À quel âge les enfants gagnent-ils en autonomie ? Pourquoi font-ils du vélo pour leurs loisirs et pas sur le chemin de l’école ? Pourquoi les transports collectifs sont-ils sous-utilisés ? Comment les craintes des parents limitent-elles la marche à pied ? L’Ademe a récemment publié une étude sur les pratiques de mobilité des enfants. On y apprend qu’un tiers utilisent quotidiennement la voiture, un taux qui grimpe à plus de 50 % dans les territoires ultramarins.
Imaginez des Velib’, taille enfant, avec des petites roues ! Aucune des villes françaises qui ont mis en place et financent des vélos urbains en libre-service n’en proposent une version XXS. Pourtant, c’est faisable : au Brésil, la métropole de Fortaleza a déployé une quinzaine de stations de vélos en location à hauteur d’enfant, les « minibicicletar ».
En France, la part de la marche à pied représente près d’un quart des modes de déplacements locaux, mais les enfants se déplacent rarement seuls et a fortiori seuls à bicyclette, en bus (sauf le car scolaire en milieu rural), encore moins dans le tram ou le métro. Ou même jouent sur les trottoirs. « Ils sont enfermés chez eux ou derrière les grilles des jardins par des parents qui craignent de les laisser seuls dans l’espace public », constate Thierry Paquet, philosophe, auteur de Pays de l’Enfance paru aux éditions Terres urbaines en 2022. Quand les enfants passaient en moyenne trois heures par jour sans la présence d’un adulte, ils n’en passent plus que quelques minutes, selon une étude de Linkcity parue en mars 2023. Et un tiers ne quittent pas la voiture familiale pour se rendre à l’école, au stade, au Conservatoire, chez leurs copains ou leurs grands-parents. Ce taux atteint même 54 % dans les outre-mer. La mobilité des enfants est « un impensé des politiques publiques », estime l’Ademe qui a publié mi-septembre une étude pilotée par le bureau de recherche 6-t sur « Les pratiques de mobilité des enfants de la maternelle au lycée en France » (1). La première du genre.
En toile de fond, plusieurs urgences : la santé publique, notamment le risque d’obésité, l’autonomie et la socialisation des moins de 18 ans. Et la transition écologique puisque la mobilité des moins de 18 ans détermine les choix qu’ils feront à l’âge adulte pour se déplacer.
- Sur le même sujet, lire l’interview de Sarah El Haïry : ici
Moins autonomes
L’étude révèle aussi un recul de l’âge moyen du premier déplacement autonome, qui est situé à 11,6 ans pour les enfants d’aujourd’hui contre 10,6 ans pour leurs parents au même âge. En CM2, seuls 9 % des enfants vont seuls à l’école, alors qu’ils sont 36 % en sixième. Plus des trois quarts des adultes considèrent la marche plus dangereuse qu’à leur époque, et 90 % s’inquiètent de la sécurité routière. En revanche, lorsqu’un parent juge le vélo sûr, cela augmente de 12,5 % la probabilité que son enfant l’utilise pour aller à l’école, selon les résultats de l’enquête.
L’autonomie progresse avec l’âge, mais reste fortement dépendante du mode de transport : elle serait plus facile à acquérir en prenant les transports collectifs qu’en marchant ou en faisant du vélo. Près d’un enfant sur deux au collège est abonné à un réseau de transports en commun (en France hexagonale). Cette proportion monte à 61 % chez les jeunes de 18 à 20 ans, « signe d’une acculturation progressive… mais encore trop tardive », juge l’Ademe.
Révélateur d’inégalités
La mobilité des enfants semble souffrir encore d’inégalités sociales et genrées puisque tant pour le vélo que pour la marche à pied, les parents craignent plus pour les filles que pour les garçons. Les filles sont perçues comme plus exposées aux agressions, quand les garçons sont associés aux risques routiers. « Des stéréotypes qui influencent les décisions parentales et peuvent avoir des effets durables sur la mobilité des enfants une fois adultes », soulignent les auteurs.
Quand ils sont issus de foyers favorisés, les enfants sont mieux équipés (vélo, trottinette, abonnement aux transports en commun) et plus autonomes dans leurs déplacements. L’accès à des infrastructures adaptées (pistes cyclables, transports réguliers) joue un rôle majeur, tout comme la place dans la fratrie, révèle l’étude.
Rassurer les parents
Et comme c’est à l’école que se forgent les premières habitudes de déplacement, l’Ademe estime que pour faire bouger les lignes, il faut « généraliser les formations comme « savoir rouler à vélo », encourager les modes actifs dès la maternelle et valoriser l’autonomie ». Et développer les infrastructures pour assurer la sécurité des enfants et rassurer les parents : pistes cyclables sécurisées, signalétique adaptée, traversées piétonnes protégées. Adapter aussi les transports en commun aux besoins des jeunes publics : horaires adaptés, signalétique claire et accessible, conducteurs formés à l’accueil des mineurs. Les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) vont-elles s’emparer du sujet ? Sarah El Haïry, Haute-commissaire à l’Enfance (voir son interview page suivante) compte bien mettre autour de la table les parties prenantes pour repenser la ville à hauteur d’enfant.
(1) 5 000 parents de l’Hexagone, 500 dans les outre-mer, soit environ 8 000 enfants concernés. Enquête complémentaire : 500 jeunes adultes (18-20 ans) de l’Hexagone interrogés pour croiser leurs pratiques avec les perceptions parentales.