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Ewa

Evaluer l’impact environnemental de la logistique urbaine

La Rochelle
ELCIDIS : véhicule électrique en chargement et véhicule en livraison en centre ville.

Les livraisons aux particuliers augmentent rapidement, et avec la pandémie cette augmentation s’accélère. Or, l’impact environnemental des livraisons est aujourd’hui sous-estimé.

Par Laetitia Dablanc

Comme toute activité qui comporte une part importante de déplacements, notamment routier, livrer en ville émet du bruit et des polluants atmosphériques1. Et les livraisons en ville ont tendance à augmenter : est-ce à dire que leur bilan environnemental est amené inéluctablement à empirer ? Il faut examiner certaines évolutions de près avant de pouvoir répondre.

D’abord, l’accroissement du nombre de livraisons. Selon les enquêtes du LAET, si les livraisons faites en ville auprès des établissements (le Business to Business) sont plutôt stables, en revanche les livraisons aux particuliers (le Business to Consumer) voient leur « intensité » (le nombre d’opérations ramené au nombre d’emplois ou d’habitants) augmenter rapidement2. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, on voit même cette augmentation s’accélérer : les Français, en septembre 2020, consomment 26 % de plus en ligne par rapport à février 2020, un taux qui monte à 27 % pour les produits alimentaires3. Avant la pandémie, on comptait en ville environ 0,3 livraison B2C pour une livraison B2B (chiffres LAET), ce ratio a augmenté aujourd’hui.

Une augmentation du nombre de livraisons ne veut pas forcément dire une augmentation, ou une augmentation du même ordre, des nuisances. D’abord, du fait du renouvellement des flottes, les livraisons en ville se font aujourd’hui avec des véhicules moins polluants. Ensuite il peut y avoir des phénomènes de « massification » : plusieurs livraisons faites au même endroit, par exemple un point-relais, qui limitent les circulations. Enfin, une tournée de livraison peut remplacer de façon moins polluante des déplacements personnels pour achats faits en voiture. Mais ces évolutions sont lentes et il reste une part importante de véhicules utilitaires en ville anciens et polluants. C’est en particulier le cas du transport des colis, dont les activités urbaines relèvent de petites sociétés sous-traitantes aux faibles marges et qui peinent à renouveler leurs véhicules. La crise économique actuelle touche beaucoup ces PME et n’arrange pas les choses. Les immatriculations de véhicules électriques le démontrent : alors que le marché des voitures particulières électriques neuves explose, celui des véhicules utilitaires légers électriques se réduit4, ce qui devrait nous interpeller. Une partie de cette baisse peut s’expliquer par la difficulté à commander des véhicules électriques ou les retards de livraison, retardant mécaniquement les immatriculations. Mais l’essentiel vient du manque d’attractivité des camionnettes électriques pour les entreprises de livraison. Une histoire parallèle, bien documentée5, montre que l’on peut inverser la tendance : la municipalité de Shenzhen en Chine a réussi à promouvoir les « véhicules logistiques électriques » (70 000 qui livrent en ville, record mondiale) grâce à un ensemble de politiques volontaristes : des aides à l’usage des véhicules (fonction croissante du taux d’utilisation), le déploiement massif de bornes de recharge et des avantages réglementaires.

Un troisième mécanisme à analyser est celui des instruments de mesure des performances environnementales de la logistique urbaine. Prenons l’exemple du CO2. Dans un récent séminaire du réseau de villes C406, les municipalités ont témoigné de leurs difficultés à effectuer des bilans carbone de la logistique, en raison de données insuffisantes et de modèles de fret urbain peu adaptés. La Ville de Paris évalue régulièrement ses émissions, en distinguant (c’est l’une des rares villes dans le monde à le faire) un secteur « transport de marchandises ». Le « Bilan du Plan Climat Énergie de Paris 2004-2014 » montre pour 2014 un bilan marchandises de 5,3 millions de tonnes de CO2 (21 % du total de la ville), pour moitié lié au transport routier et pour l’autre au transport aérien. Ces émissions seraient en baisse de 18 % par rapport à 2004, dont une baisse de 10 % pour le routier ; or nous venons de voir que le nombre de livraisons urbaines a augmenté. En regardant de plus près l’origine des données et des méthodes, on peut formuler l’hypothèse suivante : le bilan carbone du transport routier sous-estime le nombre de véhicules-km logistiques (la distance totale parcourue par les véhicules de transport de marchandises) notamment parce qu’il sous-estime les flux du B2C7.

Les livraisons urbaines génèrent un impact environnemental, sous-estimé par les méthodologies et les données dont les villes disposent. Il faut maintenant améliorer les outils de diagnostic. Il faudra notamment veiller à mieux prendre en compte le B2C, considérer l’ensemble de la mobilité pour achats (personnelle et professionnelle), ainsi que le trafic des motos et scooters, qui s’est beaucoup accru pour les activités urbaines de livraison.

 

1 En ville, le transport des marchandises génère de 25 % à 30 % des émissions de CO2 liées au transport, 30 % à 40 % des NOx liées au transport, 40 à 50 % des particules liées au transport. Coulombel, N., Dablanc, L., Gardrat, M., Koning, M. (2018) The environmental social cost of urban road freight : Evidence from the Paris region, Transportation Research Part D, 63.
2 Depuis vingt ans, leur nombre tourne autour de 0,5 livraison ou enlèvement par semaine par habitant. Elles n’augmentent qu’à hauteur de l’augmentation de l’activité démographique et économique des villes. Il y a bien sûr quantité d’évolutions sectorielles (les pharmacies, par exemple, reçoivent un peu moins de livraisons par semaine aujourd’hui qu’il y a vingt ans), mais elles ont tendance à se compenser. Toilier, F., Serouge, M., Routhier, J.L., Patier, D., Gardrat, M., 2016. How can urban goods movements be surveyed in a mega-city ? The case of the Paris region. Transp. Res. Proc., 12.
3 BCG/Fox Intelligence –la méthodologie adoptée sur-représente les urbains.
4 Dans un marché global des VP neufs en baisse de 29 % sur les neuf premiers mois de 2020 (Comité des constructeurs français d’automobiles), les immatriculations électriques ont augmenté de 130 % (huit premiers mois de 2020, chiffres AVERE, Association nationale pour le développement de la mobilité électrique). Dans un marché des VUL neufs en baisse de 21 % sur les neuf premiers mois de l’année 2020 (CCFA), les immatriculations électriques ont baissé de 12 % (huit premiers mois, chiffres AVERE).
5 Rocky Mountain Institute, intervention le 7 octobre 2020 dans la Freight Academy 2020, zero-emission vehicles, https://www.c40.org/.
Voir aussi un rapport de 2019 : https://rmi.org/insight/a-new-ev-horizon
6 Freight Academy 2020, citée ci-dessus.
7 Les données utilisées viennent des sources suivantes : les « enquêtes TMV » (LAET), qui datent de 2011 et ne prennent pas en compte les livraisons B2C, « l’enquête VUL » dont la dernière date de 2010 et représente des chiffres France entière (donc sur-estimant les VUL utilisés par les particuliers, peu nombreux à Paris), ainsi que les « enquêtes plaques » de la ville de Paris, tous les deux ans mais qui ne permettent pas de distinguer entre les différents types de VUL (artisans, transporteurs, particuliers).

Ewa

Mobilité bas-carbone. Et si la France faisait fausse route

voitures rue de clichy

Alors que la Stratégie nationale bas-carbone met le cap sur la neutralité des émissions en 2050, le Forum Vies Mobiles s’est demandé si le pays était bien parti pour atteindre son objectif. En misant sur la technologie d’abord, et en évitant d’aborder dans leur ampleur les questions d’aménagement du territoire, on dirait bien que ce n’est pas le cas.

