Fins connaisseurs du monde des transports, les deux députés nous donnent leur avis sur le modèle économique du secteur, pour lequel une nouvelle équation reste à trouver. Le casse-tête tarifaire : vers un nouveau modèle économique des transports ?
Par Gilles Savary
Député PS de la Gironde et ancien vice-président de la Commission Transport du Parlement européen
L’augmentation du taux de TVA sur les transports publics n’a pas manqué de déplacer le débat sur la politique tarifaire.
Cette séquence aurait probablement inspiré Beckett, le père du théâtre de l’absurde !
Car la tarification des transports publics est à ce point déconnectée de toute référence économique, qu’elle n’est pas à un arbitraire près.
Alors que nous rivalisons de déclarations d’intention pour encourager les circuits courts et les économies d’énergie, il y a belle lurette que les tarifs des transports terrestres, quel qu’en soit le mode, sont maintenus très en deçà de leurs coûts pour faciliter la mobilité.
Une règle, assez générale, était qu’ils ne recouvrent pas le coût complet, c’est-à-dire celui de l’amortissement de l’infrastructure financé par l’Etat, et n’acquittent que le coût marginal c’est-à-dire celui de l’exploitation.
Mais les transports n’ont pas plus échappé en France à la prodigalité désordonnée de la dépense publique que l’ensemble du pays.
Ainsi la route ne paye pas les coûts d’infrastructures, hors autoroutes, ni ses coûts externes, et les Bretons n’entendent pas en exonérer le contribuable.
Le prix du billet des TER, pourtant jugé excessif, ne couvre que 28 % de leurs coûts.
Il en est de même des transports urbains dont une inflation de subventions d’équilibre comble les déficits d’exploitation et le découplage croissant entre les coûts et les recettes.
Il n’est jusqu’au financement des LGV qui est pour une bonne part subventionné par l’Etat et les collectivités locales, et s’ajoute à la dette vertigineuse de RFF.
Entre coûts et tarifs, la question se pose aux deux bouts de la chandelle :
– Celui des coûts tout d’abord, très contraints par le poids difficilement réductible des coûts fixes.
– Celui des recettes et de l’arbitrage entre tarifs acquittés par les usagers et subventions acquittées par les contribuables, les uns et les autres s’estimant à saturation contributive.
Finalement le « modèle économique des transports publics » se résume à une équation contradictoire : le tarif en est notoirement excessif pour l’usager et notoirement insuffisant pour l’opérateur !
Les subventions d’équilibre se faisant plus chiches, deux tendances empiriques se dessinent :
– Une rationalisation de la dépense publique par une optimisation des investissements et des capacités d’infrastructure, ainsi qu’un ciblage plus parcimonieux des subventions de service public, prioritairement en faveur des transports urbains et périurbains de « première nécessité ».
– Une recherche de solutions « low cost », avec des gammes de matériels plus modestes, le développement du bus, et l’apparition de nouveaux usages intermodaux comme le covoiturage, l’autopartage, les deux-roues motorisés, le vélo, la marche…
A chacun son optimisation multimodale en fonction des tarifs et de son pouvoir d’achat !
Par la force des choses, on passe de l’ère de l’usager captif à celle de l’usager arbitre !
Certes l’augmentation de la TVA est une forme de rapt sur les politiques tarifaires des autorités organisatrices de transport, mais elle reste anecdotique en regard des tendances lourdes, qui s’imposent à elles !
C’est un nouveau modèle économique des transports publics qui reste à inventer.
Les transports publics menacés de paupérisation ?
Par Dominique Bussereau
Député UMP de Charente-Maritime, président du conseil général de la Charente-Maritime, vice-président du Gart.
C’est la triste tendance récemment suggérée par l’UTP à propos d’un secteur pris en tenaille et à bout de souffle.
