

D’importantes pénalités
En raison de ses débuts compliqués, Vélib’ a dû verser des dizaines de millions d’euros de pénalités. Une sanction financière justifiée, selon Stéphane Volant, puisque le service n’était pas au rendez-vous. Mais qui empêchera les actionnaires de Smovengo de rentrer dans leurs frais à la fin du contrat. Aujourd’hui, l’entreprise équilibre ses comptes et continue à payer des pénalités, mais les montants sont moins importants car le service s’améliore et les modalités de calculs sont jugées plus justes. La société Smovengo a désormais dix ans devant elle (date d’échéance du contrat) pour démontrer que son modèle économique lui permet de dégager de la valeur, d’investir dans la qualité de service, de partager les bénéfices avec ses salariés et de faire remonter des dividendes aux actionnaires. Avec, si possible, « un partage du succès à hauteur d’un tiers chacun », espère le président.
Un audit commandé par le SAVM, et attendu dans les prochaines semaines, devrait tracer de nouvelles perspectives pour Smovengo. Mais avant même de connaître ses conclusions, Stéphane Volant estime que le succès est au rendez-vous. Et le démontre par les chiffres. 45 millions de courses ont été enregistrées en 2022, soit 12 % de plus que l’année précédente. Les vélos partagés ont permis de parcourir 140 millions de km, en hausse de 20%, dont 62% réalisés en vélo électrique. Chaque jour, 62 000 utilisateurs enfourchent un Vélib’, soit 24 % de plus qu’en 2021. L’an passé Smovengo a comptabilisé 765 000 utilisateurs, dont 380 000 abonnés. « Il n’y a pas de système aussi performant que le nôtre en France ou dans le monde. Nous sommes au rendez-vous des attentes des Parisiens, puisque le nombre d’abonnements augmente et que nous avons de plus en plus de clients et d’usages », en déduit Stéphane Volant.
A titre de comparaison, le patron de Vélib’ évoque le système de vélos partagés de New York, Citi Bike, qui, « avec autant de vélos fait deux fois moins de courses. Ce qui ne les empêche pas de s’apprêter à doubler leur flotte pour répondre à la demande exponentielle », précise-t-il. Smovengo prévoit également d’augmenter son parc de vélos, en consacrant 20 millions d’euros pour se doter de 10 000 cycles supplémentaires. Un investissement qui se fera en tandem avec Paris Métropole, qui prévoit de financer de nouvelles stations et des bornettes, indissociables pour monter en puissance.
“ A mon arrivée, Smovengo était dans une situation où, plus il y avait de vélos en circulation, plus nous perdions d’argent ” Stéphane Volant
De nombreuses pannes
« En acquérant ces vélos, nous serons à même de proposer véritablement, 3000 bicyclettes de plus en circulation, lors des JO de 2024 et faire ainsi le plein du système Vélib’ prévu à son contrat », explique Stéphane Volant. Car les Vélib’ sont souvent immobilisés pour réparation. Vendus pour être utilisés 6 à 7 fois par jour, ils le sont 3 à 4 fois plus. Cet usage intensif explique une usure accélérée des pneus et des freins, qui nuit à la qualité de service. Les équipes de Smovengo s’efforcent de les réparer sur place et ne les envoient en atelier que lorsque que c’est indispensable. Pour limiter leur immobilisation, les rotations pour grosses réparations en atelier sont passées de 24 à 48 heures, contre 72, il y a encore quelques mois. Stéphane Volant regrette qu’il n’existe pas de filière française (sauf pour des niches haut de gamme). Les constructeurs se trouvent en Asie. Ce qui pose le problème d’approvisionnement des pièces détachées, qui mettent 15 à 18 mois pour parvenir jusqu’ici. Pour tenter de limiter sa dépendance à l’Asie, Smovengo joue la carte de l’économie circulaire en réutilisant des pièces récupérées sur des vélos hors service pour construire de nouvelles bicyclettes. « Sur les 10 000 vélos supplémentaires prévus, 1000 seront fabriqués à partir d’engins hors service», indique le président de Smovengo.
Une clientèle hétérogène
« Nos clients représentent toute la palette de la population parisienne et métropolitaine. L’utilisateur moyen ressemble aux habitants de la métropole. Nous avons de plus en plus de femmes qui circulent, majoritairement sur des vélos mécaniques et ne renoncent pas à pédaler les jours d’intempéries. Et si les déplacements de Vélib’ 1 se faisaient entre arrondissements et en vélo mécanique uniquement, désormais nos clients traversent le périphérique et prennent goût au vélo électrique. Les distances parcourues s’allongent en mécanique, comme en électrique », rapporte-t-il, fier du succès populaire du vélo partagé.
