Selon Vinci Autoroutes, qui a dévoilé en avril les résultats de son premier baromètre de l’autosolisme, « plus de huit conducteurs sur 10 se déplacent seuls dans le cadre de leurs trajets du quotidien ». Seuls 17,4 % des véhicules analysés transportent au moins deux personnes. Le pic moyen d’autosolisme atteint 89 % à 8 heures. En d’autres termes, selon Vinci Autoroutes, « c’est au moment où il est le plus pénalisant, soit aux heures de pointe, que l’autosolisme est le plus pratiqué ». Cela dit, le taux d’autosolisme varie « du simple au quadruple » selon les sections observées. L’étude, réalisée à l’automne 2021, en collaboration avec Cyclope.ai, porte sur 1,5 million de véhicules circulant entre 8h et 10h à proximité de 11 agglomérations françaises : Aix-en-Provence, Biarritz, Bordeaux, Lyon, Montpellier, Nantes (A11 et A83), Nice, Toulon, Toulouse (A62 et A64), Tours et Ile-de-France. Elle a été réalisée en association avec la Région Île-de-France, le syndicat Nouvelle-Aquitaine Mobilités, Tours Métropole Val de Loire, la communauté d’agglomération du Pays basque et Montpellier Méditerranée Métropole, ainsi que les plateformes de covoiturage Blablacar, Klaxit et Ecov.
La deuxième édition du baromètre doit être diffusée ce mois-ci sur le site de Vinci Autoroutes.
Pour le think tank dirigé par Jean-Marc Jancovici — qui vient de publier son Plan de transformation de l’économie française — on ne peut, pour réduire les gaz à effet de serre dûs au transport, miser sur la seule électrification des véhicules. Laurent Perron, pour le Shift Project, demande qu’on joue d’abord sur la demande de transport, qu’on privilégie les véhicules légers, qu’on soutienne les filières moins voraces en énergie que la voiture individuelle. Et appelle à la planification d’une politique de sobriété.
Interview de Laurent Perron, chef de projet Industrie automobile, The Shift Project.
VRT. La lutte contre le dérèglement climatique est une priorité absolue. Que faut-il attendre, dans le domaine de la mobilité, du prochain mandat présidentiel ? Quelles sont les trois (ou quatre, ou cinq) principales mesures à prendre ?
Laurent Perron. Le secteur des transports, qui représente environ 1/3 des émissions nationales, est le seul à ne pas avoir baissé depuis 1990. Il a même augmenté de 12% entre 1990 et 2015.
A elle seule, la voiture particulière représente 16% des émissions nationales.
Et pourtant, l’objectif reste la décarbonation complète du transport routier d’ici 2050. La transition vers l’électrification de la mobilité est présentée comme la (seule ?) voie permettant de respecter cet engagement.
Mais ne s’intéresser qu’à la réduction des émissions à l’échappement (ou à l’usage) occulte une grande partie de la problématique de la mobilité, notamment automobile. La demande de mobilité (le nombre de kilomètres.passager parcourus), le taux d’occupation des véhicules, le choix des modes de transport et l’empreinte carbone complète (donc y compris les émissions de fabrication et de fin de vie des véhicules et celles de production des vecteurs d’énergie) doivent être considérés pour décarboner sérieusement les transports.
La nécessaire prise en compte de ce périmètre complet conduit à formuler plusieurs propositions pour la prochaine mandature :
Orienter l’offre et la demande vers des véhicules légers par la mise en place d’un système de bonus sur la masse pour l’achat de véhicules neufs, et par la sévérisation du malus.
Orienter la réglementation vers la prise en compte du cycle de vie complet des véhicules et pas seulement des émissions à l’usage, en rendant obligatoire l’affichage de l’empreinte carbone des véhicules neufs. Cet affichage sera un 1er pas vers une réglementation européenne basée sur l’Analyse du Cycle de Vie, permettant l’émergence de véhicules sobres et bas carbone
Soutenir massivement les filières et les solutions de mobilité moins voraces en énergie et matière que la voiture individuelle (train assez rempli, vélo y compris à assistance électrique, multimodalité…
VRT. De ce point de vue, comment évaluez-vous la politique menée lors du quinquennat qui s’achève ?
