Devant le Club VRT du 1er décembre, Jean-François Monteils, le président du directoire de la Société du Grand Paris depuis mars 2021, a tracé la feuille de route pour l’établissement public chargé du plus grand chantier de France. Soit 68 gares desservies par 200 km de ligne de métro automatique autour de Paris. Saluant le travail réalisé par son prédécesseur, Thierry Dallard, il confirme que les chantiers seront menés dans leur intégralité. Et ambitionne d’ouvrir un nouveau chapitre, en élargissant le champ d’intervention de la SGP, lorsque celle-ci aura achevé sa mission après 2030.
Construire 200 km de lignes de métro automatique et 68 gares en investissant plus de 36 milliards d’euros, c’est la mission confiée à la Société du Grand Paris. « Elle sera menée à son terme », affirme Jean-François Monteils qui a succédé à Thierry Dallard à la présidence de la SGP. Il balaie d’un revers de main les critiques qui se font encore entendre, comme celles de Jacqueline Lorthiois, Jean-Pierre Orfeuil, Harm Smit ou Jean Vivier qui, dans une tribune publiée cet automne par l’Obs, expliquaient que les calculs réalisés par la SGP pour justifier la construction des lignes 17 Nord et 18 étaient sujets à caution. « Il est traditionnel et sain d’avoir des visions opposées », justifie-t-il. Selon lui, le raisonnement de ces opposants repose sur le fait que ces travaux aboutiraient à une urbanisation massive qui ne serait pas souhaitée. « C’est peut-être le cas pour ceux qui veulent préserver leur pavillon, mais des milliers de Franciliens à la recherche d’un logement en Ile-de-France attendent la réalisation du Grand Paris », assure le dirigeant.
Et Jean-François Monteils de poursuivre : « Il n’y a pas de projet qui puisse avancer sans utilité publique, sans analyse des flux, sans mesure de valeur socio-économique, vérifiées par des autorités expertes. C’est très encadré méthodologiquement » , assure-t-il. Le président de la SGP ne s’inquiète pas non plus des changements d’habitudes et de déplacements des Franciliens, causés notamment par le télétravail, qui pourraient remettre en cause l’intérêt de certaines lignes du Grand Paris. « C’est habituel de se poser la question lorsque les évaluations sont lancées très en amont. Mais je suis confiant, car nous n’anticipons pas moins de transport, mais un meilleur transport. Le métro automatique du Grand Paris ne sera pas un métro comme les autres. Il pourra s’ajuster aux flux, ce qui est intéressant pour les coûts d’exploitation », commente-t-il. Et il ajoute : « On ne peut pas dire qu’il y ait un surcroit d’offres de transport public en Ile-de-France, qu’il n’y ait pas un besoin massif de report modal, de liaisons nouvelles, d’interconnexions, ou de développer le transport du quotidien ».
Un peu plus de la moitié des lignes déjà creusée
Pour l’heure, un peu plus de la moitié des travaux sur les lignes a été creusée. « Le creusement de la ligne 15 est achevé et la voie posée sur sa moitié. Les deux tiers de la ligne 16 sont accomplis et plus de 110 marchés sont en cours d’exécution. Sur certains tronçons on entrevoit déjà la ligne d’arrivée. Nous avons actuellement à la fois de très gros chantiers de génie civile et une multitude de chantiers d’aménagement », précise le patron de la SGP.
Les rames ont déjà été commandées et achetées et des essais en usine ont démarré. Il faudra patienter jusqu’à fin 2023 pour que commencent les premiers essais en ligne. « Une nouvelle phase critique débutera alors, car il y aura des des interfaces avec d’autres lignes déjà en exploitation et avec Ile-de-France Mobilités. Ce qui annonce de nouvelles difficultés, les seules que nous n’ayons pas encore expérimentées », indique Jean-François Monteils. Pour se préparer à cette phase d’intégration qui nécessitera des échanges constants entre la SGP, IDFM et l’opérateur du système, un appel d’offres a été lancé pour contractualiser avec un « shadow » opérateur, qui servira de « sparring partner » pour anticiper l’exploitation. C’est Transdev Group et Strides International Business qui ont été choisis, il y a un peu plus d’un an par la SGP et IDFM, pour jouer le rôle d’opérateur virtuel pour les quatre nouvelles lignes de métro sans conducteur du Grand Paris. Cette démarche vise à préfigurer l’exploitation et la maintenance pour qu’elles fonctionnent par la suite dans de bonnes conditions, Transdev devant jouer le rôle du futur exploitant et Strides International Business devant apporter son regard d’exploitant de métro automatique avec une expérience internationale.
