèmes à sa charge en augmentant les concours publics ou à l’inverse souhaiter une purge des coûts et un gel des projets. Si l’on s’en tient à ces postures de principe, il est difficile d’avancer, parce qu’aucune de ces solutions radicales n’est viable, et on reste au bout du compte avec son milliard et demi d’impasse sur les bras.
Ce qui me semble utile, c'est de voir de quelle façon on peut réduire dans la durée une impasse qui spontanément ne va pas se réduire. La première question, c’est celle de l’horizon et de la trajectoire qu’on se donne pour trouver un équilibre économique. Un des atouts du secteur ferroviaire, c'est qu'il peut s'inscrire dans un temps relativement long. C’est un atout, car il faut du temps pour réformer les modes d’organisation. Si on commence maintenant en se donnant un horizon de dix ans, cela veut dire, chaque année, franchir une marche de 150 millions d’euros. C’est à la portée du système, car les leviers de performance sont d'autant plus nombreux que l’horizon s’allonge. Si on raisonne sur un horizon trop court, on reste essentiellement dans une logique de transferts financiers entre l’Etat, RFF et SNCF, avec à chaque fois un gagnant et un perdant potentiel. On ne sort pas du débat sur le niveau des péages ou des concours publics. Si on raisonne sur un temps plus long, on peut mobiliser d’autres leviers de performance, qui améliorent le bien commun.

VR&T. A quoi pensez-vous ?
A. Q. De manière pragmatique on peut actionner trois leviers : celui de la productivité de l'ensemble du système, celui de l'augmentation de la disponibilité commerciale du réseau pour faciliter l’augmentation des trafics et celui des financements multimodaux.

VR&T. Mais ne sont-ils pas déjà actionnés ? On a l’impression d’entendre un air connu…
A. Q. Ont-ils tous été explicités ? Je n'en suis pas certain, et c’est un des intérêts des Assises du Ferroviaire que de les mettre en évidence. Quand on parle de productivité, on pense généralement aux effectifs. Mais le champ de la productivité, est beaucoup plus large. La productivité du capital, par exemple, est un enjeu très important : on peut davantage mécaniser l'entretien, souvent effectué avec un matériel vieillissant ; on peut davantage massifier les travaux de rénovation. Il y a aussi la productivité des trains, leur taille et leur taux de remplissage. Pour le fret par exemple, la longueur moyenne des trains est de 550 mètres et le réseau est historiquement conçu pour supporter des trains allant jusqu’à 750 mètres. A la demande de la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, nous nous sommes engagés à adapter l’infrastructure de certains axes pour permettre la circulation dès 2012 de trains de 850 mètres et, à terme, de 1 50 mètres.
Autre dimension de la productivité, celle du réseau. Notre réseau reste globalement sous-utilisé, même si les trafics sont denses dans certaines zones. Or, chaque pour-cent de trafic en plus, est une opportunité de péages supplémentaires et d’étalement des coûts fixes. C’est la responsabilité de RFF de mieux organiser la répartition des capacités entre circulations et maintenance ; ranger les travaux dans des fenêtres prédéterminées, mettre ces fenêtres la nuit lorsque les trafics de jour sont denses, ce qui permet de sécuriser et d'affermir les sillons. Le cadencement des horaires permet de mieux organiser les correspondances, de développer une logique de hub, et d’augmenter les capacités de trafic sur le réseau. Nous pouvons aussi avoir recours à « la domestication des trains », ce qui permet d'augmenter les trafics et la productivité du réseau, quitte à ne pas faire rouler chaque train à sa vitesse maximale. Regardez l'évolution des trafics entre Paris et Versailles. En 1922, quelques trains bolides ne mettaient que 23 minutes, sans arrêts. Aujourd'hui, les trains mettent en moyenne 31 minutes. Mais nous avons un trafic quatre fois plus dense et des arrêts intermédiaires en gare plus nombreux. Comme le trafic est plus dense les coûts de l’infrastructure sont répartis entre plus de trains, et donc le coût par train plus faible.
Vous le voyez, quand on allonge l'horizon, on dispose d’un « bouquet » de solutions plus large ; on ouvre des perspectives nouvelles. Pour mettre en œuvre ce bouquet, naturellement il faut une bonne gouvernance, que chacun soit responsabilisé sur ses choix et dispose d’un bon éclairage économique.

VR&T. Tout ceci vaut pour le réseau existant, mais comment faire pour assurer aussi la réalisation des meilleurs projets ?
A. Q. Il y a des possibilités, dans les années qui viennent, de redéploiement des concours publics en faveur de la modernisation du réseau existant, priorité affirmée par le nouveau projet de Snit. Après la mise en service à l’horizon 2017 des quatre lignes nouvelles déjà programmées, il y a une opportunité pour le faire. Selon nos calculs, la rentabilité financière d’une rénovation supplémentaire bien faite est en moyenne de 6 %, et sa rentabilité socio-économique d'environ 9 %. Le bilan carbone est également positif. C’est à comparer à chaque fois avec la pertinence d’un projet de ligne nouvelle. Là aussi, il faut se méfier des solutions trop radicales. Il est normal et sain d'avoir des projets. Je serais inquiet de voir une société simplement tournée vers l’apurement de sa dette.
Mais il y a deux aspects à considérer : pourquoi y a-t-il une pression pour la réalisation de nouveaux projets ? Et comment gère-t-on leur abondance ? La pression peut venir de bonnes raisons : parce qu'il y a une inégalité territoriale par rapport à la grande vitesse ou parce qu'il y a des zones saturées, comme l'Ile-de-France.
Mais il y a aussi de moins bonnes raisons. Par exemple lorsque la pollution n’est pas correctement tarifée. La mise en service de l’écotaxe poids lourd me semble de ce point de vue intéressante, de même qu’une extension de la fiscalité carbone. Dans les zones saturées, il faut aussi, comme nous le dit l’Araf, avoir une bonne tarification de congestion avant de penser à de nouveaux projets. Si on ne tarife pas bien la congestion ou la pollution, on aura beau construire en permanence des capacités supplémentaires, on va alimenter le problème autant qu’on va le résoudre.
Une fois qu’on a fait émerger les bons projets, on a deux modes de gestion de la rareté des fonds publics. L’un se fait par file d’attente. On attend en quelque sorte que les bons projets trouvent leur tour de table et qu’ils se mettent ainsi en bon ordre dans la file d’attente. Ce n’est pas totalement irrationnel, mais ce n’est pas totalement satisfaisant. Tout le monde tourne depuis longtemps autour d’une idée assez simple : il faut améliorer la gouvernance des projets sans dessaisir le politique, en donnant plus de poids dans la décision aux évaluations de la rentabilité collective de chaque projet.
De ce point de vue, le modèle du nouveau Commissariat général à l’investissement mis en place pour gérer le fonds du Grand emprunt pour les investissements d’avenir me parait un exemple intéressant. On a une vraie gouvernance, un mandat pour hiérarchiser les projets sur la base d’une enveloppe qui est prédéfinie et sécurisée. On pourrait s’inspirer de ce modèle dans le domaine des infrastructures en s’appuyant sur deux principes : une visibilité financière pluriannuelle à 5 ou 10 ans, un mandat donné à une institution, qui pourrait être par exemple l’Afitf, de hiérarchiser les projets sur la base d’une évaluation, débattue de manière ouverte, de la rentabilité socio-économique et financière des projets.

