Président de Siemens Mobility France depuis juillet 2021, suite au rachat de Bombardier par Alstom, Laurent Bouyer était l’invité du Club VRT le 16 novembre. Chargé du développement de l’activité pour tous les produits et services de la filiale de Siemens en France et en Afrique du Nord (Algérie, Maroc et Tunisie), le dirigeant a expliqué sa stratégie qui vise à accélérer sur le marché ferroviaire français, où la part de son entreprise reste modeste.
Siemens Mobility, dont le siège est à Munich, a réalisé avec ses 38 000 salariés un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros l’an passé dans quatre activités : infrastructures et matériel ferroviaire, métro et activités de service. « Nous sommes le deuxième acteur européen », précise Laurent Bouyer, le président de la division française, basée à Châtillon dans les Hauts-de-Seine. « Nous proposons d’améliorer la qualité de service grâce au digital », résume le dirigeant qui table sur les progrès technologiques pour amener plus de valeur ajoutée aux exploitants, chargeurs, mainteneurs et usagers.
Précurseur dans les métros automatiques
Dans le domaine du métro, Siemens Mobility rappelle son rôle précurseur. « Nous avons inventé le métro automatique à Lille, en 1983 et avons un centre d’expertise mondial de l’automatisme à Châtillon, à partir duquel nous rayonnons dans le monde entier », détaille Laurent Bouyer.
Siemens est aussi à l’origine de la technologie Méteor, un système de contrôle de commande ferroviaire automatique installé lors de la création de la ligne 14, première ligne automatique de la RATP. Le groupe a ensuite réalisé l’automatisation de la ligne 1 du métro parisien, sans interruption de trafic, puis lancé le Système d’Automatisation de l’Exploitation des Trains de la ligne 4.
En Ile-de-France, Siemens Mobility a été retenu pour automatiser les lignes 15, 16 et 17 du Grand Paris et la SNCF lui a confié la mise en œuvre d’un nouveau système de signalisation et de gestion des circulations basée sur la communication (CBTC), dans le cadre du prolongement de la ligne E du RER, avec Nexteo.
» NOUS AVONS UN CENTRE D’EXPERTISE MONDIAL DE L’AUTOMATISME À PARTIR DUQUEL NOUS RAYONNONS DANS LE MONDE ENTIER «
Ce système doit permettre d’augmenter la capacité des fréquences de 30 %, tout en réduisant de 15 % la consommation d’énergie électrique. Siemens Mobility a également participé aux projets d’automatisation des lignes de métro à New-York et mène des projets d’automatisation à Sao Paolo, Ryad, Barcelone, avec des produits développés à Châtillon. Et c’est à Toulouse que l’entreprise a installé son centre mondial de compétences pour l’activité de métros automatiques clé en main comme le Val, Neoval, Cityval ou encore Airval, qui équipera des dessertes aéroportuaires à Bangkok et Francfort, avec des technologies développées par ses ingénieurs toulousains.
3 % du marché ferroviaire français
Après avoir pris les commandes en juillet 2021, Laurent Bouyer a annoncé vouloir développer l’activité française du groupe. L’entreprise ne détient que 3 % de parts de marché dans le ferroviaire en France, tandis qu’Alstom en réalise 40 % en Allemagne. Le président a demandé à ses équipes d’œuvrer à un rééquilibrage. L’activité purement française de la société devrait bénéficier du développement de nouvelles offres destinées à répondre aux besoins croissants en locomotives, trains de nuit, trains légers ou trains fonctionnant à l’hydrogène ou à batterie.« Nous sommes les seuls à savoir faire des trains de nuit », rappelle le dirigeant qui compte profiter du renouveau de ce mode de transport en Autriche et en Allemagne. Les chemins de fer autrichiens OBB lui ont déjà commandé 33 rames avec douche, espace famille, business … « L’engouement va arriver en France », prédit-il, en rappelant que l’expérience menée par la SNCF pour relancer une offre avec des vieux trains corail rénovés, a démontré qu’il y avait de la demande. « Il reste à trouver le modèle économique, mais le train de nuit peut être une alternative à l’avion et les jeunes génération les sollicitent. Nous sommes prêts à répondre aux besoins avec une technologie compétitive et des délais de livraison rapides », assure le patron de Siemens Mobility, en précisant que son entreprise peut aussi répondre aux besoins des loueurs avec ses locomotives, aux besoins en trains plus verts avec sa gamme Mireo à batterie ou à hydrogène. « Notre matériel est adapté au marché européen », affirme-t-il.
des trains plus verts
avec la gamme Mireo Plus.
