« Le président de la République nous a fixé un objectif, celui de faire en sorte qu'à Belfort les activités ferroviaires d'Alstom soient maintenues », a déclaré le ministre de l'Economie Michel Sapin sur le perron de l'Elysée ce lundi. C’est monté très vite. La réunion interministérielle de ce matin, à l’Elysée, présidée par François Hollande, a été le climax de la nouvelle affaire Alstom. Affaire déclenchée mercredi 7, avec l’annonce de la fin de l’usine de Belfort, berceau du groupe. Politisation du dossier ? En fait, le dossier a toujours été politique et, en pleine précampagne présidentielle, le retentissement était garanti.
C’est lors de l’European Works Forum (EWF), instance réunissant les salariés européens du groupe, qui se tenait le 7 septembre à Reichshoffen, que l’information concernant Belfort a été communiquée. Alain Courau, directeur de Belfort, a ensuite réuni les OS du site. Ont suivi sans tarder des lettres de Fabienne Keller (sénatrice du Bas Rhin) et de 12 autres élus, ou de Louis Nègre (président de la FIF). Et une demande d’explication de Bercy dès le lendemain de l’annonce.
Mais, tout de suite, on a changé de dimension. Nicolas Sarkozy accuse Emmanuel Macron de n’avoir « rien fait » pour Alstom, Emmanuel Macron considère que « la décision qui a été prise et le calendrier ne sont pas acceptables », Arnaud Montebourg dénonce une mesure « inacceptable », fruit du « laisser-faire ». Manuel Valls, lui aussi, juge la « méthode inacceptable » et déclare : « Nous avons déjà sauvé Alstom et nous pouvons encore sauver Alstom, à condition que les dirigeants jouent pleinement leur rôle. »
Mais s’agit-il de sauver Alstom ? Alstom aujourd’hui se porte plutôt bien et, depuis l’opération avec GE, le groupe, désendetté, fait même figure de pôle possible d’une consolidation de l’industrie ferroviaire européenne face au géant chinois CRRC. La question, c’est la situation des douze sites hexagonaux. En France, Alstom réalise 20 % de son activité par destination, 30 % par origine. En France, comme à peu près partout, il dépend essentiellement des commandes publiques. Or celles-ci déclinent. On connaît l’histoire : fin du « tout-TGV », déclin du fret, fossé considérable entre la commande-cadre des Régiolis (comme des Regio 2N de Bombardier) et les commandes réellement passées, remise en question du modèle TET. S’agissant de Belfort, spécialisé dans les motrices et les locomotives, le peu d’empressement de la SNCF à commander la nouvelle génération de TGV fragilise depuis longtemps le site. Le coup de grâce serait venu de la commande passée cet été par Akiem, filiale de la SNCF et d'un fonds d'investissement de la Deutsche Bank , à Vossloh (avec le français Socofer), et non à Alstom, de 44 locomotives thermiques pour les besoins de SNCF Réseau. 44 locomotives qui auraient redonné de la visibilité au site pour plus d’un an.
Sur la forme de l’annonce, Christophe Sirugue, secrétaire d’Etat à l’Industrie, dans Le Parisien, s’étonne de ne pas avoir reçu de coup de téléphone. De fait, selon Le Monde, ce n’est que l’avant-veille qu’un représentant de l’Etat au CA a été informé de la volonté de fermer le site. Certes. Mais en octobre 2014, Patrick Kron, alors PDG, avait parlé de menaces pesant sur Belfort et concernant 400 emplois. La Fédération des industries ferroviaires n’a cessé depuis d’alerter sur la situation difficile de sites d’Alstom, notamment Belfort. L’Etat, qui a 20 % des droits de vote et a deux représentants au CA d’Alstom est parfaitement informé de la situation du groupe. « Que font les ministres ? », s’étonne donc Arnaud Montebourg ce matin sur France Inter.
Que peuvent-ils faire ? L’essentiel du CA est réalisé hors France. La demande de localisation dans la plupart des commandes est quasi générale. Aux Etats Unis, pour la commande qui vient d’être remportée par Alstom de trains à grande vitesse, mais aussi pour les locomotives en Inde (commande remportée par Alstom en 2015) ou les trains de voyageurs en Afrique du Sud (2014), comme pour la commande cadre des tramways d’Algérie. De même, l’accord avec Transmassholding (TMH) permet au groupe d’être présent sur le marché russe et de la CEI.
Cela dit, si les commandes massives doivent être pour l’essentiel produites localement, ce n’est en général pas le cas des premiers éléments. Or, Alstom a fait le choix de fabriquer dans son site de Lapa, au Brésil, les vingt premiers trains sur 600 X’Trapolis commandés par Prasa (Afrique du Sud), commande de 4 milliards d’euros de 2014, et a décidé de construire intégralement la commande récemment remportée de 79 trains destinés aux NS (800 millions d’euros, Pays-Bas) à Katowice (en Pologne), site où est aussi construite la part des métros de Riyad commandés à Alstom.
D’autres choix de fabrication auraient pu réduire l’impact du fléchissement ferroviaire hexagonal. Pas le compenser intégralement. Et la marge est réduite. Les coûts de Katowice ne sont pas ceux d’une usine française. Pas facile de passer à l’international avec les coûts de production français. A l’avenir cependant, des commandes françaises peuvent être espérées pour les sites français. Le gouvernement vient de confirmer la commande 30 Coradia 160 pour les TET, annoncée en février par Alain Vidalies. On attend la décision, en 2017, sur les premières rames du métro du Grand Paris. Alstom est candidat. Quant aux premiers trains de la nouvelle génération de TGV, annoncée le 7 septembre aussi, ils arriveront en 2022. C’est le fleuron de Belfort. Mais 2022, c’est bien tard pour le site historique.
En fait, la grande échéance, c’est le RER 2N NG, qui doit être attribué avant la fin de l’année, le choix du « preferred bidder » pouvant avoir lieu très prochainement. La commande, de 71 rames ferme, soit environ 1,4 milliard d’euros, et pouvant porter jusqu’à 200 rames, soit environ 4 milliards, est en cours de jugement. Elle doit revenir soit à CAF, qu’on dit bien placé, soit au consortium Alstom-Bombardier. Le choix du « preferred bidder » est attendu L’avenir des sites de Valenciennes, pour Alstom, et de Crespin, pour Bombardier, dépendent en grande partie de la décision. L’annonce faite à Belfort pourrait peser très lourd sur le choix.
F. D.
Le plan annoncé le 7 septembre
Selon le plan initialement présenté par Alstom, l’ingénierie et la production jusqu’à présent faites à Belfort ne disparaîtraient pas, mais seraient transférés à Reichshoffen. Ce transfert concernerait 400 des 500 emplois de ce site. Une mesure prise, selon la direction, pour anticiper une chute d’activité de l’ordre de 30 % pour l’ensemble de l’activité d’ici 2018. A cette échéance, le transfert devrait être complet, chaque salarié concerné ayant entre-temps reçu une proposition d’emploi dans un des onze autres sites Alstom en France. Seraient toutefois maintenues à Belfort les activités de service, qui couvrent en particulier la maintenance des parcs de locomotives des opérateurs de fret privés.