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Ewa

Quatre mois après son introduction, Berlin annule son pass mensuel à 29 euros

a station du metro de Berlin Alexanderplatz, ligne U5
 juillet 2007
Après avoir introduit en fanfare à Berlin le forfait mensuel à 29 euros (équivalent du pass Navigo en Ile-de-France), la ministre berlinoise des transports, la conservatrice Ute Bonde (CDU), a annoncé la fin prématurée de cette offre pourtant très populaire. A l’origine de cette décision, le programme d’économies de 3 milliards d’euros du Sénat de Berlin (gouvernement de la ville-région). 700 millions concerne le domaine « transports et environnement ».

Le forfait à 29 euros (29-Euro-Ticket) a été lancé en juillet 2024 pour les zones A et B (la zone C n’étant pas inclue). Plus de 200.000 billets ont été vendus en trois mois. Mais le coût de cette opération, financé uniquement sur le budget de la ville, est de 300 millions d’euros par an. « Berlin a voulu faire cavalier seul pour faire concurrence au forfait national Deutschland-Ticket. Ce n’était pas une bonne idée », déplore Karl-Peter Naumann, le porte-parole de l’association des usagers du train « Pro Bahn ».

La régie des transports de la capitale (BVG) doit maintenant faire une proposition pour remplacer en 2025 cet abonnement par un autre. La solution la plus vraisemblable est (re)basculement vers le forfait national Deutschland-Ticket qui, entre-temps, passera à de 49 à 58 euros à partir de janvier. Son prix reste inférieur à l’abonnement classique en zone A et B qui devrait (re)passer à 71,40 euros par mois. « Avec tous ces va-et-vient, on a fait travailler les agents de la BVG pour rien », déplore Kristian Ronneburg, porte-parole transport au parti de la gauche radicale (Die Linke, opposition).

Pour l’association des usagers des transports en commun berlinois (IGEB), c’est un « projet mort-né » qui n’avait aucun avenir. « Les fonds ont été très mal investis », a déploré Jenz Wieseke, le président du IGEB. Karl-Peter Naumann regrette une « action politique précipitée ». « Les élus pensent faire des miracles en baissant le prix des billets. Mais le plus important pour convaincre de nouveaux voyageurs, c’est-à-dire l’amélioration de la qualité du réseau », conclut-il.

Christophe Bourdoiseau

Ewa

Le Pass Rail pour les jeunes vendu à partir du 5 juin

Intercités Marseille

La vente du Pass Rail ouvre le 5 juin : il permettra aux jeunes de 16 à 27 ans de toutes nationalités d’acheter un abonnement mensuel à 49 euros pour voyager de façon illimitée en empruntant tous les Intercités et TER de France. Y compris sur les places en couchette moyennant une réservation payante. Sont en revanche exclus du dispositif les trains à grande vitesse (TGV) et les trains Transilien conventionnés par Ile-de-France Mobilités.

Le Pass Rail, proposé sur les sites SNCF Connect et Trainline, ne fonctionnera que pendant les mois de juillet et août 2024. Le ministère des Transports estime qu’il pourrait intéresser 700 000 jeunes.

Après des mois de discussion et un ultimatum lancé le 4 avril par Patrice Vergriete face à trois régions réfractaires (Normandie, Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes), un accord avait finalement pu être trouvé. Le gouvernement avait accepté, à la demande des régions, avait alors expliqué le ministre des Transports, que l’Etat finance à 80 % le dispositif, estimé à 15 millions d’euros, les régions prenant en charge les 20 % restants (hors Ile-de-France).

Ewa

Le Pass rail jeunes sauvé in extremis

Patrice Vergriete

Invité de la matinale de France Info le 3 avril, le ministre des Transports Patrice Vergriete rejetait l’échec de la mise en place du « Pass rail » l’été prochain, sur les présidents des régions Normandie, Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes. « À moins d’un changement de pied des présidents de Région, aujourd’hui même, nous ne pouvons pas être opérationnels en 2024 (…) il n’y aura pas de pass rail cet été », affirmait le ministre évoquant l’absence d’accord des trois régions citées.

Le soir même, vers 21h, le ministère des Transports envoyait un communiqué annonçant que « toutes les régions » avaient finalement donné leur accord pour une mise en place du Pass rail dès 2024. Selon Patrice Vergriete, le gouvernement a accepté, à la demande des régions, que l’Etat finance à 80 % le dispositif, estimé à 15 millions d’euros.

A l’origine pour tous,  ce forfait mensuel de 49 euros permettant de voyager de manière illimitée en trains Intercités et TERet  annoncé par Emmanuel Macron en septembre 2023, ne concernera pour son expérimentation cet été que les moins de 27 ans partout en France, sauf en Ile-de-France. « 700 000 jeunes sont concernés par cette disposition« , assurait mercredi Patrice Vergriete.

Avant ce revirement de situation, le conseil régional des Hauts-de-France assurait avoir « toujours été favorable à la mise en place du Pass rail, mais critiquait le « manque d’ambition porté par le ministre délégué aux Transports » et « un Pass au rabais uniquement pour les jeunes« . La région assurait également qu’elle serait « pénalisée par un tel dispositif« , mettant en avant son financement de tous les trains hors TGV sur son sol : « À ce titre, la prise en charge de la perte de recettes aurait dû être assumée totalement par l’État« .

Xavier Bertrand, patron de la région, critiquait aussi le fait que l’Ile-de-France serait exclue du dispositif : « Les jeunes des Hauts-de-France, en plus du Pass rail devront prendre un titre de transport supplémentaire, jusqu’à 16 euros, en Ile-de-France pour pouvoir faire tout transfert vers d’autres régions« . Même point de vue en Auvergne Rhône-Alpes, Normandie et les Pays de la Loire où la présidente de l’exécutif régional, Christelle Morençais, critique par ailleurs que le gouvernement le réserve aux seuls réseaux TER et Intercités, excluant les TGV « qui offriraient pourtant à des jeunes, et notamment les plus modestes, l’occasion de voyager plus loin et dans de meilleures conditions (qui imagine sérieusement faire un Nantes/Strasbourg en TER ?) », s’interroge l’élue ex-LR ralliée au parti d’Edouard Philippe, Horizons.

