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Ewa

Ça va mieux à la SNCF

RÉGULARITÉ

2012 commence sous les meilleurs auspices pour la SNCF. Guillaume Pepy a trouvé des motifs de se réjouir. Meilleure régularité des trains, amélioration de la situation sociale, recettes commerciales en hausse et révolution des horaires réussi, il salue les bons comptes 2011. En guise de cadeau de Nouvel An, face à une trentaine de journalistes, Guillaume Pepy s’est offert quelques chiffres qui font les bons comptes 2011 de la SNCF. Avec, en tout premier lieu, ce qui avait constitué le « point noir » l’année précédente : la régularité. Sa progression se situe ainsi entre 1,5 et 2 points, avec des résultats à la hausse mais variables selon les diverses activités. Même si, pour toutes, les objectifs sont atteints : 0,5 % pour le fret, plus de 1 % pour les Intercités et Transiliens, autour de 2 % pour les TGV et le TER. Satisfaisant également sur ce chapitre, les « grands retards » supérieurs à une heure, de ceux qui font les gros titres, sont en baisse de 50 % entre 2010 et 2011. Comme le reconnaît toutefois le président de la SNCF, la météo, à l’exception du mois de janvier, a facilité le travail, en se montrant plutôt clémente après une année 2010 marquée successivement par le froid, la neige… et la canicule.
Dans ce contexte, le plan d’action lancé sur douze lignes dites malades ou « sensibles » connaît une certaine réussite : les progrès, appréciables, se situent de 3 à 7 points avec, toutefois, deux exceptions notables, sur des lignes particulièrement fréquentées : le RER D à Paris, pour lequel la « solution miracle » n’est pas –  encore – au programme, et l’étoile TER de la région lyonnaise, affectée par des grèves. C’est d’ailleurs une exception pour cette année 2011 marquée par une amélioration sensible de la situation sociale, comme en témoigne le meilleur baromètre en la matière : le nombre de jours de grève. « C’est une année de reconquête avec le chiffre le plus bas en dix ans, depuis 2002, alors qu’en 2010, ça tanguait », s’est plu à souligner Guillaume Pepy, évoquant « les points marqués », comme l’accord salarial signé en 2011, la « très grande mobilisation du management » avec 800 rencontres sur le terrain, ou encore, même si cela peut sembler plus anecdotique, la mise en place d’un Comité d’entreprise européen dans les onze pays où le groupe a plus de 700 salariés. Cette amélioration sociale explique d’ailleurs en partie la réussite sans couacs majeurs du big bang redouté lors du dernier changement d’horaires du 11 décembre 2011, les syndicats n’ayant pas voulu ajouter de grains de sable dans le système. Parallèlement à ces évolutions favorables de la régularité et de la situation sociale, les recettes commerciales sont en progression de 5,5 % en 2011. Soit 7,7 % pour les TER, 6 % pour les TGV, 4 % pour le Transilien, 1,5 % pour le fret, 1 % pour les Intercités.     

P. G.

Ewa

Fret : les deux dernières chances de Novatrans

MC ValentonII130706014

Dans le petit monde du transport combiné, il se dit que Novatrans est « le nouveau SeaFrance » de la SNCF. Les résultats de l’opérateur de transport combiné rail-route sont en effet catastrophiques. Dans le petit monde du transport combiné, il se dit que Novatrans est « le nouveau SeaFrance » de la SNCF. Les résultats de l’opérateur de transport combiné rail-route sont en effet catastrophiques. Repris en 2009 par la SNCF, qui lui a évité le dépôt de bilan, Novatrans n’a jamais réussi à redresser la barre : en 2010, la filiale de la SNCF a perdu 35 millions d’euros. Sur 2011, elle affiche un déficit de 22 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 87 millions d’euros. Pour la SNCF, qui a déjà injecté quelque 60 millions d’euros dans l’entreprise depuis 2009 (dont la moitié pour la recapitaliser), la situation n’est plus tenable. Lors d’un conseil d’administration de Novatrans, le 17 janvier, deux pistes ont été envisagées. La première passe par une cession à un tiers. La SNCF va mandater une banque « pour recueillir les manifestations d’intérêt ». La recherche d’éventuels repreneurs devrait durer deux mois. Mais cette solution laisse dubitatif. « Compte tenu de ce que perd Novatrans et compte tenu qu’il n’y a rien à vendre, on ne voit pas qui pourrait racheter quoi », commente-t-on dans le milieu.
La seconde piste envisagée passe par une recapitalisation de l’entreprise à hauteur d’une cinquantaine de millions d’euros avant le 31 décembre prochain. Cette solution s’accompagnerait de la mise sur pied d’un sévère plan de restructuration. Elle nécessiterait aussi et surtout l’aval de la Commission européenne, soucieuse d’éviter toute aide pouvant fausser la concurrence. Le conseil d’administration de Novatrans a donné jusqu’à la fin avril à la direction générale pour proposer un plan de retour rapide à l’équilibre. Il passera forcément par la suppression de liaisons, alors qu’actuellement la plupart des lignes sont déficitaires, voire par des fermetures de terminaux (il y en a 13).
Au Groupement national des transports combinés (GNTC), certains se demandent si le scénario final ne passera pas par une intégration d’une partie des activités de Novatrans au sein de NavilandCargo, l’autre opérateur de transport combiné de la SNCF (mer-fer). Une éventualité actuellement rejetée par Olivier Storch, le directeur financier de SNCF Geodis, également responsable des solutions multimodales. « En avril, les deux solutions étudiées seront jugées sur pièce », indique-il. Si aucune n’était retenue, il faudrait procéder à une « liquidation à l’amiable » de la société. Il serait alors proposé à tous les salariés (ils sont 260) un reclassement au sein du groupe SNCF. Une issue qui aurait un goût amer de déjà-vu.
    

Marie-Hélène Poingt

Ewa

Enquête et histoire : le cas SNCF et la Shoah

PhotoAlainLipietz

En réponse à l’article de l’historien Georges Ribeill, publié dans La Vie du Rail du 4 janvier, consacré au livre d’Alain Lipietz " La SNCF et la Shoah", ce dernier nous adresse le courrier suivant. Sous un titre dévastateur, « Alain Lipietz entretient la “légende noire” de la SNCF », La Vie du Rail du 4 janvier publie une recension par Georges Ribeill de mon livre La SNCF et la Shoah (éditions Les Petits Matins), sur le procès en réparation que mon père et mon oncle intentèrent à l’État et la SNCF pour leur transfèrement et internement, de Toulouse à Drancy. Cette action s’acheva par une condamnation des deux institutions, puis, s’agissant de la SNCF, la justice administrative se déclara incompétente. Mon livre, explicitement, se restreint à ces cas des « transferts » franco-français à partir de la zone sud : la participation de Vichy à la destruction des Juifs de France.
Mon collègue de l’Ecole des ponts et chaussées, dont je cite élogieusement les contributions dans mon livre, me reproche d’abord de ne pas avoir lu son dossier de Historail de 2008. J’ignorais ce dossier et je le regrette, car il apporte un élément nouveau : j’y reviendrai. En revanche, je ne peux souscrire à l’idée que ce dossier ferait les « mises au point que [il] espérait définitives ». Deux ans auparavant, Raoul Hilberg déclarait qu’on ignore 80 % de ce qu’il faudrait savoir sur la SNCF et la Shoah ! Et je doute qu’existerait, même en sciences exactes, de « mise au point définitive ».
Si Georges Ribeill vante mon analyse du procès G. Lipietz, il se montre ensuite très critique sur les chapitres que je consacre au fond : la part d’autonomie et de responsabilité propre de l’État et la SNCF vis-à-vis des Allemands. Je pars pourtant de sa thèse sur la « négociation tripartite permanente » nazis-Vichy-SNCF, m’appuyant aussi sur Hilberg et Klarsfeld, sur l’historien allemand U. Herbert, sur le rapport Bachelier, sur le fond d’archives Schaechter, etc. Il me reproche curieusement de ne pas citer mes sources, jetant un ombre sur le sérieux de mon enquête. Que les futurs lecteurs de mon livre se rassurent : toutes les références sont fournies ! Mais dans le cas du rapport Bachelier, mis en ligne en 1999, les « onglets », tel que le 4-3-1 sur la facturation, couvrent parfois des dizaines d’écrans. Tel détail a pu échapper à la lecture de Ribeill…
Par exemple : ces lettres de cadres SNCF protestant contre les organisations caritatives qui cherchent à donner à boire aux transportés, opposition qu’approuve encore le directeur général de la SNCF… en 2006 ! Les télégrammes de Bousquet avaient pourtant prescrit, suite aux négociations SNCF-Vichy (Schütz-Couty) sur l’organisation de ces convois, de prévoir de l’eau. Ce point, le refus de l’accès à l’eau, sur de trajets que la SNCF maîtrise, une torture souvent mortelle et contraire à ses devoirs de transporteur public, constitue sa plus claire « faute de service » et entraînera la condamnation de la SNCF en 2006.
Plus étonnante est la méconnaissance par Georges Ribeill du fonds Schaechter. La fameuse facture d’août 1944 de la SNCF à la préfecture de Toulouse, qui rappelle en termes menaçants l’existence d’une « convention des transports de l’espèce », précise explicitement son objet : « camps d’internement, centres de séjour surveillés, internés, expulsés, etc. ». Et, en dépit des doutes de Ribeill dans Historail, le rapport du gestionnaire du camp de Noé au préfet de la France libérée reconnaît qu’il manque une partie des justificatifs correspondants. Mais la République paie quand même la SNCF ! Les victimes auront moins de droits que les bourreaux…
C’est évidemment sur le contenu de cette « convention », de nature commerciale, qui n’a pas encore été retrouvée, que porte le fond du débat. Je cite une lettre de 1943 de Fournier, son président de l’époque, à son ministre de tutelle précisant qu’il n’a « pas d’ordre à recevoir du chef allemand des transports mais uniquement de vous », mais il reste à éclairer le partage des responsabilités entre la SNCF et Vichy dans l’organisation de ces transports. Et là, je cite une seconde pièce capitale, découverte par Bachelier : le témoignage du ministre Bichelonne sur une lettre de Fournier à Laval, actant un accord verbal sur « les conditions de transports des prisonniers », accompagnée d’instructions aux cadres régionaux de la SNCF. Bachelier note sévèrement que cette lettre aussi est introuvable à l’endroit correspondant des archives SNCF…
Georges Ribeill objecte qu’il pourrait ne pas s’agir des prisonniers politiques ou raciaux. Donc des droits communs ? Certes. Possible… C’est le problème dans toute science, qu’il s’agisse de la Shoah, du climat ou de l’évolution : un « fait » isolé, hors contexte, ne prouve rien. Et là, il faut parler méthode. Chercheur comme Ribeill, je connais la méthodologie de la preuve historique dans les cas où sont rares archives ou fossiles. Je fais explicitement allusion à la paléontologie, telle que définie par G. Lecointre : rechercher la reconstitution la plus vraisemblable, selon le principe de parcimonie.
Je rappelle que les dirigeants de la SNCF nommés par Vichy sont évidemment partisans de la Révolution nationale, je signale leur disposition à participer à la Shoah française (Fournier a aussi présidé le SCAP, embryon du Commissariat général aux questions juives !) J’analyse sur quelle base légale ces hauts technocrates ont pu acheminer des dizaines de milliers de prisonniers, entassés dans des conditions inhumaines ayant souvent entraîné la mort, et des séquelles au moins psychologiques chez la plupart. Or un article précis existe, depuis 1937, dans le cahier de charge de la SNCF, sur le transport des droits communs ! Et il ne couvre justement pas le cas des « politiques et raciaux ». Pas plus que ne le fait le droit de la réquisition, ni les conventions existantes, y compris avec les Allemands (convention de Bamberg, convention pour les transports en zone sud). Donc il faut un nouvel accord pour « couvrir » ces transports criminels. D’où la négociation Fournier-Laval et la « convention des transports de l’espèce ». J’en déduis qu’ont dû exister des lettres, internes à la SNCF, appelant à une couverture légale, et j’imagine dans mon livre leur contenu… Et voici que je découvre, dans le dossier Historail, une de ces lettres, suivie de l’annonce qu’une convention SNCF – État à ce sujet est bien envisagée dès 1942 ! Que Georges Ribeill en soit remercié. Espérons que la recherche sur la SNCF et la Shoah couvrira un jour, grâce à l’effort commun, les « 80 % qu’il reste à connaître », selon Hilberg.
Un dernier point : Georges Ribeill semble récuser la jurisprudence internationale sur les crimes contre l’humanité, qui prescrit une « réparation symbolique et matérielle, collective et individuelle ». À ses yeux, cette dernière exigence serait immorale. Pour avoir passé une bonne partie de mes dix dernières années à défendre ce droit à réparation matérielle des victimes des dictatures et guerres civiles du Pérou, de Colombie ou d’Argentine, je dois dire mon profond désaccord. Mais c’est un sujet en soi, dont je discute en conclusion de mon livre.

