C’est l’heure du délibéré après le long procès qui s’est tenu durant 8 semaines sur la catastrophe ferroviaire de Brétigny (le déraillement, suite à un désassemblage d’une éclisse, d’un Intercité le 12 juillet 2013 qui a causé la mort de 7 personnes et en a blessé plus de 200 autres) et après la dernière plaidoirie de la défense.
Aujourd’hui, en effet, l’avocat de la SNCF, Emmanuel Marsigny, a pris la parole pour tenter de convaincre les juges que la SNCF n’est pas responsable de l’accident contrairement à ce qu’a affirmé la veille le procureur. Celui-ci a tenu des mots très durs à l’encontre de la compagnie nationale et a demandé une amende maximale de 450 000 euros et sa condamnation pour blessures et homicides involontaires qui, même si elle « ne ramènera personne à la vie« , permettra de jeter «l’opprobre et le discrédit » sur l’entreprise publique. Parmi les carences listées par le procureur figurent le défaut de traçabilité documentaire, qui n’a pas permis de maintenir un niveau d’alerte suffisant sur l’appareil de voie incriminé, le manque d’anticipation pour le changer ou encore les vitesses de circulation des trains qui n’ont pas été réduites sur cette zone. Et de rappeler que, tout au long du procès, la SNCF a défendu la thèse d’un problème métallurgique indécelable, montrant, tacle le procureur, « une entreprise dans le déni« .
La SNCF, cette « vieille dame » qui fait partie du « patrimoine national » n’est « pas dans le déni« , a répondu son avocat, Emmanuel Marsigny. Mais elle a été « sans cesse caricaturée » , a-t-il poursuivi. « Selon les réquisitions, ce terrible accident ne serait pas le fruit du hasard, d’un événement imprévisible« , comme le défend la SNCF, « mais le résultat d’un certain nombre de fautes, (…), de dérives, que la SNCF n’aurait rien fait pour empêcher« . Pour le procureur, « d‘autres Brétigny auraient pu arriver » mais il n’y a pas eu d’autres Brétigny« , a relevé l’avocat en soulignant « l‘outrance d’un réquisitoire incapable de déterminer un scénario précis de l’accident« .
La SNCF a reconnu le vieillissement du réseau mais contesté avoir failli dans la maintenance. « La SNCF a-t-elle simplement le droit de se défendre face au banc de ces parties civiles, au banc de cette douleur que personne ne conteste? » a demandé l’avocat évoquant les plus de 200 parties civiles. « Ce n’est pas parce que la SNCF se lève en contestant la faute pénale qu’elle met en cause votre statut de victime ». Et d’ajouter : « Les victimes veulent des réponses et parfois elles ressentent de la haine. La haine doit-elle guider la main du juge?« . Réponse le 26 octobre.
MH P
La veille, les plaidoiries en faveur de RFF et du cheminot incriminé
Si le procureur a requis la condamnation de la SNCF (héritière pénale de l’Infra chargée de la maintenance des voies au moment des faits), il a en revanche demandé la relaxe pour les deux autres prévenus, SNCF Réseau car selon lui il manque des preuves de l’évidence de sa responsabilité, et pour Laurent Waton, seul cheminot sur le banc des accusés (ayant été le dernier a faire une tournée sur les lieux où s’est produit l’accident) car il a relevé des fautes « simples » mais pas une « faute caractérisée » pénalement. Le 16 janvier, leurs avocats ont plaidé en leur faveur.