On connaît l’objectif que s’est fixé le pays : atteindre la neutralité carbone en 2050. Se donne-t-on les moyens de l’atteindre ? La question s’impose et le Forum Vies Mobiles (soutenu par le groupe SNCF) lui apporte une réponse tranchée : c’est non. Le Forum Vies Mobiles a confié l’enquête à une équipe emmenée par le géographe Jean-Baptiste Frétigny. Et, lors de la présentation des résultats, a demandé à Jean-Marc Offner (directeur de l’a’urba, l’agence d’urbanisme de Bordeaux Aquitaine) de questionner nos slogans et nos certitudes.

Dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) il faut notamment réussir une « transition mobilitaire », qui devait se traduire selon la version initiale, de 2015, par une baisse de 29 % des émissions du secteur à l’horizon du troisième budget carbone (2024-2028) et d’au moins 70 % d’ici 2050. Du fait d’un retard évalué à plus de 10 % par rapport aux objectifs sur la période 2015-2018, la stratégie révisée adoptée en 2020 ralentit l’effort initial pour épouser la courbe réelle, mais l’accentue ensuite en voulant atteindre la neutralité carbone dans les transports en 2050. Quelle que soit la version, on veut faire porter l’effort sur l’automobile et les automobilistes. En 2015, le gouvernement comptait ainsi d’abord sur « l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules consommant deux litres par 100 km et le développement des véhicules propres (voiture électrique, biocarburants, etc.). »

Cinq ans après, où en est-on ? La question est d’autant plus sensible que le mouvement des gilets jaunes est passé par là. Mouvement précisément causé par les effets de la remise en cause de l’automobile sur la vie quotidienne de millions de Français. Difficile de se contenter de penser qu’on suivait une voie vertueuse, et que ceux qui protestent contre les hausses des taxes sur les carburants sont tout bonnement condamnés par l’histoire. Le Forum s’est demandé, en partant du mouvement, ce qu’il en est de l’acceptabilité de la politique arrêtée. Et en se souvenant que la révolte s’en est prise à un texte qui « faisait consensus » dans le monde technocratique… Pour le Forum, il faut déjà relever que « l’empreinte carbone des individus est très différente en fonction du revenu, ce qui n’avait pas été suffisamment pris en compte dans le projet de taxation carbone (augmentation de la contribution climat- énergie), qui a été un moteur-clé de la mobilisation des gilets jaunes ».

Au-delà du mouvement, et de la taxation carbone, il s’est agi de comprendre les raisons du dérapage de 10 % qui laissent penser qu’il pourrait bien se répéter. Trois facteurs l’expliqueraient. Premier d’entre eux, l’objectif est « consensuel mais systématiquement secondaire ». De ce fait la politique est segmentée, confiée à des instances distinctes, la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) étant distincte de la DGITM au sein du ministère de la Transition écologique ; la première étant chargée de la stratégie et la deuxième de l’offre de mobilité qui y répond, de même que l’UE est divisée entre DG Climat et DG Mov. Quant au transport aérien, il est lui, traité à part.

Autre facteur de dérapage, la « crise de l’instrumentation », avec notamment un vrai problème sur le suivi de l’évolution de l’empreinte carbone, et un déficit d’autonomie dans l’expertise de l’Etat et de la société civile.

Le troisième facteur est « la hiérarchisation inversée ». Le Forum a classé les moyens de la transition.

Or, le plus efficace, c’est l’évitement (en jouant notamment de la carte du télétravail), puis vient le report modal ou le changement de pratique et, en dernier lieu seulement, ce que peut apporter la technologie. En bon français, avoid, shift, improve. Exactement à l’inverse de politiques publiques qui misent d’abord sur la technologie. L’évitement de la mobilité apparaît comme leur point aveugle, tandis qu’on fait confiance à l’industrie : comme le relèvent les chercheurs du Forum Vies Mobiles, lors des Assises de la Mobilité, organisées pour préfigurer le contenu de la LOM, dans l’atelier « Mobilités plus propres », présidé par un ancien dirigeant du secteur auto, près de la moitié (43 %) des participants était des acteurs de l’automobile ou du transport routier.

Le Forum Vies mobiles fait donc quatre recommandations, présentées le 7 octobre par Christophe Gay, son codirecteur :

  • Changement d’approche, en réunissant un parlement où les citoyens définiraient la place qu’ils veulent accorder aux mobilités ; une convention climat permettant aux gens de dire ce qu’ils souhaitent en la matière, et la prise en compte de l’impact social et environnemental. La Forum Vies Mobiles lance quatre forums citoyens, dans quatre territoires : Paris, Nantes, Saint-Dié-des-Vosges, et l’île de la Réunion.
  • Changement de priorité, privilégiant l’évitement. Or, cela conduit à repenser l’aménagement du territoire, en privilégiant notamment la ville du quart d’heure. En pensant à un réseau de train de nuit, possible dès lors que l’aérien serait soumis à des régulations. Ou en pensant la question d’AO capables de gérer la multimodalité dans toutes ses dimensions, et pas seulement le transport collectif.
  • Changement de politique industrielle, faisant de la réduction du poids des voitures une priorité.
  • Mise en place de nouveaux outils d’action publique, avec la création d’une direction interministérielle chargée de la mise en cohérence de l’action publique. Et la mise en place d’indicateurs pertinents, sur l’empreinte carbone par les personnes ou par les entreprises, s’inscrivant dans une logique d’instauration, à terme, d’un crédit carbone par individu.

Vaste programme !

F. D.


Jean-Marc Offner prend les certitudes à revers

Jean-Marc OFFNER
Jean-Marc Offner, directeur général de l’a-urba, agence d’urbanisme Bordeaux métropole Aquitaine.

C’est une intervention dont il a la spécialité. Prendre à revers les certitudes. Interroger les slogans, s’étonner de la façon dont ils sont construits, au lieu de se demander s’ils sont bien appliqués. Il l’a récemment fait dans son livre Anachronismes urbains (voir article du mois de juin). Et c’est sur sa lancée qu’il interroge le programme de transition mobilitaire. Quelle pertinence y a-t-il, par exemple, de vouloir lutter contre l’étalement urbain… alors que l’étalement urbain a eu lieu. En redisant qu’on veut l’empêcher d’advenir, « ce périurbain est nié dans son existence même », alors qu’il serait grand temps de l’organiser au mieux. Pas simple, car le périurbain n’existe pas, regrette Offner, en termes d’expertise, n’existe pas méthodologiquement, et a peu de visibilité politique. Deuxième exemple de perception fausse, le « hold-up » des transports publics sur le sujet de la mobilité. Résultat, « on gouverne éventuellement les transports publics, pas grand-chose d’autre ». De ces impensés et d’autres il résulte ce qu’Offner appelle un « quadruple brouillage » en matière de mobilité.

Premier brouillage, on a du mal à appréhender ce qui relève de l’interdépendance. Nos lunettes, dit-il, sont à l’aise avec les lieux, les étendues, pas avec ce qui est de l’ordre de la circulation.

Deuxième brouillage, on dit mobilité quand on parle seulement transport. Or, la mobilité, « c’est comportemental, pratique, c’est de la sociologie, ce n’est pas de la technologie du trafic ». Bref, on parle d’offre, regrette-t-il, pas de demande.

Troisième point, le partage modal. On considère un marché des déplacements, donc des parts de marché, mais cet indicateur ne dit rien sur la décarbonation, puisqu’il ne dit rien des kilomètres parcourus. La part de la voiture régresse ? Mais on ne sait rien des kilométrages. L’indicateur qui monopolise l’attention n’est pas pertinent.

Enfin, de façon complémentaire au hold-up sur les mobilités, la question de l’automobile est renvoyée à la politique industrielle.

En définitive, pour Offner « on n’a pas les moyens d’une politique publique de la mobilité ».