 

Alain Lipietz

 

La réponse de Georges Ribeill

Ewa

Déportation : La réponse de Georges Ribeill

IMGP1520

Voici une nouvelle pierre apportée au débat passionné que se livre Alain Lipietz et Georges Ribeill. Dimanche 8 janvier

Cher confrère chercheur,

Je continue à préférer dialoguer par écrit, car cela impose de bien choisir et peser ses mots. Un simple rappel sur ma position de principe constante : Il ne faut pas confondre les responsabilités au sens politique (et donc les responsabilités juridiques qui en résultent) des acteurs impliqués dans les transferts entre camps français avec celles des acteurs concourant aux déportations vers l’Allemagne (transports toujours effectués sous contrôle policier allemand). Etes-vous d’accord au moins sur ce point de fond  avec moi ?

Je reprends vos divers points de vue :

– « Mon dossier s’efforce de faire des mises au point que j’espère définitives » : OK, c’est très présomptueux de ma part !
– Je ne vous ai jamais critiqué pour « ne pas citer vos sources » (entendu « en général »). Je relis mon papier : je vous interpelle une seule fois à ce sujet : « Il y eut des dirigeants de la SNCF qui donnèrent l’ordre (quelle source ?) ».  Je ne me rappelle pas avoir lu ce fait énoncé quelque part, ce qui m’aurait frappé ! mais peut-être n’ai-je pas tout lu et comme vous dites, « ce détail a pu m’échapper ». Je suis donc très intéressé par la référence de votre source (Bachelier ?).
– De même, je suis preneur de vos sources concernant « les lettres des cadres protestant contre les organisations caritatives ».
– Je connais fort bien les photocopies Schaechter : les « transports de l’espèce » sont des convois au départ de camps français, vers d’autres, et relève d’une convention commerciale SNCF / Intérieur que  nous recherchons tous ! Négociée entre Laval et Fournier, cette convention à l’évidence, devait traiter de tous les « transférés » possibles (droit commun et autres multiples catégories d’internés, dont les « IAPT », etc.) et non pas « des déportés ».

Autrement dit, la SNCF a bien facturé (à juste droit) tous ces trains franco-français. Telle la facture réclamée en 1945 pour un convoi impayé de Juifs des Milles sur Drancy l’été 1942. Quant à cette réclamation fort tardive de la part de la SNCF, elle m’interpelle évidemment : venant d’un petit employé de bureau zélé et inconscient (probable) ? ou d’instructions venues de plus haut, « tout est bon à prendre en impayés, y compris le règlement de ces tragiques convois accomplis durant l’occupation pour le Ministère de l’Intérieur » (douteux) ?)

– D’où l’intérêt que j’ai porté à cette pièce d’archive de la SNCF (Historail, p. 86), consultation de la Direction juridique l’été 42 par les Services du Mouvement sur le droit de bousculer par le ministère de l’Intérieur, le régime des priorités des trains commerciaux : nous sommes alors en zone libre, mais il s’agit bien, il me semble, d’assurer la priorité absolue pour disposer de ces trains de transfèrement dirigés sur Drancy : là-dessus, j’écris clairement que c’est en l’état une hypothèse. Inversement à votre rebond qui en fait instantanément une pièce  d’accusation de plus, cette convention devant régir selon vous les trains de déportés   

– Je ne sais pas si j’ai « semblé récuser » la jurisprudence internationale pour ses réparations « individuelles » : tel n’est pas mon propos ! Je n’ai rien à dire au plan judiciaire et jurisprudentiel, étant incompétent ! La seule chose qui m’intéresse, c’est d’apprécier en effet comment la SNCF (dans ses divers étages hiérarchiques) a concouru matériellement et moralement à la chaîne logistique achevée dans les camps outre-Rhin.

Son point vulnérable à mes yeux, ce sont bien « les fautes de service » (expression que je reprends volontiers à mon compte) qu’elle a acceptées de commettre l’été 42 dans ses convois en zone libre, au lieu de freiner, résister, en brandissant quelques règlements opportuns s’opposant ou améliorant le transport de ces juifs dans des conditions inhumaines (quoiqu’encore bien douces par rapport à ce qui s’ensuivra) qui indignèrent au moins le capitaine de gendarmerie Annou !

Voilà donc ma réponse de fond à votre texte, conçus l’un et l’autre  je pense comme un dialogue fécond, en quête de contribution au comblement du trou de « 80 % » admis par Hilberg. Une fois réglées ces délicates « passes d’armes » que j’espère paisibles, on pourra se rencontrer sans problème et continuer à discuter autour d’un verre. J’ai la réputation d’être un historien « passionné », qui risque de s’emporter peut-être trop facilement parfois dans le dialogue : d’où la préférence en priorité à ces lignes rédigées en écho à votre point de vue. Un dialogue que j’espère fécond, bien préférable au retranchement de la SNCF !!!

 

Bien cordialement,

Georges Ribeill

Ewa

« La séparation de l’infrastructure est une faute contre l’esprit » par Thierry Mignauw, ancien directeur général délégué Infrastructure de la SNCF

Thierry Mignauw 105800

Thierry Mignauw a préféré démissionner en 1999?de ses fonctions à la tête de l’infrastructure SNCF plutôt que d’assumer une mission que la séparation entre RFF?et SNCF?rendait à ses yeux impossible. Grâce aux Assises, les impasses qu’il a longtemps dénoncées sont sur la place publique.?Aujourd’hui à la retraite, Thierry Mignauw réaffirme ses convictions, et fait part de ses réflexions sur la façon dont la concurrence peut trouver sa place sans nuire à l’optimisation du système ferroviaire. Les pages Forum de Ville, Rail & Transports ont publié un point de vue très intéressant de David Azéma, directeur général délégué de la SNCF, sur la concurrence ferroviaire et l’organisation du secteur, notamment pour ce qui a trait à l’infrastructure. Si jusqu’à aujourd’hui je me suis abstenu de prendre des positions publiques sur ces sujets (à l’exception du jour de mon départ à la retraite, mais ce n’était pas tout à fait un événement public) et si, depuis deux ans et demi, je n’exerce plus aucune fonction au sein de la SNCF et de son groupe, ni dans le secteur ferroviaire, à quelque titre que ce soit, la prise de position de David Azéma m’autorise à sortir de la réserve à laquelle je m’étais tenu. Sans doute, pour être clair, dois-je dire « d’où j’écris » ce qui va suivre. J’ai passé toute ma vie professionnelle à la SNCF, j’ai passionnément aimé cette entreprise et elle me l’a rendu. J’étais directeur des Grandes Lignes quand Louis Gallois m’a nommé directeur général délégué Clientèles en 1997, puis directeur général délégué Infrastructure début 1998, poste où j’ai eu l’honneur de succéder à Francis Taillanter. La réforme ferroviaire était votée, puisqu’elle a été instituée par la loi du 13 février 1997. Mais elle restait à mettre en œuvre tant du côté de RFF que de la SNCF. Constatant que cette réforme portait en germe tous les dysfonctionnements que David Azéma constate aujourd’hui, mesurant qu’aucune modération ne viendrait en limiter les conséquences et considérant que je ne pouvais poursuivre sa mise en œuvre sans trahir mes idées et la confiance que de nombreux cheminots avaient mise en moi, je démissionnai à la mi-1999 de mes fonctions de directeur général délégué. En 2003, Louis Gallois et Guillaume Pepy me nommèrent directeur Ile-de-France, chargé de Transilien. Je pris ma retraite de la SNCF en 2009. Le papier de David Azéma, je pourrais presque le signer. Et, avec un style différent et à quelques nuances près, je pourrais l’avoir écrit. Mais je voudrais le compléter d’un certain nombre de réflexions, importantes à mes yeux.

 

1. Au plan européen, les promoteurs de la réforme ferroviaire estimaient que la priorité était d’instituer la concurrence à l’intérieur du secteur (et pas seulement entre les modes). Et que pour cela le préalable indispensable était la séparation de l’infrastructure et des services ferroviaires proprement dits, afin de permettre la libre circulation des trains dans des conditions équitables pour tous.
Ce raisonnement apparemment imparable est erroné parce que la hiérarchie des objectifs est inversée. Le but premier de toute réforme doit être d’améliorer le fonctionnement pour produire les meilleurs services en quantité, en coût et en qualité, pour satisfaire les attentes des clients et du pays. L’introduction de la concurrence n’est pas le but premier mais un moyen pour y parvenir. Si les conditions de mise en œuvre de ce moyen doivent ruiner l’atteinte de l’objectif premier, en augmentant les coûts et en diminuant la qualité des services produits, on marche sur la tête. Or c’est exactement ce qui se produit sous nos yeux en France. Qu’un directeur général délégué de la SNCF puisse parler de « la crise froide dans laquelle s’enfonce lentement mais sûrement le système ferroviaire français » en dit long sur la gravité de la situation.
Est-ce à dire qu’on ne peut pas introduire la concurrence dans le chemin de fer ? Certes pas. Nous avons un exemple vivant outre-Rhin d’un marché ferroviaire qui est l’un des plus ouverts d’Europe, mais où l’infrastructure est toujours intégrée au sein de la Bahn. La concurrence s’y exerce de deux manières : en libre accès à l’infrastructure pour de nouvelles entreprises ferroviaires, par l’attribution de droits d’exploitation à d’autres sociétés que la DB sur des lignes entières. Le premier mode de concurrence est dominant dans le fret, le second pour les voyageurs. L’Allemagne n’est sans doute pas le paradis ferroviaire sur la terre, mais ça marche.