L. P. Le quinquennat qui s’achève aura été marqué par des crises majeures en lien avec la mobilité et l’automobile. La crise des gilets jaunes a montré la dépendance d’une partie importante de la population à la voiture, à travers le coût des carburants. Si la sortie des énergies fossiles, en particulier le pétrole, dont les transports dépendent à plus de 90%, est indispensable, elle doit être socialement juste.
Force est de constater que l’accès au plus grand nombre à des véhicules sobres n’est pas assuré aujourd’hui, compte tenu des prix des véhicules électriques et hybrides. En complément, les objectifs de déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques ne seront pas atteints, alors qu’elles constituent une condition indispensable du développement massif de l’électromobilité. La crise sanitaire a quant à elle pointé la dépendance de l’industrie des transports non seulement au marché et aux approvisionnements extérieurs, mais aussi au soutien des politiques publiques. La nécessité de la réindustrialisation sur le territoire et d’une maîtrise plus importante de la chaine de valeur est maintenant prise en compte, même si elle peut paraître tardive.
On peut également noter les évolutions récentes, qui restent cependant à pérenniser et à renforcer, sur le développement des alternatives à la voiture, comme le train ou le vélo.
VRT.Indépendamment du climat, y a-t-il, dans ce domaine, une mesure à inscrire à l’agenda présidentiel ?
L. P. Un des enjeux majeurs de la mobilité pour les prochaines années sera de rendre la transition actuelle socialement juste. Un soutien différencié selon les contraintes de revenus et de mobilité doit être mis en place de manière à rendre cette transition rapide et massive. Cela peut par exemple passer par des systèmes d’ajustement des incitations en place.
L’emploi sur le territoire est évidemment un enjeu social fort. L’accompagnement des compétences et des nouvelles filières de mobilité est à mettre au cœur des prochaines politiques industrielles
VRT. Question subsidiaire : De quelle fausse bonne idée faut-il se méfier ?
L. P. La décarbonation des transports ne peut être envisagée que de façon systémique, en prenant en compte l’ensemble des déterminants des émissions et des externalités. Miser tout sur le seul levier ou progrès technologique ne nous permettra probablement pas d’atteindre les objectifs climatiques, sociaux ou de résilience, qui plus est si on ne retient qu’une technologie comme l’électromobilité. L’électrification des 40 millions de voitures roulant en France paraît difficilement soutenable. La mise en œuvre de politique de sobriété doit désormais être planifiée.
La pression est vive sur les métaux utilisés dans les véhicules électriques, comme le lithium, le cobalt ou encore le cuivre. Dans sa dernière analyse, publiée le 26 juillet, Coface ne prévoit pas de changements majeurs sur les tendances de prix de ces métaux pour les deux années à venir. La part de marché des véhicules électrique reste modeste, mais elle est en forte croissance : 13 % en 2020 contre 8 % en 2019. Et, selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2020, alors que les ventes de voitures ont diminué de 6 %, les ventes de véhicules électriques ont augmenté de 41 %. Elles devraient augmenter de 70 % en 2021 par rapport à 2020.
D’où une forte pression sur le lithium, le cobalt, le graphite, le nickel, les terres rares, l’aluminium et le cuivre, nécessaires pour produire ces véhicules, à commencer par leurs batteries. Plusieurs dizaines de kilos de métaux, voire des centaines sont utilisées dans les batteries, le premier d’entre eux étant l’aluminium qui représente environ la moitié du poids total, suivi du cuivre, du graphite et du nickel.
Coface prévoit donc « une hausse des prix du nickel, de l’aluminium et du cuivre de 34 %, 25 % et 47 % respectivement entre 2020 et 2021 ». Et la demande devrait connaître une hausse considérable entre 2020 et 2050. La demande de cuivre liée aux véhicules électriques augmentera ainsi de 9,9 % chaque année au cours de la période, et celle de nickel de 11,8 %.
L’extraction des métaux a un impact significatif sur l’environnement et sur les populations. En RDC, relève Coface, « la déforestation et le travail des enfants sont répandus ». Le recyclage est donc une question-clé. Or, si « les recyclages du cobalt et du nickel sont relativement matures », le taux global atteignant 60 %, le lithium est rarement recyclé avec un taux global n’atteignant que 1 %.