Méthodologie

L’équipe du laboratoire MRTE (Mobilités, Réseaux, Territoire, Environnement) de Cergy Paris Université, conduite par Jean-Baptiste Frétigny — avec Pierre Boquillon, Caroline Bouloc, Laure Cazeaux, Damien Masson — a interrogé quarante acteurs, en s’intéressant aux diverses échelles nationales, voire européenne ; a questionné le corpus juridique et institutionnel, ainsi que le corpus médiatique ; a mené aussi quatre études de cas : Ile-de-France ; la métropole régionale de Grenoble ; le parc naturel régional des Grandes Causses, dans l’Aveyron, et l’île de la Réunion. Elle s’est aussi appuyée sur l’analyse de multiples textes juridiques et documents de littérature grise liés aux politiques publiques interrogées et aux acteurs qui y sont associés. Un corpus médiatique a également été constitué à partir de 549 articles de presse.


Ce que dit la nouvelle version de la Stratégie nationale bas-carbone (mars 2020)

Le transport est, en France, le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. En 2017, il représente 29,9 % des émissions nationales, soit 139 Mt CO2eq, avec une forte croissance entre 1990 et 2004 (+ 18,9 %) suivie d’une décroissance de -7,9 % entre 2004 et 2009 avant une légère augmentation de +2,0 % entre 2009 et 2016. L’augmentation du trafic routier est à l’origine de cette évolution. Elle n’a pas été compensée par la baisse des émissions unitaires des nouveaux véhicules ou le développement des biocarburants dont la forte progression à partir de 2005 a néanmoins permis de limiter de façon significative les émissions du secteur routier, dit la Stratégie, dont le propos illustre le primat donné à la technologie que pointe le Forum Vie Mobiles. Dans cette logique, le texte poursuit : « Outre le faible prix des énergies, la stagnation des émissions dans le secteur des transports s’explique notamment par la faible amélioration des performances des véhicules neufs, un rebond des trafics routiers et des résultats moins bons qu’espérés pour le report modal dans le secteur des marchandises. » Et « le dépassement pourrait s’aggraver pour le deuxième budget carbone (2019-2023) adopté en 2015 au vu de l’inertie du système, et notamment des émissions des transports qui, spontanément, croissent plus vite que le PIB. »

Ewa

Donnez-nous des nouvelles

le grand paris des ecrivains

Objet non identifié, ou mal identifié, la ville moyenne aujourd’hui (voir Télétravail, exode urbain ?). Pour mieux la saisir, la faire percevoir, la Fabrique de la Cité lance un appel à la rédaction de nouvelles, dotée d’un prix de 3 000 euros. A rendre avant le 15 décembre. Sans faute de goût et sans grande surprise, le concours est placé sous le signe d’une phrase de Julien Gracq : « La forme d’une ville change plus vite, on le sait, que le cœur d’un mortel », par laquelle, emboîtant le pas à Baudelaire, s’ouvre La forme d’une ville.

Le Pavillon de l’Arsenal, et Libération, ont aussi fait confiance aux écrivains pour saisir un autre objet urbain, énorme celui-ci, et pas plus identifiable que le premier : le Grand Paris. Le projet est ainsi décrit par Stefan Cornic, réalisateur : « Un.e écrivain.e contemporain.e choisit un quartier, une zone, un lieu du Grand Paris. L’écrivain.e écrit alors un texte du genre littéraire de son choix, en lien avec l’espace. La caméra du réalisateur, elle, capte l’esprit des lieux. Par moments, des correspondances se tissent entre le texte lu par l’écrivain.e en voix off et les images. A d’autres, des écarts développent une nouvelle narration qui libère l’imagination et les interprétations. Entre vision documentaire et fiction littéraire, les films offrent des instantanés du Grand Paris d’aujourd’hui pour dessiner le portrait d’une ville en mutation… »

Dix épisodes d’une première saison sont annoncés, dont trois publiés quand nous bouclons : Maylis de Kerangal, Dans la ville écluse ; Aurélien Bellanger, Pays-de-France ; Alice Zeniter, Fontenay-aux-Roses — dont on aime bien le petit escalier.

Ewa

Tous prêts pour la concurrence en Ile-de-France

conférence GPRC 2020

A partir de janvier, le système d’exploitation des bus en grande et moyenne couronne francilienne change, puisque les 140 contrats « Optile » qui étaient jusqu’alors en vigueur ont été revus et regroupés en 36 lots ouverts à la concurrence. Les premiers lots gagnés seront exploités différemment. Qu’est-ce que cela va changer ? Qu’en attend Ile-de-France Mobilités ? Que peuvent apporter les nouveaux opérateurs ? Les invités de la table ronde organisée sur ce sujet le 8 octobre, juste avant la remise des Grands Prix de la Région Capitale, ont chacun apporté des éléments de réponse.

On a commencé à parler de mise en concurrence avant 2016, se souvient Laurent Probst, le directeur général d’Ile-de-France Mobilités (IDFM). Mais différentes échéances étaient évoquées. « Saisi, le conseil d’Etat a confirmé la date du 1er janvier 2017 », rappelle-t-il.

Incapable de tenir ce timing, IDFM a demandé qu’on lui laisse quatre ans de plus pour se mettre en ordre de marche. Dans le même temps, certains opérateurs ont lancé des recours pour que l’ouverture à la concurrence soit reportée à 2025. En vain, les recours ont été rejetés par le tribunal administratif.

Aujourd’hui la mise en concurrence ne fait plus débat, et IDFM a lancé la moitié des 36 appels d’offres. « On a pris le temps de préparer les dossiers et décidé de faire plusieurs vagues, d’échelonner les mises en concurrence sur 2021 et 2022, afin qu’il n’y ait pas trop de procédures au même moment », justifie Laurent Probst.

Une stratégie validée par l’autorité de la concurrence, qui avait elle-même demandé un ralentissement dans le rythme de passation des appels d’offres, mais aussi donné son feu vert sur la taille des lots prévus et confirmé la nécessité pour l’autorité organisatrice de prendre la main sur les dépôts stratégiques. IDFM prévoit d’avoir désigné tous les opérateurs mi-2022, pour qu’au 1er janvier 2013 tous les contrats soient lancés.

Un processus bénéfique

Laurent Probst en attend une amélioration de la qualité de service. « Les opérateurs actuels sont bons, mais quand on se remet en cause, on fait toujours mieux ». Les grands opérateurs représentés à cette table ronde ont tous répondu aux appels d’offres. « La mise en concurrence a été pour eux l’occasion de se poser des questions sur leur façon d’organiser les choses et d’améliorer la qualité de service. Ce qu’on ne fait pas en dehors des appels d’offres », estime le directeur général d’IDFM, en assurant ne pas s’être fixé d’objectif d’économies précises. « Parce qu’on dépense chaque année davantage : depuis 2015, on a dépensé 230 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les bus ». Et la transition énergétique va augmenter la facture, IDFM visant 100 % de bus « propres » en 2029. « Notre objectif n’est pas de dépenser moins, mais de faire mieux, en évitant d’avoir à trop augmenter les prix de transport. » D’autant que, dans un avenir proche, il faudra aussi faire face à des dépenses encore plus importantes avec l’arrivée du Grand Paris Express : il faudra trouver un milliard d’euros par an en plus rien que pour couvrir les dépenses de fonctionnement du futur métro automatique.