Conclusion 1 : la concurrence peut être considérée comme un stimulant nécessaire à la dynamisation du secteur (il appartient à chacun de se prononcer sur ce point), mais elle ne nécessite pas la désintégration infrastructure/production des services de transport.

2. En France, les choses se sont compliquées pour deux raisons. La première est que les directives européennes et la situation financière de la SNCF en 1996 rendaient nécessaires son désendettement, mais que l’Etat s’y refusait. D’où l’idée d’adosser la dette à la valeur des infrastructures au sein d’un nouvel établissement public sans le moindre lien avec la SNCF, excluant ainsi une solution à l’allemande. On a vécu ainsi, jusqu’à la création en 2010 de l’autorité de régulation, avec deux établissements publics sans aucune instance de concertation et d’arbitrage autre que le ministre ! Et on n’a pas pour autant réglé le problème de la dette qui est toujours à l’intérieur du système ferroviaire. Une seconde raison est venue compliquer les choses. Au sortir des grèves de 1995 qui avaient laissé la SNCF exsangue et décapitée, personne n’avait envie de s’exposer à une crise sociale. Si bien qu’on a inventé cet objet exotique et unique, jamais copié, qu’est le GID, le gestionnaire d’infrastructure délégué, au sein de la SNCF, mais commandé par le GI, le gestionnaire de l’infra. Deux têtes et un seul corps. Et le bras gauche ne doit pas communiquer avec le bras droit. Le comble du « nonsense » dit David Azéma. Et on s’étonne que ça ne marche pas !

3. La séparation de l’infrastructure est une faute contre l’esprit dans un mode de transport guidé, à un seul degré de liberté (on ne peut, sur des rails, qu’avancer ou reculer, régler sa vitesse, et les changements de direction sont dictés par l’infrastructure). Ce n’est pas le lieu ici d’en faire la démonstration. Mais c’est assez simple à saisir (il paraît que la chancelière Merkel l’a bien compris et l’a dit à Guillaume Pepy !). L’analyse que font les tenants de cette solution est purement statique : comment assurer la libre circulation sur une infrastructure donnée. Sauf que l’infrastructure n’est pas une donnée intangible. Au contraire, on la fait évoluer, on la modernise, on en construit de nouvelles en fonction des services que l’on veut assurer. Niveau de service (en nombre de circulations, en fiabilité, etc.), nature du matériel roulant, caractéristiques des infrastructures interagissent étroitement. Et c’est l’optimisation globale du système qu’il faut rechercher en termes de coût, de niveau et de qualité de service (et donc de trafic et de recettes). Ni le seul gérant de l’infrastructure ni le seul exploitant des trains ne peuvent optimiser la globalité du système. Pour une nouvelle infrastructure, combien de trains, quel débit et donc quelle signalisation ? quelle puissance des trains et quelles rampes admises ? quelle vitesse et quel tracé ? quelle longueur des trains et donc quelle longueur pour les quais, les voies d’évitement, les voies de garage et les ateliers d’entretien ?
Et pour le réseau existant, comment assure-t-on son accessibilité aux personnes à mobilité réduite ? On remonte les quais ou on abaisse le plancher des trains ? Pour lutter contre le bruit, faut-il construire des murs antibruit ou faire des trains moins bruyants… à moins que ce ne soit le rail qui produise le bruit ? Le nouvel entrant sur le réseau, comme l’entreprise existante d’ailleurs, ne demande pas un train isolé, mais tout un service. Ce service, c’est un ensemble d’horaires de trains (les fameux sillons rassemblés en grille), mais aussi un programme d’utilisation du matériel, des conducteurs et des agents d’accompagnement (les non moins fameux roulements). Faire les grilles de dessertes sans les roulements est une aberration économique et pratique car il faut utiliser au mieux les infrastructures et le matériel roulant. La préparation du service, c’est toute une horlogerie dont les rouages sont aussi bien du côté de l’infrastructure (les sillons, le graphique d’occupation des voies des gares et des garages, les mouvements entre les chantiers, les travaux d’entretien) que du côté des entreprises ferroviaires (la demande des usagers, l’information, les roulements de matériels et de personnel, la gestion des flux de voyageurs, l’entretien des trains, leur avitaillement), et tous ces rouages doivent s’enclencher les uns les autres. Et dans la vie quotidienne, lorsqu’il y a un suicide ou un incident sur la voie, c’est un problème d’infrastructure, mais l’information, c’est un problème de l’entreprise ferroviaire. Quand le train va-t-il repartir ? L’infra va pouvoir le dire, mais c’est qu’il n’y a pas qu’un train concerné. Le train dans l’autre sens est-il ou non la réutilisation du train coincé ? Et le conducteur, il est où ? Cela relève des entreprises exploitantes. Mais quand la circulation sera de nouveau possible, tout le monde va vouloir repartir en même temps, et l’infrastructure va devoir décider dans quel ordre repartent les trains et même souvent combien il faudra en supprimer. Quel esprit raisonnable peut imaginer qu’il faut faire cela avec des opérateurs cloisonnés ne se parlant que par des systèmes d’information codifiés ? N’est-ce pas, Mme Merkel ? En plus, on s’aperçoit rapidement que le raisonnement qui a conduit à la séparation de l’infrastructure doit être étendu à d’autres domaines : la circulation des trains, les gares, la fourniture de l’énergie, les voies de garage, la manœuvre des trains et leur entretien journalier. Il faut ainsi créer de nouvelles entités indépendantes. Le système de sécurité est évidemment partagé entre les mobiles et l’infrastructure. Sa surveillance doit donc être confiée à une autre entité indépendante, l’EPSF, qui n’a d’ailleurs pas la charge de la conception de la sécurité. L’Etat conserve un certain nombre de ses prérogatives, tandis que l’Europe crée une agence européenne chargée des normes d’interopérabilité et des organismes en charge de les vérifier. Bref, l’éclatement est total, et je mets au défi la plupart des dirigeants de ces entités d’expliquer comment fonctionne le système. La bureaucratisation, le coût des transactions entre tous ces organes, la lenteur ou le blocage des décisions, les luttes d’influence, l’irresponsabilité ne font qu’augmenter. J’ai dit et je redis qu’on serait incapable de réaliser le TGV dans ces conditions.

Conclusion 2 : la séparation stricte de l’infrastructure et plus généralement l’éclatement du système ferroviaire créent des dysfonctionnements qui augmentent les coûts et diminuent la qualité de service.

4. L’introduction de la concurrence dans le système ferroviaire sans le désorganiser suppose quatre conditions :
A. Comme le dit très justement David Azéma, il faut définir sur un ensemble géographique donné un utilisateur principal, un acteur pivot du système qui a en charge l’intégration des différentes composantes du système en opérationnel comme en conception, au quotidien et sur le long terme. On ne réussira pas sans reconnaître un rôle directeur à l’un des acteurs dans un système complexe, par essence fortement programmé, et ayant une très forte dimension de sécurité. Ce n’est pas un rôle d’arbitre, c’est une tâche permanente et très opérationnelle. Ce n’est pas purement technique. Il doit être placé sous la pression du client final, de la demande du marché, afin de faire remonter dans le système l’exigence du client. C’est ce que j’ai tant essayé de faire tout au long de ma carrière et c’est ce qui ne fonctionne plus aujourd’hui car les interfaces obscures entre les entités sont autant de barrages à la remontée des attentes de la clientèle.
B. Des règles d’accès au réseau doivent être précisément définies pour les nouveaux opérateurs (on a déjà beaucoup avancé sur ce point, puisque c’était l’obsession des « réglementateurs »). De même, les conditions des appels d’offres pour confier un service donné à un opérateur doivent être définies : c’est par exemple l’objet du rapport Grignon.
C. Une autorité de régulation forte doit avoir la tâche de surveiller le respect de ces règles (voire de les modifier) et de sanctionner ceux qui ne les respecteraient pas. Elle doit être puissante car elle est la contrepartie du rôle reconnu à « l’acteur pivot ».
D. L’Etat (ou un établissement public ou les collectivités) doit conserver un certain nombre de prérogatives quant à la propriété des infrastructures, aux décisions d’investissement, aux procédures d’utilité publique et à la sécurité ferroviaire.
Bien sûr, la SNCF a vocation à être l’acteur pivot dans un certain nombre de cas, mais si l’Etat et les collectivités décident de confier certains services à d’autres opérateurs, alors elle n’a plus vocation à jouer ce rôle sur l’ensemble géographique où ce nouvel opérateur serait dominant. Par exemple, si les services de la ligne de A à B sont concédés à un opérateur nouveau, cette concession comprend le rôle d’acteur pivot et donc la gestion d’infrastructure. Si A est la grande ville et que l’infrastructure venant de B n’est pas indépendante, l’accès à la gare de A est en dehors de la concession et se fait sous les règles du droit d’accès. Dans un tel système, se posent les questions de savoir qui investit dans le matériel roulant et les infrastructures et de la durée de la concession. Plus il y a d’investissement, plus il faut de durée. Plus il y a d’investissement du concessionnaire, plus la concession est responsabilisante.

Conclusion 3 : la concurrence peut être instituée sans détruire l’optimisation globale du système ferroviaire, en affirmant le rôle d’un acteur pivot, en établissant des règles d’accès au réseau équitables et en instituant une autorité de régulation forte. On ne peut manquer de constater que c’est sur des règles de ce type que fonctionne la quasi-totalité des chemins de fer du monde, hors l’Europe (Japon et USA notamment).

5. L’unification GI/GID mettrait fin à la complication supplémentaire que la France a introduite et résoudrait un certain nombre de difficultés, mais elle ne constitue pas une solution des problèmes majeurs évoqués par David Azéma.

6. Tous nos propos portent sur le seul secteur ferroviaire. Sous l’impulsion européenne, la politique des transports s’est concentrée sur des politiques sectorielles, l’aérien, le routier, le maritime, le ferroviaire, etc. Le sujet de la politique globale des transports a quasi disparu et l’obsession de la concurrence équitable concerne la concurrence intramodale, mais n’intéresse plus personne quand il s’agit de la concurrence intermodale, pourtant beaucoup plus vive. C’est pourquoi je suis favorable à l’établissement de comptes transport pour chaque mode, en y incluant les coûts externes et en séparant infrastructure et exploitation, à définir pour chaque mode le niveau des péages retenus, en conservant à l’esprit que les péages sont là pour harmoniser les conditions de concurrence et orienter le choix modal des usagers en fonction des objectifs de la collectivité. J’estime paradoxal par exemple qu’on discute à l’infini de l’indépendance du gestionnaire des gares, mais que personne ne s’étonne que les autoroutes urbaines soient gratuites (péage nul), alors que les péages ferroviaires sont les plus élevés en Ile-de-France (et qu’en plus leur produit ne soit même pas réutilisé en Ile-de-France pour la modernisation d’un réseau qui en aurait bien besoin). Ces sujets ne sont pas d’actualité et ils n’intéressent pas grand monde. Et comme le monde ne s’est pas fait en un jour, je veux bien les laisser provisoirement de côté, mais je voudrais qu’on ne les oublie pas complètement.

