
2023, année charnière pour la décarbonation des poids lourds, estime Transport & Environment (T&E), qui attend pour ce début 2023 la proposition européenne de révision de la réglementation sur les émissions de CO2 pour les véhicules lourds.« Les émissions de gaz à effet de serre (GES) des poids lourds ont représenté 23,4 % des émissions du transport routier en France, en 2020, alors qu’ils ne constituent que 1 % des véhicules en circulation », rappelle cette organisation non gouvernementale (ONG) européenne, qui a publié début décembre 2022 une étude à ce sujet.
Les normes européennes actuelles imposent aux constructeurs « de réduire les émissions des nouveaux poids lourds de 15 % à partir de 2025, et de 30 % à partir de 2030, par rapport aux niveaux de 2019 », indique Transport & Environment. L’objectif européen est d’atteindre le zéro émission à partir de 2050. Les objectifs se déclinent aussi dans la législation française, dans la loi Climat énergie de 2021 et dans la Stratégie nationale bas carbone en cours de révision depuis 2022.
18 ans de durée de vie
Dans une précédente étude, l’ONG modélisait la fin de la vente de moteurs thermiques en trois scénarios. « 2030 serait la meilleure option pour le climat, mais les réductions requises seraient draconiennes, et ne pourraient être atteintes sans perturbations majeures. 2035 est la dernière échéance possible pour mettre fin à la vente de camions thermiques neufs si l’on veut que le fret routier soit décarboné d’ici 2050 ». Ce deuxième scénario « permettrait la mise en circulation de 659 000 camions zéro émission sur les routes européennes d’ici 2030 ». Si la fin des ventes de thermiques était fixée à 2040, ce serait déjà trop tard, dit T&E, notamment en raison de « la durée de vie moyenne des véhicules de 18 ans en Europe ».
En France, on compte plus de 500 000 véhicules (307 400 camions et 219 800 tracteurs routiers pour semi-remorques) transportant des marchandises qui roulent, pour la quasi totalité, au diesel (99,3 %). 89,1 % du transport intérieur de marchandises y est assuré par la route (chiffres 2018 – Insee).
Pour T&E, la solution de la décarbonation se trouve dans le passage à l’électrique. « L’empreinte carbone du camion électrique est dix fois inférieure à celle d’un camion diesel sur l’ensemble de son cycle de vie », souligne l’étude qui prend pour exemple un camion de 40 tonnes doté d’une autonomie de 800 km pour des trajets longue distance (1,6 million de km pour une durée de vie de 18,4 années). « Au total, ce camion émet environ 250 tonnes en équivalent CO2 (tCO2e) durant toute sa vie, alors qu’un camion diesel émet environ 1900 tCO2e. Cela représente un gain d’environ 1650 tCO2e ».
L’intérêt relatif de l’hydrogène et du biométhane
L’étude de T&E analyse aussi d’autres énergies alternatives. Mais c’est pour mieux les écarter. « L’analyse du cycle de vie effectuée par la Commission européenne montre en effet que les camions fonctionnant au gaz fossile liquéfié (GNL) ne réduisent pas les émissions de GES par rapport au diesel ». Le constructeur Renault Trucks fait le même constat : « un camion qui roule au gaz (GNV) aura une empreinte équivalente au diesel (- 2%) ». Pour les carburants de synthèse, c’est le facteur prix et leur prix élevé qui jouent en leur défaveur. « L’e-fuel, coûtera en effet 47 % plus cher que pour un camion électrique à batterie ». Le biodiesel contraint d’utiliser des terres cultivables pour le produire. « Au total, en 2021, la France a consommé 7,4 millions de bouteilles d’huile de colza et de tournesol, par jour, pour les biocarburants, une quantité plus de trois fois supérieure à celle des huiles utilisées pour l’alimentation ».
Seules deux technologies présentent un intérêt pour la réduction des GES, selon l’ONG : l’hydrogène et le biométhane. Mais T&E insiste sur le fait que « l’hydrogène est une énergie à faible rendement (un véhicule hydrogène nécessite 3 fois plus d’énergie qu’un véhicule à batterie) », qu’il devra « être “vert“, produit à base d’énergies renouvelables » et que c’est une « technologie moins mature que l’électrique qui arrivera tard. Quant au biométhane, biogaz ou bio GNV, produit à parti de déchets agricoles ou ménagers, ses capacités de production sont limitées […]. Une demande supplémentaire de la part du secteur des transports créerait de fait une concurrence accrue entre usages ».
En cherchant à promouvoir des camions électriques, T&E suppose un rapatriement de la fabrication des batteries en Europe. L’ONG s’appuie, sur les annonces de construction d’usines de cellules de batteries « pour produire 100 % de la demande à partir de 2027 ».
La question de la recharge représente aussi un enjeu important. « Avec le règlement sur l’infrastructure pour les carburants de substitution (AFIR), la Commission européenne a proposé des objectifs contraignants pour le déploiement d’un premier réseau de stations de recharge pour camions à travers l’Europe d’ici 2025 (tous les 60 km le long des principales autoroutes) ».
Malgré le coût d’acquisition élevé du véhicule électrique, T&E rappelle qu’il «n’est qu’une partie du coût total de possession (TCO) et qu’il importe de tenir compte du coût de carburant et d’entretien ». Les camions électriques à batterie, « seront en mesure d’atteindre un coût total de possession inférieur dans tous les cas d’utilisation du fret au fil du temps ». Comme ils « parcourent plus d’un million de kilomètres au cours de leur durée de vie, les coûts d’exploitation tels que l’électricité et le carburant ainsi que la maintenance ont un impact négatif sur le TCO car ils augmentent avec le kilométrage ».
Quant à l’autonomie, « à très court terme, d’ici 2023, les principaux constructeurs européens annoncent le lancement de modèles de camions 16 ou 26 t., doté d’une capacité de batterie allant de 250 à 400 kWh, soit d’une autonomie de 200 à 350 km », puis « dès 2025, […] des camions électrique de 400-500 km d’autonomie, et avec une capacité de charge rapide adaptée au temps de pauses des conducteurs » Cette autonomie semble suffisante au regard des besoins. « Selon TNO (The Netherlands organization for research, l’Organisation néerlandaise de recherche scientifique appliquée, ndlr), les camions rigides avec remorques montées en permanence […] parcourent 286 km par jour en moyenne en Europe, […] les tracteurs avec remorques articulées […] 530 km ». La très grande autonomie des poids lourds diesels offertes par leurs réservoirs n’est donc pas nécessaire compte tenu de leur utilisation.
Reste à savoir si des camions électriques seront disponibles à temps. Certes, « en 2022, l’offre de camions électriques demeure limitée », reconnaît Transport & Environment. Mais elle est « amenée à s’étoffer rapidement, d’ici 2, 5 et 10 ans ». S’appuyant sur les propositions commerciales des constructeurs, l’étude « estime que de 4 à 9 % des ventes totales de camions seront à zéro émission en 2025, ce chiffre passant entre 42 et 48 % en moyenne d’ici 2030 et à 60 % pour certains constructeurs ».
Yann Goubin








