Si la crise sanitaire a permis de booster l’utilisation du vélo, elle a aussi eu un effet révélateur sur le degré de dépendance des fabricants de vélos vis-à-vis de l’Asie. D’où un paradoxal ralentissement de l’activité de la filière à l’heure de l’engouement pour la petite reine… Conscient de l’enjeu économique et environnemental, le gouvernement a lancé en septembre dernier une mission parlementaire sur l’industrie du vélo en France confiée au député LREM du Val-de-Marne Guillaume Gouffier-Cha, également vice-président du Club des élus nationaux pour le vélo. Ce rapport, attendu tout prochainement, doit faire des recommandations en vue d’aider à la construction d’une filière vélo dans notre pays.
Il est en effet indispensable d’accompagner le secteur pour l’aider à se transformer estime le fournisseur de vélos électriques Smoove-Zoov (constitué de ces deux société qui ont fusionné il y a un an). D’ici 12 à 18 mois, cette société qui se présente comme le troisième fournisseur mondial de vélos électriques en libre service avec une présence notamment dans une dizaine de villes en France (dont le plus gros marché est à Paris avec Vélib) espère bien avoir réussi à relocaliser sur notre territoire toute la production de ses vélos, de l’assemblage à la fabrication du cadre. « Avec la crise sanitaire, beaucoup d’appels d’offres ont été décalés et nous avons connu une baisse d’activité sur certains projets. Mais le gros impact de la crise s’est surtout fait ressentir sur l’approvisionnement. Nous nous sommes rendu compte de notre dépendance vis-à-vis de l’Asie. Notamment pour la partie électronique», raconte Benoît Yameundjeu, le PDG de Smoove-Zoov.
« Cette dépendance, on l’a payée cher »
Les vélos connectés proposés par sa société sont équipés de nombreux éléments électroniques. Les difficultés actuelles d’approvisionnement causées par cette crise de la supply chain incitent les responsables à travailler sur le rapatriement rapide de toute une partie de la production en France. « Car cette dépendance, on l’a payée cher et on s’est rendu compte qu’on avait besoin de prendre la main« , ajoute le dirigeant.
Pendant la crise, une solution d’urgence s’est imposée, consistant à valoriser au maximum les pièces équipant les vélos en les réutilisant. Une première étape avant d’aller au-delà. « Nous travaillons avec le député Guillaume Gouffier-Cha pour réaliser notre objectif de ré-industrialisation. Nous avons besoin d’un accompagnement car cela représente des investissements : nous avons besoin de ressources humaines car notre activité demande de la main d’oeuvre, et d’un outillage« , souligne Benoit Yameundjeu qui estime possible de produire en France, dans un premier temps, plusieurs milliers d’unités, avant de passer à plusieurs dizaines de milliers.
« La fabrication en France est plus chère mais nous pourrons compenser nos surcoûts (d’une fois à 1,5 fois plus cher) grâce à la disparition du coût de transport (le transport des grandes pièces coûte cher). Ainsi, nous pourrons fabriquer à un coût similaire« , précise-t-il. L’objectif consiste aussi à trouver des partenaires industriels pour monter un projet commun. Un partenaire industriel de l’automobile serait déjà trouvé mais son nom reste confidentiel. Le choix de la localisation de l’usine reste à faire, entre les Hauts-de-France et la Nouvelle-Aquitaine, où existent déjà des infrastructures.
« Notre conviction, c’est que les systèmes de vélos en libre service seront 100 % électriques dans quelques années »
La demande devrait continuer à être très soutenue, de plus en plus de villes souhaitant proposer des systèmes de vélos électriques en libre service. « Beaucoup de villes lancent des appels d’offre 100 % électriques. Comme l’a fait par exemple Marseille il y a six mois. Aujourd’hui, plus des deux tiers de nos appels d’offres sont 100 % électriques. Notre conviction, c’est que le marché sera 100 % électrique dans quelques années« , commente Benoit Yameundjeu. Il est aussi probable , ajoute-t-il, que les vélos seront de plus en plus connectés.
Les principaux marchés de Smoove-Zoov se situent en Europe et en Amérique du Sud. Si l’Europe de l’Est et l’Amérique du Sud sont encore surtout demandeurs de vélos mécaniques, l’Europe de l’Ouest se tourne radicalement vers l’électrique, comme c’est le cas à Stockholm ou encore à Madrid qui a lancé un appel d’offres 100 % électrique.
Cette évolution serait liée à une demande forte des utilisateurs, fondée non pas tant sur une question de distance (les utilisateurs de vélos mécaniques pédalent en moyenne 3,2 km, ceux en vélo électrique poussent jusqu’à 3 ,7 km) que sur la volonté de ne pas arriver à destination tout transpirant ou par la crainte de peiner face à une côte trop raide.
« Aujourd’hui, les villes estiment que les vélos électriques sont générateurs de report modal. Alors que les cyclistes sont plutôt des utilisateurs de transports publics et comptent seulement 15 % des automobilistes, ce taux peut monter à 30 %, voire à 40 % quand ils ont accès à des vélos électriques« , affirme Benoit Yameundjeu.
Selon lui, l’activité de Smoove-Zoov est structurellement rentable du point de vue marginal. Mais comme ses coûts sont surtout dus à la recherche-développement (avec deux tiers des effectifs composés d’ingénieurs, de développeurs…), il faut vendre beaucoup pour couvrir ces dépenses. « Nous serons rentables dès lors que l’activité sera redevenue normale« , résume Benoit Yameundjeu, en se bornant à indiquer que le chiffre d’affaires est de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros.
« Nous avons déjà la taille critique »
Même si la société exploite quelques systèmes de vélos en libre service qui restent modestes, comme par exemple à Toulouse ou sur le Plateau de Saclay où elle a déployé des vélos en free-floating, son objectif n’est pas de devenir exploitant mais de rester un fournisseur de système. « En exploitant ces services, nous cherchons simplement à tester nos innovations« , indique Smoove-Zoov. La société se positionne aussi depuis cette année sur la location en longue durée de vélos . « Le vélo en libre service est un service multi-modal qui complète le métro, plutôt pour le premier et le dernier kilomètre, tandis que la location longue durée répond plutôt à une demande de déplacement personnel. Nous répondons à ces deux demandes avec le même système, le même vélo, la même infrastructure logicielle. Ce sont deux services qui se complètent et sont possibles avec le même vélo. C’est ce que nous proposerons demain aux collectivités« . Les collectivités peuvent aussi disposer de plusieurs modèles de stations pour les vélos, comme des stations compactes ou éphémères qui sont géo-localisables.
Parmi les autres évolutions à venir, la société va changer de nom en mars et annoncera à ce moment-là un nouveau projet. Mais d’ores et déjà, affirme son PDG, « nous avons la taille critique pour évoluer sur notre marché« .
Marie-Hélène Poingt