« Vélib’ n’est pas un service élitiste, puisque notre abonnement le plus bas est à 1,55 euros par mois, tandis que la formule la plus onéreuse, Vmax, ne revient qu’à 8,30 euros mensuel ». Et comme ces abonnés utilisent de plus en plus leur abonnement, le dirigeant se dit favorable à un tarif Vmax Plus, qui prendrait davantage en compte l’utilisation réelle, de manière à être plus juste et à faire payer en fonction du nombre de courses réalisées. Stéphane Volant insiste aussi sur la nécessité de conserver une offre accessible aux plus modestes, afin de leur offrir une solution pour se déplacer à très bas prix. La politique tarifaire de Vélib’ ne dépend de pas de Smovengo. Les prix sont décidés par le SAVM et subventionnés à hauteur de 60 % par la métropole. Les utilisateurs ne payent que 40 % du coût du service.
Un succès qui frise souvent la surchauffe
Si le taux de satisfaction du Vélib’ progresse de 0,5 point par an et atteint désormais 50 %, il reste autant d’insatisfaits. « Il reste une marche à monter pour améliorer la qualité de service et satisfaire ses clients », reconnaît Stéphane Volant. « J’aimerais qu’on puisse bâtir son agenda avec Vélib’ comme on peut le faire avec la RATP : c’est-à-dire en ayant la certitude en temps réel de trouver un vélo en état de marche dans la station Vélib’ la plus proche. Nous n’y sommes pas encore, notamment aux heures de pointe. Mais nous y allons», assure-t-il.
Reste toutefois un autre défi à relever : la majorité des besoins se concentre sur quelques heures. En effet, Vélib’ compte 380 000 abonnés pour une flotte de 20 000 vélos. 10 % des besoins des utilisations ont lieu aux heures de pointes. « Nous gérons de la frustration », reconnaît Stéphane Volant qui ne peut que constater qu’à certaines heures, le système est en surchauffe, même si Smovengo s’efforce de réguler le trafic, en procédant à des ajustements. « Nous savons de mieux en mieux quels sont les besoins de nos clients, d’où ils partent, où ils vont, à quelle heure et là où il y a des déficits de bornettes, de stations et de vélos. Nous déclenchons donc les interventions de nos équipes pour corriger ce flux naturel et assurer une meilleure répartition. » Le système a des limites car des tests menés entre les 11e et 8e arrondissements ont mis en évidence qu’entre 8h et 10h en semaine, 700 vélos sortent de l’arrondissement de l’est parisien et autant entrent dans celui situé à l’ouest. « Pour réguler les déplacements sur ce créneau horaire, il faudrait 53 camions, à raison de 13 cycles par véhicule. A Paris, le déséquilibre est de l’ordre de 2000 à 3000 vélos et ce sont 230 camions qu’il faudrait pour déplacer les vélos afin de régulariser la situation. Cela n’a pas de sens », indique le dirigeant qui plaide pour davantage d’achats de vélos et d’installations de bornettes dans les stations. Les 60 communes de la métropole se sont engagées à ajouter 1700 bornettes, le président de Smovengo rêve d’un système avec 40 000 vélos.
Se préparer pour les JO
Lorsque Paris accueillera les JO en 2024, il devra se contenter de 20 000 Vélib’. Toutefois des stations éphémères humanisées pourraient être mises en place à proximité des lieux où se tiendront les compétitions olympiques, comme cela se fait déjà lors d’évènements exceptionnels, par exemple au moment du tournoi de Roland Garros ou lors du festival Solidays. « Un test sera fait lors de la Coupe du monde de rugby, afin d’estimer les besoins et les coûts», précise Stéphane Volant.
Le patron de Smovengo réfléchit à la mise en place de hubs de transport bas carbone en villes. Autrement dit, « des stations électrifiées où il serait possible de recharger sa trottinette, sa batterie de vélo propriétaire, avec un standard pour pouvoir accéder aux prises des bus et où on pourrait accueillir des voitures électriques. Sur ces hubs, Vélib’ pourrait mettre à profit les compétences de ses 500 salariés pour proposer des micros ateliers où l’on pourrait regonfler des pneus, changer des freins ou faire du gardiennage de vélos propriétaires et de véhicules électriques », détaille-t-il.