Solutions standardisées
Pour bénéficier d’économies d’échelle et pouvoir livrer plus vite, Laurent Bouyer se pose en défenseur de solutions standardisées et éprouvées. « Pour des projets en devenir, dans le cadre de grands appels d’offre, nous pouvons faire du cousu main, mais pour les autres demandes, il faut pousser la standardisation. Partir de matériel existant qu’on adapte, plutôt que de développer un nouveau matériel », plaide t-il, bien décidé à convaincre la SNCF et la RATP. « Les industriels doivent expliquer à leurs clients qu’on peut faire un train moins cher à l’achat et en maintenance, livré plus rapidement, avec des solutions standardisées. Mais l’impulsion doit aussi venir des politiques, à travers la mise en concurrence des exploitants », poursuit Laurent Bouyer. L’ex-patron de Bombardier estime que la concurrence conduira les opérateurs à s’interroger sur leur modèle économique et de performance, suite aux pressions qui seront exercées pour qu’ils augmentent la qualité de service. « Il faut que les éléments économiques soient prépondérants pour arriver à des solutions innovantes, permettant à la fois d’augmenter les cadences et de baisser les coûts. Mon rêve serait que, comme pour les locomotives, on puisse produire du matériel en série, avant de le vendre. Aujourd’hui on signe d’abord et on lance la production ensuite », regrette t-il.
Si depuis le rachat de Bombardier par Alstom, la filière est ravie d’avoir un champion national, elle s’inquiète pour la compétitivité et l’innovation. « Comme nous sommes le deuxième joueur en Europe, on nous demande d’être présent et on le sera », garantit Laurent Bouyer, convaincu d’avoir des atouts pour profiter de l’ouverture à la concurrence. « Aujourd’hui tout le monde sait faire des trains. Ce qui fait la différence, c’est comment on génère des revenus, quel modèle économique on propose et quels services sont apportés aux financeurs, à l’exploitant, aux mainteneurs et aux voyageurs grâce au digital. » Dans ce domaine, Siemens Mobility revendique la position de leader.
Ouverture aux start-up
Pour être à la pointe sur les activités service et digital, Siemens Mobility n’hésite pas à faire l’acquisition de start-up. L’an dernier, elle est devenue majoritaire dans le capital de Padam, société francilienne qui fournit des plateformes et des applications basées sur l’intelligence artificielle pour le transport à la demande et le transport de transit de personnes à mobilité réduite. Sqills, un fournisseur néerlandais de logiciels de réservation en mode SaaS, a également rejoint le groupe et vient d’installer un bureau de développement technique et d’ingénierie en France, pour développer des systèmes d’inventaire et de réservation billettique pour les grands opérateurs ferroviaires. Ce fournisseur a notamment été retenu pour remplacer le système RésaRail de la SNCF.
» ON SAIT QUE DANS LES ANNÉES À VENIR, IL SERA DE PLUS EN PLUS COMPLIQUÉ DE FAIRE DU BUSINESS AVEC LA CHINE ET ON S’INTERROGE SUR L’INTÉRÊT DE SOURCER EN ASIE «
Priorité à la cybersécurité
Le digital s’impose partout, que ce soit dans le MaaS (mobility as a service), la gestion d’un réseau depuis le Cloud ou la maintenance prédictive. Ses avancées permettront de réaliser d’importants sauts de performance, rappelle Laurent Bouyer, tout en reconnaissant aussi ses fragilités. Et de citer les exemples récents du métro de New-York qui a subi les assauts de hackers et fin octobre de la compagnie danoise DSB dont le trafic a été paralysé pendant plusieurs heures par un rançongiciel. Conscientes du risque, les autorités françaises ont fixé dans l’arrêté du 11 août 2016, des règles de sécurité pour les secteurs d’activités d’importance vitale, dont le transport.
Pour s’y conformer, Siemens a mobilisé ses ressources et intégré les normes les plus élevées en matière de sécurité sur tous ses produits : IEC 62443 LS 3 et TS50701. Siemens Mobility France a développé des solutions pour sécuriser l’ensemble de l’architecture de ses automatismes, de manière systémique. « On a fait le maximum imposé par la loi en matière de cybersécurité dans le secteur privé. Nous sommes juste en-dessous du niveau militaire », affirme Laurent Bouyer.
