Le Connecting Europe Express, ce train qui avait traversé l’année dernière 26 pays européens et parcouru 20 000 km, se voulait le symbole de l’année européenne du rail lancée par Bruxelles. Mais il avait aussi mis en lumière le manque d’harmonisation ferroviaire sur le continent, obligeant les organisateurs à un travail complexe, notamment à changer trois fois de train pour boucler le périple.
Pour favoriser les échanges européens par rail, la Commission européenne souhaite désormais que les nouvelles lignes de chemin de fer soient construites en adoptant l’écartement standard de 1,435 mètre. Dans le cadre de la révision son programme de construction des corridors transeuropéens (TEN-T), elle a aussi proposé fin juillet, que les lignes déjà existantes de ces corridors soient adaptés à cet écartement, appelé à devenir la norme sur tout le continent.
Ce n’est pas le périple européen de l’an dernier qui l’a poussée à proposer cette évolution mais l’agression de la Russie contre l’Ukraine, qui a redéfini le paysage géopolitique. Selon une de ses porte-parole, « les principaux impacts sur les marchés mondiaux, tels que la sécurité alimentaire mondiale, ont souligné que le marché intérieur et le réseau de transport de l’Union ne peuvent être considérés de manière isolés. De meilleures connexions avec les pays partenaires voisins de l’UE sont plus que jamais nécessaires« .
En présentant cette proposition fin juillet, Adina Vălean, commissaire chargée des transports, avait déclaré : « En étendant quatre corridors de transport européens au territoire de l’Ukraine et de la Moldavie – y compris les ports de Marioupol et d’Odessa – la proposition d’aujourd’hui contribuera à améliorer la connectivité des transports de ces deux pays avec l’UE, à faciliter les échanges économiques et à améliorer connexions pour les personnes et les entreprises. Ces corridors seront également une priorité clé dans la reconstruction de l’infrastructure de transport de l’Ukraine une fois la guerre terminée. Nos efforts pour faciliter l’exportation de céréales d’Ukraine via les « voies de solidarité » ont également démontré l’importance de l’interopérabilité dans le système de transport, renforçant la nécessité d’accroître la convergence au sein du réseau de l’UE, de le rendre plus résilient et de renforcer le marché intérieur ».
La Russie et la Biélorussie supprimées de la carte du réseau transeuropéen
Compte tenu de la guerre menée par la Russie en Ukraine et de la position adoptée par la Biélorussie dans ce conflit, la coopération avec la Russie et la Biélorussie dans le domaine des transports n’est plus considérée comme appropriée. La proposition supprime donc la Russie et la Biélorussie des cartes du réseau de transport transeuropéen.
Il est donc proposé, pour tous les États de l’Union disposant d’une connexion ferroviaire terrestre avec d’autres États membres, d’inclure une obligation de développer toutes les nouvelles lignes ferroviaires TEN-T avec un écartement nominal des voies normalisé européen de 1 435 mm et également d’élaborer un plan de migration vers cet écartement nominal des voies standard européen pour toutes les lignes existantes des corridors de transport européens.
Rappelons que la grande majorité des chemins de fer européens ont adopté l’écartement de 1 435 mm et qu’en 1922, lors de la création de l’Union internationale des chemins de fer (UIC), l’écartement de 1 435 mm a été adopté comme « écartement standard ». Mais plusieurs États membres ont un réseau ferroviaire avec un écartement nominal des voies différent : ce sont l’Irlande mais le pays est isolé (écartement 1 600 mm), la Finlande (écartement 1 524 mm), l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie (écartement 1 520 mm) ainsi que le Portugal et l’Espagne (écartement 1 668 mm).
Un travail colossal et coûteux
La Commission européenne n’a pas évalué financièrement son projet, laissant simplement entendre que des subventions seraient possibles au nom des barrières à l’interopérabilité. Mais pour l’expert ferroviaire Olivier Cazier, la proposition de Bruxelles est avant tout politique car sur le plan pratique, elle s’avère très compliquée, lourde et onéreuse à mettre en place. Sauf à reconstruire complètement un réseau. Selon lui, la solution la plus simple, mais pas toujours possible, passe par l’installation d’un troisième rail. Car il faut qu’il y ait de la place : ce n’est pas possible pour les réseaux à écartement de type russe mais c’est ce qui a été fait en Espagne, sur quelques lignes qui sont ainsi interopérables. « Cette solution est techniquement relativement facile pour un coût pas trop élevé« , souligne-t-il .
Ces propositions doivent être discutées par les Etats et les euro-députés ce mois-ci. Lorsque le nouveau porgramme TEN-T sera adopté, les Etats concernés auront deux ans pour présenter à Bruxelles un plan de conversion. Ils auront « une marge d’appréciation » et pourront décider du calendrier, selon la Commission. Mais ils devront justifier d’un éventuel refus, analyse socio-économique à l’appui. « L’objectif à long terme est de créer un réseau européen unifié« , dit le texte européen.
MH P
Un héritage de l’Empire russe
Les écartements en vigueur en Finlande et dans les pays baltes, qui ont plusieurs points de contact avec la Russie actuelle, sont un héritage de l’Empire russe (1524 et 1520 mm sont originalement – et en pratique – le même écartement, mais on a officiellement enlevé 4 mm du temps de l’URSS). La Finlande n’a en fait qu’un point de contact avec le reste de l’UE (la Suède) et pour les pays baltes, la Lituanie communique avec la Pologne. Pour mieux arrimer les pays baltes au reste de l’UE, la ligne nouvelle Rail Baltica, orientée nord-sud entre l’Estonie et la Pologne via la Lettonie et la Lituanie, sera à voie normale.
Quelles solutions pour passer les frontières?
Lorsque deux réseaux ferrés ne sont pas interopérables, on peut transborder les conteneurs d’un train à un autre dans les gares où le changement d’écartement a lieu (exemple : trains Chine – Europe via les réseaux à voie large).
Dans la même logique, une correspondance peut être organisée pour les voyageurs entre trains d’écartement différents (comme à Villefranche-de-Conflent entre les TER venus de Perpignan et le Train jaune, à écartement métrique).
Pour les trains classiques, de voyageurs en particulier, on peut recourir à une autre solution : les caisses des voitures sont soulevées et les bogies sont échangés (c’était le cas des trains de nuit Paris – Moscou, quand il y en avait, à la frontière Pologne – Biélorussie).
Citons aussi les trains à écartement variable, spécialité de Talgo, mais qui n’en a plus le monopole (par exemple les trains de nuit Paris – Madrid, avant leur suppression, ou certains trains à grande vitesse espagnols qui continuent sur réseau classique).
Enfin, pour régler le problème, quand c’est possible, on peut envisager la pose d’un troisième rail (avec l’écartement espagnol) ou de quatre files de rails (avec l’écartement russe).
P. L.