VR&T Vous parlez d’une vraie rentabilité socio-économique. Vous la jugez aujourd’hui mal évaluée ?
A. Q. Il faut faire évoluer les méthodes d’évaluation. Jusqu’à présent, ce qui fait la rentabilité socio-économique d’un projet c’est essentiellement le gain de temps. On regarde la minute gagnée entre le point A et le point B. Cela permet d’évaluer assez bien les gains de trafic et les parts de marché que le fer peut gagner sur l’aérien ou sur la route. Mais ce n’est qu’une partie de l’impact d’un projet sur la vie du réseau et le bien-être des usagers. Il faut tirer d’emblée les premières leçons de la mise en service de la LGV Rhin-Rhône pour le service annuel 2012. Elle n’offre pas simplement un gain de temps sur le tronçon concerné, mais de proche en proche elle a un effet significatif sur le graphique de circulation. Il faut donc avoir une approche globale et se demander quel effet peut avoir un nouveau projet sur l’ensemble du graphique de circulations, sur la robustesse des horaires, les correspondances, l’occupation des gares, etc. C’est ce qu’on fait pour les nouveaux projets comme Tours – Bordeaux ou Bretagne – Pays de la Loire. C’est d’autant plus important que beaucoup des nouveaux trains circulant sur ces futures lignes arriveront en zones très denses.
En résumé il faut davantage penser global, penser « réseau » que de manière isolée projet par projet, car la grande force du fer par rapport à l’avion notamment, c’est l’effet réseau entre les trains, entre les TGV, les TET, les TER. Penser réseau c’est se donner les moyens d’améliorer la qualité de service et l’équilibre économique du système.

VR&T. La SNCF est, on le sait, très hostile à une « dé-intégration » du système ferroviaire, au nom notamment de coûts importants engendrés. Qu’en pensez-vous ?
A. Q. Il y a certes un coût lié à la dispersion de la gestion d’infrastructure entre plusieurs acteurs, mais je pense qu’il est difficile d’en faire un chiffrage convaincant. Ce que je crois de manière plus fondamentale, c’est que dans un système où la gestion d’infrastructure est dispersée entre plusieurs institutions, on ne peut pas mettre en place les bonnes incitations. Dans un réseau « normal », le régulateur fixe des objectifs de performance au gestionnaire de réseau : performance financière, avec par exemple une cible de productivité, et performance en termes de qualité de service et de régularité (ce qu’on appelle en anglais le performance regime). C’est ce que l’on voit dans l’électricité ou les télécoms. Mais le système ferroviaire français ne fonctionne pas de cette manière. L’Araf pousse à une meilleure performance du système, mais le système n’est pas organisé aujourd’hui pour que l’Autorité puisse lui fixer des objectifs de performance.
Même si l’on unifie le gestionnaire de réseau, il faudra de toute façon faire vivre le système ferroviaire avec plusieurs acteurs : les AOT, la SNCF, les autres entreprises ferroviaires, le gestionnaire de réseau mais aussi les ports, les OFP… Le système doit être organisé pour vivre avec un nombre important d’acteurs et de parties prenantes. Il faut organiser ces relations sur la base d’une logique de droits et de responsabilités, en misant sur la transparence et la clarté des responsabilités de chacun.     
    

Propos recueillis par F. D.

 

Entretien avec Louis Nègre, vice-président du comité stratégique de la filière ferroviaire et président de la FIF
« Le pilotage effectif de la filière est d’abord l’affaire des industriels »

Louis Nègre se dit confiant quant aux travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière. Ils devraient déboucher sur la constitution d’une filière industrielle ferroviaire organisée. A l’image de celles dont disposent l’Allemagne, la Chine ou le Japon.

VR&T. Les états généraux de l’industrie avaient clairement fait apparaître dans le secteur ferroviaire, comme dans la plupart des autres secteurs industriels, l’absence d’une véritable filière organisée et solidaire. Quel bilan tirez-vous des travaux et actions mis en œuvre depuis l’été 2010 ?
Louis Nègre. Vous avez raison d’évoquer le rôle salutaire, voire même « salvateur » des états généraux de l’industrie (EGI). Cette initiative majeure, lancée sur proposition du président de la République, a permis de prendre conscience que notre pays, contrairement à des pays aussi différents que l’Allemagne, la Chine, le Japon ou encore la Corée, manquait cruellement de véritables filières industrielles, et qu’en l’absence d’un travail collectif en profondeur, nos industries allaient continuer à perdre à la fois des marchés et des emplois. Cela a conduit les partenaires du secteur ferroviaire – j’y inclus les syndicats de salariés, particulièrement constructifs dans les groupes de travail –  à s’organiser, autour de la FIF, dans le cadre du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire, afin d’œuvrer à la mise en place d’une véritable filière dans notre pays.
Un premier rapport d’étape vient d’être remis par le comité de pilotage de la filière industrielle ferroviaire, que je préside, à l’ensemble des membres du comité stratégique, le 9 novembre dernier, avec en perspective, je l’espère, une validation par l’ensemble des partenaires à la fois de l’analyse de la situation actuelle et des pistes d’action proposées. Ceci débouchera sur l’élaboration du rapport définitif prévu pour mars 2012.

VR&T. Quelles sont les premières pistes évoquées dans ce rapport d’étape ?
Louis Nègre. Vous comprendrez bien qu’il m’est difficile d’être explicite aussi longtemps que ce rapport d’étape n’aura pas été validé dans le cadre d’une réunion officielle du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire.
Je puis néanmoins d’ores et déjà vous préciser que ce premier rapport vise à analyser les prérequis pour la constitution d’une filière industrielle ferroviaire organisée et pérenne et, également, à effectuer un certain nombre de préconisations à la fois vers les pouvoirs publics et vers les partenaires du dossier, afin de créer véritablement cette filière en la rendant solidaire et efficace.
Ces préconisations concernent cinq domaines prioritaires : la stratégie globale de la filière, le renforcement de la cohésion et de la solidarité au sein de la filière, la mobilisation des supports de la filière à l’international, le renforcement de l’efficacité économique des processus d’innovation et, enfin, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein de la filière, son image, son attractivité pour les jeunes diplômés aussi bien que pour les cadres expérimentés.
Des pistes prometteuses se dégagent déjà au sein des groupes de travail, avec pour objectif de renforcer les moyens d’action de la filière et surtout de les rationaliser. J’y associe bien sûr les procédures publiques d’aide à l’innovation « stratégique » ou encore à l’international. Une autre préoccupation majeure qui apparaît à travers certaines préconisations est d’assurer des relations contractuelles plus harmonieuses et plus équilibrées au sein de l’ensemble de la filière, ainsi qu’un autre mode de coopération entre les acteurs.
J’espère, quoi qu’il en soit, avoir prochainement l’occasion de détailler ces pistes et ces préconisations à l’issue de la prochaine réunion du comité stratégique de filière qui devra se prononcer sur ce rapport d’étape.