Dans son communiqué de fin de soirée, le ministère indique que « l’Etat est prêt à examiner une extension du dispositif à l’Ile-de-France l’an prochain, en lien avec Ile-de-France Mobilités. Le feuilleton du Passe rail n’est pas terminé.

Nathalie Arensonas

Ewa

Pourquoi le Pass rail en France est une mauvaise réponse à une bonne question

L’expérience de l’été 2022 du ticket unique à 9 euros en Allemagne pour les TER et les transports en commun urbains va se prolonger sous la forme d’un titre unique à 49 euros. Les décideurs politiques français, qui cherchent des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique, regardent avec intérêt cette mesure. L’intention est louable, mais la mesure fait-elle diminuer l’usage de la voiture et est-elle applicable au contexte français ? L’Insee allemande a constaté que, pendant l’été 2022, le titre à 9 euros a eu un impact très faible sur le trafic routier. Les ventes de titres se sont en effet essentiellement concentrées dans les zones urbaines, là où l’usage de la voiture est le plus faible et où se trouve déjà l’essentiel de la clientèle actuelle des transports en commun.

Outre la saturation de certaines lignes de transports qu’a généré la mesure, elle revient également très chère : 1 400 euros la tonne de CO2 évitée, près de 30 fois le montant actuel de la taxe carbone française et ce montant devrait être dépassé avec la généralisation via le ticket à 49 euros puisque son coût est estimé à 5 milliards d’euros par an d’après Christian Böttger (1) professeur à l’université de Berlin et expert sur les questions de transport (https://www.destatis.de/DE/Service/EXSTAT/_Interaktiv/mobilitaet-personenverkehr.html) La situation entre la France et l’Allemagne sur l’offre TER n’a rien à voir. L’Allemagne fait rouler quatre fois plus de TER que la France pour un budget double, soit une efficacité deux fois supérieure en Allemagne : le train.km coûte 35 euros en France, 17 euros en Allemagne. L’usager allemand participe à 50  % des coûts d’exploitation des transports publics, soit deux fois le niveau actuel français, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE.

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Hasardeux en termes de report modal

Le réseau ferroviaire allemand est en meilleur état avec un âge moyen de 17 ans, alors que le nôtre est de 29 ans et nécessite un effort budgétaire important pour sa régénération. L’infrastructure ferroviaire dans la plupart des grandes agglomérations françaises ne permet pas d’augmenter les cadences de TER aux heures de pointe. Les nœuds ferroviaires identifiés par la commission Mobilité 21 avait pointé dès 2013 cet enjeu, qui représente un investissement d’environ 15 milliards d’euros pour les seules grandes agglomérations. Côté finances publiques, la France a une dette de 112 % du PIB fin 2022, contre 66 % en Allemagne, alors que les taux d’intérêts sont remontés et que le service de la dette française va fortement augmenter. La réplicabilité telle quelle au contexte français de la mesure allemande paraît ainsi très hasardeuse en termes de report modal et à coup sûr très coûteuse pour les finances publiques alors que l’Etat comme les Régions doivent investir comme jamais pour faire baisser les émissions du trafic routier. Ajoutons que 98 % des déplacements du quotidien se réalisent sur des distances inférieures à 100 km et, hormis les connexions avec l’Ile-de-France, le besoin de disposer d’un titre unique national est le fait d’une toute petite minorité qui ne justifie sans doute pas de tels niveaux de dépenses publiques.

Erreur de diagnostic

Toutes les enquêtes d’opinion montrent par ailleurs que les Français demandent plus de transports en commun et non une baisse des tarifs. Le Credoc dans son enquête 2022 « Conditions de vie et aspiration des Français » note que 5 % seulement des Français déclarent ne pas prendre les transports publics pour des questions de coût et plus de 50 % parce qu’ils ne disposent pas d’une offre à proximité de leur domicile ou avec des fréquences suffisantes. En France, c’est en effet le manque d’alternatives en transports en commun depuis le périurbain et les villes moyennes qui explique que des centaines de milliers de voitures engorgent les agglomérations aux heures de pointes puisqu’un quart à un tiers des actifs des agglomérations n’y résident pas.

L’offre TER est actuellement trois fois inférieure à la demande. Une rame de TER a une capacité d’emport de 400 personnes environ. Une voie d’autoroute assurant 2 000 personnes par heure, il faudrait cinq trains par heure, soit un toutes les 12 minutes pour remplacer une voie d’autoroute, un toutes les six minutes pour en remplacer deux et donc désaturer massivement le trafic routier qui aujourd’hui engorge les agglomérations depuis les périphéries. Sans compter le besoin massif de parcs relais.

C’est la raison d’être des services express régionaux métropolitains (SERM). C’est une insuffisance d’offre alternative à la voiture que nous devons combler et non un problème de demande : la baisse du prix des transports publics pour l’usager représente une erreur de diagnostic et dégradera la capacité à financer plus d’alternatives à la voiture, sans baisse significative de l’usage de la voiture. Par ailleurs une fois en place il sera quasi impossible de revenir dessus : il est donc indispensable de bien peser le pour et le contre avant de s’y engager.

