« Mardi, nous sauverons le site Alstom de Belfort. » Le Premier ministre, invité ce dimanche du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro en a pris l'engagement, conformément à ce qu'avait demandé François Hollande. Une réunion doit avoir lieu ce mardi à Belfort. Où se retrouveront, à la préfecture du Territoire, les syndicats de l'entreprise, son PDG Henri Poupart-Lafarge et son DG France, Jean-Baptiste Eymeoud, le secrétaire d'Etat à l’Industrie, Christophe Sirugue, et des élus locaux.
Auditionné le mardi précédent à l'Assemblée nationale par la commission des finances, Henri Poupart-Lafarge avait refusé de donner des indications sur les solutions qui seront alors examinées. Une audition rude pour le patron d'Alstom, qui s'est vu reprocher, de tous côtés, la « brutalité » de la décision de fermeture annoncée le 7 septembre et n'a pas convaincu, quand il a parlé de l'annonce d'un processus de concertation…
Pour assurer l'avenir du site, les pistes avancées mi-septembre par Alain Vidalies semblent encore les bonnes. Il y aurait assez vite la commande par la SNCF de six rames TGV pour l'Italie. La transaction bute sur le prix, avec un écart d'environ 15 %, selon le secrétaire d'Etat, entre ce qu'Alstom demande et ce que la SNCF est prête à payer. Belfort tourne aujourd'hui à un étiage de onze rames TGV par an. Les nouveaux TGV lui donneraient six mois de travail en plus.
Le conseil d'administration de la RATP doit d'autre part trancher en novembre entre une offre CAF et une offre Alstom pour 12 engins de travaux destinés au RER A. Quelques mois supplémentaires pourraient en résulter pour le site, si la RATP fait le « bon choix ».
Belfort pourrait bénéficier indirectement ou marginalement des autres commandes que le secrétaire d'Etat aux Transports a énumérées. L’appel d’offres énorme (3,5 milliards) qui oppose Alstom-Bombardier à CAF pour le RER 2N NG, dont la décision est attendue pour la fin de l'année. La commande de 30 TET déjà annoncée par Alain Vidalies et qui devrait être officiellement passée auprès d'Alstom le 15 octobre, en profitant de la commande-cadre TER Régiolis.
Le secrétaire d'Etat a d'autre part annoncé le lancement, avant la fin de l’année, de l'appel d'offres pour les TET dont l'Etat va conserver la responsabilité. Là aussi, c'est une confirmation. Précision d’importance : ce seront des rames à 200 km/h, pas plus, ce qui permettra à Alstom de répondre à l'appel d'offres sur la base de sa plateforme Coradia (celle des Régiolis), sans avoir à développer un nouveau train. Henri Poupart-Lafarge s’est félicité devant les députés de cette décision gouvernementale. Selon lui, l’état du réseau en France aujourd’hui ôte tout intérêt à un train plus rapide.
Mais ces commandes possibles permettraient surtout de redonner de la charge de travail à Valenciennes ou àReichshoffen. Même si le secrétaire d'Etat imagine des heures d'ingénierie pour Belfort.
On peut ajouter à la liste des appels d'offres en cours celle pour le métro du Grand Paris, aujourd'hui en cours d’examen, qui oppose Alstom, CAF et Bombardier. Une commande cadre d’environ un milliard d’euros. La décision est attendue pour la mi-2017.
Que peut-on attendre d’autre ? Va-t-on sortir du chapeau une solution comme celle que propose Arnaud Montebourg sur les locomotives indiennes ? Tordre une nouvelle fois le bras à la SNCF pour qu'elle achète du matériel dont elle estime n'avoir pas besoin, ou qu'elle développe plus vite le TGV du futur ? Le Premier ministre a aussi parlé du bus du futur : le système de recharge rapide (SRS) développé par Alstom pour le tramway de Nice est adaptable aux camions ou aux bus. Alain Vidalies doit d’autre part tenir jeudi, sa réunion semestrielle sur l’avenir du fret ferroviaire. Mais, de plan de relance en plan de relance, le fret est toujours cacochyme à la SNCF. Pas de grands espoirs de ce côté-là.
Au bout du compte, des observateurs s'attendaient plutôt à un plan redonnant un an de visibilité à Belfort, et permettant de repousser au-delà de l'élection présidentielle les mesures douloureuses dont le groupe a déjà fait état. Mais, selon Le Monde paru ce lundi, l'Etat aurait décidé de commander 16 rames TGV, ce qui redonnerait de la charge,au rythme actuel, pour autant de mois suppémentaires à Belfort. Et donnerait une importante charge de travail à Aytré aussi, site qui assemble les TGV (comme les tramways). Autrement dit, le trou d'air entre la fin des TGV en cours (fin 2018) et le début de la production des TGV du futur (vers 2021 ou 2022) serait en grande partie comblée. Et, toujours selon Le Monde, pour remplacer la production de locomotives destinées au fret, Alstom pourrait annoncer des investissements à Belfort destinés au bus du futur.
S'agissant des 16 TGV, on peut se demander où ils vont être utilisés. La SNCF n'en ayant pas besoin, on évoque une utilisation pour les Intercités dont l'Etat reste autorité organsatrice. Ce qui fait cher de l'Intercité, et va à l'encontre de l'argumentation jusqu'à présent déployée par Alstom en faveur de trains à 200 km/h. Et la commande devrait se susbstituer au moins en partie à celle qu'on croyait taillée pour les Coradia.
Gilles Savary, député de Gironde, est exaspéré par la façon dont se présente la question. Pour lui, Alstom « prend en otage les politiques. Nous ne sommes pas au chevet d’une entreprise en difficulté, nous sommes au chevet d’une entreprise florissante. Il n’y pas de problème Alstom, il n’y a que les problèmes qu’Alstom se pose à lui-même, ou que les politiques se posent à eux mêmes en ayant hystérisé cette affaire ».
Et de déplorer une fois encore l’attitude d’Alstom, qu’il résume ainsi : « Je suis une entreprise libérale et autonome et, en France, je vis sur la bête, c’est-à-dire la SNCF, y compris en la forçant au suréquipement ou au mal équipement. » Or, dit-il, « cela ne sert pas Alstom, le groupe devient addict ».
S’il faut faire un geste pour « sauver » Belfort, il faut qu’il ait une contrepartie : « Le patriotisme économique n’est pas à sens unique. » Autrement dit qu’Alstom, dont l’appareil de production est dimensionné pour une époque florissante et révolue en France, fasse bénéficier les sites français de la mondialisation du groupe. « A quoi bon sinon, s’interroge-t-il, avoir un leader du ferroviaire ? »
S’agissant des TET, le député de Gironde est particulièrement sévère face au refus d’Alstom d’un appel d’offres pour un train grandes lignes, alors que ce train « manque dans la gamme ». A l’appui de son analyse, on rappellera que c’était le constat, aussi, du Conseil d’analyse stratégique, dans un rapport au premier ministre François Fillon.
Le député de Gironde espère que l’Etat va se servir de ses 20 % au capital d’Alstom pour faire autre chose qu’engranger des dividendes. On saura demain si on est sorti du bricolage. On peut toujours espérer…
F. D.