La pression est vive sur les métaux utilisés dans les véhicules électriques, comme le lithium, le cobalt ou encore le cuivre. Dans sa dernière analyse, publiée le 26 juillet, Coface ne prévoit pas de changements majeurs sur les tendances de prix de ces métaux pour les deux années à venir. La part de marché des véhicules électrique reste modeste, mais elle est en forte croissance : 13 % en 2020 contre 8 % en 2019. Et, selon l’Agence internationale de l’énergie, en 2020, alors que les ventes de voitures ont diminué de 6 %, les ventes de véhicules électriques ont augmenté de 41 %. Elles devraient augmenter de 70 % en 2021 par rapport à 2020.
D’où une forte pression sur le lithium, le cobalt, le graphite, le nickel, les terres rares, l’aluminium et le cuivre, nécessaires pour produire ces véhicules, à commencer par leurs batteries. Plusieurs dizaines de kilos de métaux, voire des centaines sont utilisées dans les batteries, le premier d’entre eux étant l’aluminium qui représente environ la moitié du poids total, suivi du cuivre, du graphite et du nickel.
Coface prévoit donc « une hausse des prix du nickel, de l’aluminium et du cuivre de 34 %, 25 % et 47 % respectivement entre 2020 et 2021 ». Et la demande devrait connaître une hausse considérable entre 2020 et 2050. La demande de cuivre liée aux véhicules électriques augmentera ainsi de 9,9 % chaque année au cours de la période, et celle de nickel de 11,8 %.
L’extraction des métaux a un impact significatif sur l’environnement et sur les populations. En RDC, relève Coface, « la déforestation et le travail des enfants sont répandus ». Le recyclage est donc une question-clé. Or, si « les recyclages du cobalt et du nickel sont relativement matures », le taux global atteignant 60 %, le lithium est rarement recyclé avec un taux global n’atteignant que 1 %.
Dans un rapport publié fin juin, mis à jour fin juillet, le think tank de la fondation Nicolas Hulot et la CFDT Métallurgie se sont penchés sur l’avenir de l’automobile et précisément de la filière moteur dans le contexte de conversion à l’électricité. Le rapport, intitulé Comment relever le défi d’une transition juste étudie quatre scénarios de transition. La filière motrice, qui compte 57 000 salariés de France, a un effet d’entraînement sur 400 000 salariés. Or, la voiture électrique nécessite moins de main-d’œuvre que la voiture diesel. Mais, selon les deux partenaires qui s’appuient sur l’expertise de Syndex ; « en accélérant la transition écologique, on peut enrayer le déclin de l’industrie automobile ».
Le premier scénario, de poursuite des tendances actuelles, « pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France ». En dix ans 100 000 emplois ont été supprimés dans la filière automobile. Et, à nouveau, selon l’Observatoire de la métallurgie, 100 000 emplois sont menacés d’ici 2035… Le scénario 2 étudie l’effet du maintien de la politique de relance commencée en 2020 : elle ne « permettra ni de mettre un terme à la désindustrialisation, ni de répondre au défi climatique » et se traduirait par une division par deux des effectifs d’ici 2050. Plus ambitieux, le scénario 3, de relance industrielle, explore un maintien des volumes de production de moteurs, sans toutefois anticiper les besoins de sobriété : réduction des consommations d’énergie et de matière, évolution des usages.
Le scénario 4, dit de transition juste, « mise sur une intégration locale renforcée de la filière et intègre les exigences de la sobriété ». Il « vise la restructuration de l’appareil productif autour d’une filière intégrée moteurs – batteries – véhicules – recyclage. » Selon la FNH et la CFDT, il est seul en mesure de « répondre à la fois aux enjeux sociaux et environnementaux ». Et permettait, à partir de 2035, de recréer de l’emploi, ce qui devrait se traduire en 2050 par un tiers d’emplois de mieux que le scénario 2, de poursuite de la relance. Le scénario repose sur les efforts de reconversion et de formation pour chaque salarié de la filière.
Première étape demandée par la Fondation Nicolas Hulot et la CFDT : la mise en place d’Etats généraux de l’automobile.