 

Le voyageur occasionnel toujours perdant

Si le pass à 49 euros est une mesure à l’efficacité et à l’utilité douteuse, il pose néanmoins la question bien réelle de la facilité d’accès aux services de transports publics et de leur tarification. Les technologies du numérique permettent aujourd’hui de faciliter l’achat de ces services. L’usage de la carte bancaire se répand dans toutes les grandes villes : accéder aux transports publics est enfin aussi simple qu’acheter une baguette de pain et pour des services aussi peu coûteux, cela fait augmenter l’usage. Des réseaux de transport en zones rurales à l’étranger utilisent la carte bancaire avec une tarification à la distance, les passagers badgeant à la montée et à la descente. Pourquoi ne pas déployer dans les TER cette technologie qui évite les queues devant des distributeurs automatiques parfois en panne, ou le téléchargement d’applications mobiles parfois complexes à utiliser ? Demain, ceux souhaitant bénéficier d’un tarif spécial pourraient simplement s’identifier sur le site web de l’AOM en indiquant leur numéro carte bancaire, et le tarif correspondant leur serait appliqué après usage.  Les solutions pour faciliter l’accès existent donc, et nul besoin de s’attaquer à la ressource qu’est la tarification pour le faire, sauf à glisser lentement mais sûrement vers la gratuité, solution de facilité qui rejoint les travers décrits par Alfred Sauvy, puisque ce serait la dette publique ou les entreprises qui en porterait le coût.

Côté tarification, les périodes d’inflation ont historiquement toujours été des moments de crise pour les transports publics, puisque les coûts de production du service augmentent alors que les décideurs hésitent à augmenter les recettes. Pourtant en France, en 2022 les salaires ont en grande partie compensé la hausse des prix selon l’INSEE (2). Depuis 1995, alors que l’offre de transport s’est considérablement étoffée dans les centres-villes, les revenus disponibles des ménages ont progressé de 50  % mais les tarifs ont à peine suivi l’inflation. La tarification au forfait comporte par ailleurs de nombreux désavantages et notamment celui de ne pas considérer le transport public comme un bien commun, c’est-à-dire une ressource publique rare. Imagine-t-on tarifer l’eau ou l’énergie de manière forfaitaire ? C’est pourtant ce que l’on fait avec les transports en commun.

C’est la structure des tarifications qu’il faut adapter. Les transports en commun coûtent en moyenne trois fois moins cher à l’usager que la voiture. Cependant, si on distingue les abonnements des tarifs au ticket, le prix payé au km par les occasionnels est légèrement supérieur à celui de la voiture. On rétorquera qu’au-delà du seul coût monétaire, ce qui compte c’est le temps de parcours. En ajoutant au coût monétaire, le temps de parcours multiplié par la valeur du temps (qui dépend des revenus et des motifs de déplacements) on obtient un coût global du transport. Le temps de parcours pèse 90 % du coût global pour l’abonné, mais 60 % pour le non abonné voire 50 % pour les revenus plus faibles : si le tarif ne compte pas pour l’abonné c’est nettement moins vrai pour le voyageur occasionnel. Les calculs de coût global montrent que le voyageur non abonné des transports en commun est toujours perdant face à la voiture que ce soit pour les transports urbains ou les TER. Cela signifie que pour ceux ne se déplaçant pas tous les jours – les temps partiels, les télétravailleurs, les multi-employeurs, … – les tarifs abonnés ne sont pas intéressants et les tarifs au ticket trop coûteux. Ceci incite les revenus faibles non éligibles aux tarifs sociaux à utiliser la voiture… ou à frauder les transports publics. Il y a là un gisement important de report de la voiture vers les transports en commun. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive la Paris School of Economics, PSE, dans une récente étude portée par Transdev : la tarification à l’usage est celle qui favorise le plus le report modal.

L’évolution de la tarification est un sujet sensible et son acceptabilité dépend de l’équité du dispositif. Le Credoc a testé en 2022 différentes formules auprès des Français. Il en ressort qu’un tiers des Français sont favorables à une tarification en fonction des revenus et un autre tiers en fonction de la distance et des revenus. Les deux tiers des français sont également favorables à une suppression de l’abonnement qui serait remplacé par une prise en charge intégrale par les entreprises des seuls trajets domicile-travail, les autres trajets étant tarifés au coût du ticket unitaire. Les Français sont donc plus ouverts qu’on ne le pense aux adaptations de la tarification des transports. En Ile-de-France, on pourrait s’interroger sur l’équité sociale de la gratuité offerte aux petits Parisiens, de familles aisées comme populaires, alors qu’une personne au Smic à temps partiel ou non salarié ne bénéficie d’aucune réduction ni soutien de son entreprise. Notre tarification sociale ne joue que pour les personnes en situation de grande précarité alors que les seconds et troisièmes déciles de revenus qui font l’effort de se loger au centre-ville n’ont droit à aucune aide. Le risque est grand que nos grandes villes ne deviennent des centrifugeuses pour les classes moyennes inférieures. Une introduction d’une tarification à l’usage et selon le quotient familial, en conservant les tarifications pour les personnes en grande précarité, semble être une piste permettant d’augmenter la fréquentation et les recettes, qui soit acceptable par la population et souhaitable en termes de mixité sociale en ville.

Agir sur les recettes

L’enjeu de la décarbonation des transports suppose un choc d’offres de transports en commun sur les liaisons entre le périurbain, les villes moyennes avec les agglomérations. Financer ce choc ne peut se faire que via la réduction des coûts unitaires, l’optimisation des dépenses et enfin l’augmentation des recettes. La concurrence nous permettra de venir à la hauteur de notre voisin allemand, soit deux fois plus de TER à coût public constant. L’optimisation des dépenses suppose d’ajuster les moyens aux besoins et de focaliser les transports en commun là où il est possible et nécessaire d’opérer un report modal significatif. Tout ceci est indispensable et produira ces effets à moyen terme. A court terme, c’est sur les recettes qu’il faut agir pour équilibrer le financement des transports publics.