VR&T. Quelle est votre réaction à la suite des déclarations de Guillaume Pepy se proposant d’être le pilote de la filière industrielle ferroviaire ?
Louis Nègre. Je crois que la SNCF, grand client de la filière industrielle ferroviaire, est un partenaire indispensable et majeur. Son rôle de grand client peut s’exercer de façon déterminante à travers des décisions d’investissements qui restent à prendre sur la grande vitesse, et également en matière de prescription des matériels destinés aux régions. Quant au fret, il n’est pas interdit d’espérer… Pour ce qui concerne le pilotage effectif de la filière industrielle ferroviaire, ceci est d’abord l’affaire des industriels eux-mêmes, qui sont directement confrontés à la concurrence mondiale sur des marchés de plus en plus concurrentiels.
Je suis pleinement confiant quant aux perspectives offertes par les travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière ferroviaire auxquels est associée la SNCF. Le gouvernement, par l’intermédiaire du ministre de l’Industrie, m’a confié en août 2010 cette mission, que j’entends remplir jusqu’au bout.
Je m’emploierai pleinement pour que ces travaux, en liaison étroite avec ceux menés dans le cadre des assises du ferroviaire et en concertation permanente avec l’ensemble des partenaires du secteur, en particulier les grands décideurs, débouchent sur la constitution d’une véritable filière industrielle ferroviaire, organisée et pérenne.

VR&T. Parallèlement à la mise en place du comité stratégique de filière, nous avons vu se succéder un certain nombre de démarches publiques autour de l’avenir de la filière. Après la commission d’enquête parlementaire « Bocquet-Paternotte » sur l’avenir de la filière industrielle lancée en janvier dernier, il y a eu le rapport du Boston Consulting Group commandé conjointement par Bercy et par le MEEDDM, puis, depuis septembre dernier, la mise en place d’un groupe « filière » dans le cadre des Assises nationales sur le ferroviaire. Tout cela n’est-il pas redondant ?
Louis Nègre. S’il est vrai que cette accumulation de « travaux publics » autour d’un même sujet qui est celui de la compétitivité et de l’avenir de la filière industrielle ferroviaire peut donner un certain sentiment de redondance, il n’en reste pas moins tout aussi vrai que cela montre bien que les pouvoirs publics ont pris conscience, depuis la mise en œuvre des états généraux de l’industrie, de l’importance stratégique de cette filière.
Je ne puis donc que m’en réjouir, a fortiori dans un contexte économique et financier planétaire aussi drastique, pour ne pas dire dramatique, qui pourrait, selon certains, remettre en cause les objectifs du Grenelle de l’environnement.
De mon point de vue, non seulement le mode ferroviaire à un grand avenir devant lui, mais encore la filière industrielle française dispose d’un potentiel, et bientôt, je l’espère, disposera d’une organisation qui lui permettra d’être au rendez-vous de l’avenir.    

 

Ewa

Coûts de transaction, coûts de production, capture… Comment remettre sur les rails le système ferroviaire français ?

Yves Crozet

Pour Yves Crozet, économiste, administrateur de RFF, l’idée de créer en France une holding à l’allemande est une fausse piste. Contre le rêve de reconstitution de l’opérateur historique, il invite le groupe SNCF à poursuivre sa mue pour mieux affronter la concurrence.

Par Yves Crozet, professeur à l’Université de Lyon (IEP) et directeur du Laboratoire d’économie des transports (LET) Avec les Assises, l’heure est en France à l’introspection ferroviaire. Car le système ferroviaire français n’est pas en bonne santé. Sa productivité, sa compétitivité mais aussi sa qualité et ses coûts sont interpellés. Cela d’autant plus que nous sommes en période de crise des finances publiques et que le ferroviaire est gourmand en subventions de tous ordres. Cette question des subventions est importante car elle est une caractéristique du secteur. Il n’y a pas en Europe d’activité ferroviaire qui puisse vivre sans subvention. Même dans les cas rares où l’exploitation réussit à couvrir ses coûts par les recettes, il est le plus souvent nécessaire de subventionner l’infrastructure, parfois largement. C’est le cas en France du réseau LGV, qui ne peut se développer sans financement public de l’infrastructure, ou des trains de fret, qui paient un péage très éloigné du coût complet.
Or, de façon surprenante, au lieu de se concentrer sur la question des coûts de production, le débat actuel se polarise sur la question organisationnelle. La faible efficience du système ferroviaire ne proviendrait-elle pas de la réforme de 1997, qui a conduit à séparer le gestionnaire d’infrastructure (GI) de l’entreprise ferroviaire (EF) ? Il est devenu courant de pointer du doigt les coûts de transaction qui ont résulté de cette séparation. N’assiste-t-on pas à certains doublons de part et d’autre de la frontière entre les deux Epic ? Et de façon plus générale, n’y a-t-il pas une perte d’information et de compétence avec la dé-intégration des entreprises ferroviaires historiques ?
Ces questions interrogent directement les principes de la déréglementation du secteur instaurée par les directives européennes depuis 20 ans. Plus précisément, elles interpellent sur la façon dont nous les avons mises en œuvre en France, en refusant le « modèle » anglais de l’éclatement de l’opérateur historique, mais en nous éloignant aussi du « modèle » allemand de dé-intégration à l’intérieur d’une seule holding ferroviaire publique.
Pour éclairer les débats sur l’organisation institutionnelle nous souhaitons souligner ici qu’une holding ferroviaire « à la française » ne résoudrait que marginalement les coûts de transaction tout en ne posant pas la question de fond sur les coûts de production. De ce fait, il est nécessaire d’envisager un autre scénario pour éviter de se laisser séduire par des sirènes dont le chant exprime essentiellement la nostalgie du monopole.

Dé-intégration et coûts de transaction

Les Allemands ne sont pas les seuls à avoir choisi la dé-intégration à l’intérieur d’une même société mère publique. Les Italiens et les Espagnols ont fait de même et c’est aussi le cas en Belgique et en Suisse. Parmi les pays qui ont choisi la mise en place d’un GI totalement séparé de l’EF, nous avons la Suède ou les Pays-Bas. Mais dans ces pays le GI est un GI à part entière, il n’y a pas de Gestionnaire d’infrastructure délégué (GID) comme l’est la SNCF. Le duo SNCF-RFF est donc un système hybride, boiteux diront les plus critiques, où une claire séparation institutionnelle se double d’un maintien de la tâche concrète de GID dans les mains de l’EF. Ne devrait-on pas sortir de cette ambiguïté et répartir plus clairement les missions ?
Une « claire séparation institutionnelle » se définit d’abord par rapport aux critiques qui s’adressent au système actuel. Elles tournent largement autour d’un déficit de clarté : est-ce le GI ou le GID qui est responsable de la difficulté à satisfaire la demande de sillon, de manquer de réactivité pour gérer les conséquences d’un accident et des réparations qui s’ensuivent, de mal programmer les travaux de rénovation en regard des impératifs de la circulation des trains, etc. ? Au cas par cas, on peut désigner le « vrai » responsable ou identifier la force majeure qui a provoqué le mal mais, d’une manière générale, la perception largement partagée est celle d’un système relativement opaque qui responsabilise mal les acteurs.
A ce stade de la réflexion, la première question qui se pose n’est donc pas celle de la holding, mais celle de l’achèvement de la réforme de 1997. On pourrait ainsi envisager un transfert dans le giron de RFF des entités que sont la direction des circulations ferroviaires (DCF), SNCF Infrastructures et Gares & connexions. En toute logique c’est cette option qui serait en ligne avec les directives européennes et l’orientation des choix de 1997. Mais cela ressemblerait à un démantèlement d’une SNCF déjà durement marquée par le dramatique recul du fret ferroviaire. Transférer à RFF près de la moitié des effectifs de la SNCF pose donc des questions sociales mais aussi industrielles et commerciales. L’existence d’une filière industrielle ferroviaire est sans doute mieux assurée si, par exemple à l’exportation, les firmes françaises ont un savoir-faire qui combine exploitation des trains et gestion de l’infrastructure.
C’est pourquoi la solution de la holding séduit. On ferait les mêmes rapprochements que ci-dessus, mais dans le cadre d’une seule société mère, qui pourrait éventuellement changer de nom. Nous aurions alors, comme en Allemagne une société mère que nous appellerons « Rail France », laquelle serait la holding d’autres entités qui auraient pour nom « Rail Infrastructures », « Circulations ferroviaires », « TER », « Grandes lignes », Gares et connexions, Fret, etc. Ces entités seraient indépendantes du point de vue comptable et même plus que cela, elles seraient des filiales de la société mère. Mais notons que cela ne supprime pas les coûts de transaction. Ainsi l’entité « Circulation ferroviaire » étant en contact avec les concurrents de l’opérateur historique, il faudrait, comme en Allemagne, créer autour de cette entité une « muraille de Chine » dont l’étanchéité serait régulièrement auditée. L’attribution des sillons et le choix du niveau des péages devraient en tout état de cause relever d’une entité indépendante, qui ressemblerait furieusement à ce qu’est RFF aujourd’hui. Bref, les coûts de transaction existent pour la simple raison que nous ne sommes plus à l’époque des monopoles ferroviaires intégrés. Même si l’avantage de la holding est de donner à la société mère le maximum d’informations nécessaires pour assurer la sécurité d’ensemble du système, l’interopérabilité, la cohérence des choix technologiques, la ré-intégration ne réglerait pas, loin s’en faut, le problème clé, celui des coûts de production.