Enjeux énergétiques
Pour répondre aux décisions politiques prises suite à l’agression de l’Ukraine par la Russie, Siemens à licencié 3500 salariés Russes et repositionné les flux qui venaient de ce pays. La flambée du prix de l’énergie qui découle de ce conflit a contribué à la hausse des tarifs chez ses fournisseurs et allongé les délais de livraison. Laurent Bouyer reconnait que si ces difficultés se poursuivent, il sera difficile de maintenir un impact limité sur ses tarifs. Pour des raisons géopolitiques et environnementales, Siemens travaille aussi à son repositionnement avec la Chine. « On sait que dans les années à venir, il sera de plus en plus compliqué de faire du business avec ce pays et on s’interroge sur l’intérêt de sourcer en Asie en raison de l’explosion des coûts, mais aussi pour prendre en compte le réchauffement climatique. »
Pour réduire son impact carbone, la filière doit se poser la question de la provenance des produits et développer un écosystème de proximité. Siemens qui fabrique déjà des trains recyclables à 89 %, vise la neutralité carbone de toutes ses activités industrielles en 2030. Pour y parvenir, l’entreprise cherche à réduire les besoins en énergie de ses bâtiments et de ses usines, installe des panneaux solaires, veille à l’origine de l’électricité. Parmi les actions mises en place, le groupe propose jusqu’à 3 jours de télétravail pour éviter des déplacements, équipe ses sites de bornes électriques et va supprimer les véhicules thermiques de son parc de véhicules de fonction. Siemens Mobility demande aussi à ses fournisseurs d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Ordinateur sur rail
Si Laurent Bouyer regrette que l’offre de Siemens Mobility ne soit pas assez connue en France, il aborde l’avenir avec confiance. « Nous avons un niveau de maturité qui nous permettra de faire la différence dans les appels d’offres à venir. Le train du futur sera un ordinateur sur rail », explique-t-il. Selon lui, demain, le train sera un ordinateur sur roues, intelligent, qui saura s’auto-diagnostiquer, s’auto-réparer, sans affecter le trafic ni les voyageurs. D’où la nécessité absolue de maitriser le digital. « Dans ce domaine, nous avons le sentiment d’avoir pris une longueur d’avance et qu’il sera difficile de nous rattraper, en raison des investissements colossaux que cela demande », poursuit-il. « Nous disposons des bons produits au bon moment, au bon endroit. Nous sommes à la conjonction de facteurs comme l’accélération de la mise en concurrence et d’une dynamique environnementale favorable au ferroviaire ». Qui plus est, Laurent Bouyer voit aujourd’hui « une vraie ouverture d’esprit des pouvoirs publics qui sont prêts à casser le modèle, à sortir du cadre et à s’inspirer d’autres pays. Le train doit devenir la colonne vertébrale des mobilités en France et nous pouvons y aider avec nos solutions pour accélérer l’automatisme et l’efficacité du ferroviaire. »
Valérie Chrzavzez
Trois contrats emblématiques
Siemens Mobility va développer la grande vitesse en Egypte
Le groupe a remporté un projet pharaonique en Egypte d’un montant de 8,1 milliard d’euros pour construire environ 2000 km de lignes nouvelles desservant 60 villes. En outre, le consortium fournira des services clés en main pour la conception, l’installation, la mise en service et la maintenance pendant 15 ans de ce réseau.
Sur les trois lignes prévues, Siemens Mobility installera également un système de signalisation « basé sur ETCS niveau 2 », ainsi que l’alimentation électrique. A cela s’ajoute la commande de 41 trains à grande vitesse Velaro, 94 trains régionaux Desiro et 41 locomotives de fret Vectron. Avec cette nouvelle infrastructure, l’Egypte disposera du sixième réseau ferroviaire à grande vitesse au monde.
La signalisation gérée dans le cloud en Norvège
Siemens Mobility a aussi été retenu pour digitaliser l’infrastructure du réseau de Bane NOR SF, l’entreprise d’État norvégienne, chargée de gérer l’infrastructure des chemins de fer du pays.
D’ici 2034, les équipements de signalisation de l’entreprise publique seront gérés sur le cloud, avec un centre de commandement unique sur le réseau. Ce qui implique d’équiper 4200 km d’ETCS Level 2, type Trainguard, près de 400 stations, le déploiement de 4200 machines, 7000 compteurs d’essieux, 10.000 eurobalises. Le tout doit permettre de réduire de 30 % les coûts de maintenance du réseau norvégien et d’augmenter de 30 % ses capacités de transport à périmètre équivalent. Un contrat de 800.000 euros, pour une première mondiale, qui prévoit aussi de confier la maintenance à Siemens mobility durant 25 ans. Un contrat qui pourrait représenter une belle vitrine pour Siemens Mobility, avec l’espoir de le dupliquer ailleurs, et peut-être un jour en France ?
Une appli MaaS complète avec la Renfe en Espagne
Siemens Mobility a signé, en partenariat avec Everis, un contrat de cinq ans avec la Renfe, pour déployer une application MaaS qui intégrera, en Espagne, tous les transports publics et partagés, bus, train, vélo, covoiturage, scooter, des 27 principales villes d’Espagne.
« Cela permettra de trouver un itinéraire et de payer toutes les mobilités, dans les plus grandes métropoles espagnoles. Nous fournirons l’ensemble de la technologie et Eneris assurera l’intégration du système », précise le président de Siemens Mobility.