D’un côté, selon ses chiffres, le nombre de voyageurs a progressé de 40 % en dix ans, l’offre de transports en kilomètres de 29 % (chiffres hors Ile-de-France). Mais le financement n’a pas suivi : les collectivités locales sont aujourd’hui très contraintes financièrement (avec une baisse des dotations de l’Etat en 2014 et 2015) et le versement transports acquitté par les entreprises a, selon jean-Marc Janaillac, président de l’UTP, « peu de marges de progression ».
D’un autre côté, le taux de couverture moyen recettes sur dépenses se détériore chaque année. Selon Ville, Rail & Transports (n° 537) le taux de couverture s’établissait en 2010 aux alentours de 35 %.
Un récent rapport de l’Institut Montaigne compare le taux de couverture par les usagers des coûts de fonctionnement en % (ne parlons pas des investissements !) : 30 % à Paris contre 52 % à Londres.
Face à ces besoins, en ce début d’année 2014, la France est à la traîne :
– L’écotaxe est pour l’instant abandonnée. Or, une partie de ses recettes pouvait être affectée à la modernisation des réseaux, en particulier métros, trams et BHNS. Une menace pèse donc lourdement sur les futurs investissements.
– Le débat sur le stationnement est maladroitement géré par les élus locaux. L’opinion, mal informée par les médias, eux-mêmes soumis à la désinformation de certains lobbys d’automobilistes, a compris que le stationnement deviendrait plus cher, soumis aux caprices des maires. Mais personne (j’ai peu entendu certains grands maires. Pour cause de campagne électorale ?) n’explique que les sommes récoltées doivent être affectées à la modernisation et au développement de transports publics alternatifs. La bataille médiatique est mal engagée !
– Enfin, cerise sur ce maigre gâteau, le gouvernement (auquel participent les écologistes) augmente au 1er janvier de 7 à 10 % la TVA sur les transports publics. Incroyable… mais vrai.
Alors quelles sont les solutions ?
– Il y a d’abord la mauvaise solution, réalité en France pour une vingtaine d’autorités organisatrices de transports, la gratuité. L’observation alternative des résultats (cf. La Gazette des Communes du 28/10/2013) ne permet pas d’affirmer que la gratuité a entraîné un report modal. En l’absence de recettes financières, contribuables et entreprises payent mais, selon le Certu, « n’y a-t-il pas un risque avec la gratuité de réduire les capacités d’investissement sans compter la dévalorisation de l’image du service public et souvent le peu de respect des usagers (qui ne sont plus des clients) envers le matériel et le personnel des réseaux ? »
Je n’encourage donc pas les candidats aux municipales (quelle que soit leur sensibilité !) à s’engager dans de tels chemins plutôt démagogiques (sauf exceptionnellement dans de petites AOT où le trafic est très faible).
– Il y a de meilleures solutions, celles en particulier proposées par l’Institut Montaigne : « Augmenter en valeur relative la participation financière des clients. Dans certains cas, les automobilistes eux-mêmes pourraient également être mis à contribution, de même que l’on pourrait envisager de prélever une part des plus-values foncières réalisées lors de la création d’infrastructures nouvelles. »
Sages recommandations, d’ailleurs suivies par les gouvernements pour le financement du système de transports du Grand Paris.
Mais quelle absence de courage chez les grands maires de France qui refusent sans argumenter toute expérimentation du péage urbain alors que je leur en ai ouvert la possibilité par la loi Grenelle II (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement).
Enfin, je suggère d’observer de près l’expérience strasbourgeoise : 100 000 abonnements gratuits existants ont été supprimés et remplacés par un système évolutif tenant compte des ressources individuelles. Selon Roland Ries, sénateur et maire de Strasbourg, « la mise en place de cette tarification a entraîné une baisse des recettes mais dans le même temps, une augmentation de fréquentation, une baisse de la fraude et au final un niveau de recettes stable ».
En résumé, quelles que soient les politiques de nos AOT, il est aujourd’hui sage et légitime d’augmenter progressivement la part du client dans les recettes du transport public.
Mais pas de chance : le 1er janvier, c’est l’Etat qui venu siphonner ces déjà trop faibles recettes !