Ré-intégration et coûts de production

La « solution » de la holding, spécialement en France, pose de nombreuses questions liées au fonctionnement passé et présent du système ferroviaire. Pour le comprendre, plaçons-nous d’abord du point de vue de Bruxelles.
Il est évident qu’une holding « à la française » serait vue comme la reconstitution du monopole de l’opérateur historique dans un pays où la concurrence n’a été instaurée (non sans mal) que pour le Fret(1).  Or le monopole, outre son caractère euro-incompatible, a montré ses limites. Ce dont souffre le système ferroviaire français aujourd’hui n’est pas tant d’une coordination imparfaite entre RFF et SNCF que de ce que l’on appelle pudiquement l’inflation ferroviaire, fruit d’une progression beaucoup trop faible de la productivité tant du côté de l’infrastructure que de l’exploitation des trains. La conséquence est que le coût pour les finances publiques est très élevé. En Allemagne ou en Suisse, les coûts sont aussi élevés, mais la spécificité française est que chez nous les subventions progressent alors même que le nombre de trains qui circulent ne cesse de diminuer malgré les succès du TGV et, localement, du TER. Le principal problème que nous devons aborder est donc celui de notre incapacité à faire du ferroviaire une activité à productivité croissante et donc à coûts de production décroissants.

Or il est maintenant connaissance commune que le ferroviaire géré « à la française » n’est pas capable d’atteindre un tel objectif.
– On l’a vu dans le fret où la réponse à l’arrivée des concurrents s’est traduite par un repli sur des objectifs de trafic qui se réduisent comme peau de chagrin, alors que des subventions substantielles ont été versées.
– On l’a vu pour les TER où les dotations publiques ont progressé plus que les trafics !
– On l’a vu pour les trains d’équilibre du territoire où la négociation a conduit à la mise en place d’une nouvelle subvention.
– On le voit dans la maintenance et le renouvellement de l’infrastructure où sévit une inflation ferroviaire très supérieure à la hausse des indices de prix de référence.
– On le voit même pour le TGV où la question du niveau des péages, qui est en elle-même légitime, devrait conduire à s’interroger sur les gains de productivité potentiels de cette activité. Les demandes de subvention pour l’exploitation de certains TGV se profilent à l’horizon !

Ces exemples sont significatifs d’une logique d’économie administrée et non d’une logique d’entreprise. Notons bien que SNCF et RFF ne sont pas les seuls à vivre des subventions et à en demander toujours plus. Une grande partie de ces demandes résulte des stratégies d’autres acteurs du système ferroviaire qui s’inscrivent encore plus explicitement dans une logique d’économie administrée. Cette dernière se caractérise par le réflexe d’une demande de subvention dès lors que le financement est problématique. Ainsi, les syndicats mais aussi les clients, les élus régionaux et nationaux, qu’il s’agisse des TER ou des projets de TGV, ne sont d’accord que sur une chose : l’Etat doit payer ! Quand un problème se pose, il faut accroître les subventions !
C’est essentiellement pour cela qu’une holding à la française serait une mauvaise solution. On éviterait (peut-être) quelques coûts de transaction, mais on renforcerait ce qui fait la caractéristique principale du ferroviaire français : la capture de la tutelle publique par les autres acteurs du système qui arrivent à convaincre que leurs intérêts particuliers relèvent de l’intérêt général.

Le problème clé : la capture de la tutelle publique

Le principal problème de gouvernance du ferroviaire français ne réside pas dans la coupure entre RFF et la SNCF, il se trouve dans l’incapacité de la puissance publique à imposer des objectifs raisonnables au système. Car tous les autres acteurs poussent dans le sens contraire.
Qu’on en juge :
– le projet de Snit et ses dizaines de milliards de projets de lignes TGV est-il quelque chose de raisonnable ? Alors même que les finances publiques sont dans la situation que l’on sait ! Chacun convient que cela n’est pas possible, mais personne ne veut abandonner son propre projet : un exemple typique de jeu d’acteurs qui pousse la puissance publique à faire des promesses inconsidérées.
– Est-il raisonnable de voir les ministres successifs fixer des objectifs ambitieux au fret ferroviaire alors que la réalité vient, année après année, leur imposer un cruel démenti ?
– Est-il raisonnable de maintenir en activité certaines lignes ferroviaires quand les trafics sont faibles et n’ont aucune raison de progresser puisque dans le même temps on améliore le réseau routier et la performance des automobiles ? Certains projets de réouverture de lignes suscitent les mêmes questions.
– Symétriquement, est-il raisonnable d’arrêter le trafic fret de certaines lignes ferroviaires locales alors que des opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) pourraient y développer une activité performante.
– Est-il raisonnable de se plaindre des coûts des TER SNCF tout en se montrant d’une excessive pusillanimité devant l’idée même d’expérimenter localement l’ouverture à la concurrence pour ce marché ?
– Est-il raisonnable de se satisfaire en France de gains de productivité très faibles dans le ferroviaire à comparer de ce que réalisent nos voisins ?
– Est-il raisonnable qu’une entreprise publique qui représente moins de 1 % de l’ensemble des salariés de France, dont les salariés sont protégés par leur statut, cumule à elle seule chaque année entre 20 et 30 % du total des journées de travail perdues en France pour fait de grève ?
– Le lecteur peut allonger cette liste !