7. David Azéma aborde dans ses remarques quelques questions relevant de l’économie des transports sur lesquelles je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui. Il dit que le chemin de fer est un mode de transport pauvre faisant nécessairement appel au financement public et qu’il a des « rendements décroissants », c’est-à-dire que le trafic coûte de plus en plus cher à acheminer. Je pense pour ma part que le chemin de fer est un mode de transport puissant et cher.
• Puissant parce que la faible résistance à l’avancement permet le déplacement de charges importantes moyennant une faible dépense énergétique et des moyens humains limités (un seul conducteur par convoi). Ces performances sont inégalées dans le transport terrestre. Mais l’unité de transport naturelle est importante : c’est le train et pas le voyageur ou l’expédition de marchandises. Et il nécessite sa propre infrastructure qui pour des raisons évidentes ne va pas chez chaque client.
• Cher en raison du niveau de sécurité exigé avec des masses déplacées très importantes et des quantités d’énergie mises en œuvre élevées, sécurité qui requiert une fiabilité très élevée des matériels et des hommes et du fait de la spécificité de son infrastructure.
Aussi, le chemin de fer est-il particulièrement adapté aux flux importants, qui permettent d’avoir des trains bien occupés, des fréquences de dessertes satisfaisantes et des infrastructures bien utilisées. Il est imbattable dans l’urbain et le périurbain denses (sous forme de métros, de RER ou de trains de banlieue). Il est également très pertinent dans les dessertes intervilles à grande vitesse. Il ne pose de problème d’équilibre budgétaire que quand il sort de son domaine d’excellence ou que la concurrence avec d’autres modes est inégale. La puissance publique peut décider, en milieu urbain notamment, que les tarifs seront en dessous des coûts. Mais on peut noter que ce système visant à favoriser l’utilisation du transport public ne transite pas nécessairement par les comptes de l’entreprise de transport : au Japon, les tarifs en milieu urbain sont élevés, les compagnies y gagnent de l’argent et c’est l’usager qui est aidé directement. Il n’est pas à rendement décroissant sur les zones où il n’est pas saturé. Les rendements y sont au contraire fortement croissants car il ne coûte pas beaucoup plus cher de faire rouler dix trains plutôt que cinq sur une infrastructure non saturée. C’est un des avantages du cadencement. En revanche, quand on approche la saturation, des investissements de développement sont nécessaires et les coûts unitaires ré-augmentent. Et si on finit par édifier une infrastructure nouvelle, on crée d’un coup une capacité supplémentaire importante, le coût moyen recommençant à décroître. Ainsi, le TGV Paris – Lyon, il y a trente ans, a créé une capacité importante de transport à grande vitesse, ses utilisateurs ont payé, et bien au-delà, le coût de l’infrastructure. Aujourd’hui, elle connaît une saturation qui va conduire à de nouveaux investissements. La difficulté réside en ce que tout cela s’apprécie sur le temps long.

8. La période actuelle semble favorable à la reprise d’une réflexion de fond sur ces sujets. La crise de 2008 et celle qui est la nôtre en ce moment poussent à se reposer des questions sur notre modèle de développement. L’Europe s’interroge sur son domaine d’action politique, et il est clair que l’organisation du secteur ferroviaire doit être pensée au niveau européen. La question de la place et de l’organisation des services publics est partout posée. La ministre et le secrétaire d’Etat chargés des Transports ont lancé des assises ferroviaires. Enfin, il y a des échéances électorales proches.

9. Ces sujets ne sont pas des questions réservées aux spécialistes. Elles méritent débat dans la société civile. Les cheminots sont concernés au premier chef bien sûr. Leurs responsabilités sont importantes car, si des évolutions dans le sens évoqué étaient décidées, leur entreprise devrait se montrer à la hauteur de la confiance mise en elle.    

Ewa

Idéologie ou pragmatisme : le dilemme de la concurrence ferroviaire, par David Azéma

Azema

Les Assises du ferroviaire viennent de s’ouvrir.?Un des grands sujets, la mise en concurrence de l’opérateur historique.?Pour David Azéma, directeur général délégué de la SNCF, en charge de la stratégie et des finances, la concurrence n’a pas de vertus magiques.?Elle ne peut profiter à l’ensemble du système que si elle est un moyen au service d’une politique de transports.?Et ne peut fonctionner qu’en s’organisant autour d’un acteur pivot maîtrisant l’exploitation ferroviaire dans toutes ses composantes.? La concurrence dans le ferroviaire n’a jamais vu, dans notre pays, autant de bonnes fées penchées sur son berceau. Après le sénateur Grignon qui vient de travailler en profondeur sur cette question et a rendu ses conclusions en mai dernier, on attend pour la rentrée littéraire un rapport du Conseil d’analyse stratégique et, pour Noël, le diagnostic que devrait formuler un groupe de travail des assises du ferroviaire. Depuis quelques mois, RFF ou l’Araf expriment officiellement ou officieusement leurs interrogations quant à la compatibilité de telle ou telle modalité d’organisation du système ferroviaire français avec l’exercice de la concurrence. Ces préoccupations font écho aux expressions antérieures de l’Autorité de la concurrence et à celles des concurrents réels ou putatifs de l’opérateur historique, qui déplorent l’insuffisante concurrence sur le marché français et pointent du doigt, comme un seul homme, l’attitude nécessairement bloquante et discriminatoire du groupe SNCF. A Bruxelles, la Commission, légitimement frustrée de la lenteur avec laquelle le marché ferroviaire européen se développe, enfourche le même cheval de bataille à l’échelle européenne et désigne les coupables : les réseaux historiques qui, à ses yeux, cumuleraient beaucoup trop de responsabilités et en tireraient profit pour retarder des opérateurs innovants qui piafferaient à la porte du marché. Sous cette pression, notre administration nationale ne peut que chercher à donner des gages. Enfin, les réseaux historiques eux-mêmes, dont SNCF, se projettent dans une stratégie concurrentielle et attaquent chez le voisin, pour l’affaiblir, ce qu’ils ont, ou rêvent d’obtenir, chez eux.
Il en résulte pléthore de suggestions et initiatives tendant toutes à réclamer plus de morcellement du système ferroviaire national. Après la direction des circulations ferroviaires, « ghettoïsée » au sein même de SNCF, ce sont la maintenance et l’entretien du réseau, les gares, les ateliers du matériel et plus largement toutes les fonctions aujourd’hui assumées par l’opérateur historique et potentiellement utiles à de nouveaux entrants qui devraient, à en croire certains, être isolées et gérées dans autant de bunkers différents les protégeant de l’immixtion nécessairement néfaste de ceux qui ont pourtant construit, développé et fait fonctionner notre réseau ferroviaire et les services qui l’empruntent depuis plus de 170 ans.
Face à cette dynamique avant tout guidée par l’idéologie et qui n’est pas, par certains côtés et toutes proportions gardées, sans rappeler l’obsession de certains régimes à se débarrasser de leurs élites en les envoyant aux champs, il est temps de regarder la réalité en face et de s’interroger avec un peu de recul sur le sens d’une ouverture à la concurrence du ferroviaire et sur les conditions dans lesquelles une telle ouverture pourrait in fine s’avérer profitable pour ceux qui n’ont, en la matière, qu’assez peu leur mot à dire : les voyageurs, les chargeurs et les contribuables d’aujourd’hui et de demain.
L’observation des expériences étrangères comme la crise froide dans laquelle s’enfonce lentement mais sûrement le système ferroviaire français devraient en effet nous inciter à prendre un peu de recul et à abandonner les recettes toutes faites pour repenser le problème et rechercher des réponses pragmatiques. Cette auto-analyse pourrait même, qui sait, aider nos interlocuteurs bruxellois à se sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent et dont témoigne la difficulté à accoucher de mesures réellement utiles pour développer le trafic ferroviaire en Europe, au meilleur coût pour la collectivité.
 

Pour ce faire, quelques observations liminaires et factuelles sont indispensables :

 

Première observation :
s’il n’y a pas de concurrence dans le domaine des voyageurs dans notre pays, ce n’est pas aujourd’hui du fait de l’obstruction du groupe SNCF mais bien parce que le législateur national et le gouvernement, pour des motifs qui leur sont propres, n’ont pas souhaité anticiper une ouverture du marché que certains de nos voisins ont mise en œuvre depuis plus de quinze ans, alors même qu’elle n’est pas encore imposée par les textes européens. Face à un interdit aussi radical, il ne sert à rien de multiplier les attaques de diversion contre l’opérateur national et de prétendre, par exemple, que c’est la présence en son sein d’une direction en charge des 3 000 gares nationales qui fait obstacle à l’arrivée de concurrents dans le transport de voyageurs. SNCF ne réclame d’ailleurs au fond qu’une chose : qu’on cesse de la désigner comme bouc émissaire et qu’on fixe le plus vite possible un calendrier d’ouverture lui permettant de se préparer effectivement à une évolution de son cadre d’activité, évolution qui recèle à ses yeux plus d’opportunités que de menaces.

Deuxième observation :
le chemin de fer est un transport guidé qui offre beaucoup moins de souplesses d’exploitation que les modes concurrents. Cette contrainte impose que l’ouverture du marché soit pensée dans sa globalité et qu’à un système fermé confié à la seule responsabilité hiérarchique d’une structure monopolistique soit substitué un dispositif cohérent permettant à la fois aux nouveaux entrants de s’y épanouir et à l’écosystème global de continuer de fonctionner. A cet égard, la France mérite sans doute la palme du nonsense en ayant réussi le tour de force d’avoir désorganisé son écosystème ferroviaire tout en demeurant juridiquement fermée à l’entrée de concurrents !

Troisième observation :
le chemin de fer est un système pauvre qui ne peut se maintenir qu’au prix de concours publics importants. Ses caractéristiques techniques en font en effet un mode significativement moins compétitif, au plan microéconomique, que la route ou l’aérien. La chute quasi continue de la part de marché du mode depuis la fin de la Première Guerre mondiale en est l’illustration la plus patente. N’accumulant aucune rente de monopole, financé dans tous les pays d’Europe à plus ou moins 50 % par des fonds publics, le ferroviaire ne peut se permettre de prendre en charge de multiples coûts supplémentaires de transaction qui, in fine, seront à la charge du contribuable s’ils ne sont pas compensés par des économies à due proportion. Or, au-delà de l’autosuggestion idéologique, il n’apparaît pas que l’ouverture du marché ait, en soi, amélioré la performance du système. Elle a même pu conduire, au Royaume-Uni, au résultat paradoxal d’augmenter considérablement la charge pour le contribuable en révélant des sous-financements que le monopole public antérieur permettait, comme en France aujourd’hui, de dissimuler.

