Transdev a présenté le 5 février son nouveau un think tank. Baptisé Geonexio, il rassemble des experts qui travaillent sur des données téléphoniques d’Orange pour mesurer les déplacements, mieux comprendre les besoins de mobilité et éclairer les prises de décision. Jean Coldefy, conseiller de Thierry Mallet, le PDG de Transdev, participe à cette étude. Il explique pourquoi, selon lui, cette démarche représente une première.
Ville, Rail & Transports. Quelle méthodologie utilisez-vous dans le cadre de Geonexio?
Jean Coldefy. Nous avons réalisé, depuis deux ans et demi, un gros travail avec les équipes d’Orange sur les données, pour les améliorer et les fiabiliser. Nous avons constitué des indicateurs pour analyser l’occupation des territoires, dans le temps et l’espace, et les mobilités.
Nous nous intéressons ainsi au temps que nous passons dans différents lieux, et non pas au résident, puisqu’à l’évidence nous ne restons pas à notre domicile toute la journée. Cela donne à voir une compréhension de la manière dont les territoires vivent, leurs pulsations. A l’échelle des 50 000 zones IRIS de l’Insee. Une zone IRIS comprend en général entre 1500 et 2500 personnes. Mais cela ne peut pas être plus qu’une commune. A Paris par exemple, il y a environ 1000 IRIS.
VRT. En quoi cette étude est-elle différente de précédentes qui reposaient aussi sur des données téléphoniques ?
J.C. C’est la première fois qu’on le fait à l’échelle de la France, et d’autre part dans le monde des technologies les choses avancent par à-coups. Ce sont des données massives. L’Insee mesure les zones où nous résidons mais pas celles où nous passons notre temps. D’ailleurs l’Insee s’intéresse à ces données et à notre étude dans le cadre de leurs travaux puisque nous mesurons très précisément ce qu’on pourrait appeler « l’équivalent-temps plein », ou l’habitant.année sur les 50 000 IRIS.
VRT. Ces données sont-elles accessibles à tous?
J.C. Transdev achète à Orange les données. Les données brutes de téléphonie sont inexploitables. Il faut les transformer en données utilisables, puis en indicateurs. Les indicateurs appartiennent à Transdev, les données à Orange.
VRT. Quels sont les premiers constats ?
J.C. Le poids des grandes villes est encore plus fort qu’on le pensait, et la diagonale du vide n’est pas une diagonale mais est présente dans tous les espaces interstitiels aux villes. Ce qui est aussi nouveau, c’est que nous sommes capables de quantifier l’affaire.
A Paris, on recense 3,7 millions d’habitants-année (c’est-à-dire des personnes présentes en équivalent temps pleins) contre 2,1 millions de résidents. C’est considérable.
Le poids des étrangers est également plus important que ce que l’on mesure et qui passait un peu sous les radars car les nuitées non commerciales étaient mal prises en compte jusqu’à présent. Or, il y a beaucoup de gens qui dorment en dehors des hôtels, par exemple chez des amis. C’est un phénomène multi-formes.
Nous sommes capables de mesurer dans le temps et dans l’espace des flux importants. Pas seulement dans les transports publics mais aussi les déplacements en voitures. Alors que la voiture représentent 18 % des émissions de Co2 et que c’est le seul secteur dont les émissions ne baissent pas, identifier quels sont les zones qui génèrent le plus de déplacements en voiture permet de focaliser l’action publique là où sont les enjeux. En croisant les données avec l’offre de transport public, nous pouvons mesurer l’écart entre la demande et l’offre. Il y a un fort décalage entre la demande de mobilité et l’offre de transport public selon les territoires. Entre le périurbain et les pôles urbains cet écart est de un à cinq en moyenne en France.
VRT. Quels sont les objectifs de Geonexio ?
J.C. Geonexio est une plateforme pluridisciplinaire visant à comprendre les territoires et les mobilités. Les mobilités sont des questions de société, bien plus que de flux ou de comportements individuels. Les localisations, les programmes d’activités, l’économie, la sociologie, …etc sont à mobiliser pour comprendre les mobilités. Nous avons certes à décarboner les mobilités, mais les questions de justice et d’efficience des fonds publics sont au cœur des enjeux. Pour renforcer l’efficacité de la dépense publique il faut déployer les transports publics au plus près de la demande.
Il s’agit à la fois de proposer des solutions de mobilités pour tous, avec des coûts publics acceptables. Ainsi, à, l’instar des villes où on ne déploie pas du tramway ou du métro partout, le car peut répondre aux besoins des populations. Un train est nécessaire dans les liaisons nécessitant de fortes capacités. Ailleurs un car au ¼ d’heure coûte trois fois moins cher qu’un train à l’heure.
C’est d’ailleurs tout l’objet des Serm (services express métropolitains, ndlr) de combiner entre eux les différents modes de transport.
Quand vous avez peu de données, le ressenti et les croyances guident vos décisions. Les données vont permettre d’éclairer le débat et la décision. Dans un contexte de forte tension budgétaire, il faut optimiser les dépenses.
VRT. Quelle sera la prochaine étape ?
J.C. Le potentiel d’exploitation est immense. Aujourd’hui, on décrit une situation mais on ne sait pas tout expliquer. C’est pourquoi nous travaillons avec l’Insee et nous nous entourons de laboratoires différents dans une approche pluridisciplinaire, avec de l’économie, de la sociologie, de l’urbanisme, des sciences de l’ingénieur… Il faut comprendre la société et la manière dont les territoires fonctionnent. Il faut quantifier les volumes de déplacements dans le temps et l’espace pour qualifier l’offre. Cela ouvre de grandes perspectives pour les autorités organisatrices.