Des exploitants motivés

« En tant qu’opérateur sortant, l’ouverture à la concurrence nous a obligé à nous remettre en question et à faire preuve de créativité pour améliorer le service », reconnaît Brice Bohuon, le directeur général adjoint de Transdev, qui a déjà remporté les trois premiers lots ouverts à la concurrence. « Nous avons réfléchi à une modernisation des outils. Ce qui nous a permis de nous engager sur l’amélioration de la régularité et de proposer de nouveaux services pour les voyageurs, comme le paiement par CB dans le bus, ou le suivi des véhicules en temps réel sur une carte. Des petits plus qui changent le quotidien. »

Brice Bohuon refuse de dire s’il a baissé ses prix pour remporter le marché. « Ce n’est pas la bonne façon d’aborder l’ouverture à la concurrence. » Mais il rappelle que nulle part dans le monde on a vu la mise en concurrence s’accompagner d’une hausse des coûts. Le directeur général Ile-de-France de Transdev reconnaît que, sans la compétition liée à la mise en concurrence, il aurait été plus difficile de se remettre en question et de se dépasser. « De ce point de vue, c’est bénéfique. » Mais il ajoute : « le découpage des lots permet aussi d’optimiser les circulations entre les lignes et de trouver des économies parce que cela fonctionne mieux et de manière plus intelligente ». Des économies dont IDFM bénéficiera. Chez Keolis, on est aussi favorable à la mise en concurrence. « Notre expérience, en national comme à l’international, démontre que cela crée de l’émulation et permet d’apporter de nouvelles idées pour améliorer la qualité de service, innover, aider les clients et aider l’AO à résoudre son équation financière », affirme Youenn Dupuis, DGA en charge d’IDF. Keolis a remporté le contrat des bus du Bord de l’Eau, incluant la mise en service du tramway T9. « On était très motivé par ce projet de tramway sous maîtrise d’ouvrage d’IDFM dans sa conception et l’aspect acquisition du matériel roulant. » Pour répondre à l’appel d’offres, Keolis a mobilisé ses experts. « Nous sommes leader mondial du tram dans 10 pays. C’est sans doute un élément qui a permis de convaincre IDFM de nous faire confiance, en proposant de l’innovation digitale, environnementale et d’asset management. » Youenn Dupuis n’en dira pas plus, pour ne pas livrer ses secrets de fabrique avant l’appel d’offres relatif au T10.

Dans l’univers des bus en grande et moyenne couronne, RATP Dev fait partie des « petits » (il représente 7 % des parts du marché) mais la société a de grandes ambitions. Créée il y a 18 ans pour gagner des marchés en dehors des territoires de sa maison mère, la RATP, elle opère déjà dans 470 villes et dans 13 pays. « On est exploitant d’une ligne 14 entre les Mureaux et la Défense où on a été renouvelé, mais avec Optile, on rentre sur une mise en concurrence d’envergure », se réjouit Christophe Vacheron, le directeur de la région Ile-de-France de RATP Dev. « Nous avons l’ambition de proposer la meilleure offre économique en étant le meilleur en régularité, en qualité de service, en sûreté, en sécurité, et dans la lutte contre la fraude. »

Dans cette perspective, RATP Dev planche particulièrement sur quatre sujets : l’offre de transport, la qualité de service, la régularité et la sécurité routière. « La mise en concurrence est une occasion de dépoussiérer et d’améliorer les lignes et d’aller au contact des Franciliens, tout en proposant la meilleure offre économique possible et en créant des emplois. » Pour Christophe Vacheron, le fait d’appartenir à la RATP « apporte une double culture : excellence opérationnelle et respect des territoires ».

600 millions pour acquérir les dépôts

Dans le cadre de la mise en concurrence, IDFM doit donc acquérir les dépôts. « On a demandé aux opérateurs de s’engager à vendre ou céder les loyers », rapporte Laurent Probst. L’autorité organisatrice des mobilités a identifié ceux dont l’activité est dédiée à plus de 50 % à l’activité Optile. Ce qui lui a déjà permis d’en acquérir 60. Or, elle estime qu’il lui en faudrait une centaine. Elle cherche donc 20 à 30 terrains pour construire des dépôts et revient à la charge auprès des opérateurs pour qu’ils lui en cèdent d’autres. Brice Bohuon dit avoir des contacts sur certains dépôts du côté de Brunoy et Rambouillet et se dit prêt à les céder. Youenn Dupuis, confirme être dans une dynamique de transfert quand c’est le souhait de l’AO tout en précisant travailler à leur conversion énergétique pour le compte d’IDFM. « Nous voulons transférer des dépôts pré-équipés pour la transition énergétique, afin que les prochains contrats puissent circuler avec des bus au GNV ou électriques. » Christophe Vacheron reconnaît que « disposer de dépôts est un accélérateur de mise en concurrence. La disponibilité du foncier est un élément fort qui permet à la concurrence de s’exercer pleinement ». Opérateurs et AO font appel à des brokers pour les aider à valoriser au juste prix ce foncier. Pour acquérir les dépôts et le matériel, IDFM estime qu’elle devra investir 600 millions d’euros. « Des sommes qui jusque-là étaient portées en dette par les opérateurs. On remplace un loyer par un investissement. Ce n’est pas de l’argent perdu », assure Laurent Probst.

Des attentes et des craintes

La FNAUT est favorable à la mise en concurrence des lignes de bus. « Elle va permettre de sortir d’un système de droit à vie, où dans certains secteurs on avait des exploitants historiques, donc pas très motivés à corriger le tir sur la régularité. Cette concurrence est une incitation à réaliser un meilleur service », espère Marc Pélissier. « C’est aussi l’occasion de revoir des réseaux avec des lignes qui dataient et ne correspondaient plus aux bassins de vie d’aujourd’hui. Nous en attendons de la cohérence. » Mais il se dit préoccupé : « on ne voudrait pas qu’il y ait des remous sociaux avec des grèves lorsque des nouveaux opérateurs arriveront ».

Le fait que les règles de transfert du personnel restent floues ne favorise pas la sérénité reconnaît Brice Bohuon, déplorant que le législateur ait tardé à discuter d’un accord de branche et à inclure la zone Optile dans la LOM. Les règles qui s’appliqueront ne sont pas encore en vigueur et ce manque de clarté peut inquiéter les salariés, que Transdev doit rassurer en leur disant que tout devrait bientôt s’éclaircir. « L’accord de branche sur la zone interurbaine est en cours d’homologation. Il a été publié au JO cet été et on attend le décret d’entrée en vigueur. Mais il reste la question des transferts pour les salariés sur la convention interurbaine, au cas où il y aurait un transfert interurbain vers urbain », modère le représentant de Transdev. Selon lui, les exploitants devront faire en sorte que cela se passe le mieux possible. Il rappelle que « l’AO a mis en place des règles s’imposant aux entreprises dans les appels d’offres ». C’est le cas du transfert volontaire de tous les salariés « qui ne pose pas de problème, car on est dans des métiers en tension. Ce sont des obligations saines et justes ». Pour Youenn Dupuis, le décret d’homologation d’extension n’est pas un sujet. « On a encore à régler le sujet du social RATP, mais ce sera pour 2024. Le sujet sera alors : est-ce qu’on travaille 35 heures en IDF ou moins comme à la RATP ? Dans ce cas, il y aura un risque de sous compétitivité. Mais ce qui nous préoccupe aujourd’hui, le premier marqueur à vérifier, c’est que d’un point de vue social cela se passe bien. Sans quoi on aura montré par l’absurde qu’il ne fallait pas ouvrir à la concurrence. » Et d’ajouter : « il faut faire attention, car si ce qu’on propose bouleverse les conditions de travail et l’équilibre de vie, cela pourrait mal se passer. Il faut trouver l’équilibre entre compétitivité et acceptabilité pour le corps social, qui bénéficie à la fois aux usagers et aux clients, y compris en termes de continuité de service ». Pour Christophe Vacheron, « on recherche tous des conducteurs. Avec le niveau d’exigence d’IDFM, on doit leur faire passer un cap et aller vers une professionnalisation du métier ». Pour lui aussi, il y a une obligation de réussite : « en IDF, où se trouve 20 % de la population française, il ne faut pas mettre en difficulté la mise en concurrence. C’est la première d’envergure, on a le devoir de la réussir, car derrière il y en aura de plus importantes encore », souligne-t-il.