Dans un rapport publié fin juin, mis à jour fin juillet, le think tank de la fondation Nicolas Hulot et la CFDT Métallurgie se sont penchés sur l’avenir de l’automobile et précisément de la filière moteur dans le contexte de conversion à l’électricité. Le rapport, intitulé Comment relever le défi d’une transition juste étudie quatre scénarios de transition. La filière motrice, qui compte 57 000 salariés de France, a un effet d’entraînement sur 400 000 salariés. Or, la voiture électrique nécessite moins de main-d’œuvre que la voiture diesel. Mais, selon les deux partenaires qui s’appuient sur l’expertise de Syndex ; « en accélérant la transition écologique, on peut enrayer le déclin de l’industrie automobile ».
Le premier scénario, de poursuite des tendances actuelles, « pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France ». En dix ans 100 000 emplois ont été supprimés dans la filière automobile. Et, à nouveau, selon l’Observatoire de la métallurgie, 100 000 emplois sont menacés d’ici 2035… Le scénario 2 étudie l’effet du maintien de la politique de relance commencée en 2020 : elle ne « permettra ni de mettre un terme à la désindustrialisation, ni de répondre au défi climatique » et se traduirait par une division par deux des effectifs d’ici 2050. Plus ambitieux, le scénario 3, de relance industrielle, explore un maintien des volumes de production de moteurs, sans toutefois anticiper les besoins de sobriété : réduction des consommations d’énergie et de matière, évolution des usages.
Le scénario 4, dit de transition juste, « mise sur une intégration locale renforcée de la filière et intègre les exigences de la sobriété ». Il « vise la restructuration de l’appareil productif autour d’une filière intégrée moteurs – batteries – véhicules – recyclage. » Selon la FNH et la CFDT, il est seul en mesure de « répondre à la fois aux enjeux sociaux et environnementaux ». Et permettait, à partir de 2035, de recréer de l’emploi, ce qui devrait se traduire en 2050 par un tiers d’emplois de mieux que le scénario 2, de poursuite de la relance. Le scénario repose sur les efforts de reconversion et de formation pour chaque salarié de la filière.
Première étape demandée par la Fondation Nicolas Hulot et la CFDT : la mise en place d’Etats généraux de l’automobile.
Selon une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et du Conseil national du bruit (CNB) dont les résultats ont été publiés le 22 juillet, le coût social du bruit en France s’élèverait à 157 milliards d’euros par an. Les deux tiers, 68,4 % précisément, soit 106,4 milliards d’euros par an, correspondent au bruit des transports : le bruit routier représente 51,8 % du coût total, le bruit aérien 9,4 %, et le bruit ferroviaire 7,2 %. L’étude réévalue de… 98,3 milliards d’euros le coût social du bruit évalué par l’Ademe en 2016. Entre les deux études, le périmètre a été élargi (prise en compte de nouveaux effets sur la santé, ou de nouvelles sources de bruit), les méthodes d’évaluation mises à jour, et le décompte des populations exposées au bruit des transports a été revu. Selon l’Ademe et le CNB « une partie importante des coûts sociaux du bruit peut être évitée en exploitant les co-bénéfices avec d’autres enjeux écologiques, comme la réduction de la pollution atmosphérique ». A commencer par la réduction des vitesses sur voie rapide, présentant un ratio bénéfices/coûts de 685 sur dix ans.
Selon une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et du Conseil national du bruit (CNB) dont les résultats ont été publiés le 22 juillet, le coût social du bruit en France s’élèverait à 157 milliards d’euros par an. Les deux tiers, 68,4 % précisément, soit 106,4 milliards d’euros par an, correspondent au bruit des transports : le bruit routier représente 51,8 % du coût total, le bruit aérien 9,4 %, et le bruit ferroviaire 7,2 %. L’étude réévalue de… 98,3 milliards d’euros le coût social du bruit évalué par l’Ademe en 2016. Entre les deux études, le périmètre a été élargi (prise en compte de nouveaux effets sur la santé, ou de nouvelles sources de bruit), les méthodes d’évaluation mises à jour, et le décompte des populations exposées au bruit des transports a été revu. Selon l’Ademe et le CNB « une partie importante des coûts sociaux du bruit peut être évitée en exploitant les co-bénéfices avec d’autres enjeux écologiques, comme la réduction de la pollution atmosphérique ». A commencer par la réduction des vitesses sur voie rapide, présentant un ratio bénéfices/coûts de 685 sur dix ans.