L’option de l’augmentation des impôts des entreprises est celle des années 1970 : pour préserver le pouvoir d’achat après le premier choc pétrolier, nous avons taxé nos entreprises, avec des conséquences sur notre industrie et l’emploi dans les villes moyennes. Alors que nous sommes engagés dans une politique volontariste de (re)localisation de l’industrie en France, c’est une politique de baisse des taxes sur les entreprises qui est mis en œuvre très progressivement depuis dix ans, la France étant encore le second pays de l’UE en niveau d’impôts de production. L’autre option, politiquement plus délicate mais nécessaire, est celle de la tarification. Dans les villes d’Asie, la règle est que la vente des tickets doit couvrir les dépenses. En France, le voyageur n’en paie que le quart, contre plus de la moitié en Allemagne. Ainsi, plus nous créons de lignes de transports en commun, plus nous creusons le déficit public et augmentons les difficultés de financement. La crise récente autour du prix du pass navigo est un révélateur de la situation financière des transports publics. Nous avons réalisé le Grand Paris Express par la dette, couverte massivement par des taxes sur les entreprises et les ménages, et sommes aujourd’hui dans l’incapacité de financer son exploitation. Il ne faut pas écarter de revenir à terme à un ratio R/D de 50 % là où nous en étions en 1995, par une adaptation progressive de la tarification qui tienne compte des usages et des revenus. Faire porter l’effort aux seuls budgets publics nous fera aller de crise en crise. Avec les immenses besoins que nécessite la décarbonation des mobilités il nous faut pourtant privilégier l’investissement sur la consommation.

Jean Coldefy

(1) https ://www.berliner-zeitung.de/mensch-metropole/deutschlandticket-9-euro-ticket-bahnexperte-ich-wuensche-mir-dass-das-ticket-wieder-abgeschafft-wird-christian-boettger-db-bahn-bvg-vdv-li.342866

(2) https ://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/les-augmentations-de-salaires-ont-compense-en-grande-partie-linflation-en-2023-1978140

Jean Coldefy est l’auteur de l’ouvrage « Mobilités : changer de modèle – Solutions pour des déplacements bas carbone et équitable » (https://www.decitre.fr/livre-pod/mobilites-changer-de-modele-9782384541898.html).

Retrouvez l’intégralité de la tribune de Jean Coldefy : https://www.ville-rail-transports.com/ferroviaire/pourquoi-le-pass-rail-en-france-est-une-mauvaise-reponse-a-une-bonne-question/

Ewa

Pour réussir le Pass Rail, il faut laisser les régions vendre des billets de TGV, affirme Renaud Lagrave

Renaud LAGRAVE, vice-président du Conseil régional Nouvelle-Aquitaine en charge des Infrastructures

Vice-président chargé des mobilités de la région Nouvelle-Aquitaine, Renaud Lagrave (élu des Landes, groupe socialiste) réagit aux propos d’Emmanuel Macron qui souhaite lancer en France un Pass Rail pour faciliter les déplacements en train, à l’image de ce qu’a fait l’Allemagne avec son abonnement à 49 euros. Il nous a envoyé une tribune que nous publions.

« Après des annonces sur les RER, voici donc le Pass Rail à la française, c’est un bon signe pour le ferroviaire, à condition d’y consacrer les moyens. Il faut maintenant transformer l’essai mais les mobilités ne peuvent pas dépendre que d’un seul joueur !

Cette demande coule de source pour tous les usagers des transports publics dans notre pays, elle est même une priorité pour nombre d’autorités organisatrices des mobilités depuis très longtemps.

Nous ne pouvons que nous réjouir de ce type d’annonce qui concoure largement à nos objectifs de favoriser l’intermodalité et l’usage des transports collectifs, notamment au moment où la transition écologique et énergétique est plus que nécessaire. Encore faut-il y associer les acteurs locaux, notamment ceux désignés par la Loi d’orientation des mobilités (LOM) comme chefs de file.

Le titre unique, c’est l’opportunité avec un seul support (carte, smartphone, carte bleue) de voyager dans plusieurs transports. En l’occurrence ici les TGV, Intercités et TER, mais en oubliant malheureusement tous les réseaux urbains et interurbains.

Le Pass Rail est quant à lui l’importation transformée du titre unique allemand à 49€… avec des modulations non négligeables : il ne s’adresserait finalement qu’aux jeunes et ne concernerait ni les TGV ni les réseaux urbains ! Sans revenir sur les exceptionnels engagements financiers de l’Etat allemand dans ce projet (5 milliards d’euros annuels) ni les différences structurelles entre les réseaux ferrés de part et d’autre du Rhin, il convient de rappeler certains fondamentaux.

L’objectif de simplification des supports et des tarifications est essentiel pour faciliter le report modal, c’est d’ailleurs ce que le législateur votait dans la LOM en 2019, demandant aux AOM de créer des systèmes d’information et de vente pour les voyageurs de proximité.

C’est pourquoi la Région Nouvelle-Aquitaine et les autorités organisatrices des mobilités du territoire se sont engagées dès 2018 sur ce chemin en créant le Syndicat Nouvelle-Aquitaine Mobilités. Depuis lors, les innovations se succèdent et les résultats sont d’ores et déjà probants autour de la marque Modalis : Le calculateur d’itinéraires permet à tous d’accéder à l’ensemble des offres de transport régionales et urbaines. Plus de 22 000 000 recherches sont faites tous les ans. Il est également possible d’acheter les titres de transports de 14 des 26 réseaux urbains membres, de tous les cars régionaux et le Pass Abonné TER.

Dès la fin 2023 et progressivement jusqu’en 2025, la gamme TER complète sera disponible sur Modalis, ainsi que le réseau TBM et l’ensemble des réseaux urbains. D’ores et déjà, le réseau de l’agglomération du grand Guéret donne la possibilité de valider son voyage par carte bleue. De même, la carte Modalis permet d’héberger les abonnements TER, les titres routiers régionaux et plusieurs réseaux urbains dont TBM et Txik Txak.

Mais Modalis ne s’est pas arrêté là. Il contribue à déployer des offres de covoiturage, des vélos en libre-service, des cars express, bref il fait son travail en faveur de toutes les mobilités !

Pour créer ce Pass Rail, finalement, ce dont Modalis a besoin aujourd’hui, c’est la possibilité de vendre TGV et Intercités à ses usagers, c’est donc à l’Etat de diligenter cette possibilité en passant au-dessus des questions techniques et financières qui sont légion ! Soyons clairs : SNCF Connect ne peut être la solution ! Les usagers ont besoin de proximité et les autorités organisatrices des mobilités de garanties de la maitrise des coûts de distribution et de la valorisation de leurs offres.