Quatrième observation :
le système ferroviaire est un système à faibles rendements croissants qui, pour accompagner une éventuelle croissance, nécessitera toujours plus d’investissements à la rentabilité marginale déclinante. C’est également un système dont le potentiel absolu de croissance est relativement borné. Dans ces conditions, bien éloignées de celles observées, par exemple, dans le secteur des télécommunications ou dans l’aérien, la concurrence ne se traduira pas par une hausse spectaculaire du marché mais bien plus certainement par une lutte au couteau pour des parts de marché sur un marché relativement stable et physiquement limité.

Dès lors, face à de tels constats, pourquoi donc se poser la question de la concurrence ? La réponse principale est sans doute la suivante : face à des monopoles historiques qui ont partout profité de leur position pour se bureaucratiser, capturer leur régulateur, et faire bénéficier leurs personnels d’une part plutôt élevée de leur valeur ajoutée sans nécessairement apporter le service attendu et la considération pour leurs clients, les gouvernements et parfois les opinions publiques n’ont pas trouvé d’autre outil que la privatisation et/ou l’ouverture du marché pour introduire au forceps les transformations qu’ils jugeaient nécessaires pour améliorer l’économie du ferroviaire et donc le développer. Car, ne l’oublions jamais, les promoteurs de la concurrence ne sont pas des ennemis du mode mais ses plus ardents défenseurs, se désolant que l’inefficacité des acteurs ne permette pas au train d’occuper la place qu’il mérite. Le recours magique à la concurrence, au nom du développement du chemin de fer et face à l’impuissance à réformer des structures publiques, s’est retrouvé presque partout en Europe dans des formes plus ou moins poussées : de l’extrême britannique ayant conduit à l’éradication de British Rail à une approche plus continentale visant, comme en Allemagne, à aiguillonner un opérateur public dont la légitimité et la compétence ne sont pas pour autant contestées.
A cet objectif premier, il faut sans doute ajouter, vu de l’Union, que le périmètre national des anciens réseaux se devait d’être remis en cause pour favoriser les trafics transfrontières pénalisés par l’approche nécessairement nationale des monopoles publics.
Si tels sont bien les objectifs premiers des réformes engagées en Europe et transposées en France, si le motif réel de l’ouverture du marché est de forcer à la transformation des opérateurs historiques ou de développer les trafics transfrontière, faut-il pour en arriver là fantasmer une forme de concurrence pure et parfaite qui verrait, sur un réseau public, s’affronter de multiples opérateurs publics ou privés de taille plus ou moins égale, comme se font concurrence les grossistes du Sentier ou les vendeurs de matériel électronique d’Akihabara ?
Vingt ans après l’adoption de la directive 91-440, avec le bénéfice du recul et de l’observation des dispositifs nationaux les plus aboutis : au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Suède, il devrait être permis de questionner profondément la démarche engagée, non pas quant aux objectifs poursuivis mais quant à la méthode excessivement juridique retenue pour les atteindre : forcer à toujours plus de séparation et d’indépendance des différents rouages de cette gigantesque horloge mécanique que constitue un système ferroviaire.
Le rapport récemment rendu au Royaume-Uni par Sir Roy Mac Nulty est à cet égard riche d’enseignements. Observant le fonctionnement effectif du système ferroviaire dans le pays qui a sans doute poussé le plus loin la libéralisation tout en expérimentant successivement de multiples adaptations du modèle initial destinées à en améliorer le fonctionnement, le rapport conclut, sans appel, que « la fragmentation des structures et les interfaces constituent une des principaux obstacles (à l’efficacité du système) » et va jusqu’à envisager « une complète intégration verticale dans une concession portant à la fois sur la gestion de l’infrastructure et l’opération des trains ».
Les résultats des expériences conduites in vivo durant deux décennies dans le laboratoire britannique devraient être médités avec humilité par les prescripteurs continentaux. Ils pourraient utilement en déduire que, même associée à des mécanismes contractuels d’incitations croisées extrêmement sophistiqués, la voie britannique consistant à isoler complètement la gestion opérationnelle du réseau de l’opération des services de transport ne constitue pas la panacée qu’ils imaginent. Ils pourraient également se faire l’observation que les problèmes constatés aujourd’hui sur un des réseaux les plus densément utilisés pour des trafics de « commuters » seront appelés à se démultiplier en Europe, au fur et à mesure que l’urbanisation se développera et que le train deviendra pour l’essentiel de ses trafics voyageurs, y compris à grande vitesse, une sorte de métro à grande capacité. Ils pourraient enfin conclure que la technique ferroviaire induit un rapport de force social que la privatisation et l’éclatement ne bouleversent pas profondément : les salaires dans les compagnies ferroviaires britanniques ont augmenté au-dessus de la moyenne britannique depuis la privatisation !
Au vu de l’intéressant exemple britannique comme de la lente dérive du système ferroviaire observée en France et à la veille de débats français et européens fondamentaux pour l’avenir du ferroviaire en Europe, il est temps pour ceux qui connaissent intimement le fonctionnement de ce système de s’exprimer et d’affirmer avec force quelques convictions.
 

Sept convictions fortes pourraient être aujourd’hui affirmées :

Première conviction :
il est légitime et compréhensible que les clients et les autorités publiques souhaitent organiser la contestabilité des opérateurs historiques par la concurrence, à la fois pour s’assurer de l’efficacité et de la transparence d’un système ferroviaire essentiel en Europe mais très consommateur de fonds publics, et pour stimuler l’innovation.

Deuxième conviction :
un système ferroviaire ouvert à la concurrence ne peut fonctionner s’il ne s’organise autour d’un acteur pivot, responsable, au jour le jour comme en dynamique, de son bon fonctionnement. Cet acteur pivot doit avoir la taille critique requise et maîtriser l’exploitation ferroviaire dans ses différentes composantes.

Troisième conviction :
il faut maintenir dans l’écosystème ferroviaire des acteurs présents à la fois dans des fonctions d’opération des trains et de gestion de l’infrastructure, c’est la meilleure garantie d’un bon fonctionnement technique et opérationnel du système et du maintien de compétence ferroviaires stratégiques en Europe.

Quatrième conviction :
la coexistence dans le système ferroviaire d’acteurs de taille et de périmètre différents est inéluctable. Ces déséquilibres n’interdisent pas l’exercice de la concurrence et peuvent être corrigés par une régulation adéquate du marché et la transparence des flux financiers relatifs à l’infrastructure et aux gares.

Cinquième conviction :
l’ouverture du marché ferroviaire ne pourra produire ses pleins effets que si le système auquel elle s’applique est en bon état et correctement financé. Dans le cas inverse, l’arrivée de concurrents pourrait au contraire, comme au Royaume-Uni, agir comme un révélateur des insuffisances de financement du système et en particulier du réseau et conduire à un relèvement des concours publics.

Sixième conviction :
l’ouverture du marché ne pourra non plus produire ses pleins effets si un cadre juridique nouveau et global n’est pas défini, dans chaque pays, pour tirer les conséquences, notamment dans les domaines de la sécurité, du fonctionnement opérationnel, et du droit social, du passage à un système globalement ouvert.

Septième conviction :
la concurrence est un moyen au service d’une politique des transports et non une fin en soi. Un système ouvert exigera que les choix fondamentaux en matière, par exemple, de priorités de trafic ou de partage des coûts entre usagers et contribuables, encore souvent implicites, soient désormais explicites.

Si les responsables des principaux opérateurs de chemin de fer européens ne parviennent pas à faire partager ces convictions et si l’idéologie ou la peur d’affronter les idées reçues dominent, il y a tout lieu de penser qu’éclatement progressif des systèmes ferroviaires, inefficacité opérationnelle et faible concurrence effective iront de pair en Europe, laissant la voie libre aux opérateurs et aux industriels de contrées plus pragmatiques, qui ont compris que privatisation et concurrence pouvaient s’accommoder du maintien d’opérateurs intégrés de grande taille : Etats-Unis, Japon, Corée ou Chine. A l’inverse, s’ils devaient être entendus, il est possible d’imaginer un système ferroviaire européen dans lequel la présence d’acteurs forts et compétents a permis à la fois à de nouveaux joueurs d’émerger et à ces acteurs de se contester suffisamment entre eux pour conduire à l’amélioration de la performance du système. Tout comme, dans la nature, les hôtes et les phorontes se complètent dans une relation mutualiste, l’arrivée d’une concurrence ferroviaire en Europe supposera la reconnaissance pragmatique des mérites des uns et des autres au lieu de la diabolisation systématique des opérateurs historiques à laquelle on assiste trop souvent aujourd’hui.

Ewa

Gilbert Garrel, secrétaire général de la CGT Cheminots : « Il ne faut pas que le statut soit au cœur des débats »

Garrel

A propos des Assises, Gilbert Garrel prévient : si c’est pour stigmatiser les cheminots et la SNCF, ce n’est pas la peine. Pour le « big bang » annoncé lors du prochain changement de service, l’objectif de la CGT n’est pas la grève, mais des négociations de terrain. Ville, Rail & Transports. Depuis le début de l’année, il y a eu très peu de mouvements de grève à la SNCF. Cela témoigne-t-il d’un climat social apaisé ?
Gilbert Garrel. Pas spécialement. Car il y a eu les élections professionnelles et c’est une période peu favorable pour créer les conditions d’une unité syndicale. Ensuite, il a fallu mettre en place les institutions représentatives du personnel et cela demande un gros travail d’organisation qui mobilise les syndicats sur le terrain. Et puis, en 2010, il y avait eu des grèves au printemps, à l’automne, à la fin de l’année autour du décret sur les retraites et du budget. À cette période, les militants ont beaucoup donné, d’où le calme relatif ensuite.

VR&T. Il y a donc eu une année de mobilisations, pour quels résultats concrets ?
G. G. Cette mobilisation, notamment sur la question des retraites, a énormément pesé dans l’entreprise. La direction a mesuré le rapport de force et la montée du mécontentement. Les mille emplois supplémentaires par rapport aux prévisions du budget 2011, 5 540 au lieu de 4 550 annoncés à l’issue de la table ronde du 15 juin 2011 peuvent être mis à l’actif de cette mobilisation.

LVDR. Pourquoi appelez-vous seuls à la grève le 11 octobre prochain ?
G. G. C’est dans le cadre d’une action interprofessionnelle sur les salaires, l’emploi, les conditions de travail. Nous avons eu plusieurs réunions entre syndicats cheminots depuis juillet sur cette journée d’action. La CFDT et l’Unsa ne sont pas favorables à la grève. Par ailleurs, lors des derniers conflits, SUD n’a pas joué le jeu correctement. On a vu ses militants attendre pour se mettre en grève que nous décidions de reprendre le travail. Nous avons donc déposé seuls une DCI (demande de concertation immédiate) et souhaitons que la direction de la SNCF la prenne très au sérieux. La hausse de salaires qui nous est proposée est de 0,9 % alors que l’inflation est à 2,2 %. Nous réclamons donc la réouverture des négociations salariales. Quant à l’emploi, il faut prendre en compte la mise en place du prochain service en décembre, avec un nombre exceptionnel de changements.