Gagner en informations voyageurs

Laurent Probst travaille sur l’uniformisation de la billettique, « de manière à avoir le même système partout, avec du SMS ticketing, ou du paiement par CB ». IDFM cherche aussi à mieux faire connaître Vianavigo. « On construit une appli et on a des progrès à faire, pour qu’elle puisse s’imposer comme l’appli d’IDFM, en intégrant les informations des différents opérateurs. »

Youenn Dupuis confirme que l’objectif n’est pas de proposer des systèmes concurrents à ceux d’IDFM, mais de proposer des services complémentaires. « Toutes les propositions se font avec transfert dans l’open data de Vianavigo pour ne pas développer une application concurrente. » C’est ainsi que sur un appel d’offres à Paris, Keolis a mis en place une borne d’info voyageurs nouvelle génération, qui prend l’info de l’open data d’IDFM et affiche le passage en temps réel de toutes les lignes pour faciliter la vie des voyageurs dans leur parcours intermodal. Christophe Vacheron poursuit : « il faut innover, mais l’objectif est d’uniformiser pour proposer des services cohérents. Les cahiers des charges sont clairs là-dessus. A Mantes-la-Jolie, nous avons lancé un système avec le taux d’occupation des bus en temps réel. On le propose à IDFM qui le valide et ensuite on se connecte à l’outil Vianavigo pour que chaque Francilien puisse disposer des infos. »

Si Marc Pélissier regrette qu’il soit encore difficile d’avoir des informations voyageurs en temps réel et multitransporteurs, il se réjouit qu’il y ait des améliorations en vue. En matière d’uniformisation, la Fnaut appuie l’idée du Poteau d’arrêt universel et la renumérotation des lignes de bus, « pour éviter les doublons et clarifier les choses ».

Valérie Chrzavzez

Ewa

Dix usines européennes en vue pour l’électromobilité

Nice voiture electrique

En partenariat avec La Fabrique de la Cité, l’Ifri (Institut français des relations internationales) publie une étude autour de l’essor des véhicules propres : Le pari de la mobilité routière propre en Europe : Etat des lieux, stratégies et perspectives post-Covid-19 (voir infographie ci-dessous).

La mobilité électrique est en réel essor, et atteint 7 % de part de marché au premier semestre 2001 en Europe, contre 2,2 % en 2018 et 3,25 % en 2019. Plus de 26 milliards d’euros sont consacrés aux mobilités dans les plans de relance français et allemands. Mais les nouvelles briques de valeur ajoutée doivent être localisées en Europe.

Aussi, portés par l’alliance européenne des batteries, créée en 2017 pour combler le retard avec la Chine, une dizaine de projets d’usines de fabrication de cellules sont annoncés pour 2023-2025, avec plus d’1/3 des capacités localisées en Allemagne et deux projets en France.

Elles sont susceptibles de couvrir la demande, qui selon les études, pourrait atteindre entre 30 et 44 % à l’horizon 2030. L’étude propose comme il se doit trois scénarios pour 2030.

Ifri infographie

Ewa

La résilience trois ans avant

Livre couv

Trois années déjà que s’est tenu le colloque de Cerisy, Villes et territoires résilients, organisé par Veolia et Vinci/Fabrique de la Cité. Les actes viennent d’en paraître chez Hermann, et une postface tente de prendre la mesure de la pandémie venue après coup montrer la pertinence de la rencontre. Un peu tôt, et on voit, à lire le texte de Sabine Chardonnet Darmaillacq, plus de pistes de recherches et que de certitudes. Inévitable. On peut penser, comme elle le fait, qu’avec la Covid-19 et le confinement « les modèles déjà en plein essor des circuits courts producteur-particulier et des tournées de distribution ont connu un succès qui sera sans doute durable ». S’étonner qu’on « envisage de réduire les mobilités pendulaires grâce au télétravail » alors qu’on « se préoccupe moins du mouvement mondialisé des objets et composants y compris alimentaires ou pharmaceutiques, de leur logistique sans autre limite que celle du prix apparent du produit ». Ou noter que « des droïdes ou robots livreurs sont déjà répandus dans des villes chinoises, colombiennes ou américaines, pour résoudre à moindre coût pour les vendeurs la question logistique du dernier kilomètre », et qu’ils ont été « légitimés ces derniers mois par des considérations de précaution sanitaire ».

S’il ne pouvait préparer précisément à la pandémie, le colloque invitait à raison à envisager la résilience des systèmes. En voyant — parmi d’autres exemples — comment les habitants de Katmandou se sont relevés des séismes de 2015. Ou comment le Japon, où le développement du Shinkansen s’est accompagné du déclin des villes moyennes et petites, et où se renforcent les « Big Flows », pourrait bien recourir à des circuits courts et à des « fibres courtes pour préserver la flexibilité dans la réorganisation de la ville en train de changer ».

Villes et territoires résilients – Sous la direction de Sabine Chardonnet Darmaillacq, Eric Lesueur, Dinah Louda, Cécile Maisonneuve, Chloë Voisin-Bormuth, avec le concours de Sylvain Allemand, Hermann, collection Colloques de Cerise,462 pages – 32€.

Ewa

« Les perspectives de développement restent très importantes à moyen terme »

Club Laurence Batlle

Laurence Batlle a rejoint RATP Dev en 2007, avant d’en prendre la présidence dix ans plus tard. Invitée du Club VRT le 22 septembre, elle est revenue sur la création de la société il y a 18 ans, avant d’évoquer son développement, sa gestion de la crise et ses projets.

« RATP Dev a été créée avec la mission de développer le groupe en dehors de son territoire historique, qui va être mis en concurrence. Qui dit mise en concurrence quand on est un monopole, dit perte possible de marchés. Nous devons accompagner l’évolution de la RATP dans un environnement concurrentiel », rappelle Laurence Batlle, la présidente du directoire de RATP Dev.

Lancée en 2002, la petite entreprise est devenue grande. Aujourd’hui, RATP Dev est présente dans 13 pays, compte 20.000 collaborateurs et, avec les deux derniers contrats gagnés (en Toscane et au Caire), devrait porter ses effectifs à 27000 et faire passer son CA de 1,3 milliards à 2 milliards d’euros. « 470 villes nous font confiance que ce soit pour l’exploitation ou la maintenance de tous les modes de transport, y compris les bateaux comme c’est le cas à Lorient », souligne Laurence Batlle qui a rejoint l’entreprise en 2007 après un début de carrière qui n’avait rien à voir avec les transports : après douze années passées chez PricewaterhouseCoopers, où elle devient associé, elle a pris le poste de Vice President Global Finance Support chez Atos Origin. « J’ai alors été approchée par un chasseur de tête », se souvient Laurence Battle, qui raconte avoir hésité en apprenant que le poste qu’on lui proposait concernait la RATP. « Je craignais une inadéquation entre le groupe et ce qui me porte, c’est-à-dire une culture anglo-saxonne. Et c’est une formidable aventure que je vis depuis 12 ans. »

Elle accepte tout de même de rencontrer Jean-Marc Janaillac, avec qui le courant passe immédiatement : leur premier rendez-vous durera 5 heures ! Il lui faudra cependant plusieurs mois de réflexion pour décider définitivement d’intégrer le groupe et de porter le projet qu’elle juge « super culotté » d’un développement hors des frontières historiques.

En 2007, elle rejoint donc RATP Dev en tant que DAF. « Tant était à faire ! », se souvient-elle. En 2011, elle entre au directoire et en 2014, elle prend la tête de la Business Unit Americas-Africa et du Sightseeing. Elle succédera en 2017 à François-Xavier Perin, à la présidence du directoire de l’entreprise.

La conquête de l’Ouest

Partant du constat que RATP Dev est très reconnue à l’étranger, mais moins en France, Laurence Batlle est partie à la conquête de l’Ouest. Avec succès puisque l’entreprise a gagné l’exploitation des transports de Vannes, Lorient, Angers, Brest, et Saint Malo et Quimperlé.

Dans le même temps, à l’international, la société capitalise sur son savoir-faire en métro automatique et remporte d’une part, l’exploitation et la maintenance du métro de Riyad en Arabie Saoudite et d’autre part, via la joint-venture formée avec Keolis, celle du métro de Doha au Qatar.