Aménagement de gares
En plus des nombreux chantiers sur les lignes (creusement de tunnels, constructions des piliers, pose de voies), des travaux d’aménagement de gares ont également démarré. Plus de 12 millions de m2 destinés à créer des bureaux, logements et équipements sont en cours de réalisation sur les 32 millions attendus. La SGP, qui possède un million de m² de surfaces de plancher dans les quartiers des nouvelles gares, a prévu de réaliser 8000 logements d’ici 2030.
La stratégie urbaine définie par la SGP prévoit que ces projets se feront en co-promotion. Une filiale immobilière a été créée pour permettre à la SGP de garder la main sur les 353 projets d’aménagement accompagnant le Grand Paris Express. « Les opérations urbaines seront réalisées en partenariat avec les grands acteurs publics, des promoteurs, des aménageurs », énumère le président de la SGP. « Nous avons signé des conventions. Nous ne faisons pas ce que d’autres font mieux que nous », explique-t-il.
Le bouclage du Grand Paris ne sera pas achevé en 2030
Une vingtaine de jours après cette rencontre, Jean-François Monteils a finalement reconnu que le métro du Grand Paris ne sera finalement pas achevé comme prévu en 2030 mais « probablement » avec « un décalage de quelques mois ».
« On va casser le cap de 2030, on va recaler l’échéance de mise en service des deux derniers tronçons » de la ligne 15, de Pont de Sèvres à Saint-Denis Pleyel puis à Champigny, a-t-il expliqué à l’AFP, en refusant de s’engager sur une date, tant que le groupement chargé de sa construction ne serait pas choisi. « On n’est pas à deux ans », a-t-il ajouté, laissant entendre un objectif d’ouverture en 2031. « On décale de quelques mois, on se sent beaucoup plus robuste sur le planning global ».
Chantiers duplicables
« La SGP est un projet à visée environnementale », assure Jean-François Monteils. Les nouvelles lignes de métro du GPE devraient permettre d’économiser 14 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre en contribuant au report modal et grâce au plan d’urbanisme. Mais leur construction pourrait générer 4,4 millions de tonnes équivalent CO2. Jean-François Monteils assure que d’ici 2050, les émissions de la phase chantier auront été compensées, mais pour aller plus vite, il s’est fixé comme objectif de réduire de 25% les émissions liées aux travaux, en utilisant tous les leviers possibles.
« Nous faisons un gros travail d’innovation environnementale qui pourra être reproduit et s’étendre dans des projets menés de par le monde », affirme-t-il, promettant de jouer la carte de la transparence sur ce sujet. « Nous publierons des données vérifiables sur notre performance environnementale, de manière à ce que d’autres projets puissent s’en inspirer ».
Après plusieurs accidents mortels et graves, qui ont jeté une ombre sur les chantiers du Grand Paris, l’établissement public s’est engagé à renforcer la sécurité et la prévention des risques d’accident sur les 170 chantiers en cours, sur lesquels travaillent actuellement plus de 6000 personnes. « Leur sécurisation est une priorité absolue pour 2023. Nous sommes dans un secteur d’activité où la sécurité est importante, mais pas toujours la mieux traitée. D’autres pays, ou d’autres secteurs, font probablement mieux. Nous devons nous en inspirer pour nous améliorer », déclare Jean-François Monteils.
Expertises
Depuis sa création en 2010, la Société du Grand Paris a traversé plusieurs phases. « Dans les premières années, peu de gens pensaient qu’on arriverait au bout d’un projet de cette ampleur. Il semblait impossible de réaliser ces travaux dans les délais », se remémore Jean-François Monteils. Le démarrage des travaux a fait entrer l’entreprise dans une deuxième phase, celle de l’apprentissage. « Ce qui nous a permis d’acquérir de l’expérience. Désormais, nous amorçons une troisième phase, celle des acquis de l’expérience. Nous pouvons utiliser ce que nous avons appris pour faire mieux et améliorer la poursuite du chantier », poursuit-il.