VR&T. Craignez-vous le changement de service, d’une ampleur inédite, au point qu’il fait évoquer un « big bang » à la direction de l’entreprise ?
G. G. Nous avions dit que mettre en place ce cadencement n’était pas la bonne solution, car il ne peut être vraiment efficace que si le réseau est rénové et pas en chantier. Le gouvernement a fait un choix différent et tranché en faveur de RFF, qui voulait ce cadencement. Cela ne nous empêche pas, aujourd’hui, de dire clairement : nous avons envie que ce changement de service se passe bien. Pour cela, nous voulons l’ouverture de négociations locales, dans les établissements, pour vérifier l’adaptation des moyens et mettre les organisations du travail en place. Dans ces conditions, il faut que le dialogue social s’ouvre très vite. Notre objectif n’est absolument pas de faire grève le 11 décembre, c’est de faire en amont ce qu’il faut pour que cela se passe bien. Car ce sont les cheminots qui seront ensuite confrontés au quotidien aux usagers.

VR&T. Alors que s’ouvrent les Assises du ferroviaire, que penser de la question du statut du cheminot qui revient sur le devant de la scène ?
G. G. Sur ce sujet, le gouvernement tout comme la direction de la SNCF ne sont pas clairs. Personne n’ose dire véritablement qu’il souhaite attaquer le statut. La volonté, ce serait de faire comme en Allemagne : les anciens le gardent et l’on crée un double statut avec une convention ferroviaire nouvelle pour les autres. Dans le rapport Grignon, s’il y a ouverture à la concurrence, les cheminots qui passeraient dans une autre entreprise perdraient toutes les clauses statutaires. C’est une attaque inadmissible. Par ailleurs, certains préfèrent parler de cadre social. Mais ce cadre, c’est le statut, la réglementation du travail, les accords d’entreprise. Je ne vois pas comment on peut envisager de modifier le cadre social sans toucher au statut.
Souvent, on évoque les avantages liés à ce statut, sans bien mesurer les devoirs qui y sont liés. Il y a la qualification, la formation, la garantie d’un vrai professionnalisme, l’attachement prioritaire à tout ce qui tient à la sécurité des circulations. La priorité de la SNCF, c’est de répondre aux besoins de la population avec un transport de qualité. Pour une entreprise privée, la priorité, c’est la rentabilité financière et cela ouvre la porte à la déréglementation. Nous avons d’ailleurs envoyé plusieurs courriers à l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) concernant ECR (Euro Cargo Rail). Certaines de ses locomotives traversent la France sans contrôle de vitesse par balises (KVB), ce qui est interdit à la SNCF. Et on constate, dans les triages, qu’ils font des essais de freins au minimum.
Le statut, c’est aussi la possibilité de dire non quand les règles les plus élémentaires ne sont pas assurées. Si un salarié d’ECR dit non, il risque d’être licencié. Derrière le statut, il y a un cadrage. Si le TGV a pu transporter près de deux milliards de personnes sans accident en trente ans, c’est lié à cela. Nous ne voulons pas que le rail devienne aussi anarchique que la route, ou que l’on fasse des listes noires des compagnies ferroviaires, comme dans l’aviation.

VR&T. Les cheminots doivent-ils évoluer, comme l’a dit le président Sarkozy, en soulignant que nous ne sommes plus au temps de la vapeur ?
G. G. Lorsque l’on roule à 320 km/h, cela demande d’autres réactions, une autre concentration, un autre professionnalisme. À l’époque de la vapeur, il y avait des journées de 12 heures mais avec deux conducteurs à bord, à 60 km/h. Cette comparaison, c’est complètement démagogique. Notre réglementation du travail a d’ailleurs des dispositions qui ont largement évolué au fil du temps, en fonction des évolutions de la technologie.

VR&T. Qu’attendez-vous des Assises du ferroviaire ?
G. G. Lors de la dernière manifestation en juin, Nathalie Kosciusko-Morizet a pu mesurer l’attachement des cheminots à leur métier. Le gouvernement ne peut pas prendre ces Assises à la légère. Même si l’on aurait souhaité davantage de débats de proximité, même si l’on doute de certains technocrates à la tête de commissions, il y a des personnes comme Gilles Savary qui savent de quoi ils parlent. Le lien évoqué entre transport ferroviaire et industrie ferroviaire est également important. Sans le travail qui était hier beaucoup plus coordonné avec Alstom – alors Alsthom – il n’y aurait pas eu le TGV. Un autre aspect positif, c’est l’engagement pluriannuel évoqué par la ministre. Car le ferroviaire, ce sont des investissements lourds qui ne peuvent se travailler seulement dans le court terme mais sur au moins 15, 20 ans. Notre crainte, ce serait que la fin des Assises marque la fin du débat. J’ai aussi peur que ce soit trop court. Nous avons pris vingt ans de retard. Trois mois, cela risque d’être un peu juste pour avoir de vraies réflexions complexes sur le système ferroviaire. Si l’on fait tout cela simplement pour dire nous allons ouvrir la concurrence dans les TER, si c’est pour stigmatiser les cheminots et la SNCF, ce n’est pas la peine. Il ne faut pas que le statut du cheminot soit au cœur des Assises du ferroviaire. En revanche, s’il y a de vraies perspectives…

VR&T. Quel avenir voyez-vous à un système qui place la SNCF d’un côté, RFF de l’autre ?
G. G. Cette séparation structurelle que rien n’obligeait à effectuer a rendu concurrentielles les relations entre deux entreprises publiques alors qu’il faudrait privilégier des relations complémentaires. Aujourd’hui, les difficultés des usagers au quotidien, les critiques sur la qualité du transport ferroviaire en France sont dues à 90 % à cette séparation. Entre les deux, il y a seulement des relations commerciales, ce qui fragilise totalement le système. Une chose est essentielle, c’est que le sujet soit remis sur la table des négociations. Il faut désormais voir comment l’on crée les conditions pour réunifier. L’avantage d’une solution à l’allemande, c’est que l’infra et l’entreprise historique sont dans la même holding. Après, il va falloir revenir sur la question de la dette de RFF. En Allemagne, le système a été désendetté à deux reprises, avant la réunification et après.

Propos recueillis par Pascal GRASSART

Ewa

L’aéroport de Clermont-Ferrand desservi par une halte SNCF

halte ferroviaire

L’aéroport de Clermont-Ferrand, sur la commune d’Aulnat, à l’est de l’agglomération (22 communes et 290 000 habitants), devait être desservi par le chemin de fer à partir du 11 décembre. L’aéroport de Clermont-Ferrand, sur la commune d’Aulnat, à l’est de l’agglomération (22 communes et 290 000 habitants), devait être desservi par le chemin de fer à partir du 11 décembre. La nouvelle halte ferroviaire Aulnat-Aéroport entrera en service avec la nouvelle grille horaire. Le temps de trajet sera de 4 à 8 minutes depuis la gare de Clermont, et de 25 depuis Thiers. Au total, 35 trains par jour, à peu près la moitié dans chaque sens, s’y arrêteront, même si les horaires n’ont pas été calés sur les vols de départ et d’arrivée. La nouvelle halte est séparée de la plateforme aéroportuaire par une route départementale. Deux feux ont donc été installés pour permettre sa traversée. Jusqu’à présent, l’aéroport était desservi par les lignes de bus 10 et 20 de la T2C, mais en marge, puisque leurs arrêts en étaient assez éloignés. Toutefois, deux courses et demie de la ligne 20 sont déjà déviées, à contre-charge, pour desservir un arrêt provisoire sur le rond-point devant le parking de l’aérogare. A partir du 21 décembre, ce seront cinq courses quotidiennes qui le desserviront. En attendant les changements d’horaires, à l’été prochain, prévus par la T2C. Ainsi, à la rentrée scolaire 2012, la ligne 20 desservira l’aéroport et la gare SNCF. Ce nouvel arrêt sera utile aux quelque 2 000 employés de la zone aéroportuaire, mais aussi aux habitants d’Aulnat.     

Y. G.
 

Ewa

Le débat sur le ferroviaire : l’heure des choix

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Le 15 décembre va se tenir la dernière séance plénière des Assises du ferroviaire.? Les quatre commissions (concurrence et Europe, gouvernance, finance, industrie) vont remettre leurs recommandations au gouvernement. Dernières pièces versées au dossier dans nos colonnes : Pierre Cardo, président de l’Araf, se prononce en faveur d’un RFF chargé du pilotage, de la coordination et de la planification. Alain Quinet, DGD de RFF, explore, en pragmatique, quelques pistes permettant de résorber en dix ans le trou annuel du système ferroviaire. Louis Nègre, président de la Fédération des industries ferroviaires montre comment la filière veut s’organiser, de façon indépendante de la SNCF Entretien avec Pierre Cardo, président de l’Araf
« J’ai envie d’une SNCF qui gagne, mais est-il normal qu’on multiplie ses fonctions ? »

Pierre Cardo plaide en faveur d’une réorganisation de RFF et d’une SNCF qui puisse se concentrer sur son cœur de métier. Et refuse une holding à l’allemande qui n’est pas conforme au droit européen et comporte des risques de discrimination.

Ville, Rail & Transports. Vous avez été auditionné, dans le cadre des Assises du ferroviaire, par la commission de la gouvernance et par la commission chargée de l’Europe et de la concurrence. Quel message est le vôtre ?
Pierre Cardo. Il n’y a pas de système parfait. Le système issu de la réforme de 1997 est au milieu du gué et on ne peut pas en rester là. Il faut progresser par étapes. Une première étape pourrait être de regrouper les fonctions de planification, de pilotage et de coordination. Et cela ne peut être que le fruit d’une réorganisation profonde du rôle du gestionnaire d’infrastructure. Le système de la holding à l’allemande tel que certains le préconisent n’est pas satisfaisant. Il n’est pas conforme au droit européen, et il comporte des risques de discrimination, quand bien même il disposerait d’un régulateur puissant. D’ailleurs, la DB a été récemment condamnée pour discrimination par des tribunaux allemands. N’oublions pas non plus que ce n’est pas le système de holding qui a fait le succès en Allemagne, c’est tout un ensemble, qui passe entre autres par la refonte du volet social et le règlement de la dette.
Au-delà de la gouvernance, il faut définir les périmètres. Est-il normal qu’il y ait des infrastructures ou des prestations de services, dues à tout le monde, qui soient attribuées ou rendues par un opérateur qui peut être tenté de se favoriser ? En Allemagne, pour ne pas dépendre de la DB, certains nouveaux entrants ont dû investir dans des ateliers, compte tenu des difficultés rencontrées pour accéder ou bénéficier d’une qualité de service satisfaisante pour la maintenance de leur matériel. Mais tous ont-ils les moyens nécessaires pour de tels investissements ?