Dernier succès en date, en septembre 2020, Laurence Batlle est allée signer un contrat au Caire, portant sur l’exploitation et la maintenance pour 15 ans de la ligne 3 de la capitale égyptienne. « Un très beau contrat, dans une ville de 25 millions d’habitants ultra-congestionnée, où lorsqu’on met en place un nouveau système de transport, il est aussitôt bondé car les besoins sont phénoménaux. »

Un mois plus tôt, Ratp Dev avait également signé – enfin !, après des années de recours juridiques- un contrat en Toscane (Italie) pour l’exploitation de cars et de bus, après un appel d’offres lancé en… 2015. Soit 38 réseaux, près de 3 000 bus, plus de 5 000 personnes et 90 dépôts, pour lesquels la société travaille à la reprise des actifs.

L’impact de la crise sanitaire

Le contexte actuel de la crise sanitaire a bien sûr impacté l’activité. « Personne n’avait vu venir un phénomène de cette ampleur qui a touché toutes nos opérations en même temps», rappelle la patronne de RATP Dev. Pour y faire face, il a fallu « réinventer » les process en quelques jours. « Nous l’avons fait en assurant la continuité de l’exploitation, tout en veillant à la sécurité des employés et des voyageurs. En mettant en place tous les amortisseurs possibles pour amoindrir les conséquences financières et en utilisant les aides mises en place par les gouvernements dans les différents pays. Sur tous les pays où nous sommes présents, le mot d’ordre était : « il faut sauver les transports publics. » Et nous avons également mis en place une équipe ad hoc, pour qu’en sortie de crise il soit possible de saisir les opportunités qui pourraient se présenter. » Elle tire de cette expérience le constat que : « face à une crise de cette envergure et un niveau d’incertitude fort, il faut être agile, robuste, humble et jouer collectif. »

Reste que certains projets ont été décalés. « Certes, avec le crise, les autorités organisatrices ont davantage prêté attention au quotidien et moins à des projets de plus long terme comme le Maas (Mobility as a service, ndlr). Mais dans de nombreux réseaux, la crise sanitaire a poussé à innover, notamment sur le sans contact. Beaucoup de réseaux sont passés au SMS ticketing et ont amélioré l’information voyageurs. Par exemple, nous communiquons aux voyageurs des informations sur le taux de remplissage des bus pour leur permettre de décider s’ils préfèrent attendre le bus suivant pour respecter les règles de distanciation physique ».

Des tendances favorables à moyen terme

Laurence Batlle assure qu’à moyen terme, les tendances restent favorables pour le secteur, en raison de l’urbanisation croissante et des enjeux environnementaux. Mais elle admet qu’à court terme, dans les pays matures, la fréquentation des transports devrait rester en recul. « En France, le taux de fréquentation est entre 60 et 70 % de la normale, en fonction des réseaux. Nous devons réinventer notre modèle pour trouver un équilibre satisfaisant, à la fois pour les autorités organisatrices des mobilités, les voyageurs et les opérateurs. Les voyageurs ne sont complètement de retour que dans certains pays émergents, où les gens n’ont pas d’autres alternatives. »

Laurence Batlle se garde de faire des prévisions sur un retour à la normale, que ce soit en France ou ailleurs dans le monde, tant on manque encore de visibilité. « On modélise plusieurs scénarios. Il faut prendre en compte l’impact du télétravail, qui se fait surtout sentir en Ile-de-France, ainsi que les conséquences sur le transport scolaire avec des abonnements en diminution par rapport aux années précédentes. Les dernières tendances nous laissent espérer qu’en France on retrouvera en 2021 un trafic de l’ordre de 90 à 95 %, par rapport à l’avant-Covid. La seule certitude, c’est que la crise va durer encore quelque temps. »

Mais la dirigeante fait preuve d’optimisme en rappelant que la crise sanitaire ne doit pas occulter le fait qu’il y existe à moyen terme des perspectives très importantes de développement. « Nous allons connaître une situation jamais vue, avec les premières mises en concurrence de TER, les opportunités du Grand Paris Express, la mise en concurrence du Transilien, d’Optile et demain de la RATP… » Soit autant d’opportunités extraordinairement attractives dans les années à venir pour tous les opérateurs en général et pour RATP Dev en particulier.

Des alliances pour gagner des marchés

Pour remporter le contrat CDG Express, la liaison ferrée directe et dédiée qui doit relier la gare de l’Est à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, RATP Dev s’est alliée avec Keolis. Un contrat gagné il y a tout juste deux ans.

L’entreprise attend désormais les premiers appels d’offres portant sur les TER. Dans cet objectif, elle a noué un partenariat avec Getlink afin de créer une société commune, Régionéo, et répondre avant tout aux appels d’offres de Grand Est et des Hauts-de-France. « Nous sommes convaincus que cette alliance française d’un opérateur de transport de passagers et d’un opérateur de gestion et de maintenance des infrastructures, va permettre d’apporter aux Régions des solutions sur mesure innovantes pour l’ouverture du rail régional. »

Sur le marché francilien aussi, RATP Dev veut se faire une place. « Sur le réseau Optile, nous sommes peu présents, avec 7% de parts de marché. Non seulement nous allons défendre nos positions, mais nous pensons apporter plus de valeur, en répondant à de nombreux appels d’offres. En Ile-de-France, comme ailleurs, nous avons de grandes ambitions », poursuit Laurence Batlle. « Nous arrivons avec un œil nouveau, en offensif. Ce qui peut donner envie de changer d’opérateur. Nous travaillons avec les autorités organisatrices pour comprendre leurs relations avec leur opérateur et nous analysons le marché pour pouvoir être sélectifs sur les projets afin de cibler nos batailles. »

Pour le Grand Paris, le groupe RATP, via sa filiale RATP Dev, a choisi de s’allier avec Alstom et le singapourien ComfortDelGro, « réputé pour la propreté de ses stations, son approche clients et sa qualité de service», souligne la dirigeante . Les trois entreprises, qui sont très engagées sur les questions de maintenance prédictive, veulent faire du Grand Paris une vitrine. « C’est une alliance qui permettra de construire la proposition de valeur la plus pertinente pour Ile-de-France Mobilités et les Franciliens. »

Le sightseeing va peser sur les résultats de l’entreprise

Mais RATP Dev se prépare néanmoins à connaître en 2020 les résultats les pires de son histoire. « Pas tant en raison du mass transit, mais de notre offre B to C de sightseeing qui a été fermée le 5 mars et qui n’a repris qu’à la mi-juillet, avec un niveau de fréquentation de 10% par rapport à l’an passé. Le retour à la normale n’est pas attendu avant 2024. Cette activité va impacter notre performance et peser sur nos résultats à hauteur de dizaines de millions d’euros. » Laurence Batlle prévoit donc de finir l’année avec des pertes qu’elle refuse de chiffrer.

Mais, ajoute-t-elle, malgré les difficultés, le développement reste le cap de l’entreprise. « On ne décélère surtout pas ». Le développement à l’international fait toujours partie de la stratégie avec l’objectif de gagner de nouveaux marchés dans des pays comme le Canada et l’Australie, où des projets de métros automatiques sont accélérées. « Ratp Dev compte bien profiter de son expertise démontrée dans ce domaine pour répondre aux appels d’offres dans ces pays stables. »

Dans le viseur de RATP Dev, elle cite aussi les Emirats Arabes Unis. « Nous avons implanté notre siège Middle East à Dubaï et pour l’Asie nous avons un siège régional à Singapour depuis 2018. » A la question de savoir si se positionner sur les mêmes marchés internationaux que d’autres grands acteurs français ne revient pas à une guerre fratricide, elle répond : « Il faut se réjouir que la France ait trois grands champions de transport public capables de batailler à l’international. Parce que, lorsqu’on est plusieurs à répondre à un appel d’offres avec cinq opérateurs dont deux Français, cela fait deux fois plus de chances que ce soit un Français qui remporte le marché. »

Attirer des talents et féminiser les effectifs

Pour accompagner sa croissance, RATP Dev a besoin d’attirer des talents et de les garder. Dans ce but, l’entreprise veut leur proposer des carrières évolutives en interne et des carrières à l’international. « Notre croissance va nous permettre de continuer à proposer à des talents français d’exporter leurs compétences dans des pays où nous sommes. Nous voulons aussi offrir des carrières internationales à des expatriés non français. » C’est ainsi que des salariés algériens ont pu partir vers le Caire ou Riyad.

