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Pas de modèle unique pour les trains touristiques
Publié le 28/07/2015 à 06h00

Ils ont beau attirer près de quatre millions de clients par an, les trains touristiques pâtissent d’un manque de notoriété en France. Et pourtant, ce secteur d’activité est apte à redynamiser des territoires souvent fragiles, en créant des emplois à plein-temps et de proximité, et en ranimant des territoires ruraux de plus en plus désertés. Reste à adopter le bon modèle économique pour garantir une exploitation à l’équilibre, comme l’ont rappelé les intervenants du colloque de l’Unecto « Le tourisme, un trafic marginal pour les lignes capillaires ? », qui s’est tenu le 2 juin, dans les Salons Milan, à Paris. Morceaux choisis.

 

Avec 3,7 millions d’entrées payantes par an, les trains touristiques pourraient être l’un des moteurs de « la renaissance touristique de nombreuses régions ». A une condition toutefois, précise Louis Poix qui préside l’Union des exploitants de chemins de fer touristiques et des musées (Unecto) : les acteurs doivent se professionnaliser. « C’est un point crucial », estime-t-il, de même que « leur mise en réseau ». Et de glisser au passage que l’Unecto, qui compte actuellement 91 adhérents, a désormais « un représentant officiel à la Fédération européenne des chemins de fer touristiques (Fédécrail). Avec près de 100 sites actifs, nous sommes maintenant à la deuxième place à Fédécrail, derrière les Anglais, et nous nous rapprochons d’eux. C’est positif, sachant que la France compte environ 100 trains touristiques sur un total de 400 recensés dans l’Union européenne. »

Voie déferrée : attention, danger !
Que faudrait-il pour progresser encore ? « Surtout, éviter les mauvais choix techniques. Créer un réseau touristique à partir d’une voie ferrée qui a été déposée, cela oblige à réinstaller une voie normale. Or, c’est un immense travail, trop coûteux, trop compliqué. C’est ce qu’a fait le Conifer entre Pontarlier et Métabief, dans le Jura, en reposant une voie qui avait été déferrée en 1971 : ça a été très difficile, très long, et pour 10 kilomètres seulement ! Il faut donc bien réfléchir avant de faire la dépose d’une voie, car, par la suite, les coûts d’une réinstallation sont vraiment faramineux. » Son conseil ? « Mieux vaut conserver une voie désaffectée, quitte à la mettre en sommeil en attendant de pouvoir la remettre en état, avant de faire circuler un train avec l’agrément du Service technique des remontées mécaniques et des transports guidés », indique Louis Poix. C’est cet organisme qui accorde, ou non, l’autorisation de circuler en dehors du réseau ferré national (RFN).
Actuellement, les trains touristiques français représentent 1 200 km de voies (hors TER). Les trois quarts d’entre eux circulent en dehors du RFN. Autre paramètre à prendre en compte selon Louis Poix, les contraintes liées à la situation géographique : car bien sûr, « l’entretien d’une ligne de montagne est plus difficile que sur le littoral ».

En Bretagne, la Vapeur du Trieux inscrite au contrat de région
Le littoral, justement, est évoqué par Gérard Lahellec, vice-président du conseil régional de Bretagne, chargé des Transports, qui a insisté sur la grande diversité des cas de figure des lignes capillaires de sa région : combinaison voyageurs-fret, train touristique, ligne régulière du quotidien, train saisonnier… Et de citer l’exemple du Tire-Bouchon, un TER classique qui circule dans le Morbihan et qui a reçu ce surnom, car « durant l’été, il permet d’échapper aux embouteillages sur la route reliant Auray à la presqu’île de Quiberon. Ce train a de nombreux adeptes parmi les vacanciers et les touristes », rejoignant ainsi la grande famille des trains touristiques. Une famille dont tous les membres ne se ressemblent donc pas… ce qui complique les choses. « Nous observons une grande diversité dans nos territoires, mais nous sommes prisonniers d’une certaine culture du “général”, du “global” », insiste Gérard Lahellec qui met en garde contre « le risque du dogmatisme : décliner une loi pour tous, sans tenir compte des particularismes. Cela empêche le dynamisme, la vie. Or, la vie, c’est le mouvement ! »
La Bretagne, qui compte de nombreuses lignes capillaires menacées, a inscrit intégralement ces dernières dans le contrat de région, car « le levier touristique est synonyme d’une mobilité culturelle qui, au final, sert l’intérêt général ». Ce que soulignait le rapport du Conseil national du Tourisme (CNT) publié en 2013 et intitulé Le devenir des chemins de fer touristiques : « L’existence d’un train touristique dans une région n’est pas la panacée, mais elle peut être source de développement économique, de création d’emplois directs ou indirects pour leur canton ou leur région. »
D’où l’intérêt, pour un territoire, de conserver cet atout touristique et, pour cela, de trouver des partenaires financiers. « Par exemple, pour la Vapeur du Trieux, qui relie Guingamp et Paimpol dans les Côtes-d’Armor, l’investissement pour rénover l’infrastructure représentait 28 millions d’euros. La région en prend 40 % à sa charge et l’Etat 20 % : il manquait encore 40 %, détaille-t-il. Aujourd’hui, nous avons réuni 27 millions d’euros, il n’en manque plus qu’un pour boucler le budget. »