Le réseau a été divisé en 6 tronçons : les trois sections de la ligne 15 et les lignes 16, 17, 18 et comme chacune est dans un état d’avancement différent, il est possible de tirer les leçons de ce qui a été réalisé ici et là pour poursuivre les travaux plus efficacement sur d’autres chantiers. « Nous avons accumulé une énorme somme d’expérience qu’il est important d’utiliser pour la suite du projet et même au-delà », souligne le président de la SGP. C’est dans ce but, qu’avec l’accord du conseil de surveillance, la SGP a créé la filiale SGP Dev. Il s’agit d’utiliser la concentration de compétences « d’une qualité exceptionnelle » rassemblées par la SGP, que ce soit dans le domaine technique, juridique ou administratif, précise t-il (lire aussi l’encadré en page 53).
Equilibre financier
Le financement de la réalisation du Grand Paris Express a été possible grâce à un emprunt massif réalisé avec des taux d’intérêt bas et fixes. « La stratégie de financement a été faite de manière intelligente par mes prédécesseurs », rend hommage Jean-François Monteils qui se trouve confronté à la remontée des taux d’intérêt pour réaliser de nouveaux emprunts destinés à financer la suite des travaux. « Pour financer le projet au-delà de 2027, nous allons continuer notre stratégie de financement par appel au marché avec des taux qui seront plus élevés mais avec des recettes qui le seront
également. Car l’inflation a deux effets : un sur les coûts, l’autre sur les recettes ». Restera à trouver un équilibre financier. « Il faudra voir si la hausse des recettes, indexées sur la hausse des prix, suffira à financer celle des coûts. Mais à ce stade, nous n’avons pas identifié de raison de considérer que l’inflation remet en cause l’équilibre financier du projet », affirme Jean-François Monteils.
Selon lui, il n’y a pas lieu de revoir l’estimation des coûts sur l’ensemble du projet, évalué à ce jour par la SGP à 36,1 milliards d’euros. « Certains pensent que c’est une fatalité qu’il y ait une dérive financière pour ce type de projet. A ce jour, ce n’est pas le cas », insiste-t-il.
Le président de la SGP reconnaît toutefois que l’entreprise ne sera pas épargnée par le phénomène de hausses de prix et les problèmes d’approvisionnement. « L’inflation aura des effets sur la conduite du projet. Il faut voir, contrat par contrat, s’il y a des clauses prévues, des dispositifs d’indexation pour répercuter les hausses, pour savoir comment les hausses subies nous seront répercutées », liste le président de la SGP, qui mène ce travail avec les sociétés intervenant sur ses chantiers.
Un travail mené en conformité avec les préconisations de la circulaire sur l’exécution des contrats de la commande, qui invite les services de l’Etat à passer des marchés à prix révisables, lorsque ceux-ci portent sur des prestations exposées à des aléas économiques majeurs. « Nous devons avoir une approche plus souple et faire évoluer les contrats en cours d’exécution. Nous allons intégrer ce nouveau contexte pour travailler avec les entreprises », indique Jean-François Monteils.
Deux filiales dont il faudra assurer la pérennité
La Société du Grand Paris a pour mission de concevoir et réaliser les travaux du Grand Paris Express. Une fois sa mission achevée, à l’horizon 2030, elle aura vocation à disparaître, même si une structure pourrait rester en place pour gérer la dette. Pour donner de nouvelles perspectives et éviter de perdre l’expérience et l’expertise accumulée avec les chantiers du Grand Paris, la SGP vient de créer deux filiales, SGP Immobilier et SGP Dev, qui devraient subir le même sort que leur société-mère… sauf changement législatif.
La filiale SGP immobilier a été lancée pour gérer le patrimoine foncier du Grand Paris Express en lien avec la puissance publique. « Nous travaillons avec le Préfet de région et le commissaire du gouvernement qui font des préconisations sur l’urbanisme », explique Jean-François Monteils. Les bénéfices réalisés par cette filiale, de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros, doivent contribuer à rembourser la dette. « Les contribuables ont acheté des terrains qu’on valorise. On les vend et les recettes serviront à minorer le montant de la dette », résume le dirigeant. Une fois, les aménagements réalisés, cette filiale n’aura plus de raison d’être. En revanche, la filiale SGP Dev, pour l’heure « une structure exploratoire », pourrait être appelée à un bel avenir s’il lui est possible, plus tard, de conduire des études en vue de réaliser d’autres infrastructures que celle du Grand Paris Express. Eventuellement en intervenant sur le réseau ferroviaire national, actuellement chasse gardée de SNCF Réseau. Mais auparavant, il faudra faire évoluer la loi.