Autre objectif de la présidente du directoire : travailler sur la mixité pour diversifier un monde des transports encore très masculin. C’est à ce titre que RATP Dev va former des femmes conductrices de BHNS au Moyen-Orient.

Par ailleurs, elle affirme veiller tout particulièrement à l’égalité salariale et à ne pas pénaliser les femmes partant en congé maternité (leur bonus n’est pas proratisé, et elles bénéficient de hausses de salaires a minima à hauteur de la structure à laquelle elles appartiennent). « Nous faisons aussi notre maximum pour combler les écarts de salaires », assure la présidente, fière des bons scores de l’entreprise à l’index Penicaud. Et elle rappelle un chiffre : en l’espace de trois ans, le nombre de manageuses est passé de 25 % à 30 % à RATP Dev.

Valérie Chrzavez


Evoquant son parcours, la présidente explique que rejoindre RATP Dev lui a permis de vivre une belle aventure humaine. « C’est une société construite par des hommes et des femmes remarquables, motivés par de grandes valeurs. »

Une société qui est, selon elle, à l’écoute des autorités organisatrices pour contribuer à améliorer la qualité de vie des voyageurs, en leur rendant du temps. « En Afrique du Sud, nous avons calculé que prendre le train entre Pretoria et Johannesburg permet de gagner 40 jours de travail ouvrés par rapport à la route. »

Et pour imager RATP Dev, Laurence Batlle raconte le logo imaginé par les salariés. « Un homme divisé en deux. Avec une moitié de son corps revêtue d’un costume cravate et l’autre d’une tenue d’Indiana Jones. Cela représente bien nos deux piliers : être une entreprise alliant sécurité, technique, pro, fiabilité et robustesse et un état d’esprit de jeune conquérant qui a encore envie de se développer et qui n’a peur de rien. »

Ewa

Télétravail, exode urbain ?

Pau

Le télétravail sorti vainqueur du confinement a de bonnes chances de marquer de nouveaux points avec ce nouveau confinement. Annonce-t-il un prochain exode urbain, après des décennies d’exode rural ? Tentant de le penser, et les signes avant-coureurs d’un renversement de sens sont là. On les connaît, la Fabrique de la Cité les relève : Paris a perdu en moyenne 11 000 habitants entre 2012 et 2017, et des pôles urbains de plus de 300 000 habitants sont aujourd’hui les « territoires qui gagnent ». Pas franchement vers la campagne donc, l’exode, ou l’esquisse d’exode, mais on passe en deçà de la barre des métropoles d’équilibre chères à feue la Datar. A priori, on ne pense pas que l’exode ait la même portée qu’aux Etats-Unis, où les télétravailleurs sont deux fois plus nombreux que leurs collègues revenus aux bureaux et où l’on s’attend à de profondes transformations des quartiers d’affaires et des espaces de travail. Mais il est temps dirait-on de se pencher sur les villes moyennes, dont on avait plutôt coutume de déplorer le déclin. Avant de tirer des plans sur la comète — ou la Covid — la Fabrique de la Cité (Vinci) annonce une enquête de terrain. Déjà, une note avait invité en juillet à prendre avec précaution la notion de ville moyenne, plus généralement de ville, et à mieux faire apparaître la réalité de l’aire urbaine. Une monographie sur Lens poursuit le propos.

Ewa

Le véhicule autonome cherche sa voie

vehicule autonome

Du 21 septembre au 2 octobre, le « festival Building Beyond », organisé par Léonard (think tank de Vinci) voulait « éclairer le futur des villes et des territoires ». Parmi les nombreux thèmes, le véhicule autonome, dont ont débattu André Broto, directeur de la stratégie chez Vinci Autoroutes, Côme Berbain, directeur de l’innovation de RATP Group, et Laurence Ullmann, prospectiviste chez Michelin.

C’est maintenant clair, les promesses du véhicule totalement autonome — de niveau 5 — ne sont pas près d’être réalisées… si elles le sont un jour. « Tout le monde en est revenu », dit Côme Berbain. Mais l’autonomie peut prendre une infinité de formes, du taxi volant au robot qui nettoie le sol. Et, ce qui compte, « ce n’est pas le véhicule en soi, mais le service que l’on construit ». Ce que la RATP vise, ce sont les « services de mobilité autonome urbaine partagée ».

Pour André Broto, le véhicule autonome peut surtout s’attaquer à l’autosolisme en offrant des alternatives de mobilité dans les territoires où les transports en communs font défaut. « On peut imaginer des services de navettes autonomes de 8 à 10 personnes faisant du quasi-porte à porte. Elles prendront les autoroutes et les rocades et relieront l’hinterland des grandes métropoles avec les lieux d’emploi. » André Broto propose le déploiement progressif sur des voies réservées que l’on peut construire dès aujourd’hui sur les autoroutes. « On commence par mettre des voies réservées avec les bus d’aujourd’hui, et petit à petit on injecte de la technologie. » Avec les progrès techniques il sera possible d’augmenter le cadencement des véhicules et donc le débit des voies réservées sans modifier l’infrastructure. La présence d’une grande partie de la technologie dans l’infra, et non dans le véhicule, sera sans doute une bonne opération pour Vinci, et ses 4 400 km d’autoroute. Questions discutées dans le cadre du projet Trapèze, développé avec Vedecom, PSA et Renault. L’idée d’André Broto s’inscrit bien dans le projet de Vinci « autoroute bas-carbone » : s’appuyer sur les stations-service pour accompagner le déploiement des bornes électriques puis des bornes à hydrogène, développer de modes partagés et collectifs avec Blablacar, et adapter les parcs relais pour des services de bus express. Il trouve aussi sa place dans le projet New Deal proposé par David Mangin (un des quatre projets Les routes du futur Grand Paris, présentés en 2019 au Pavillon de l’Arsenal). Centrifuge et non plus centripète, il invite à « commencer par traiter le problème des personnes en périphérie qui sont captives de la voiture et leur proposer une alternative ».

Les navettes chères à André Broto ne seront pas le seul visage de l’autonomie. Laurence Ullmann met l’accent sur des services de mobilité à des seniors ou même des plus jeunes sans permis de conduire dans des zones rurales enclavées. Reste à répondre dans toutes les applications aux questions d’acceptabilité : ai-je envie de confier mes données personnelles à un opérateur ? Et l’autonomie ne va-t-elle pas supprimer des emplois ? Côme Berbain, qui rappelle que ce ne fut pas le cas avec les lignes de métro automatiques, imagine une nouvelle répartition des tâches dans les bus, l’autonomie ne prenant pas en charge tout ce que fait le conducteur. Va-t-on revoir des receveurs ?

François Dumont

Ewa

Un manifeste contre les grandes villes. Tous aux champs, vraiment ?

metropole

Le géographe Guillaume Faburel, après avoir dénoncé les « Métropoles barbares », appelle dans un manifeste à en finir avec les grandes villes. Un retour à la terre bien dans l’air du temps…

C’est un thème qu’on n’a pas fini d’entendre. Il était déjà là avant le nouveau coronavirus, on l’entend maintenant que le Covid-19 est là. De ce dernier mal comme de presque tous nos maux, les métropoles sont la cause. Il faut de toute urgence redonner vigueur aux villages, au local, au mieux aux villes moyennes. Guillaume Faburel est l’un des hérauts de ce retour. Avant la crise sanitaire, il avait déjà publié, avec Les métropoles barbares, une critique de la métropolisation. Il sort aujourd’hui Pour en finir avec les grandes villes. Si l’auteur est géographe, professeur d’Etudes urbaines à l’université Lumière Lyon 2, l’ouvrage qu’il publie n’est pas un livre universitaire ou savant. Pas d’appareil critique, il écrit un manifeste, et précisément, comme le dit le sous-titre, un manifeste pour une société écologique post-urbaine.