Pour respecter nos engagements climatiques, l’électrification des véhicules ne suffira pas. La vitesse et les gains de temps jouent contre le climat, et la sobriété doit s’imposer. Il faudra une façon ou d’une autre réduire les distances parcourues. Par quel moyen ? Jouer sur la vitesse physique n’est pas le plus prometteur. Reste la vitesse économique, par les quotas ou la forte hausse des prix. Mais le peut-on ? Le veut-on ?
Par Yves Crozet
La vitesse routière a mauvaise presse. Les radars sont devenus d’exigeants et nécessaires compagnons de route, mais la sécurité n’est pas la seule origine de cette offensive. La réduction de la congestion, du bruit et de la pollution expliquent aussi, un peu partout, l’abaissement des vitesses autorisées. Des urbanistes et géographes comme Marc Wiel1 ou Cyrille Genre-Grandpierre2 ont aussi pointé du doigt les effets négatifs de la « métrique accélérante » de la route. Un objet mythologique se répand dans les villes et les villages où il a remplacé la DS Citroën de Roland Barthes : le ralentisseur !
Ralentir. Le thème est à la mode et pas seulement sur les routes, au point que le confinement, voire le virus lui-même, ont pu être vus comme une « bonne surprise ». Hartmut Rosa n’a-t-il pas déclaré3 : C’est « un miracle sociologique que de ralentir ainsi le monde (…). C’est une expérience collective d’auto-efficacité absolument incroyable : oui, nous pouvons contrôler ou du moins arrêter le monde » ! Miracle ? Le mot semble déplacé face aux dégâts humains, économiques et sociaux de la pandémie.
Il s’explique par le fait que le sociologue dénonce depuis plusieurs années l’accélération du monde. Mais, comme nous allons le voir, ce qui devrait être qualifié d’intensification a peu de choses à voir avec la vitesse physique de nos déplacements, mais est par contre très lié à ce que nous appelons « vitesse économique ».
Ne pas confondre accélération et intensification
Le thème de l’accélération est ancien. Jules Michelet, en 1872, écrivait : « l’allure du temps a tout à fait changé. Il a doublé le pas d’une manière étrange ». En 1948, Daniel Halévy publiait un essai sur l’accélération de l’histoire. Ces formules littéraires sont évocatrices, mais relèvent d’un effet d’optique. Le temps physique s’écoule toujours au même rythme, comme le montrent les horloges astronomiques. Ce qui change, c’est le temps vécu, les événements survenus dans une unité de temps. Ce n’est pas le temps qui double le pas, mais notre appétit qui s’aiguise, ou s’essouffle, avec la variété du menu et la hausse du pouvoir d’achat.
LA VITESSE N’A PAS FAIT GAGNER DU TEMPS, ELLE A SIMPLEMENT AUGMENTÉ LA PORTÉE DE NOS DÉPLACEMENTS, UNE RÉALITÉ À L’ORIGINE D’UNE FRUSTRATION…
Pour comprendre le monde moderne, il est plus juste de parler d’intensification que d’accélération, car le temps vécu est une grandeur relative et non pas absolue. Dans notre rapport au temps, ce qui change n’est pas le dénominateur (les heures, les minutes), mais le numérateur. Gary Becker l’a formulé ainsi lors de la réception du prix Nobel d’économie en 1992 : « the most fundamental constraint is limited time. Economic and medical progress have greatly increased length of life, but not the physical flow of time itself, which always restricts everyone to twenty-four hours per day. So while goods and services have expended enormously in rich countries, the total time available to consume has not4».
Le sentiment d’accélération provient d’une intensification des programmes d’activités. La hausse des revenus s’est traduite, chaque jour, par la multiplication des activités accessibles, parfois obligatoires. Le confinement n’a pas fait disparaître cette charge mentale. L’impératif catégorique de l’intensification s’est invité à la maison. Il est vrai que nous avons redécouvert le plaisir de cuisiner et quelques livres trop longtemps négligés. Mais nous avons aussi accru le temps passé au téléphone et devant les écrans. Avons-nous pour autant ralenti ? Est-ce ralentir que de combiner télétravail et garde des enfants à domicile ? Est-ce ralentir que de rattraper son retard de séries télé ? Avant, pendant et après le confinement, le manque de temps est une constante. La société du temps libre (Jean Viard5) est d’abord celle du temps rare.