Enfin, en ce qui concerne les tarifications, les enquêtes auprès de nos concitoyens confirment systématiquement la tendance : les freins à l’usage ne sont pas exclusivement liés aux tarifs, mais bien à l’accès à une offre renforcée et de qualité. D’ailleurs, la Région Nouvelle-Aquitaine a profité de la liberté tarifaire offerte aux régions pour innover. Dès 2015 en Limousin, puis généralisé en 2017 à tout le territoire, le billet jeune permet aux moins de 28 ans d’accéder à des prix transparents sans avoir besoin d’acheter de carte au préalable. Le résultat est au rendez-vous puisqu’ils représentent 38% des billets occasionnels vendus. Et les abonnements spécifiques jeunes représentent 43% des ventes d’abonnements. La région a également fait le choix d’augmenter son offre TER de 12% depuis 3 ans, les usagers ont répondu présents passant de 63000 à 95000 voyageurs par jour, c’est donc bien d’un choc d’offre dont nous avons besoin !

Les annonces sont certes louables, mais n’oubliez pas que les autorités organisatrices des mobilités sont majeures et vaccinées, qu’elles portent des choix politiques en faveur du report modal depuis de longues années et qu’elles s’administrent librement.

Finalement le Pass mobilités existe déjà en Nouvelle-Aquitaine comme dans d’autres régions. Alors au moment où l’Etat souhaite rejoindre ces choix, je dis chiche ! Et pourquoi pas être pragmatiques et commencer par un portail public simple réunissant toutes les informations voyageurs consolidées de toutes les AOM et de l’Etat ? »

Renaud Lagrave, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine chargé des Mobilités. Président de Nouvelle Aquitaine Mobilités (MODALIS)

Ewa

Pourquoi le Pass rail en France est une mauvaise réponse à une bonne question

Le REME strasbourgeois promet d’offrir un TER toutes les demi-heures, de 5 h 30 à 22 h 30 en semaine et le samedi.
Jean Coldefy oct 2021
Jean Coldefy

Jean Coldefy, directeur des programmes d’Atec ITS France et président du conseil scientifique de France Mobilités, explique pourquoi, selon lui, le pass à 49 euros, tel qu’il est pratiqué en Allemagne, dégraderait la capacité de développer les transports publics en France et ne résout pas le problème de la tarification.

Cet ingénieur de l’Ecole centrale de Lille, spécialiste des questions de mobilité et bien connu dans le monde des transports, a été responsable adjoint du service mobilité urbaine de la Métropole de Lyon (et élu local pendant une douzaine d’années dans le périurbain lyonnais). Il est aussi président du think tank de l’URF (Union routière de France), président du conseil scientifique de France Mobilités et conseiller à temps partiel de Thierry Mallet, le PDG de Transdev. Nous publions sa tribune, dans laquelle il s’exprime « en son nom propre », souligne-t-il. 

 

L’expérience de l’été 2022 du ticket unique à 9 euros en Allemagne pour les TER et les transports en commun urbains va se prolonger sous la forme d’un titre unique à 49 euros. Les décideurs politiques français, qui cherchent des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique, regardent avec intérêt cette mesure. L’intention est louable, mais la mesure fait-elle diminuer l’usage de la voiture et est-elle applicable au contexte français ?

L’Insee allemande (le Statistisches Bundesamt) a constaté que, pendant l’été 2022, le titre à 9 euros a eu un impact très faible sur le trafic routier. Les ventes de titres se sont en effet essentiellement concentrées dans les zones urbaines, là où l’usage de la voiture est le plus faible et où se trouve déjà l’essentiel de la clientèle actuelle des transports en commun.

Outre la saturation de certaines lignes de transports qu’a généré la mesure, elle revient également très chère : 1400 euros la tonne de CO2 évitée, près de 30 fois le montant actuel de la taxe carbone française et ce montant devrait être dépassé avec la généralisation via le ticket à 49 euros puisque son coût est estimé à 5 milliards d’euros par an d’après Christian Böttger[1] professeur à l’université de Berlin et expert sur les questions de transport (https://www.destatis.de/DE/Service/EXSTAT/_Interaktiv/mobilitaet-personenverkehr.html)

La situation entre la France et l’Allemagne sur l’offre TER n’a rien à voir. L’Allemagne fait rouler quatre fois plus de TER que la France pour un budget double, soit une efficacité deux fois supérieure en Allemagne : le train.km coûte 35 euros en France, 17 euros en Allemagne. L’usager allemand participe à 50% des coûts d’exploitation des transports publics, soit deux fois le niveau actuel français, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE.

Hasardeux en termes de report modal

Le réseau ferroviaire allemand est en bien meilleur état avec un âge moyen de 17 ans, alors que le nôtre est de 29 ans et nécessite en conséquence un effort budgétaire important pour sa régénération. L’infrastructure ferroviaire dans la plupart des grandes agglomérations françaises ne permet pas d’augmenter les cadences de TER aux heures de pointes. Les nœuds ferroviaires identifiés par la commission Mobilité 21 présidée par Philippe Duron avait pointé dès 2013 cet enjeu, qui représente un investissement d’environ 15 milliards d’euros pour les seules grandes agglomérations.

Côté finances publiques, la France a une dette de 112% du PIB fin 2022, contre 66% en Allemagne, alors que les taux d’intérêts sont remontés et que le service de la dette française va fortement augmenter : elle atteint déjà 52 milliards d’euros en 2023, dépassant de 50% le budget du ministère de la transition énergétique. La réplicabilité telle quelle au contexte français de la mesure allemande parait ainsi très hasardeuse en termes de report modal et à coup sûr très coûteuse pour les finances publiques alors que l’Etat comme les Régions doivent investir comme jamais pour faire baisser les émissions du trafic routier.

Ajoutons que 98% des déplacements du quotidien se réalisent sur des distances inférieures à 100 km et, hormis les connexions avec l’Ile-de-France, le besoin de disposer d’un titre unique national est le fait d’une toute petite minorité qui ne justifie sans doute pas de tels niveaux de dépenses publiques.