VR&T. Vos réflexions vont à l’encontre de ce que souhaite la SNCF, qui compte sur une position d’opérateur pivot pour conforter sa position de champion national.
P. C. Moi aussi j’ai envie d’une SNCF qui gagne ! Mais si on veut que l’opérateur historique, non seulement ne subisse pas la concurrence mais en bénéficie, est-il normal qu’on multiplie les fonctions qu’il doit assurer ? Aujourd’hui, on lui demande de faire de la gestion déléguée d’infrastructure et d’accomplir des missions pour les autres. Ne vaut-il pas mieux lui donner les moyens de se concentrer sur son cœur de métier, avec les plus grandes chances de réussite en France comme à l’étranger ?

VR&T. L’Araf a un an d’existence depuis le 1er décembre. Où en est la montée en puissance de l’Autorité ?
P. C. Les contentieux commencent à s’accumuler. Nous avons réglé deux différends, un troisième est en cours d’instruction, deux autres devraient nous arriver dans peu de temps. Nous avons aussi en cours trois procédures de sanction. Ce sont des procédures moins codifiées que les règlements de différends, plus souples, laissant davantage de temps à l’investigation, portant sur des manquements plus globaux que les différends et qui, comme leur nom l’indique, peuvent donner lieu à des sanctions. Les thèmes évoqués portent principalement sur le rôle de l’opérateur historique comme gestionnaire des infrastructures de services de fret et sur la qualité des sillons alloués. Tout cela montre que nous sommes utiles. Nous avons envie de jouer notre rôle, de clarifier les règles qui s’imposent aux acteurs, par exemple en rendant le document de référence du réseau plus lisible. Dans le cadre des Assises, on nous suggère de faire, à l’image des Britanniques, un « code du réseau » fixant les relations contractuelles entre acteurs. Cela permettrait d’être en amont des problèmes. Pourquoi pas, mais encore faut-il avoir les moyens de le faire. Or l’Etat, par la loi de finances, a plafonné nos ressources. Elles ne dépendent pourtant pas du budget de l’Etat. Nous disposons de 3,7 ‰ des péages versés à RFF pour fonctionner, part que nous avons fixée en bas de la fourchette qu’on nous proposait. Cela nous assure aujourd’hui 11 millions d’euros, et voici que, sans concertation, on nous plafonne à cette somme. Nous sommes, de plus, sous la menace d’un plafonnement d’emplois, alors que nous sommes en période de montée en charge, pour un effectif prévu de 60 personnes. Veut-on avoir un régulateur qui favorise les usagers, protège les acteurs, optimise l’utilisation du mode ferroviaire ? L’autonomie, cela passe aussi par les moyens financiers. Je ne suis satisfait ni dans le fond ni dans la forme. J’ai toujours été extrêmement rigoureux dans ma façon d’utiliser les fonds publics.
  

Propos recueillis par F.?D.

 

Entretien avec Alain Quinet, directeur général délégué de RFF
« On peut réduire l’impasse financière du système en dix ans »

Quelle trajectoire prendre pour trouver un équilibre économique ? Alain Quinet propose une réforme des modes d’organisation permettant d’améliorer la productivité du système comme la disponibilité commerciale du réseau.

Ville, Rail & Transports. On évalue l'impasse du système ferroviaire à environ 1,5 milliard d’euros par an. Tout le monde est d’accord : à ce rythme, on va dans le mur. Mais comment résorber l’impasse ?
Alain Quinet. La situation financière du réseau ferré est en effet préoccupante. Il faut dans un même temps se garder de postures radicales et parfois caricaturales. On peut toujours demander que l’Etat reprenne les problèmes à sa charge en augmentant les concours publics ou à l’inverse souhaiter une purge des coûts et un gel des projets. Si l’on s’en tient à ces postures de principe, il est difficile d’avancer, parce qu’aucune de ces solutions radicales n’est viable, et on reste au bout du compte avec son milliard et demi d’impasse sur les bras.
Ce qui me semble utile, c'est de voir de quelle façon on peut réduire dans la durée une impasse qui spontanément ne va pas se réduire. La première question, c’est celle de l’horizon et de la trajectoire qu’on se donne pour trouver un équilibre économique. Un des atouts du secteur ferroviaire, c'est qu'il peut s'inscrire dans un temps relativement long. C’est un atout, car il faut du temps pour réformer les modes d’organisation. Si on commence maintenant en se donnant un horizon de dix ans, cela veut dire, chaque année, franchir une marche de 150 millions d’euros. C’est à la portée du système, car les leviers de performance sont d'autant plus nombreux que l’horizon s’allonge. Si on raisonne sur un horizon trop court, on reste essentiellement dans une logique de transferts financiers entre l’Etat, RFF et SNCF, avec à chaque fois un gagnant et un perdant potentiel. On ne sort pas du débat sur le niveau des péages ou des concours publics. Si on raisonne sur un temps plus long, on peut mobiliser d’autres leviers de performance, qui améliorent le bien commun.

VR&T. A quoi pensez-vous ?
A. Q. De manière pragmatique on peut actionner trois leviers : celui de la productivité de l'ensemble du système, celui de l'augmentation de la disponibilité commerciale du réseau pour faciliter l’augmentation des trafics et celui des financements multimodaux.

VR&T. Mais ne sont-ils pas déjà actionnés ? On a l’impression d’entendre un air connu…
A. Q. Ont-ils tous été explicités ? Je n'en suis pas certain, et c’est un des intérêts des Assises du Ferroviaire que de les mettre en évidence. Quand on parle de productivité, on pense généralement aux effectifs. Mais le champ de la productivité, est beaucoup plus large. La productivité du capital, par exemple, est un enjeu très important : on peut davantage mécaniser l'entretien, souvent effectué avec un matériel vieillissant ; on peut davantage massifier les travaux de rénovation. Il y a aussi la productivité des trains, leur taille et leur taux de remplissage. Pour le fret par exemple, la longueur moyenne des trains est de 550 mètres et le réseau est historiquement conçu pour supporter des trains allant jusqu’à 750 mètres. A la demande de la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, nous nous sommes engagés à adapter l’infrastructure de certains axes pour permettre la circulation dès 2012 de trains de 850 mètres et, à terme, de 1 50 mètres.
Autre dimension de la productivité, celle du réseau. Notre réseau reste globalement sous-utilisé, même si les trafics sont denses dans certaines zones. Or, chaque pour-cent de trafic en plus, est une opportunité de péages supplémentaires et d’étalement des coûts fixes. C’est la responsabilité de RFF de mieux organiser la répartition des capacités entre circulations et maintenance ; ranger les travaux dans des fenêtres prédéterminées, mettre ces fenêtres la nuit lorsque les trafics de jour sont denses, ce qui permet de sécuriser et d'affermir les sillons. Le cadencement des horaires permet de mieux organiser les correspondances, de développer une logique de hub, et d’augmenter les capacités de trafic sur le réseau. Nous pouvons aussi avoir recours à « la domestication des trains », ce qui permet d'augmenter les trafics et la productivité du réseau, quitte à ne pas faire rouler chaque train à sa vitesse maximale. Regardez l'évolution des trafics entre Paris et Versailles. En 1922, quelques trains bolides ne mettaient que 23 minutes, sans arrêts. Aujourd'hui, les trains mettent en moyenne 31 minutes. Mais nous avons un trafic quatre fois plus dense et des arrêts intermédiaires en gare plus nombreux. Comme le trafic est plus dense les coûts de l’infrastructure sont répartis entre plus de trains, et donc le coût par train plus faible.
Vous le voyez, quand on allonge l'horizon, on dispose d’un « bouquet » de solutions plus large ; on ouvre des perspectives nouvelles. Pour mettre en œuvre ce bouquet, naturellement il faut une bonne gouvernance, que chacun soit responsabilisé sur ses choix et dispose d’un bon éclairage économique.

VR&T. Tout ceci vaut pour le réseau existant, mais comment faire pour assurer aussi la réalisation des meilleurs projets ?
A. Q. Il y a des possibilités, dans les années qui viennent, de redéploiement des concours publics en faveur de la modernisation du réseau existant, priorité affirmée par le nouveau projet de Snit. Après la mise en service à l’horizon 2017 des quatre lignes nouvelles déjà programmées, il y a une opportunité pour le faire. Selon nos calculs, la rentabilité financière d’une rénovation supplémentaire bien faite est en moyenne de 6 %, et sa rentabilité socio-économique d'environ 9 %. Le bilan carbone est également positif. C’est à comparer à chaque fois avec la pertinence d’un projet de ligne nouvelle. Là aussi, il faut se méfier des solutions trop radicales. Il est normal et sain d'avoir des projets. Je serais inquiet de voir une société simplement tournée vers l’apurement de sa dette.
Mais il y a deux aspects à considérer : pourquoi y a-t-il une pression pour la réalisation de nouveaux projets ? Et comment gère-t-on leur abondance ? La pression peut venir de bonnes raisons : parce qu'il y a une inégalité territoriale par rapport à la grande vitesse ou parce qu'il y a des zones saturées, comme l'Ile-de-France.
Mais il y a aussi de moins bonnes raisons. Par exemple lorsque la pollution n’est pas correctement tarifée. La mise en service de l’écotaxe poids lourd me semble de ce point de vue intéressante, de même qu’une extension de la fiscalité carbone. Dans les zones saturées, il faut aussi, comme nous le dit l’Araf, avoir une bonne tarification de congestion avant de penser à de nouveaux projets. Si on ne tarife pas bien la congestion ou la pollution, on aura beau construire en permanence des capacités supplémentaires, on va alimenter le problème autant qu’on va le résoudre.
Une fois qu’on a fait émerger les bons projets, on a deux modes de gestion de la rareté des fonds publics. L’un se fait par file d’attente. On attend en quelque sorte que les bons projets trouvent leur tour de table et qu’ils se mettent ainsi en bon ordre dans la file d’attente. Ce n’est pas totalement irrationnel, mais ce n’est pas totalement satisfaisant. Tout le monde tourne depuis longtemps autour d’une idée assez simple : il faut améliorer la gouvernance des projets sans dessaisir le politique, en donnant plus de poids dans la décision aux évaluations de la rentabilité collective de chaque projet.
De ce point de vue, le modèle du nouveau Commissariat général à l’investissement mis en place pour gérer le fonds du Grand emprunt pour les investissements d’avenir me parait un exemple intéressant. On a une vraie gouvernance, un mandat pour hiérarchiser les projets sur la base d’une enveloppe qui est prédéfinie et sécurisée. On pourrait s’inspirer de ce modèle dans le domaine des infrastructures en s’appuyant sur deux principes : une visibilité financière pluriannuelle à 5 ou 10 ans, un mandat donné à une institution, qui pourrait être par exemple l’Afitf, de hiérarchiser les projets sur la base d’une évaluation, débattue de manière ouverte, de la rentabilité socio-économique et financière des projets.