La vitesse et les gains de temps contre le climat
Les ressources monétaires et le temps disponibles sont des quantités finies. La contrainte budgétaire peut être assouplie par la hausse des revenus, mais pas la contrainte temporelle. Il est vrai que l’espérance de vie a augmenté. Mais ce qui n’a pas changé est la contrainte des 24 heures journalières. La hausse du revenu ne permet pas d’acheter des journées plus longues. Par contre, il est possible d’acheter de la vitesse et donc, selon la formule en usage, de gagner du temps !
EN 1980, IL FALLAIT 784 HEURES DE SMIC POUR UN VOL A-R ENTRE PARIS ET SINGAPOUR, SOIT UNE VITESSE ECONOMIQUE DE 30 KM/H. EN 2019, 78 HEURES, SOIT 300 KM/H
Depuis l’avènement du chemin de fer, les modes de vie ont été transformés par l’accélération des vitesses moyennes de déplacement. Les Français ont franchi quotidiennement en 2019 une distance de 40 km, et huit de plus avec les transports internationaux6. Cette formidable accélération a élargi les horizons et enrichi la palette des options disponibles pour les loisirs et les lieux de résidence ou de travail. Elle a donc accru le numérateur de notre rapport au temps, mais pas le dénominateur dont la rareté relative a été au contraire attisée. C’est la raison pour laquelle notre budget temps de transport quotidien n’a pas diminué. Selon l’Enquête sur la Mobilité des Personnes 2018-20197, il a même légèrement augmenté au cours des dix dernières années.
La vitesse n’a pas fait gagner du temps, elle a simplement étendu la portée de nos déplacements, une réalité à l’origine d’une frustration, voire d’une aliénation, selon Hartmut Rosa. « Une idée extrêmement puissante s’est infiltrée jusque dans les pores les plus fins de notre vie psychique et émotionnelle : l’idée selon laquelle la clé d’une vie bonne, d’une vie meilleure, réside dans l’extension de notre accès au monde. »8 On ne saurait mieux dire puisque même l’usage du vélo en ville est présenté par ses défenseurs comme un moyen de gagner du temps. Tout comme l’est le slogan de « la ville du quart d’heure », celle qui offre aux piétons et cyclistes un maximum d’aménités. Réduire les vitesses de déplacement, et pourquoi pas celle des connexions numériques (cf. la 5G), ne serait-il pas un moyen de traiter à la fois l’aliénation individuelle et les défis collectifs du dérèglement climatique ?
Les émissions de gaz à effet de serre des transports ne sont pas alignées avec les engagements climatiques de la France. En 2019, elles dépassaient de 36 % l’objectif fixé dans le protocole de Kyoto pour l’année 2020. Il n’est donc pas surprenant qu’une des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat soit de réduire la vitesse maximale sur les autoroutes. Comme l’a montré Aurélien Bigo, dans une remarquable thèse soutenue le 23 novembre à Polytechnique9, cela s’inscrit dans une tendance apparue au début des années 2000. Quel que soit le type de voirie, les vitesses routières moyennes ont baissé, parfois de façon significative (figure 1). Cette contrainte physique est peut-être à l’origine du « peak-car » (voir Réservoir MOB, septembre 2020) mais pas d’un « peak-travel » car si, en passagers-km, les distances franchies en voiture et en train plafonnent, ce n’est pas le cas pour l’avion (figure 2). La multiplication par 2,5 en 30 ans des km parcourus en avion provient bien sûr de sa vitesse. Elle rend accessibles des destinations souvent hors d’atteinte pour les autres modes. Pourtant, depuis les attentats et la massification des flux, la vitesse porte-à-porte du transport aérien a baissé au fur et à mesure qu’augmentaient les délais de précaution et les contrôles de sécurité.
Figure 1
Figure 1 – Variation des vitesses par type de voirie. Les vitesses routières s’inscrivent à la baisse depuis le début des années 2000, comme l’a montré Aurélien Bigot dans sa thèse.
Figure 2
Figure 2-Distances annuelles par habitant et par mode. Si, en passagers-km, les distances franchies en voiture et en train plafonnent, ce n’est pas le cas pour l’avion.