C’est donc sur ces blocages que s’arrête le parallèle avec l’Allemagne et la Suisse. Dans ce dernier pays, le maintien de l’unité des CFF a été compensé par une diminution forte des effectifs, de presque 40 000 dans les années 1980 à 28 000 personnes aujourd’hui (-30 %), alors même que le trafic a progressé très sensiblement. Le même mouvement a été observé en Allemagne. En d’autres termes, dans ces pays, la promotion d’une holding ferroviaire s’est accompagnée d’une contrepartie importante en termes d’efficacité et donc de maîtrise des subventions publiques.

La mise en place d’une holding ferroviaire à l’allemande exigerait rappelons-le :
– la création de sociétés anonymes et de filiales et l’abandon du statut d’Epic ;
– la fin du statut pour tous les nouveaux recrutés du système, accompagnée d’objectifs explicites de réduction tendancielle des effectifs du fait des gains de productivité attendus ;
– le transfert de la dette ferroviaire à la collectivité, faute de quoi la nouvelle entité ré-intégrée se verrait lestée d’une dette insoutenable de plus de 35 milliards d’euros ;
– une programmation raisonnable des financements publics et donc l’abandon de nombreux projets non réalistes dans l’état de nos finances publiques ;
– le recours explicite à la concurrence pour les trafics voyageurs, afin de mettre sous tension l’opérateur historique ;
– un encadrement rigoureux du droit de grève(2)…

Chacun comprend bien qu’un tel big bang ferroviaire est hors d’atteinte pour de multiples raisons. Il tombe sous le sens qu’en France, la reconstitution du monopole ferroviaire renforcerait encore plus la capture. L’inflation ferroviaire s’accélérerait et les subventions se multiplieraient pour la plupart des entités de la holding. On comprend bien dès lors pourquoi certains poussent en avant cette solution. Le point commun qu’ils défendent est simple : renforcer le caractère administré de la production ferroviaire ce qui a l’avantage de rendre l’Etat coupable de tous les maux !

Redonner des marges de manœuvre à la collectivité en échappant à la tyrannie du statu quo ?

Le lecteur aura compris que tel n’est pas notre objectif. L’intérêt général commande que le secteur ferroviaire en France soit capable de fournir des gains de productivité dont profitera le plus grand nombre au lieu d’attirer à lui des subventions toujours plus importantes. Mais comment faire dans un monde où dominent les mécanismes de capture ? Est-il possible d’échapper à la tyrannie du statu quo ? Sachant qu’il est inutile de rêver d’un Grand Soir qui placerait la tutelle publique en position de force pour imposer des objectifs clairs de gains de productivité, Il faut les rechercher par plusieurs moyens indirects. Tous pouvant se résumer à une idée simple : faire la démonstration que l’on peut faire mieux et moins cher.
Pour éclairer les choix à venir, regardons d’abord la situation actuelle car des éléments de pression en faveur de l’efficacité du système ferroviaire existent déjà. On peut en citer trois.
– La création et le développement (non anticipé) de RFF sont un de ces leviers indirects. Car RFF ne s’est pas contenté d’être une structure de défaisance de la dette ferroviaire. Le GI a pris son rôle au sérieux et la tutelle publique a fait de même. En donnant à RFF dans son contrat de performance (2008) un objectif de couverture des coûts complets, l’autorité publique a indirectement mis le système ferroviaire et la SNCF sous tension. Même s’il est évident que l’on ne pourra augmenter indéfiniment les péages, il faut conserver cette pression et le rôle croissant de RFF sur la définition des processus de maintenance et renouvellement. La démarche prend du temps, mais les résultats sont indéniables. L’expertise ferroviaire ne relève plus d’un seul acteur.
– La régionalisation des TER est un autre exemple de remise en cause du monopole d’expertise. L’ouverture à la concurrence va devenir l’étape suivante de la régionalisation. La concurrence sur le marché a montré ses limites et aussi les limites de Fret SNCF. Il faut en tirer les conséquences (voir ci-dessous). Mais comme on l’a vu dans les pays voisins, la concurrence pour le marché (TER), sera une source importante de benchmarking. Les régions ont besoin de références pour sortir de leur pusillanimité à l’égard de la SNCF. Et la SNCF elle-même a besoin de cette tension extérieure qui peut l’aider à progresser en interne car ses capacités de réaction sont importantes.
– Le développement du rôle de l’Araf représente une autre source de pression sur le système. Là aussi, nous avons un gisement potentiel de transparence et donc d’incitations. Là encore le monopole de l’expertise se transforme en pluralisme en même temps que se multiplient les entreprises agissant dans le ferroviaire.

Pour ne pas s’en tenir au statu quo, faisons, une bonne fois pour toutes, le deuil de l’intégration et distinguons ce qui relève du monopole d’une part et d’autre part de firmes plurielles. Car ce qui fonde les directives européennes c’est qu’il y a deux types d’activités distincts dans le champ du ferroviaire.
– Il y a d’abord ce qui relève du monopole public de l’infrastructure. Ce que nous devons faire est donc de préciser le rôle de ce monopole symbolisé par RFF. Un élargissement de périmètre de RFF est inscrit dans les évolutions en cours. La gestion des circulations est logiquement en train de se rapprocher du GI. Cette évolution est en marche, mais il faut encore préciser les fonctions qui relèvent en propre de RFF. Sur ces bases, un calendrier pourrait être envisagé. Mais ce transfert ne signifie pas que d’autres activités comme Gares & connexions ou SNCF infrastructures doivent suivre le même chemin car ces dernières sont plus assimilables à des activités d’entreprises cherchant à se valoriser sur des marchés.
– Il y a ensuite dans le monde du ferroviaire ce qui relève de la compétence d’entreprises diversifiées. La SNCF en est le meilleur exemple, qui a développé en France et à l’étranger de multiples filiales dans ses domaines de compétences. Ce qui est devant nous n’est pas la reconstitution de l’opérateur historique, mais la poursuite de la mue de la SNCF et de son groupe, dont les composantes vont de plus en plus s’autonomiser car elles seront, chacune dans son activité, confrontées à la concurrence. Prenons quelques exemples :
– le secteur du fret par son imbrication avec Geodis et ses multiples filiales, développe de plus en plus une logique liée aux intérêts propres de la firme et qui n’ont plus rien à voir avec l’intérêt général. Il faut en tirer les conséquences…
– L’activité SNCF infrastructures doit aussi être pensée en relation avec les filiales du groupe et le fait que l’entretien de l’infrastructure ne relève pas du périmètre du monopole. Il est tout à fait possible de laisser la SNCF développer ses capacités dans ce secteur sans les intégrer à RFF. Mais RFF doit aussi pouvoir à terme choisir ses sous-traitants. L’exemple suédois nous montre ce qu’est une externalisation systématique de la maintenance et de la rénovation.
– Gare & connexions représente un cas particulier compte tenu du rôle important des régions et des collectivités locales dans la question des gares, mais aussi du rôle des gares dans la perspective de l’ouverture à la concurrence. Comme vient de le rappeler l’Araf, cette entité doit voir progresser son autonomie par rapport à la SNCF.
– Les activités TER et Grandes lignes doivent aussi se positionner comme des composantes relativement indépendantes, faisant face à des marchés assez différents.

