Dans un rapport sur l’Autorité de régulation des transports (ART) publié le 29 novembre, les magistrats financiers reconnaissent la montée en puissance rapide du régulateur mais l’égratigne sur la gouvernance, la rationalisation des ressources humaines, les frais immobiliers, le contrôle des autoroutes et la régulation aéroportuaire. Ils formulent huit recommandations.
Si la Cour des comptes reconnait que, depuis sa création en 2009, l’ART a changé radicalement de dimension, passant en à peine dix ans, de régulateur ferroviaire à régulateur multimodal (autoroutes concédées, autocars Macron, redevances aéroportuaires, RATP, ouverture des données de mobilité), elle estime que ce changement s’est opéré « sans vision stratégique ».
Vision d’autant moins claire que l’ART n’a plus de capitaine depuis le départ de son président en août 2022, à la fin du mandat de Bernard Roman. La candidature de l’ancien préfet Didier Lallement est tombée à l’eau après le véto du président du Sénat, Gérard Larcher. Depuis, c’est Philippe Richert, vice-président de l’Autorité, qui est à la barre. Il a dû auparavant, pendant trois ans, se déporter sur tous les dossiers ferroviaires afin d’éviter tout conflit d’intérêt : avant d’être nommé à l’ART, il dirigeait la région Grand Est et était à ce titre responsable des TER.
La gouvernance de l’Autorité de régulation est d’ailleurs épinglée dans le rapport de la Cour : « Le fonctionnement du collège (l’organe décisionnaire, ndlr) est contraint par la mise en œuvre des règles de déport qui, n’ayant pas été suffisamment prises en compte lors des nominations (par l’Etat ou le Parlement, ndlr), peuvent affecter l’exercice des missions (…) Enfin, les méthodes de travail entre le collège et les services, en voie de structuration, pourraient gagner encore en efficacité », indiquent les « Sages » de la rue Cambon.
Faire de SNCF Réseau un « opérateur efficace »
Conséquence de la mutation à grande vitesse de l’Autorité : « La régulation assurée par l’ART est aujourd’hui à des stades différents de maturité selon les secteurs », estiment les magistrats financiers.
Sur la régulation ferroviaire, d’abord : elle « représente toujours près de la moitié du travail de l’ART et de ses effectifs qui ont triplé en 10 ans (90 équivalents temps plein,) mais le cadre de la régulation ferroviaire est encore perfectible, alors que les enjeux changent de nature », lit-on. A l’heure de l’ouverture à la concurrence, où le régulateur est en première ligne sur les questions de tarification, de robustesse du réseau ferré pour accueillir le supplément de trafic potentiel, la rue Cambon estime que l’ART « pourrait accompagner l’incitation à la performance » de SNCF Réseau pour en faire un « opérateur efficace ».
On comprend entre les lignes que dans le calcul des tarifs des péages imposés aux entreprises ferroviaires, le gestionnaire de l’infrastructure devrait faire peser sur les entreprises ferroviaire uniquement les charges d’exploitation du réseau ferré. Pas le financement de sa rénovation et de sa modernisation. Et que le régulateur devrait y veiller.
La Cour juge aussi que « le dialogue entre l’État, SNCF Réseau et l’ART gagnerait à être enrichi et rendu plus productif lors de l’élaboration du projet de contrat de performance ». Référence directe à celui signé par le gestionnaire du réseau et l’Etat en catimini en avril 2022, juste avant le premier tour de la présidentielle. Et unanimement critiqué.
Aéroports : pas un rôle complet de régulateur
Sur les redevances aéroportuaires ensuite, « l’ART n’exerce pas un rôle complet de régulation« , juge la Cour, qui recommande « de consolider (ses) compétences », sur le modèle du ferroviaire. Autrement dit, disposer d’un pouvoir d’avis sur les programmes d’investissement des aéroports, et d’un vrai pouvoir de collecte des données pour mieux réguler les tarifs des redevances payées par les compagnies aériennes.
Un « positionnement complexe » pour les autoroutes
Dans le domaine autoroutier où le rôle de l’ART consiste à rendre un avis sur les projets de contrats de concession et sur leurs avenants, et prévenir les risques de surcompensation tarifaire, la Cour n’est pas tendre. Notamment avec l’État : « L’ART a été érigée en tiers de confiance parce que l’État concédant était suspecté de ne pas suffisamment défendre l’intérêt des usagers (…) Ses analyses et travaux illustrent la complexité de son positionnement, entre conseiller de l’État concédant et contrôleur des relations entre l’État et les sociétés concessionnaires ».
Autrement dit, l’ART a vu depuis 2015 ses missions élargies au contrôle des contrats de concessions autoroutières mais n’a pas réussi à s’imposer face à l’État. Ni face aux mastodontes du BTP. Le gendarme des transports terrestres est plus prompt à taper sur la SNCF que sur Vinci, Eiffage ou Sanef ou Abertis…
Récemment, l’ART a poussé un coup de gueule par voie de communiqué, s’offusquant de ne pas avoir été consultée par l’État, comme le prévoit pourtant la loi, avant la signature d’un avenant au contrat de concession conclu avec la société ASF pour l’élargissement d’une bretelle d’autoroute, en Occitanie.
« Aisance financière »
La charge n’est pas terminée : « Les méthodes de travail entre le collège et les services [qui instruisent le dossiers, ndlr], en voie de structuration, pourraient également gagner en efficacité (…) Il conviendrait de procéder à un réexamen précis des ressources nécessaires, pour ajuster en conséquence la subvention annuelle versée à l’ART (14 M€ en 2022), et lui fixer des objectifs d’économie et d’efficience », professent les magistrats financiers. Qui jugent que « l’Autorité a bénéficié jusqu’à récemment d’une forme d’aisance financière ».
La Cour relève les « surcoûts » immobiliers, en partie contraints par une double localisation de l’ART (Le Mans, Paris) et son déménagement de la Tour Montparnasse en 2021, les bailleurs obligeant les locataires de vider les lieux pour des travaux de désamiantage et de rénovation énergétique. « Le total des dépenses immobilières présente un quasi doublement par rapport à 2015, avec un loyer de 1,5 M€ en 2022, alors que dans le même temps, l’effectif réel de l’Autorité n’a augmenté que de 65% », calculent les magistrats financiers.
Avant de livrer huit recommandations pour une meilleure gestion du régulateur des transports (à consulter ci-dessous), la Cour ne manque pas de souligner que l’arme de la sanction dont il dispose pour mettre en demeure les entreprises régulées de se mettre en conformité, n’a jamais été utilisée. « La commission des sanctions est peu sollicitée, mais en état de marche (sic). Elle ne s’est réunie qu’une seule fois, à l’occasion de son installation en 2016 », constate la Cour des comptes. C’est pourtant une arme de dissuasion dont s’était prévalu l’ancien président Bernard Roman, sans jamais l’actionner.
Nathalie Arensonas
(1) L’ART régule l’activité de gestionnaire d’infrastructure de la RATP dans le cadre du futur réseau du métro automatique Grand Paris Express.
Consulter le rapport :
ici