Le transfert de gestion, oui. Le transfert de propriété, non !
La région Paca est une autre région « plurielle » en matière de ferroviaire. Son vice-président chargé des Transports, Jean-Yves Petit, évoque les 150 km de réseau à voie métrique, « utilisés à la fois pour le transport quotidien des habitants et le tourisme. Ce service public est exploité en régie régionale depuis un an ».
Pour la période 2015-2020, les investissements (ex : achat de matériel roulant) sont conséquents (33 millions d’euros) et dûment planifiés. « L’Etat a déjà injecté un million d’euros pour la partie la plus rurale, située en altitude, qui compte 28 000 habitants répartis sur un réseau long de 100 km. »
A l’inverse, concernant la partie « basse », soit Nice et ses environs, « nous sommes dans une logique pleinement urbaine, avec un objectif de quatre trains par heure. Nous n’aurons pas l’aide de l’Etat. La région, elle, contribuera largement. Quant à la métropole, elle réserve sa réponse ».
Une autre caractéristique des lignes capillaires dans cette région est le maintien de lignes classées « Défense nationale », interdites aux trains touristiques. « Ces lignes ne sont plus du tout utilisées, mais elles demeurent en place pour des raisons d’ordre stratégique, car l’armée en a besoin », ajoute-t-il.
Aux passionnés qui ont un projet de train touristique, Jean-Yves Petit conseille : « Ne restez pas entre vous. Ouvrez-vous à l’extérieur, allez frapper aux portes, rencontrez les élus des communes, des départements, des régions ! Ils peuvent vous aider. »
Et de citer l’exemple des Chemins de fer de Provence : la région a obtenu le transfert de gestion – « Ce n’est plus l’Etat qui est le gestionnaire de l’infrastructure, c’est nous » –, et non le transfert de propriété de l’Etat vers la région, « dont nous ne voulions pas car ce n’est pas tenable au niveau financier ». Il s’interroge sur un autre scénario, lié au fret, celui-là. « Le percement du tunnel routier de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, implique l’évacuation des déblais : ce pourrait être une opportunité de remettre du trafic fret sur les rails. La région deviendrait ainsi opérateur ferroviaire de proximité », suggère l’élu.

Le seuil des 20 000 passagers
A l’opposé de Nice, sur la carte de France, se trouve le Chemin de fer de la Baie de Somme (CFBS), acteur incontournable du tourisme avec 187 700 voyageurs en 2014. Mais Maurice Testu, son président, rappelle combien le chemin a été long pour obtenir ces résultats. « La ligne CFBS était menacée de fermeture dans les années 1950. Elle a été sauvée en 1958 grâce aux 150 000 voyageurs qui l’ont empruntée pour se rendre sur le littoral, et c’est en 1971 qu’a débuté l’exploitation touristique entre Le Crotoy et Noyelles-sur-Mer, par l’association de bénévoles fondée l’année précédente. On a sauvé les meubles, pourrait-on dire ! »
Les années 1990 ont été consacrées au développement commercial et à la promotion, les années 2000 à la professionnalisation des équipes. Actuellement, 92 % du chiffre d’affaires proviennent d’une section de 14 km (Noyelles – Le Crotoy) du réseau, qui en fait 27 au total.
En 1997, le conseil général de la Somme a racheté six kilomètres de voies à Réseau Ferré de France, entre Noyelles et Saint-Valéry, mais en conservant un point de jonction avec le RFN à Noyelles. « Nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux, car nous n’avons pas perdu l’ambition du trafic fret : nous disposons d’une voie à quatre files de rails, refaite pour une charge 22,5 tonnes par essieu ! »
Autre point crucial, la professionnalisation : « en 1972, dernière année d’exploitation commerciale, on comptait 18 salariés. Nous n’avions alors que des bénévoles, raconte Maurice Testu. En 2015, pour 230 jours d’exploitation par an, nous avons 23 employés, dont 19 permanents, et 400 bénévoles, dont 100 “actifs”. Le bénévolat représente 250 000 euros par an », poursuit-il en précisant que « c’est à partir du seuil de 20 000 voyageurs, et pas avant, que nous avons pu créer un emploi : d’abord un poste commercial, à mi-temps, puis à partir de 1985, nous sommes passés aux postes techniques. Aujourd’hui au CFBS, tout le monde est polyvalent. » Et à l’aise pour accueillir comme il se doit les touristes français et étrangers venus découvrir le magnifique décor naturel de la baie de Somme. « Une grande partie de notre clientèle est anglaise ou belge néerlandophone : notre calendrier est adapté aux périodes de vacances scolaires de ces pays. »
Avec un chiffre d’affaires de deux millions d’euros, l’exploitation est à l’équilibre. Concernant la commercialisation, s’il y avait jusque récemment un manque de cohésion avec les TER Picardie pour la vente de billets combinés, cela a changé en 2015. « Désormais, nous sommes présents dans leur système de vente, tout le monde est au courant. Et nous-mêmes, nous vendons des billets TER. »
Quant aux projets, ils ne manquent pas : régénération des voies, prestation de fret (transport de sable) liée au projet de désensablement de la baie, tourisme industriel avec la visite des ateliers du CFBS, mise en circulation d’une rame chauffée « Quatre saisons » pour garantir le confort aux passagers pendant la saison hivernale… Autant d’idées pour faire oublier qu’ « en baie de Somme, nous n’avons pas le même ensoleillement que le sud de la France… ».
Anne JEANTET-LECLERC

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