Ce chemin est raisonnable car il répond aux deux enjeux clés du système ferroviaire français, la compétitivité industrielle et la soutenabilité financière :
– la compétitivité car la tendance n’est pas, en France comme en Europe, à une reconstitution des monopoles ferroviaires, mais à la poursuite d’une logique d’entreprise pour une firme, la SNCF, qui se trouve de fait confrontée à un nombre croissant de nouveaux acteurs dans tous ses champs d’activité. La promotion de sa capacité industrielle et commerciale, en France et à l’étranger, ne passe pas par le repli mais par la définition d’une stratégie résolue d’affronter la concurrence ;
– la soutenabilité financière car l’autre enjeu concerne les finances publiques. L’existence des péages et l’objectif de coût complet donné à RFF ont le mérite considérable de requérir des subventions « en aval », au niveau des services de transport et donc très visibles dans les comptes publics. La puissance publique sait alors ce qu’elle finance : l’Etat qui assure un maintien des TET, les régions qui assurent l’offre de TER, etc. Les services offerts peuvent se révéler déficitaires, plutôt que de paraître équilibrés à la faveur de subventions croisées ! Il appartient alors à la puissance publique de décider ou non de l’achat du service au prix de ce déficit, voire d’explorer les productions alternatives de service que peuvent proposer d’autres modes ou d’autres opérateurs.

Alors que la dette publique atteint des sommets, il est inutile de rêver à une disparition de RFF qui augmenterait de près de 30 milliards la dette « maastrichienne ». Il est plus sage et plus sain de choisir le chemin de la raison, celui qui protège les finances publiques, elles en ont plus que jamais besoin !   

Ewa

«?Faire de la qualité sans être au coût du TGV » par Jean-Marc Delion, directeur général délégué de RFF

JMDelion

Trente ans après ses débuts, le train à grande vitesse est quasiment arrivé au bout de la fonction qui lui était assignée : desservir à 300?km/h les grandes métropoles au départ de Paris. Pour le compléter, Jean-Marc Delion envisage des relations offrant d’autres atouts que la vitesse,  une complémentairté TGV?TER,  l’ouverture au fret et au trafic régional de certaines LGV. Ville Rail & Transports : On voit s’affirmer, dès l’origine du TGV, une sorte de doctrine française de la grande vitesse, marquée par la spécialisation voyageurs et un souci de la vitesse maximale entre grands pôles… Aujourd’hui, le concept évolue. Pour la Normandie, par exemple, on ne parle plus de LGV mais de ligne nouvelle. La grande vitesse à la française se modifie-t-elle donc ?
Jean-Marc Delion. Le premier point fort de notre système à grande vitesse, c’est qu’il s’agit d’un réseau en étoile autour de la région capitale. L’Europe du Nord, l’Allemagne relèvent beaucoup plus d’une logique de maillage. Notre réseau en étoile vient de l’hypercentralisation autour de Paris et de grandes distances entre les métropoles. Ceci nous rapproche du réseau espagnol. Deuxième point fort, c’est un réseau purement voyageurs et à très grande vitesse : 300-320 km/h. Donc, c’est un réseau en étoile et qui va vite, pour couvrir des distances le plus souvent comprises entre 300 et 800 km. C’est le territoire qui le veut, et c’est ce qu’il fallait commencer par faire, mais faut-il continuer sur cette lancée ? Il faut parler de complémentarité TGV et TER. Sur la LGV Tours – Bordeaux, un cinquième des voyageurs de la grande vitesse viendra des trains régionaux. Pour la LGV Le Mans – Rennes, la virgule de Sablé devrait être ouverte à la circulation des TER Rennes – Laval – Sablé – Angers, empruntant la ligne nouvelle afin de mieux utiliser cet investissement. Ensuite, on découvre que tout n’est pas tourné vers Paris et qu’il y a un enjeu considérable des TGV province – province. Le TGV Med a induit un potentiel de trafic entre Marseille et Lyon. Quant au TGV Rhin-Rhône, son nom montre bien qu’on n’est plus sur une logique purement radiale. En un sens, on est au bout du système car on n’est pas loin d’avoir desservi toutes les grandes métropoles françaises : il ne manquera plus en 2017 que Toulouse et Nice. Au-delà, on « attaque » des zones qui ont leur intérêt. Car si cela a du sens de payer très cher quand il s’agit de rapprocher des grandes villes, pour des villes de 50 000 habitants, il faut trouver un modèle adapté. Si on a rapproché les grandes villes de Paris, à l’inverse, il y a des villes restées hors du réseau grande vitesse, comme Amiens ou Rouen. C’est à l’origine de projets comme Roissy – Picardie, Paris – Normandie ou Paris – Troyes, et c’est encore un aspect important du projet Paris – Orléans – Clermont. A-t-on besoin pour toutes ces villes de la très grande vitesse ? Certaines d’entre elles, proches de Paris, ne justifient pas qu’on aille à 300 ou 320 km/h. C’est le cas de Rouen, où la vitesse de pointe n’est pas le sujet central. Tout cela met en cause une poursuite continue du développement en étoile du réseau à grande vitesse et nous éloigne d’une logique de tout TGV.

VR&T : Déjà, on envisageait une ligne mixte voyageurs-fret sur le Rhin-Rhône, on va la réaliser pour le contournement de Nîmes et Montpellier. Se rapproche-t-on d’une vision plus allemande ?
J.-M. D. : Si les Allemands acceptent la mixité des trafics, les lignes sont assez peu utilisées en vraie mixité intégrale. Ce n’est pas commode de faire cohabiter des trains à 300 km/h et des trains à 100 km/h. Mais on cherche à mieux rentabiliser les investissements. Pourquoi ne pas faire passer du fret et du service régional à grande vitesse ? Il y a un projet qui avance bien, c’est la ligne mixte Nîmes – Montpellier. L’idée, c’est de mettre Paris à moins de 3 heures de Montpellier, en prolongement de la LGV Méditerranée, tout en améliorant le service fret, en cohérence avec l’axe de la vallée du Rhône. Le modèle en ce cas devrait fonctionner par ségrégation horaire : à telles heures les trains de fret, à telles autres les TGV.
 

VR&T : Quelle est votre contribution au projet de schéma national des infrastructures de transport ?
J.-M. D. : Nous avons encore des modèles économiques très sensibles à la valorisation du temps gagné. Ce sont des modèles qui poussent à la grande vitesse. Or nous savons que le voyageur attend de plus en plus des performances en termes de confort, de régularité, de fréquence, de prix. Il nous faut passer d’une logique centrée sur la vitesse à une autre prenant en compte l’ensemble des attentes des clients. Certes, RFF est né avec les grands projets de lignes nouvelles, aime les grands projets. En même temps, nous gérons un système ferroviaire de près de 30 000 km, dont un peu moins de 2 000 km en LGV. D’ailleurs, les trois quarts du réseau utilisé par les TGV ne sont pas des lignes à grande vitesse. Or nous avons des besoins aujourd’hui insatisfaits. Je pense aux besoins de remise en état et de rajeunissement du réseau, c’est le plan de modernisation que nous avons lancé en 2006. Les systèmes de signalisation et de commande du réseau sont souvent anciens. Et il y a des zones auxquelles on a accordé insuffisamment d’attention. Je pense notamment aux RER en Ile-de-France. Le Snit prend en compte tout cela à notre grande satisfaction : il ne porte pas que sur les LGV, il est aussi dans une logique de qualité de service et de diversification de l’offre pour l’ensemble du système ferroviaire.