Le constat que fait Faburel ne surprendra pas. Exemples ? 127 villes « ne pèsent pas moins de 48 % du PIB pour seulement 12 % de la population mondiale ». Il dénonce une « globalisation du béton, responsable à elle seule de 9 % des émissions mondiales de CO2 ». (*) En France, dix-sept des vingt-deux métropoles dépassent très régulièrement les normes d’exposition aux particules fines fixées par l’Organisation mondiale de la santé.

Mais la concentration, la bétonisation, la pollution, les Français ne supportent plus. L’ampleur de ce rejet n’apparaît pas vraiment, du fait de biais statistiques que dénonce Faburel. « Si les villes de Lyon, Bordeaux, Montpellier, Nantes ou Rennes ont gagné de 1 à 2 % d’habitant·es en cinq ans, les dix-sept autres [métropoles] ont un solde légèrement négatif. Pourtant, cette réalité est dissimulée à coups de tours de passe-passe statistiques, en la noyant dans des périmètres plus larges comme les aires urbaines ou en mettant en avant d’autres indicateurs comme le solde naturel. De plus, la population française serait en fait urbaine à seulement 48 %, et non à 80 %, si l’on intégrait le critère de continuité de l’urbanisation et de densité, comme cela a été demandé quinze années durant aux autorités françaises par Eurostat et par l’OCDE. Et même si ces données officielles ont tendance à masquer cette réalité, l’Insee est désormais contraint d’admettre que ce sont aujourd’hui les communes de faible densité qui gagnent en France le plus d’habitant·es, de l’ordre de 0,7 % par an dans les zones rurales, à commencer par douze départements historiquement considérés comme les moins « dynamiques ». Ce « brouillard statistique » des organismes officiels est « tout sauf anodin, l’enjeu étant d’invisibiliser des manières de vivre différentes de celles promues par l’idéologie urbaphilique d’État. »

En réalité, dit-il « tout l’Hexagone se repeuple allègrement. Nombre de ses hameaux, villages et bourgs, y compris dans sa fameuse « diagonale du vide » nord-est/sud-ouest, abusivement présentée comme en déclin, sont ainsi progressivement revigorés par la lassitude métropolitaine. »

Certes, il y a bien la solution qui consiste à rester et à « verdir » la ville mais qui ne trouve pas grâce aux yeux de Faburel, très peu vélo – bobo. Pour lui, les verdisseurs en herbe (si l’on peut dire) sont des « agents involontaires – ou idiot·es utiles – de la métropolisation, participant à la production de la ville « apaisée », « adaptable », « écologique », « vivable » et « durable », dit-il en usant de guillemets qui sont autant de pincettes. Il leur préfère « des collectifs menant des luttes autrement plus politiques. » Et, quoi qu’il en soit, penche pour la solution radicale post-urbaine sur laquelle se termine son livre : « aux champs citadin.es. »

On s’attend à voir vertement (si l’on peut dire encore) critiqué ce manifeste. La métropolisation qu’il dénonce demande sans doute une description plus fine. Des monographies locales montrent le fonctionnement de chaque grande ville, et sa complexité. On peut se référer, par exemple, à la description très fine de Bergame que fit en pleine crise de coronavirus Marco Cremaschi, ce qui l’amène précisément à prendre ses distances avec le « concept catch all » de métropolisation et l’usage qu’en fait Guillaume Faburel dans un précédent texte.

Pour Cremaschi, il faut se défier d’un concept « qui désigne à la fois la densification, le surpeuplement, la promiscuité des modes de vie uniformisés et la surmodernité ; en somme, tout ce qui nous aurait éloignés de la « nature ». Et de préciser : « si l’on exclut les situations de surpeuplement extrême de quelques mégapoles des pays en développement, rien n’indique que la densité de population soit un bon indicateur des relations humaines et en dernière analyse de la propagation des maladies. En effet, comme l’a déjà amplement montré la critique faite à la thèse « écologique » (Offner 2020), les caractéristiques de l’environnement physique ne reflètent que marginalement la culture et les modes de vie. Ce n’est qu’au niveau de la coprésence physique, telle qu’on la trouve dans les transports en commun que la densité de la population conduit directement à une intensification des contacts humains. » Précisons que la mention « Offner 2020 » renvoie au récent livre du directeur de l’agence d’urbanisme de Bordeaux, Anachronismes urbains (Les presses de Sciences Po), dont nous avons largement rendu compte dans notre numéro de juin. Un livre qui invite notamment à se méfier de la vogue des circuits courts et rappelle que la vie sociale et économique s’enrichit de la combinaison des échelles.

Ajoutons qu’un bon connaisseur des villes françaises, Olivier Razemon, auteur de Comment la France a tué ses villes (éditions de l’Echiquier, 2016) dans son blog du Monde, sous un titre faussement naïf, La métropolisation c’est mal mais c’est quoi exactement fait un tableau moins apocalyptique des grandes villes et rappelle aux partisans du retour à la terre qu’il est toujours bien venu de se retrouver au café du coin.

Il n’empêche que Faburel n’est pas seul et que, sans aller jusqu’à nous envoyer tous aux champs, « l’Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen de l’UE va même jusqu’à recommander un développement territorial s’appuyant sur les réseaux nationaux de villes moyennes, ce afin de réduire les écarts économiques et les inégalités sociales ». Et, ajoute notre auteur, « un groupe d’expert·es français·es du Forum vies mobiles préconise un réaménagement total du territoire autour de ces mêmes villes, en vue cette fois-ci de satisfaire la demande sociale de ralentissement des rythmes de vie. » De fait, à l’issue de sa récente Enquête nationale mobilité et modes de vie, le Think tank de la SNCF veut à la fois « imaginer un aménagement du territoire privilégiant les villes moyennes aux dépens des grandes agglomérations denses et mener une politique de déconcentration de l’activité de l’Île-de-France vers le territoire national. » (voir Réservoir Mob du numéro de mai).

Peut-on ménager la chèvre et le chou ? Par exemple, métamorphoser la métropole pour en faire la mise bout à bout de « villes du quart d’heure », selon les préceptes de l’urbaniste Carlos Moreno. Des villes françaises y pensent. Exemple donné tout récemment par Le Monde, Metz veut faire en sorte que ses quartiers deviennent des villages dans la ville.

On ne sait pas si Faburel verra dans de telles initiatives les dernières tentatives désespérées d’« idiot.es utiles » qui volent au secours des grandes villes condamnées. Quoi qu’il en soit cette dernière initiative montre à son tour que le propos du militant-géographe — qu’on l’approuve ou qu’on soit très réservé — s’appuie sur une tendance forte que le Coronavirus ne fait qu’accentuer.

Là où, par contre, on est pantois, c’est quand Faburel en arrive à la description du fonctionnement des futurs espaces repeuplés de la campagne. On ne sait par quel sortilège tout n’y sera qu’entraide et solidarité, cogestion et réciprocité. « Les nuages et les animaux, la terre et les fougères redeviennent des partenaires » ne craint pas d’écrire notre auteur. On ne peut pas dire que la description qui s’ensuit, et qui combine au charme d’un tract électoral en écriture inclusive celui d’une leçon d’école primaire donne vie à l’utopie. N’est pas Fourier qui veut. F. D.

* De quoi faire pousser des hauts cris à l’architecte Rudi Ricciotti, auteur d’un autre Manifeste, pour le béton celui-ci (Manifeste pour un béton en garde à vue, éditions Textuel, 2015) qui est venu sur France Culture alors même que le livre de Faburel allait sortir, défendre le béton tant décrié, dénoncer l’incompétence de ceux qui le dézinguent, avancer que le bilan carbone du béton rapporté à la durée de vie n’est pas si mauvais que cela, et soutenir que le matériau, à l’origine énorme consommateur de sable, est de plus en plus souvent issu du recyclage.