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A pied sec sous le Bosphore
Publié le 21/10/2009 à 10h00

C’est le chantier du siècle à Istanbul : la construction d’un profond tunnel ferroviaire sous le Bosphore. En 2013, si tout va bien, la ville disposera d’un RER reliant l’Europe à l’Asie Pour qui visite Istanbul, la traversée du Bosphore en bateau est incontournable. Faire une telle promenade n’est pas bien compliqué : le détroit est sillonné par une impressionnante noria de vapur qui relient inlassablement Europe et Asie, puisque des dizaines de milliers de personnes font le trajet tous les jours. La minicroisière permet pour le prix d’un billet de tram de jouir d’un admirable panorama sur les grandes mosquées de la métropole turque, la Pointe du sérail, le palais de Topkapi… Ces derniers temps toutefois, le paysage est un peu chamboulé par un vaste chantier, surtout du côté asiatique. Car c’est sous terre, en train, que la plupart des Stambouliotes traverseront le Bosphore dans quelques années. Si les deux rives d’Istanbul sont depuis longtemps reliées entre elles par deux ponts autoroutiers, les voies ferrées s’arrêtent toujours de part et d’autre au bord de l’eau : il faut prendre un vapur pour aller de la gare de Sirkeci, le vénérable terminus de l’Orient Express côté européen, à celle d’Haydarpasa, juste en face en Asie. L’idée de creuser un tunnel sous le détroit n’est pas nouvelle. En 1860, un certain S. Préault, ingénieur constructeur de chemins de fer, avait soumis un projet « breveté par le gouvernement impérial ottoman » de pont immergé supportant un tube où auraient circulé des trains à vapeur. Plus récemment, les études pour un tunnel ferroviaire sous le Bosphore ont été lancées en 1985. Et les travaux de ce qu’on appelle désormais Marmaray – d’après la mer de Marmara qui baigne Istanbul et ray (rail) – ont débuté en 2004. Au-delà de la simple connexion des réseaux ferrés des deux continents, l’idée est de doter l’agglomération d’un véritable RER, en mettant bout à bout les deux lignes de trains de banlieue européenne et asiatique. Les autorités locales attendent plus d’un million de passagers par jour. Techniquement, on peut déjà marcher sous le Bosphore. Le tunnel immergé sous le détroit est achevé depuis l’automne dernier. Long de précisément 1,387 km, il est composé de onze caissons bitubes enterrés sous le fond, jusqu’à 60,5 m de profondeur. Mais pour l’instant ce long couloir ne mène nulle part. On n’y accède que par une descenderie creusée au large du rivage, accessible par un ponton provisoire lancé depuis Üsküdar, côté asiatique. La suite du souterrain, des deux côtés, doit encore être forée. « On a quatre ans de retard », note à ce propos Oktay Çelikkol, le responsable du chantier en Asie, rappelant que les trains devaient circuler dès cette année. Si les choses ne se présentent pas trop mal pour sa partie où les tunneliers approchent, il n’en est pas de même sous la rive européenne. Car il n’est pas aisé de creuser sous l’ancienne Constantinople. Au moindre trou, les archéologues trouvent des merveilles ! Ils ont notamment mis à jour des morceaux de l’enceinte de Constantin (IVe siècle) et le port de Théodose Ier, utilisé du IVe au XIe siècle, à l’emplacement de la future gare multimodale de Yenikapi. On y a dégagé pas moins de 33 bateaux, qui devraient être exposés sur place. Le tracé a également dû être modifié pour éviter l’effondrement de vieux quartiers. « Maintenant, on peut dire que la plupart des difficultés sont derrière nous, estime Zeynep Sindel Buket, la coordinatrice du projet. On devrait pouvoir commencer à creuser côté européen à la fin de l’année. A la fin de l’année aussi, on va lancer la modernisation des voies de banlieue. » Car Marmaray ne se résume pas au tunnel sous le Bosphore, ni même aux futurs 13,6 km souterrains pour traverser le cœur de l’agglomération. Le RER stambouliote fera en tout 76,3 km de long, de Halkali à l’ouest à Gebze à l’est. Et, dans une phase ultérieure, des branches devraient conduire directement aux aéroports. Au cœur du dispositif, trois vastes gares souterraines à Yenikapi, Sirkeci et Üsküdar seront en correspondance avec le métro et le tram. « Aux heures de pointe, on aura un train toutes les deux minutes dans la partie centrale », relève-t-elle. Soit une capacité estimée à 75 000 passagers par heure et par sens. Le tout devant ouvrir dans trois ou quatre ans : « Tout le monde fait de son mieux. Notre but, c’est 2012, mais la mise en service aura très probablement lieu en 2013, après la période de test. » L’exploitant n’a pas encore été désigné, mais la société des chemins de fer turcs TCDD devrait logiquement être partie prenante, juge la coordinatrice du projet. Si ses trains grandes lignes pourront emprunter le tunnel sous le Bosphore, ils en seront exclus aux heures de pointe (de 6h à 9h et de 16h à 19h). Quant aux convois de fret, ils pourront passer d’un continent à l’autre au cœur de la nuit. Les autorités locales restent assez discrètes sur le coût total de Marmaray. Il devrait atteindre environ 3,5 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros), financé par l’Etat. Mais les surcoûts liés aux retards n’ont pas été officiellement chiffrés. Concrètement, la partie souterraine du projet – le contrat BC1 – est réalisée par un consortium nippo-turc composé des groupes Taisei, Kumagai, Gama et Nurol. Les Japonais ont notamment mis en avant leur savoir-faire en matière de construction parasismique. Il est vrai que le tunnel immergé est posé à 16 km de la faille nord-anatolienne : les sismologues estiment à 65 % les chances qu’un tremblement de terre d’une magnitude d’au moins 7,5 frappe la région dans les trente prochaines années. A l’air libre, c’est AMD Rail Consortium, une association d’Alstom avec le japonais Marubeni et le turc Dogus, qui a remporté le contrat CR1 : il s’agit de complètement reconstruire les lignes de banlieue, qui seront portées de deux à trois voies. Le chantier ne passera pas inaperçu : pendant ces travaux, tout accès ferroviaire aux gares de Sirkeci et Haydarpasa sera interdit pendant deux ans (ce qui promet de joyeux transbordements en cars !). La première chose à faire est donc de construire des ateliers aux deux extrémités pour permettre l’entretien des trains grandes lignes qui y verront leur parcours limité. Le matériel roulant – le contrat CR1 – a enfin été attribué au sud-coréen Hyundai Rotem, qui s’est associé pour l’occasion avec le turc Tüvasas. Il doit fournir 440 voitures d’ici 2014, qui seront assemblées en rames de cinq ou dix voitures.
 

François ENVER

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