VR&T : Que faites-vous des critiques portant sur le privilège que vous auriez accordé aux LGV au détriment du réseau existant ?
J.-M. D. : Elles sont sans objet. Nous avons complètement isolé le budget des investissements de renouvellement et le budget des lignes nouvelles. Pour le renouvellement, nous avons une enveloppe en très forte croissance, 13 milliards d’euros, fixée avec l’Etat pour la période 2008-2015. Le budget que nous allouons à une ligne nouvelle résulte pour sa part d’un calcul de la rentabilité de chaque grand projet. Prenons Tours – Bordeaux. D’abord, la ligne va permettre d’accroître le trafic en prenant des voyageurs à la voiture et près d’un million de passagers à l’aérien, ou en suscitant une nouvelle demande de transport. Ensuite, pour les trafics existants, on va gagner une heure sur Paris – Bordeaux. Cela vaut quelque chose : le service change et il est légitime qu’il soit plus cher. Troisième effet, la grande vitesse représente de la productivité pour la SNCF, un temps de parcours réduit lui permettant d’accroître son offre avec le même outil de travail. Ces trois effets, on cherche à les capter sous forme de péages que RFF ou, dans le cas de Tours – Bordeaux, le concessionnaire remettent au pot pour financer le projet. La différence entre le coût du projet et ce que rapportent les péages futurs doit enfin être apportée par des subventions. Il n’est donc jamais question de prendre de l’argent prévu pour le réseau existant pour le mettre sur les LGV. C’est fondamental. Cela dit, on peut penser que les collectivités auraient pu mettre ailleurs l’argent public investi sur une LGV. Les élus et les pouvoirs publics veulent le TGV parce qu’ils y voient un service de qualité dans un réseau qui ne l’offre pas toujours. Il ne faut plus qu’il y ait cette équivalence : « je veux la qualité » égale « je veux le TGV ». Il faut que RFF comme la SNCF puissent dire : on peut vous faire de la qualité sans être forcément au coût du TGV.

VR&T : Le coût du TGV ? C’est-à-dire ?
J.-M. D. : Une LGV, hors zone montagneuse ou urbaine, se situe entre 18 et 28 millions d’euros du kilomètre, acquisitions comprises. Ce sont des investissements extrêmement coûteux, et je ne parle pas des lignes dans un tunnel où l’on atteint 100 millions du kilomètre. On doit s’intéresser à l’équilibre économique des nouveaux projets dans un contexte d’argent public rare. Il faut donc voir ce que cela nous rapporte, par le biais d’une tarification demandée au transporteur ferroviaire, qui les impute sur le prix du billet. Nous envisageons la même question que la SNCF, qui est celle de la soutenabilité de l’effort demandé au voyageur et celui demandé au contribuable. Ce sera une question de plus en plus importante. Le modèle TGV est un modèle cher, en infrastructure pour le gestionnaire, en prix du billet pour le client et en conditions de production pour l’opérateur.

VR&T : On dit que la grande vitesse est à l’échelle du continent européen. Mais l’effet frontière ne s’efface pas partout. Comment les gestionnaires d’infrastructure peuvent-ils travailler ensemble pour donner des caractéristiques communes aux réseaux ? Va-t-on voir naître un concept européen de LGV ?
J.-M. D. : Il y a une vingtaine d’années, la première route aérienne mondiale était Paris – Londres ! Vous voyez bien avec le succès d’Eurostar qu’on y arrive de temps en temps. Je suis persuadé que, à long terme, cet effet frontière va s’estomper, qu’aller faire ses études à Barcelone sera aussi banal pour nos enfants qu’aller aujourd’hui, pour un Lyonnais, faire ses études à Paris. Cet effet reste assez net, surtout au sud de la France, du fait d’obstacles naturels, bien plus qu’au nord où, de plus, la taille des métropoles n’est pas le même, ni la distance entre elles. Intuitivement, on voit bien qu’il y a quelque chose de majeur qui se dessine entre Londres, Bruxelles, Lille, Paris, Cologne, Amsterdam, soit cinq pays et, compte tenu d’Eurotunnel, six gestionnaires d’infrastructure. Mais cela nécessite des règles d’interopérabilité et des règles communes de gestion des sillons. Nous avons déjà les EIM, qui ne rassemblent pas tous les gestionnaires d’infrastructure européens, nous avons aussi Rail Net Europe, et la Commission nous pousse à créer des corridors de fret : nous avons quelques outils de coopération qu’il faut développer. Il faut encore une standardisation des équipements. On a signé, il y a un an et demi, le premier PPP pour basculer notre radio sol-train sur le système de communication GSM-Rail, qui est une norme européenne. Parallèlement, nous devons implanter le système de signalisation européen ERTMS sur notre réseau grande vitesse d’ici 2020. Tous nos nouveaux projets prévoient l’équipement natif en ERTMS. Mais il faut rééquiper le réseau à grande vitesse existant. La LGV Est, qui fonctionne aujourd’hui avec la TVM, recevra l’ERTMS en 2013.

VR&T : Quand RFF a pris les rênes, on est passé d’un système simple (SNCF-Etat) à un système complexe, avec de nombreux financeurs, de nombreux décideurs, et un recours à des solutions financières nouvelles. Quel changement…
J.-M. D. : La LGV Sud-Est avait été faite sur fonds propres par la SNCF, et le TGV Med n’avait reçu que 10 % de subventions. Il restait à faire des lignes moins rentables. Pour Tours – Bordeaux, la subvention requise est de 40 %, pour Le Mans – Rennes, de 57 %, pour Dijon – Mulhouse, 67 %. Car une des raisons de la création de RFF, c’est la quasi-faillite de la SNCF du fait du poids des investissements et de l’échec financier du TGV Nord. D’où l’idée d’inverser un modèle qui reposait sur l’emprunt et de ne plus faire de l’emprunt que sur la partie qui sera remboursée par les péages, le reste étant payé par la subvention.

VR&T : RFF, après s’être saisi de l’infrastructure, va-t-il se saisir des gares ?
J.-M. D. : D’ores et déjà, nous avons des intérêts majeurs dans les gares. Nous vendons des capacités, nous vendons donc l’accès à la voie à quai. C’est décisif dans un système où l’on va vers l’articulation de différentes missions ferroviaires, TGV-TER, voire de différents opérateurs. Dans la gestion des voies à quai ou des avant-gares, nous avons des investissements majeurs à faire pour améliorer la fluidité des circulations. Ensuite, il y a la gestion du « bâtiment-voyageurs ».  La loi de 1997 dit : l’existant et l’investissement sur l’existant, c’est la SNCF. Par contre, en ce qui concerne le développement du réseau, la gare tout entière fait partie de l’infrastructure. Sur Nîmes – Montpellier, sur Bordeaux – Toulouse, les gares nouvelles font partie du projet. RFF peut alors soit utiliser les capacités d’ingénierie du groupe SNCF, soit recourir à d’autres prestataires. Nous voulons travailler avec Gares & Connexions, par exemple, pour réussir ensemble l’adaptation de Paris-Montparnasse dans la perspective de l’arrivée des lignes nouvelles vers Bordeaux et Rennes dans moins de six ans. Mais nous n’excluons pas, sur quelques gares nouvelles, de les réaliser en maîtrise d’ouvrage directe, voire en partenariat public-privé. Notre enjeu est aussi de développer le partenariat avec les agglomérations. Les gares sont des objets ferroviaires mais aussi des objets urbains. Ainsi, selon le projet de l’agglomération, la gare de Montpellier sera interconnectée au tram ; pour les gares de Nice-Manduel ou de Montauban, on va se servir de l’interconnexion avec la ligne TER.