L’importance du lobbying
Stéphane Volant évoque l’urgence à développer le vélo partagé, mode de transport « écologique, démocratique et économique » et encourage à monter au créneau pour le défendre. «Il faut qu’une filière vélo continue à se développer. Un lobbying en faveur du vélo doit émerger dans ce pays. L’automobile et l’avion savent donner de la voix. Il faut mettre plus d’énergie dans une activité militante, de manière à pousser cette mobilité douce et partagée, comme nous le faisons chez Smovengo.» La tâche est n’est pas simple, alors que les secteurs de l’aérien et de l’industrie automobile bénéficient de milliards pour se réinventer, la filière vélo doit se contenter de millions, bien qu’il existe des besoins colossaux d’aménagement. « Nous avons besoin d’une grande politique d’infrastructures et de disposer de véritables pistes cyclables. Ce qui nécessite des investissements lourds pour donner au vélo la place qu’il mérite en France », souligne Stéphane Volant. Selon lui, « pouvoir utiliser un vélo partagé électrique sur tout le territoire, pour moins de 10 euros par mois peut être un moyen de permettre aux personnes éloignées de s’arrimer à bas coûts aux services essentiels des villes ».
La Métropole de Marseille a lancé un nouveau service de vélos électriques en libre-service et sera regardé de près par les grosses métropoles alentours, estime-t-il. « Elle pourrait, par capillarité, irriguer la région plus vite et mieux que d’autres ». En revanche, poursuit-il, une ville comme Lyon propose une offre très en deçà des besoins, avec seulement quelques centaines de vélos en libre accès et un service expérimental d’une vingtaine de vélos cargo à assistance électrique en libre-service.
Jouer la carte de l’intermodalité
La nécessité d’arrimer les vélos partagés aux différents modes de transport est un autre impératif. « Je regrette que certains opérateurs de transport se vivent encore en concurrence avec les autres modes ». Lorsqu’il était à la SNCF, il se souvient du peu de considération affiché pour les vélos. « Lorsque les TER ont été conçus, les deux roues étaient considérés comme un embarras. On n’en voulait ni dans les trains, ni dans les gares. Et comme les élus ne réclamaient pas de vélos, la direction n’était pas encouragée à modifier sa stratégie. Les temps ont changé, mais on ne va pas encore assez loin pour faciliter l’intermodalité ». Pour appuyer sur l’accélérateur, il faudrait bénéficier d’une cartographie de toutes les infrastructures et modes de transport existants et se voir proposer un service de MaaS (mobility as a service) intégrant tous les moyens de déplacements, marche, vélo, RER, avion…, les connecter et permettre de voyager avec un seul billet, tout en reversant son dû à chaque opérateur. « On en est encore loin, car on ne connecte pas encore tous les modes de transport et on se jalouse… », déplore Stéphane Volant, qui assure ne pas se sentir en compétition avec le service Véligo de location de longue durée de cycles, mis en place par Île-de-France Mobilités. « Beaucoup de mes abonnés en sont également clients, ou utilisent des services de trottinette ou une voiture ».
Pour un meilleur usage des mobilités douces dans la capitale et faire baisser le nombre d’accidents de la route, dont les piétons, cyclistes et utilisateurs de trottinettes sont les premières victimes, Stéphane Volant plaide pour plus de pédagogie et se dit favorable à l’enseignement du code de la rue dans les écoles. Mais il rappelle aussi que beaucoup d’accidents sont liés à des voieries défaillantes.

Des hausses de tarifs mi-mai
L’abonnement V-Max de Vélib’ passera de 8,30 à 9,30 euros mensuel en mai, soit une hausse de 12 % pour ce forfait qui inclut deux trajets par jour. Comme les courses à vélo électrique hors forfait augmenteront de un euro, les abonnés V-Max les paieront deux euros, au lieu d’un aujourd’hui pour tout trajet supplémentaire. La demi-heure supplémentaire de VAE, au-delà des 45 minutes incluses, passera elle aussi à deux euros. Le pass 24 heures et le pass trois jours électrique n’incluront plus que cinq trajets, au lieu de six, par tranche de 24h. Les autres formules restent inchangées. Des hausses justifiées par le Syndicat Autolib’ Vélib’ Métropole par le contexte inflationniste et par la volonté d’assurer un meilleur partage des Vélib’ à assistance électrique, dont l’utilisation intensive reste concentrée sur un faible nombre d’abonnés.
En 2021, Vélib’ avait déjà avait mis fin aux courses illimitées à vélo électrique, pour freiner leur sur utilisation par des livreurs, coûteuse en termes de maintenance.
Valérie Chrzavzez