TER Allemagne France Rapport Allemagne
/ France
Train.km millions 708 171 4.14
CA TER milliards 11.8 6.2 1.90
Coût au train.km € 17 36 0.47
Coût au pass.km € TER 0.20 0.38 0.53

Comparaison TER France Allemagne, données fin 2019, ART et Bundesnetzagentur / Marktuntersuchung Eisenbahnen 2022, J Coldefy

Erreur de diagnostic

Toutes les enquêtes d’opinion montrent par ailleurs que les Français demandent plus de transports en commun et non une baisse des tarifs. Le Credoc dans son enquête 2022 « Conditions de vie et aspiration des Français » note que 5% seulement des Français déclarent ne pas prendre les transports publics pour des questions de coût et plus de 50% parce qu’ils ne disposent pas d’une offre à proximité de leur domicile ou avec des fréquences suffisantes. En France, c’est en effet le manque d’alternatives en transports en commun depuis le périurbain et les villes moyennes qui explique que des centaines de milliers de voitures engorgent les agglomérations aux heures de pointes puisqu’un quart à un tiers des actifs des agglomérations n’y résident pas.

L’offre TER est actuellement trois fois inférieure à la demande. Une rame de TER a une capacité d’emport de 400 personnes environ. Une voie d’autoroute assurant 2 000 personnes par heure, il faudrait cinq trains par heure, soit un toutes les 12 minutes pour remplacer une voie d’autoroute, un toutes les six minutes pour en remplacer deux et donc désaturer massivement le trafic routier qui aujourd’hui engorge les agglomérations depuis les périphéries. Sans compter le besoin massif de parcs relais.

C’est la raison d’être des services express régionaux métropolitains (SERM). C’est une insuffisance d’offre alternative à la voiture que nous devons combler et non un problème de demande : la baisse du prix des transports publics pour l’usager représente une erreur de diagnostic et dégradera la capacité à financer plus d’alternatives à la voiture, sans baisse significative de l’usage de la voiture. Par ailleurs une fois en place il sera quasi impossible de revenir dessus : il est donc indispensable de bien peser le pour et le contre avant de s’y engager.

Cette politique considère que le consommateur (qui est certes aussi un électeur) reste la personne à défendre, le producteur (une part bien faible des électeurs certes) est délaissé. Alfred Sauvy en 1975 fustigeait les augmentations de prix du pétrole décidées en janvier 1974 qui ont fait porter l’effort sur les entreprises : le gazole est augmenté de 20% quand le fuel industriel l’est de plus de 90%. On favorise alors la consommation au détriment de la production et c’est le début d’une longue suite de décisions qui, de facto, sacrifient l’industrie en France. Ce choix de préserver le pouvoir d’achat au détriment des producteurs semble encore d’actualité. On n’hésite pas en 2022 à dépenser plus de 10 milliards d’euros pour limiter la hausse de l’essence pour tous et dans le même temps on laisse les entreprises subir des augmentations très élevées de l’énergie (plus de 50% de hausse en 2022 avec des factures qui ont parfois été multipliées par trois) et on tarde à baisser les impôts de production alors que nos entreprises sont les moins rentables d’Europe.

Le voyageur occasionnel toujours perdant

SI le pass à 49 euros est une mesure à l’efficacité et à l’utilité douteuse, il pose néanmoins la question bien réelle de la facilité d’accès aux services de transports publics et de leur tarification. Les technologies du numérique permettent aujourd’hui de grandement faciliter l’achat de ces services. L’usage de la carte bancaire se répand dans toutes les grandes villes avec un succès très important : accéder aux transports publics est enfin aussi simple qu’acheter une baguette de pain et pour des services aussi peu coûteux, cela fait augmenter l’usage. Des réseaux de transports en zones rurales à l’étranger utilisent la carte bancaire avec une tarification à la distance, les passagers badgeant à la montée et à la descente. Pourquoi ne pas déployer dans les TER cette technologie qui évite les queues devant des distributeurs automatiques parfois en panne, ou le téléchargement d’applications mobiles parfois complexes à utiliser ? Demain, ceux souhaitant bénéficier d’un tarif spécial pourraient simplement s’identifier sur le site web de l’AOM en indiquant leur numéro carte bancaire, et le tarif correspondant leur serait appliqué après usage.  Les solutions pour faciliter l’accès existent donc, et nul besoin de s’attaquer à la ressource qu’est la tarification pour le faire, sauf à glisser lentement mais sûrement vers la gratuité, solution de facilité qui rejoint les travers décrits par Alfred Sauvy, puisque ce serait la dette publique ou les entreprises qui en porterait le coût.

Côté tarification, les périodes d’inflation ont historiquement toujours été des moments de crise pour les transports publics, puisque les coûts de production du service augmentent alors que les décideurs hésitent à augmenter les recettes. Pourtant en France, en 2022 les salaires ont en grande partie compensé la hausse des prix selon l’INSEE[2]. Depuis 1995, alors que l’offre de transport s’est considérablement étoffée dans les centres-villes, les revenus disponibles des ménages ont progressé de 50 % mais les tarifs ont à peine suivi l’inflation. La tarification au forfait comporte par ailleurs de nombreux désavantages et notamment celui de ne pas considérer le transport public comme un bien commun, c’est-à-dire une ressource publique rare. Imagine-t-on tarifer l’eau ou l’énergie de manière forfaitaire ? C’est pourtant ce que l’on fait avec les transports en commun.