VR&T : Pour développer le réseau, vous avez eu recours à la concession comme au PPP. Tirez-vous déjà un enseignement de ces formules de financement ?
J.-M. D. : L’Etat nous a demandé de mener quatre projets à la fois. On ne l’avait jamais fait. Nous ne pouvions pas monter quatre équipes de projets en maîtrise d’ouvrage. Sur les quatre projets, on a lancé une concession (SEA), deux contrats de partenariat (BPL et CNM) et assuré une maîtrise d’ouvrage classique (LGV Est 2e phase). On a exploré toutes les méthodes de montage et de gestion contractuelle. La place de Paris a de quoi assurer ce type de projets en termes d’outil juridique, d’ingénierie, de grands groupes de travaux publics. Nous avons réussi à monter ces appels d’offres malgré une crise financière sans précédent. Ce n’était pas gagné. C’est un grand sujet de satisfaction. Le volet industriel de ces appels d’offres a été entre correct et bon. On a eu des réponses en ligne avec ce qu’on attendait, et plutôt meilleures que ce qu’on attendait, alors qu’on transférait le risque du côté du partenaire privé. Le risque de mise en service de Rhin-Rhône, c’est RFF qui le porte. Celui de mise en service de SEA, ce sera le groupement attributaire, qui peut encourir des pénalités et des pertes de péages. D’un point de vue financier, la crise a eu des impacts négatifs sur les conditions de rémunération des banques et des fonds propres. Comme les coûts financiers sont bien supérieurs à ce qu’ils étaient avant la crise, ceci nous a amenés sur le projet BPL à réduire l’exposition à ces coûts. On a raccourci la durée du contrat (les crédits longs sont chers, les crédits courts moins chers), on a payé une part importante du projet en subventions lors de la phase de construction, de l’ordre de 70 %, pour ne laisser que 30 % au financier, et on a fait venir des prêteurs comme la BEI ou la Caisse des dépôts pour réduire encore un peu plus le coût financier. On a ainsi réajusté notre modèle pour réduire l’impact post-crise des coûts financiers. Mais l’histoire des PPP n’est pas achevée. Il reste à faire vivre ces contrats qui sont des véhicules puissants, gros et compliqués.? Il n’était pas mal qu’on commence par le PPP de GSM-Rail, de taille modérée, sur un système de télécommunications et non sur une ligne nouvelle. Nous avons ensuite validé le modèle sur deux lignes nouvelles. Aujourd’hui, on se demande : le PPP peut-il s’appliquer à d’autres objets ? Des objets technologiques comme les télécoms, mais aussi des petites lignes régionales, de fret, voire de voyageurs ? Ou des gares ? A la condition, toujours, et c’est une exigence absolue, de rechercher l’intérêt de la sphère publique en termes de prix, de risque et de service.
    

Propos recueillis par François DUMONT
 

Ewa

RFF signe les marchés de suites rapides 2013-2014-2015

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Les lots de suites rapides pour les années 2013, 2014, 2015?viennent d’être attribués. De nombreuses entreprises jusqu’alors absentes des chantiers de renouvellement de voies ont répondu à l’appel d’offres lancé par RFF en février 2010. Trois trains contre deux les années précédentes seront amenés à traiter 550 km de ligne par an. Mi-juin, les marchés d’attribution par RFF des suites rapides pour les années 2013, 2014, 2015 ont été signés, avec une tranche optionnelle sur 2016 et 2017. Pour la seule période ferme, les opérations de renouvellement des voies sur le réseau principal classique correspondent à un montant d’environ 1,7 milliard d’euros. Soit une part directe de 500 millions pour les entreprises, la fourniture des rails, des traverses et du ballast ne leur étant pas imputée. La nouveauté essentielle, c’est le nombre de trains spécialisés au rendement moyen de 1 000 m renouvelés par jour. Au nombre de deux jusqu’à présent, ils seront bientôt trois pour substituer chaque année un peu plus de 550 km de voies, contre environ 400 km auparavant. « La compétition ouverte dans un contexte de forte croissance du volume des travaux a suscité beaucoup d’intérêt. Il y a eu une réelle émulation, et ce troisième lot a fait venir des entreprises qui ne s’étaient jamais présentées lors des appels d’offres précédents », explique Serge Michel, directeur de la rénovation du réseau à RFF. Après présentation, en janvier 2010, des grands enjeux à plus d’une vingtaine de sociétés spécialisées, parmi lesquelles plusieurs européennes, l’appel d’offres a été lancé en février 2010. Huit réponses, dont trois provenant de pays voisins, ont été reçues en mai suivant. Menée avec la SNCF, mandataire de RFF, la procédure a tout d’abord consisté à analyser les offres sur un plan technique. « Plusieurs étaient d’une grande qualité technique et le choix s’est finalement fait dans un deuxième temps sur les offres financières. » L’attributaire du premier lot est un groupement Colas Rail, TSO et TSO Caténaires. Le deuxième lot a été attribué à une association nouvelle de trois entreprises qui ont créé Transalp Renouvellement. Cette société de droit français est constituée de l’entreprise italienne Rossi qui dispose de cinq trains de suite rapide dans son pays, d’Esaf, régulièrement mise à contribution en hors suite sur le réseau et de DCF (Delcourt Construction ferroviaire). Attribué à Meccoli, le troisième lot va se caractériser par un mode de fonctionnement un peu différent des deux autres. Sur une ligne à double voie, il lui sera en effet possible d’utiliser la voie contiguë à celle en travaux pour approvisionner ou évacuer les matériaux tels que le ballast usagé. La surprise, c’est l’élimination d’ETF, l’Européenne de travaux ferroviaires, filiale d’Eurovia Travaux ferroviaires (groupe Vinci), un acteur majeur sur le marché français depuis longtemps. « ETF avait une excellente offre technique, mais son offre financière était plus élevée que celle de ses concurrents. C’est une entreprise qui a fait ses preuves, qui donne satisfaction sur ses chantiers et avec laquelle nous souhaitons continuer à travailler. Elle est d’ailleurs présente sur de nombreux marchés autres que les suites rapides, qui représentent environ 60 % de travaux de voies, les 40 autres étant réalisés en hors suite », ajoute Serge Michel. Autre nouveauté des futurs marchés : les entreprises devront assurer le transport des traverses neuves, ce qui les conduit à s’équiper de rames spécialisées. Pour optimiser les chantiers et avoir la meilleure productivité possible dans les interceptions accordées, les traverses seront livrées et stockées dans les bases-travaux de façon à déconnecter la logistique d’approvisionnement de la cinématique chantier. Aux entreprises ensuite de faire la navette avec leurs rames entre les bases-travaux et le chantier. Meccoli est la première à s’être ainsi équipée. En même temps que son tout nouveau train TCM 60 (voir VR&T n° 523, p. 56), la société a en effet acquis dix wagons spéciaux, correspondant à une journée de production. Transalp Renouvellement a par ailleurs commandé un train de substitution P95 chez Matisa qui doit être livré au cours du quatrième trimestre 2012.
    

Michel BARBERON