VR&T Vous parlez d’une vraie rentabilité socio-économique. Vous la jugez aujourd’hui mal évaluée ?
A. Q. Il faut faire évoluer les méthodes d’évaluation. Jusqu’à présent, ce qui fait la rentabilité socio-économique d’un projet c’est essentiellement le gain de temps. On regarde la minute gagnée entre le point A et le point B. Cela permet d’évaluer assez bien les gains de trafic et les parts de marché que le fer peut gagner sur l’aérien ou sur la route. Mais ce n’est qu’une partie de l’impact d’un projet sur la vie du réseau et le bien-être des usagers. Il faut tirer d’emblée les premières leçons de la mise en service de la LGV Rhin-Rhône pour le service annuel 2012. Elle n’offre pas simplement un gain de temps sur le tronçon concerné, mais de proche en proche elle a un effet significatif sur le graphique de circulation. Il faut donc avoir une approche globale et se demander quel effet peut avoir un nouveau projet sur l’ensemble du graphique de circulations, sur la robustesse des horaires, les correspondances, l’occupation des gares, etc. C’est ce qu’on fait pour les nouveaux projets comme Tours – Bordeaux ou Bretagne – Pays de la Loire. C’est d’autant plus important que beaucoup des nouveaux trains circulant sur ces futures lignes arriveront en zones très denses.
En résumé il faut davantage penser global, penser « réseau » que de manière isolée projet par projet, car la grande force du fer par rapport à l’avion notamment, c’est l’effet réseau entre les trains, entre les TGV, les TET, les TER. Penser réseau c’est se donner les moyens d’améliorer la qualité de service et l’équilibre économique du système.

VR&T. La SNCF est, on le sait, très hostile à une « dé-intégration » du système ferroviaire, au nom notamment de coûts importants engendrés. Qu’en pensez-vous ?
A. Q. Il y a certes un coût lié à la dispersion de la gestion d’infrastructure entre plusieurs acteurs, mais je pense qu’il est difficile d’en faire un chiffrage convaincant. Ce que je crois de manière plus fondamentale, c’est que dans un système où la gestion d’infrastructure est dispersée entre plusieurs institutions, on ne peut pas mettre en place les bonnes incitations. Dans un réseau « normal », le régulateur fixe des objectifs de performance au gestionnaire de réseau : performance financière, avec par exemple une cible de productivité, et performance en termes de qualité de service et de régularité (ce qu’on appelle en anglais le performance regime). C’est ce que l’on voit dans l’électricité ou les télécoms. Mais le système ferroviaire français ne fonctionne pas de cette manière. L’Araf pousse à une meilleure performance du système, mais le système n’est pas organisé aujourd’hui pour que l’Autorité puisse lui fixer des objectifs de performance.
Même si l’on unifie le gestionnaire de réseau, il faudra de toute façon faire vivre le système ferroviaire avec plusieurs acteurs : les AOT, la SNCF, les autres entreprises ferroviaires, le gestionnaire de réseau mais aussi les ports, les OFP… Le système doit être organisé pour vivre avec un nombre important d’acteurs et de parties prenantes. Il faut organiser ces relations sur la base d’une logique de droits et de responsabilités, en misant sur la transparence et la clarté des responsabilités de chacun.     
    

Propos recueillis par F. D.

 

Entretien avec Louis Nègre, vice-président du comité stratégique de la filière ferroviaire et président de la FIF
« Le pilotage effectif de la filière est d’abord l’affaire des industriels »

Louis Nègre se dit confiant quant aux travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière. Ils devraient déboucher sur la constitution d’une filière industrielle ferroviaire organisée. A l’image de celles dont disposent l’Allemagne, la Chine ou le Japon.

VR&T. Les états généraux de l’industrie avaient clairement fait apparaître dans le secteur ferroviaire, comme dans la plupart des autres secteurs industriels, l’absence d’une véritable filière organisée et solidaire. Quel bilan tirez-vous des travaux et actions mis en œuvre depuis l’été 2010 ?
Louis Nègre. Vous avez raison d’évoquer le rôle salutaire, voire même « salvateur » des états généraux de l’industrie (EGI). Cette initiative majeure, lancée sur proposition du président de la République, a permis de prendre conscience que notre pays, contrairement à des pays aussi différents que l’Allemagne, la Chine, le Japon ou encore la Corée, manquait cruellement de véritables filières industrielles, et qu’en l’absence d’un travail collectif en profondeur, nos industries allaient continuer à perdre à la fois des marchés et des emplois. Cela a conduit les partenaires du secteur ferroviaire – j’y inclus les syndicats de salariés, particulièrement constructifs dans les groupes de travail –  à s’organiser, autour de la FIF, dans le cadre du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire, afin d’œuvrer à la mise en place d’une véritable filière dans notre pays.
Un premier rapport d’étape vient d’être remis par le comité de pilotage de la filière industrielle ferroviaire, que je préside, à l’ensemble des membres du comité stratégique, le 9 novembre dernier, avec en perspective, je l’espère, une validation par l’ensemble des partenaires à la fois de l’analyse de la situation actuelle et des pistes d’action proposées. Ceci débouchera sur l’élaboration du rapport définitif prévu pour mars 2012.

VR&T. Quelles sont les premières pistes évoquées dans ce rapport d’étape ?
Louis Nègre. Vous comprendrez bien qu’il m’est difficile d’être explicite aussi longtemps que ce rapport d’étape n’aura pas été validé dans le cadre d’une réunion officielle du comité stratégique de la filière industrielle ferroviaire.
Je puis néanmoins d’ores et déjà vous préciser que ce premier rapport vise à analyser les prérequis pour la constitution d’une filière industrielle ferroviaire organisée et pérenne et, également, à effectuer un certain nombre de préconisations à la fois vers les pouvoirs publics et vers les partenaires du dossier, afin de créer véritablement cette filière en la rendant solidaire et efficace.
Ces préconisations concernent cinq domaines prioritaires : la stratégie globale de la filière, le renforcement de la cohésion et de la solidarité au sein de la filière, la mobilisation des supports de la filière à l’international, le renforcement de l’efficacité économique des processus d’innovation et, enfin, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein de la filière, son image, son attractivité pour les jeunes diplômés aussi bien que pour les cadres expérimentés.
Des pistes prometteuses se dégagent déjà au sein des groupes de travail, avec pour objectif de renforcer les moyens d’action de la filière et surtout de les rationaliser. J’y associe bien sûr les procédures publiques d’aide à l’innovation « stratégique » ou encore à l’international. Une autre préoccupation majeure qui apparaît à travers certaines préconisations est d’assurer des relations contractuelles plus harmonieuses et plus équilibrées au sein de l’ensemble de la filière, ainsi qu’un autre mode de coopération entre les acteurs.
J’espère, quoi qu’il en soit, avoir prochainement l’occasion de détailler ces pistes et ces préconisations à l’issue de la prochaine réunion du comité stratégique de filière qui devra se prononcer sur ce rapport d’étape.

VR&T. Quelle est votre réaction à la suite des déclarations de Guillaume Pepy se proposant d’être le pilote de la filière industrielle ferroviaire ?
Louis Nègre. Je crois que la SNCF, grand client de la filière industrielle ferroviaire, est un partenaire indispensable et majeur. Son rôle de grand client peut s’exercer de façon déterminante à travers des décisions d’investissements qui restent à prendre sur la grande vitesse, et également en matière de prescription des matériels destinés aux régions. Quant au fret, il n’est pas interdit d’espérer… Pour ce qui concerne le pilotage effectif de la filière industrielle ferroviaire, ceci est d’abord l’affaire des industriels eux-mêmes, qui sont directement confrontés à la concurrence mondiale sur des marchés de plus en plus concurrentiels.
Je suis pleinement confiant quant aux perspectives offertes par les travaux en cours au sein du comité stratégique de la filière ferroviaire auxquels est associée la SNCF. Le gouvernement, par l’intermédiaire du ministre de l’Industrie, m’a confié en août 2010 cette mission, que j’entends remplir jusqu’au bout.
Je m’emploierai pleinement pour que ces travaux, en liaison étroite avec ceux menés dans le cadre des assises du ferroviaire et en concertation permanente avec l’ensemble des partenaires du secteur, en particulier les grands décideurs, débouchent sur la constitution d’une véritable filière industrielle ferroviaire, organisée et pérenne.

VR&T. Parallèlement à la mise en place du comité stratégique de filière, nous avons vu se succéder un certain nombre de démarches publiques autour de l’avenir de la filière. Après la commission d’enquête parlementaire « Bocquet-Paternotte » sur l’avenir de la filière industrielle lancée en janvier dernier, il y a eu le rapport du Boston Consulting Group commandé conjointement par Bercy et par le MEEDDM, puis, depuis septembre dernier, la mise en place d’un groupe « filière » dans le cadre des Assises nationales sur le ferroviaire. Tout cela n’est-il pas redondant ?
Louis Nègre. S’il est vrai que cette accumulation de « travaux publics » autour d’un même sujet qui est celui de la compétitivité et de l’avenir de la filière industrielle ferroviaire peut donner un certain sentiment de redondance, il n’en reste pas moins tout aussi vrai que cela montre bien que les pouvoirs publics ont pris conscience, depuis la mise en œuvre des états généraux de l’industrie, de l’importance stratégique de cette filière.
Je ne puis donc que m’en réjouir, a fortiori dans un contexte économique et financier planétaire aussi drastique, pour ne pas dire dramatique, qui pourrait, selon certains, remettre en cause les objectifs du Grenelle de l’environnement.
De mon point de vue, non seulement le mode ferroviaire à un grand avenir devant lui, mais encore la filière industrielle française dispose d’un potentiel, et bientôt, je l’espère, disposera d’une organisation qui lui permettra d’être au rendez-vous de l’avenir.    

 

Ewa

Le retour du Francilien

FRANCILIEN

Fin septembre, la SNCF a signé avec Bombardier un accord pour la reprise des livraisons du Francilien. class= »rtejustify »>
Fin septembre, la SNCF a signé avec Bombardier un accord pour la reprise des livraisons du Francilien. Deux raisons à cela : l’amélioration de la fiabilité de ce nouveau matériel, avec désormais moins de 100 incidents au million de kilomètres, et le fait que la SNCF souhaite « déverminer » les rames neuves avant le changement de service du 11 décembre. Par ailleurs, avec 23 rames fabriquées mais stockées autour de son site de production à Crespin, Bombardier commençait à s’asphyxier. C’est la rame 26 H (Z 50051/52) qui a ouvert le ballet en arrivant le 30 septembre à Joncherolles. La livraison a repris à raison d’une, puis deux rames par semaine. L’objectif étant d’atteindre 40 rames fin 2011 pour la ligne H : 33 rames seront alors engagées tous les jours. La meilleure fiabilité du matériel permet de nombreuses circulations en UM sur Paris – Luzarches et Paris – Persan-Beaumont par Monsoult. Depuis le 9 novembre, des rames commencent à circuler sur Paris – Pontoise et Paris – Persan par Valmondois. En 2012, 42 rames doivent être livrées. En janvier 2013, Paris-Nord disposera alors de la totalité de son parc, ce qui entraînera la disparition des petits gris (rames Z 6100) et le transfert à Montparnasse des rames VB 2N.
    

Marc CARÉMANTRANT