Engagements climatiques et vitesse économique
Mais, jusqu’à la pandémie, cela n’a pas affecté la croissance du trafic aérien car sa vitesse économique a progressé de façon continue. Par vitesse économique, nous entendons le temps de travail nécessaire pour acheter un déplacement. Référons-nous, pour simplifier, au salaire horaire minimum. En 1980, il fallait 784 heures de SMIC pour embarquer dans un vol AR entre Paris et Singapour, soit une vitesse économique de 30 km/h. Pour New York, 140 heures suffisaient, soit une vitesse économique de 85 km/h. En 2019, les chiffres étaient respectivement : pour Singapour, environ 78 heures de travail, soit 300 km/h ; pour New York, 50 heures de travail, soit 240 km/h. Au même moment, un voyage en TGV correspondait pour un smicard à une vitesse économique de 80 km/h, mais 200 km/h pour un Ouigo, ce qui explique le succès de cette offre, au risque de la voir cannibaliser l’offre Inoui. La SNCF devait réagir, coûte que coûte, à la concurrence de BlaBlaCar et des services d’autocar à longue distance, sans oublier les liaisons aériennes domestiques low-cost.
Comme nous l’a appris depuis 60 ans la notion de coût généralisé, le choix d’un mode de transport se réalise en effet en fonction de sa vitesse physique mais aussi de son coût, ou de son inverse, la vitesse économique. Avec elle, s’éclaire un petit mystère de l’économie des transports. Toutes choses égales par ailleurs, une hausse de la valeur du temps fait mécaniquement croître le coût généralisé. La hausse des revenus, et donc de la valeur du temps, devrait se traduire par une tendance à réduire le temps de transport puisqu’il devient plus coûteux. Or ce n’est pas le cas, car la hausse des revenus c’est aussi la hausse de la vitesse économique et donc enrichir le temps vécu via ce que les économistes appellent la préférence pour la variété.
Ce constat est redoutable dans la perspective des mesures à prendre pour respecter nos engagements climatiques. Pour réduire de 40 % à l’horizon 2030 les émissions de GES des transports, l’électrification du parc automobile, même accélérée, ne suffira pas. Il faudra d’une façon ou d’une autre réduire les distances parcourues. Un simple calcul montre que même si, d’ici à 2030, les émissions unitaires moyennes du parc automobile baissaient de 165 à 120 gr (-27,5 %), dans la même proportion que de 1992 à 2018, l’objectif ne serait atteint que si le trafic baissait aussi de 17,5 %. Comment y parvenir ? La baisse des vitesses physiques peut jouer un rôle, mais les marges de manœuvre sont limitées. Le sont-elles plus pour la vitesse économique ? Ce n’est pas évident dans la mesure où elle a déjà été réduite depuis le début du siècle comme le montre le tableau (ci-dessous). Il évalue l’évolution de la vitesse économique de la voiture pour un smicard, sur la base de son coût marginal défini par le prix du litre d’essence ou de diesel et de la consommation unitaire.
Tableau
Ce tableau fait apparaître l’évolution de la vitesse économique de la voiture pour un smicard, sur la base de son coût marginal défini par le prix du litre d’essence ou de diesel et de la consommation unitaire. Après avoir fortement augmenté au cours des années, la vitesse économique du diesel diminue, puis plafonne.
De 1970 à 1990, la vitesse économique a doublé pour les véhicules à essence, mais, avec le passage au diesel, elle a été multipliée par quatre. Elle continue à progresser ensuite pour les véhicules à essence, mais diminue puis plafonne pour le diesel. Les légères baisses des vitesses économique et physique ont donc été simultanées, comme en novembre 2018 lorsque les Gilets jaunes ont dénoncé à la fois le passage au 80 km/h et la hausse des prix des carburants. A cette date, pour un smicard, une hausse de 10 centimes du litre de diesel (taxes + prix du pétrole) représentait une baisse de 10 % de la vitesse économique. Le passage à un véhicule essence la faisait baisser de 20%. C’est une des raisons d’une colère qui a brutalement interrogé les ambitions de réduction des émissions de CO2 des transports. Pourtant, comme l’explique Aurélien Bigo dans sa thèse, le progrès technique ne suffira pas à atteindre les objectifs. Une logique de sobriété doit s’imposer. Le problème est qu’il y a peu à gagner avec la baisse des vitesses physiques. Celle des avions ne changera pas et celle des voitures ne se modifiera qu’à la marge. Reste alors une action résolue pour réduire drastiquement les vitesses économiques, par le rationnement (quotas carbone) et/ou par une forte hausse des prix. Le peut-on et plus précisément le veut-on car il y a un prix à payer pour une telle évolution qui revient à ne plus chercher à gagner du temps vécu, celui qui provient principalement de la hausse du pouvoir d’achat ? Si, dans la société d’abondance, la sobriété se définit comme le « droit au temps » rappelons que cela correspond, pour paraphraser Hartmut Rosa à « réduire notre accès au monde ».