« Il ne serait en effet pas concevable, que nous travaillions sur d’autres projets avec de l’argent destiné au Grand Paris Express », a expliqué Jean-François Monteils en justifiant le lancement de ces filiales : « La SGP a développé un savoir-faire dans la maîtrise d’ouvrage, qu’il serait dommage de voir se perdre avec la fin du projet du Grand Paris ». Réponse d’ici à l’été prochain, espère le président, pour savoir si la SGP a convaincu les pouvoirs publics du potentiel de SGP Dev. Et pour pouvoir commencer à lever les obstacles juridiques et techniques qui se dressent encore sur son chemin.
Management collégial
Interrogé sur sa méthode, la président met en avant la concertation. Il rappelle que la SGP a une direction collégiale et se réjouit d’avoir été intégré « dans un directoire d’une qualité exceptionnelle, avec des complémentarités qui permettent la réflexion et de faire émerger des solutions sur des sujets difficiles, en échangeant. Ce qu’on aura fait de bien, on l’aura fait à trois, avec Bernard Cathelain et Frédéric Brédillot », souligne le président du directoire.
Celui-ci se félicite également de l’élection à l’unanimité, en novembre, de Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen-sur-Seine, à la présidence du conseil de surveillance. « Cela n’avait pas été le cas de ses prédécesseurs. Cela démontre que nous sommes entrés dans une période de sérénité qui contraste avec les phases précédentes. Avoir un conseil de surveillance qui fait son travail, surveille, se prononce sur notre stratégie et valide nos options de manière sereine, c’est important, et c’est un signe de progrès », conclut Jean-François Monteils. Deux filiales dont il faudra assurer la pérennité
La Société du Grand Paris a pour mission de concevoir et réaliser les travaux du Grand Paris Express. Une fois sa mission achevée, à l’horizon 2030, elle aura vocation à disparaître, même si une structure pourrait rester en place pour gérer la dette. Pour donner de nouvelles perspectives et éviter de perdre l’expérience et l’expertise accumulée avec les chantiers du Grand Paris, la SGP vient de créer deux filiales, SGP Immobilier et SGP Dev, qui devraient subir le même sort que leur société-mère… sauf changement législatif.
La filiale SGP immobilier a été lancée pour gérer le patrimoine foncier du Grand Paris Express en lien avec la puissance publique. « Nous travaillons avec le Préfet de région et le commissaire du gouvernement qui font des préconisations sur l’urbanisme », explique Jean-François Monteils. Les bénéfices réalisés par cette filiale, de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros, doivent contribuer à rembourser la dette. « Les contribuables ont acheté des terrains qu’on valorise. On les vend et les recettes serviront à minorer le montant de la dette », résume le dirigeant. Une fois, les aménagements réalisés, cette filiale n’aura plus de raison d’être. En revanche, la filiale SGP Dev, pour l’heure « une structure exploratoire », pourrait être appelée à un bel avenir s’il lui est possible, plus tard, de conduire des études en vue de réaliser d’autres infrastructures que celle du Grand Paris Express. Eventuellement en intervenant sur le réseau ferroviaire national, actuellement chasse gardée de SNCF Réseau. Mais auparavant, il faudra faire évoluer la loi.
« Il ne serait en effet pas concevable, que nous travaillions sur d’autres projets avec de l’argent destiné au Grand Paris Express », a expliqué Jean-François Monteils en justifiant le lancement de ces filiales : « La SGP a développé un savoir-faire dans la maîtrise d’ouvrage, qu’il serait dommage de voir se perdre avec la fin du projet du Grand Paris ». Réponse d’ici à l’été prochain, espère le président, pour savoir si la SGP a convaincu les pouvoirs publics du potentiel de SGP Dev. Et pour pouvoir commencer à lever les obstacles juridiques et techniques qui se dressent encore sur son chemin.
Valérie Chrzavzez