L’intérêt renouvelé pour le vélo au déconfinement, venant s’ajouter à une tendance de fond au « retour de la bicyclette »1 observable depuis les années 2000 a fait ressurgir une problématique finalement assez peu médiatisée : que faire de son véhicule, justement lorsqu’il ne roule pas ? Avec la multiplication des vélos en circulation depuis le mois de mai dernier, qu’ils aient été achetés pour l’occasion ou ressortis des caves, outre les embouteillages sur les pistes cyclables, les usagers sont également confrontés à des difficultés de stationnement. Ce manque de place se fait particulièrement ressentir dans les grandes villes, en milieu urbain dense, là où l’habitat est essentiellement collectif et où l’existence d’emplacements spécifiquement adaptés au stationnement des vélos est loin d’être systématique. Si le baron Haussmann a considérablement transformé et modernisé Paris avec ses grands travaux, il a oublié le local vélo…
Par Nicolas Louvet et Camille Krier
Alors que la promotion du vélo comme mode de déplacement respectueux de l’environnement fait désormais consensus, les politiques publiques visant à encourager son développement sont surtout concentrées sur l’usage, notamment avec l’aménagement de pistes cyclables, et sur l’équipement, avec des aides à l’achat ou à la réparation, comme dans le cadre du « Coup de pouce vélo » lancé par le ministère de la Transition écologique et solidaire pour accompagner les mobilités douces à la sortie du confinement. Le stationnement apparaît donc quelque peu oublié dans les politiques vélo, bien que les documents d’urbanisme intègrent cette composante depuis plusieurs années et que des initiatives telles que les « vélobox » à Paris voient le jour dans différentes villes. Le stationnement fait pourtant partie intégrante de ce que Frédéric Héran qualifie de « système vélo »2, au même titre que les infrastructures dédiées à la circulation, les véhicules eux-mêmes ou encore les règlements et politiques facilitant sa pratique. Le stationnement a donc un rôle à jouer dans le développement de ce mode, et ce d’autant plus qu’une bicyclette demeure finalement stationnée la très grande majorité du temps.
A travers une enquête3 auprès d’un échantillon représentatif de la population des grandes villes françaises (plus de 4 000 répondants), 6t-bureau de recherche s’est penché sur la problématique du stationnement vélo et son corollaire, la crainte du vol. L’enquête démontre ainsi que des modalités de stationnement jugées peu pratiques ou peu fiables peuvent constituer un frein à l’usage du vélo, au même titre qu’un risque perçu de vol. Si plus d’un cycliste équipé sur trois a déjà subi un vol de vélo, ils ne sont que 2 % à avoir été touchés par cet aléa au cours de l’année écoulée. La crainte du vol n’en constitue pas moins une préoccupation majeure pour les usagers, qui rechignent régulièrement à laisser leur vélo stationné dans l’espace public, et donc à l’utiliser pour certains déplacements. Ainsi, près de la moitié des cyclistes déclarent qu’il leur arrive de renoncer à enfourcher leur bicyclette par crainte de ne pas la retrouver intacte, ou de ne pas la retrouver du tout.
Plus encore qu’au domicile ou sur leur lieu de travail, où la majorité des cyclistes disposent de possibilités de stationnement hors voirie, bien que parfois jugées peu pratiques, c’est en fait partout ailleurs que le besoin de stationnement sécurisé est le plus criant. Les arceaux vélo, voire les poteaux, grilles ou lampadaires, malgré le renfort d’un bon antivol, sont loin d’être la panacée. Lors d’une sortie au restaurant ou au cinéma, lors d’une course ou d’un rendez-vous médical, il n’est pas toujours possible de stationner son vélo de manière à la fois pratique et sécurisée. Cela peut alors décourager l’utilisation de ce mode pour ce type de motif mais aussi, lorsque plusieurs activités et déplacements sont enchaînés au cours d’une même boucle, pour toute une journée. C’est donc parfois parce qu’il n’est pas sûr de pouvoir stationner son véhicule près du bar où il retrouvera ses amis le soir que l’utilisateur renoncera à partir au travail à vélo le matin. Autrement dit, il suffit qu’une seule opportunité de stationnement fasse défaut dans la journée pour que le vélo soit laissé au garage, pour peu qu’on en ait un.
Il est intéressant de relever qu’à l’inverse, c’est parce qu’un automobiliste estime avoir besoin de sa voiture pour une activité spécifique (accompagner un enfant à l’école, porter des courses), qu’il va finalement l’utiliser pour tous les autres déplacements qu’il enchaînera au cours de sa journée. Dans le doute, on prendra sa voiture mais on laissera son vélo, un paradoxe qui apparaît d’autant plus absurde au vu des nombreux bénéfices du vélo, tant pour l’utilisateur que pour la société, et des inconvénients de la voiture pour la collectivité (pollution, congestion).
Promouvoir des modes de déplacement à même de remplir les objectifs de durabilité inscrits à l’agenda des politiques publiques nécessite alors de reconsidérer le partage modal de l’espace urbain. Cela parait en bonne voie en ce qui concerne les pistes cyclables, mais l’offre de stationnement vélo, notamment en dehors domicile ou du lieu de travail, gagnerait à être renforcée. Permettre aux cyclistes de stationner facilement leur véhicule en toute sécurité, pour chacune des occasions qui compose leur quotidien, constitue ainsi un important levier pour véritablement systématiser l’usage du vélo comme mode de déplacement urbain. Cela permettrait non seulement d’intensifier son utilisation chez les cyclistes mais aussi de convaincre certains non-utilisateurs de se mettre en selle.