Evitons cependant de prôner la sobriété pour les autres. Jean Giono, merveilleux romancier mais piètre moralisateur, le fait dans un de ses derniers textes publiés10. Il y fustige le consumérisme, le besoin des ouvriers de s’acheter un poste de télévision. Il leur oppose la simplicité, le plaisir de la promenade, il évoque son père, « l’homme qui plantait des arbres », rappelle l’intérêt de maîtriser les besoins. Le lecteur adhère volontiers mais, à la suite de ces belles envolées, il apprend que notre homme revient de ses vacances à l’Ile d’Elbe et qu’il a été à Madrid pour dédicacer ses ouvrages. Sa propre préférence pour la variété nous informe sur la vitesse économique de ses droits d’auteur.
1. Wiel M., 1999, La transition urbaine, ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée, Edition architecture et recherches / Mardaga, 149 pages.
2. Genre-Grandpierre C., 2007, Changer de métrique des réseaux routiers pour réguler la dépendance automobile : les « réseaux lents », Les cahiers scientifiques du transport, n ° 52, pp. 45 – 66.
3. Rosa H., 2020, https://cutt.ly/whbevZo
4. Becker G.S., The economic way of looking at life, Nobel Lecture, December 9, 1992, Department of Economics, University of Chicago, Chicago, IL. 60637, USA.
5. Viard J., 2003, Le sacre du temps libre, Editions de l’Aube, 212 pages.
6. Crozet Y., 2019, https://cutt.ly/ihbezAK
7. https://cutt.ly/Xhbexj4
8. Rosa H., 2019, Rendre le monde indisponible, La Découverte, 144 pages.
9. Bigo A., Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement. https://cutt.ly/ShbelFq
10. Giono J., 1976, Les terrasses de l’Ile d’Elbe, Gallimard, 196 pages.
Le marché mondial du véhicule neuf a été fortement touché par la pandémie. Selon l’Observatoire Cetelem, (groupe BNP Paribas) qui a réalisé une enquête auprès de 10 000 personnes dans 15 pays, la baisse des immatriculations en 2020 devrait être de 17 %.
Elle sera particulièrement forte en Europe, avec -29 % (-28 % en France). Les ventes devraient reprendre en 2021 : +11 % au niveau mondial, +16 % en Europe, +19 % en France.
Le marché français du véhicule neuf ne devrait pas retrouver son niveau d’avant-crise avant 2023. En revanche, toujours en France, le marché de l’occasion devrait se rétablir dès cette année.
L’électrification du marché va s’accélérer : plus des trois quarts des personnes sondées considèrent que l’avenir sera électrique et 17 % de ceux qui veulent acheter une voiture en 2021 pensent acquérir un véhicule électrique.
Au-delà de la crise du Covid-19, 56 % des personnes interrogées considèrent que la voiture occupe une place trop importante dans le monde (46 % en France). De plus, 72 % jugent légitime qu’elle soit critiquée pour ce qui concerne l’environnement (66 % en France) et 82 % des répondants pensent de ce fait qu’il est souhaitable de laisser plus de place aux modes doux (73 % en France).
Cependant 55 % des personnes interrogées ne pourraient pas se passer d’automobile. La proportion atteint même 65 % en France. 19 % des sondés disent avoir tendance à rouler de moins en moins, mais 35 % déclarent rouler de plus en plus.
N.B. : L’enquête quantitative a été conduite par Harris Interactive du 2 au 11 septembre 2020 auprès de personnes de 18 à 65 ans. 3 000 personnes ont été interrogées en France, et 500 dans chacun des autres pays : Allemagne Belgique Brésil, Chine Espagne, Etats-Unis, Italie, Japon, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, et Turquie. On espère maintenant une étude de qualité sur le sujet.
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