C’est la structure des tarifications qu’il faut adapter. Les transports en commun coûtent en moyenne trois fois moins cher à l’usager que la voiture. Cependant, si on distingue les abonnements des tarifs au ticket, le prix payé au km par les occasionnels est légèrement supérieur à celui de la voiture. On rétorquera qu’au-delà du seul coût monétaire, ce qui compte c’est le temps de parcours. En ajoutant au coût monétaire, le temps de parcours multiplié par la valeur du temps (qui dépend des revenus et des motifs de déplacements) on obtient un coût global du transport. Le temps de parcours pèse 90 % du coût global pour l’abonné, mais 60% pour le non abonné voire 50% pour les revenus plus faibles : si le tarif ne compte pas pour l’abonné c’est nettement moins vrai pour le voyageur occasionnel. Les calculs de coût global montrent que le voyageur non abonné des transports en commun est toujours perdant face à la voiture que ce soit pour les transports urbains ou les TER. Cela signifie que pour ceux ne se déplaçant pas tous les jours – les temps partiels, les télétravailleurs, les multi-employeurs, … – les tarifs abonnés ne sont pas intéressants et les tarifs au ticket trop coûteux. Ceci incite les revenus faibles non éligibles aux tarifs sociaux à utiliser la voiture… ou à frauder les transports publics. Il y a là un gisement important de report de la voiture vers les transports en commun. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle arrive la Paris School of Economics, PSE, dans une récente étude portée par Transdev : la tarification à l’usage est celle qui favorise le plus le report modal.

L’évolution de la tarification est un sujet sensible et son acceptabilité dépend de l’équité du dispositif. Le Credoc a testé en 2022 différentes formules auprès des Français. Il en ressort qu’un tiers des Français sont favorables à une tarification en fonction des revenus et un autre tiers en fonction de la distance et des revenus. Les deux tiers des français sont également favorables à une suppression de l’abonnement qui serait remplacé par une prise en charge intégrale par les entreprises des seuls trajets domicile-travail, les autres trajets étant tarifés au coût du ticket unitaire.

Les Français sont donc plus ouverts qu’on ne le pense aux adaptations de la tarification des transports. En Ile-de-France, on pourrait s’interroger sur l’équité sociale de la gratuité offerte aux petits Parisiens, de familles aisées comme populaires, alors qu’une personne au Smic à temps partiel ou non salarié ne bénéficie d’aucune réduction ni soutien de son entreprise. Notre tarification sociale ne joue que pour les personnes en situation de grande précarité alors que les seconds et troisièmes déciles de revenus qui font l’effort de se loger au centre-ville n’ont droit à aucune aide. Le risque est grand que nos grandes villes ne deviennent des centrifugeuses pour les classes moyennes inférieures.

Une introduction d’une tarification à l’usage et selon le quotient familial, en conservant les tarifications pour les personnes en grande précarité, semble être une piste permettant d’augmenter la fréquentation et les recettes, qui soit acceptable par la population et souhaitable en termes de mixité sociale en ville.

Agir sur les recettes

L’enjeu de la décarbonation des transports suppose un choc d’offres de transports en commun sur les liaisons entre le périurbain, les villes moyennes avec les agglomérations. Financer ce choc ne peut se faire que via la réduction des coûts unitaires, l’optimisation des dépenses et enfin l’augmentation des recettes. La concurrence nous permettra de venir à la hauteur de notre voisin allemand, soit deux fois plus de TER à coût public constant. L’optimisation des dépenses suppose d’ajuster les moyens aux besoins et de focaliser les transports en commun là où il est possible et nécessaire d’opérer un report modal significatif. Tout ceci est indispensable et produira ces effets à moyen terme. A court terme, c’est sur les recettes qu’il faut agir pour équilibrer le financement des transports publics.

L’option de l’augmentation des impôts des entreprises est celle des années 1970 : pour préserver le pouvoir d’achat après le premier choc pétrolier, nous avons taxé nos entreprises, avec des conséquences sur notre industrie et l’emploi dans les villes moyennes (voir ci-dessous). Alors que nous sommes engagés dans une politique volontariste de (re)localisation de l’industrie en France, c’est une politique de baisse des taxes sur les entreprises qui est mis en œuvre très progressivement depuis dix ans, la France étant encore le second pays de l’UE en niveau d’impôts de production. L’autre option, politiquement plus délicate mais nécessaire, est celle de la tarification. Dans les villes d’Asie, la règle est que la vente des tickets doit couvrir les dépenses. En France, le voyageur n’en paie que le quart, contre plus de la moitié en Allemagne. Ainsi, plus nous créons de lignes de transports en commun, plus nous creusons le déficit public et augmentons les difficultés de financement. La crise récente autour du prix du pass navigo est un révélateur de la situation financière des transports publics. Nous avons réalisé le Grand Paris Express par la dette, couverte massivement par des taxes sur les entreprises et les ménages, et sommes aujourd’hui dans l’incapacité de financer son exploitation. Il ne faut pas écarter de revenir à terme à un ratio R/D de 50% là où nous en étions en 1995, par une adaptation progressive de la tarification qui tienne compte des usages et des revenus. Faire porter l’effort aux seuls budgets publics nous fera aller de crise en crise. Avec les immenses besoins que nécessite la décarbonation des mobilités il nous faut pourtant privilégier l’investissement sur la consommation.

Jean Coldefy


Le versement mobilité en question

L’impact du versement mobilité pour les collectivités locales en charge des TCU est majeur. Les Régions qui, a contrario, ne le perçoivent pas, doivent pallier la faiblesse de la participation des usagers, similaire à celle des TCU, par des ressources propres. Or le versement mobilité est un impôt de production, les entreprises françaises sont parmi les moins rentables d’Europe et ont donc plus de mal à investir dans l’innovation. C’est l’une des raisons majeures de la désindustrialisation, le rapport Gallois et les travaux d’Elie Cohen et Nicolas Dufourcq[3] ont largement documenté l’affaire. Sur l’aire urbaine de Lyon et en Île-de-France, le versement mobilité représente 7 points de marges des entreprises, soit ce qui sépare la France de la moyenne européenne.

Comme par ailleurs les salariés des entreprises qui s’acquittent du VM ne bénéficient pas toutes de transports en commun, en particulier celles situées en couronnes des agglomérations, on comprend que le VM fasse l’objet de remises en cause. L’intérêt du VM est que c’est un impôt affecté, sa faiblesse est son assiette (2% de la masse salariale des entreprises, voire presque 3% dans le cœur de Ile-de-France) et sa géographie puisqu’il sert aujourd’hui essentiellement à financer les transports en commun des villes centres et non des périphéries, 1ère et 2nde couronnes.

Introduit en 1975, le VM a de facto servi à abaisser la part payée par l’usager dans les transports en commun. On a alors privilégié le pouvoir d’achat des salariés sur la compétitivité des entreprises. La France est le seul pays de l’UE à avoir divisé par deux la part de l’industrie dans le PIB, avec la perte de 2.2 millions d’emplois, essentiellement localisés dans les villes moyennes. Le Versement Mobilité permet de faire participer les entreprises à la mobilité de leurs salariés, ce qui est sain. C’est son assiette et sa géographie qu’il faut adapter pour corriger les travers ici décrits.

J.C.

[1] https://www.berliner-zeitung.de/mensch-metropole/deutschlandticket-9-euro-ticket-bahnexperte-ich-wuensche-mir-dass-das-ticket-wieder-abgeschafft-wird-christian-boettger-db-bahn-bvg-vdv-li.342866

[2] https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/les-augmentations-de-salaires-ont-compense-en-grande-partie-linflation-en-2023-1978140

[3] Rapport L. Gallois « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », 2012 ; Elie Cohen, « Le Décrochage industriel », 2014 ; Nicolas Dufourcq « La désindustrialisation de la France », 2022

Jean Coldefy est l’auteur de l’ouvrage « Mobilités : changer de modèle – Solutions pour des déplacements bas carbone et équitable »

https://www.decitre.fr/livre-pod/mobilites-changer-de-modele-9782384541898.html

 

 

Ewa

Passe ferroviaire en Allemagne : incertitudes sur le maintien du prix à 49 euros

Train régional en Allemagne (réseau S-Bahn Rhein-Neckar)

Lancé le 1er mai dernier, le forfait national transport à 49 euros s’est imposé comme une offre incontournable en Allemagne. Plus de 11 millions d’abonnements vendus ! Le « Deutschlandticket » (49 euros, résiliable chaque mois) est un succès comme l’avait été son prédécesseur, le « ticket à 9 euros », une offre d’essai limitée à trois mois pendant l’été 2022. « Il est inimaginable que les responsables politiques fassent aujourd’hui marche arrière. Personne n’osera supprimer ce ticket très populaire », assure Matthias Stoffregen, directeur de la Fédération des entreprises de transport ferroviaires privés (Mofair).

Selon les premières estimations, le pass (qui permet d’utiliser tous les transports en commun d’Allemagne à part les grandes lignes) aurait attiré au moins un million de clients de plus, ceux qui ne prenaient jamais le bus, le tram ou le métro. Par ailleurs, contrairement au ticket à 9 euros, le ticket n’est pas utilisé pour des excursions mais pour se rendre au travail.

Ils profitent surtout aux grands banlieusards qui étaient obligés de souscrire plusieurs abonnements sur différents réseaux. Selon un sondage commandé par la chaine publique SWR, 23% des détenteurs du Deutschlandticket aurait renoncé à leur voiture. En revanche, l’offre est beaucoup moins intéressante pour les ruraux dont les communes sont éloignées des réseaux ferroviaires régionales.

La fiabilité du rail entamée

Certains responsables politiques parlent déjà d’une « révolution ». « Mais pour nous, il s’agit surtout de savoir combien, à la fin, nous gagnerons de nouveaux clients. Il est encore trop tôt pour le dire », estime Matthias Stoffregen. Le défi de la compagnie ferroviaire allemande, Deutsche Bahn (DB), et de tous les opérateurs privés sera d’assurer une offre satisfaisante concernant les matériels, la cadence et surtout la ponctualité. Les réseaux sont dans un très mauvais état en raison d’un sous-investissement chronique qui a considérablement entamé la fiabilité du rail en Allemagne.

Pour cette raison, les experts s’interrogent sur l’utilité d’un tel produit commercial qui n’est en réalité qu’une réduction de tarif pour des millions d’abonnés déjà existants. Quel intérêt d’avoir un pass bon marché si les trains n’arrivent pas à l’heure ou n’arrivent pas du tout ? Ne vaut-il pas mieux injecter les milliards de subvention dans les infrastructures ? « Il serait important de le conserver. L’existence même de ce ticket permet d’animer le débat sur l’utilité des transports en commun dans un contexte de réduction des émissions de CO2. Au bout du compte, les politiques seront convaincus qu’il faudra investir encore plus dans les infrastructures », argumente Matthias Stoffregen.

Le financement du pass reste néanmoins très fragile. Payé par moitié par l’Etat et par les 16 régions allemandes (1,5 milliard par an chacun) pour compenser le manque à gagner des sociétés de transport, l’avenir d’un tel produit dépendra de la volonté du gouvernement Scholz d’inscrire le financement au budget fédéral au-delà de 2025. Volker Wissing, le ministre libéral des transports, refuse pour l’instant d’augmenter toute participation de l’Etat. Quant aux régions, elles s’estiment prises en otage par le ministre : elles rétorquent que l’idée vient du gouvernement et qu’il est donc logique que Berlin assure les dépassement de coûts !

Si l’Etat et les régions n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur l’avenir de ce ticket, c’est le tarif qui pourrait en pâtir. Selon un étude du ministère des Transports, révélé par le magazine Der Spiegel, le prix devrait inévitablement augmenter dans les prochaines années. Les experts du ferroviaire craignent eux aussi une augmentation. « Le souhait des responsables politiques est de rester à 49 euros. Mais les coûts augmentent », rappelle Matthias Stoffregen. « L’avenir du forfait à 49 euros reste incertain », a prévenu Werner Overkamp, le vice-président du Fédération des régies de transport (VDV).
 
« Au plus tard à partir de 2025, le prix atteindra probablement 59 euros. Plus tard, il atteindra certainement 69 euros », pronostique de son côté Detlef Neuss, le président de l’association des usagers du train Pro Bahn.
Christophe Bourdoiseau