RFF, une entreprise sous contrôle publique, qui n’assurait pas la maintenance
15 000 trains par jour, 11000 de voyageurs, 1,97 milliards de personnes transportés en 2013, 5,7 milliards de dépenses pour la maintenance du réseau…. Maître Antonin Lévy, l’avocat de SNCF Réseau a rappelé tous ces chiffres pour expliquer les missions du gestionnaire des infrastructures, qui s’appelait alors RFF et dont le fonctionnement est complexe. Il a aussi voulu démontrer que RFF ne pouvait être tenu pour responsable de l’accident du fait de ses missions, telles qu’elles étaient alors inscrites dans la loi : « aménagement du réseau, mise en valeur du réseau et mise en cohérence du réseau« . De plus, conformément à la loi, RFF confiait à la SNCF la mission de maintenir le réseau via SNCF Infra. « La SNCF était alors le gestionnaire d’infrastructure délégué car avec ses effectifs, RFF n’avait pas les moyens de le faire. Ou alors il aurait fallu transférer à RFF les effectifs de SNCF Infra, qui était en fait le gestionnaire d’infrastructure de plein exercice ». Ce qui est le cas aujourd’hui, les effectifs de l’Infra étant passés depuis chez SNCF Réseau.
Poursuivant sa plaidoirie, l’avocat de RFF a ensuite souligné que « le Pdg Jacques Rapoport n’avait pas le pouvoir de décider de construire telle ou telle LGV (…) Sur les 18 membres du conseil, douze étaient nommés par l’État, dont un commissaire du gouvernement. (…) Et, avant chaque CA, il y avait un pré-CA, sorte de délibérations entre les différents ministères de tutelles, les Transports et le Budget, si bien que, souvent, ces délibérations se terminait devant le Premier ministre ».
Sur la question des renoncements à des travaux demandés par RFF mais qui n’ont pas été réalisés, l’avocat explique qu’il s’agit le plus souvent de travaux non indispensables, comme ne pas peindre un bâtiment, même si c’était programmé. « Oui, des renoncements, il y en a eu à Brétigny. On a arrêté la surveillance d’une voie. Mais c’était sur une voie fermée à la circulation ! »
Faisant référence aux documents de SUD-Rail, mentionnés par les parties civiles, Antonin Lévy a constaté qu’ils faisaient état des conditions de travail des agents en général mais pas de Brétigny en particulier, et s’adressaient à la SNCF mais pas à RFF.
« Ce n’est pas au bénéfice du doute que je vous demande de ne pas condamner RFF mais parce que c’est le droit, rien que le droit », a conclu l’avocat.
Laurent Waton, un « homme sérieux et engagé »
“Je me sens comme un DPX qui a fait dérailler un train“. Cette réponse de Laurent Waton à une question posée peu après l’accident : “comment te sens-tu ?“ a été vue par certains comme un aveu de culpabilité. Mais c’est un aveu de responsabilité morale, a rétorqué Me Philippe Valent, soulignant à quel point son client avait été choqué par l’accident, et qu’il avait de la compassion pour les victimes. Il est aussi « extrêmement difficile de se défendre sans heurter les parties civiles pour lesquelles toute forme de défense est peut-être insupportable », a estimé l’avocat.
Philippe Valent a voulu souligner le « sérieux » de Laurent Waton. Ainsi, lorsqu’il a constaté des défauts sur la TJD 14/17, qui se trouvait non loin de l’accident, celle-ci a fait l’objet de travaux immédiats. Sous-entendu, s’il y avait eu des problèmes sur la TJD 6/9, ils les auraient vus et ils auraient été rapidement réparés.
Réagissant aux critiques formulées à l’encontre de Laurent Waton, à propos de la tournée effectuée seul, sans annonceur, ce qui aurait pu altérer sa vigilance, l’avocat a rappelé que si le règlement ne le permet aux agents de la voie, « les DPX, eux, y sont autorisés« .
L’avocat a aussi fait référence aux expertises judiciaires : « J’ai pu comprendre ce que Laurent Regnier [ndr : expert métallurgiste mandaté par les magistrats instructeurs] voulait dire lorsqu’il parlait de rupture du métal. Ce n’était pas désolidarisation complète de deux parties d’une pièce. » Il en a déduit que toutes les vis retenant les éclisses étaient en place au moment de l’accident.
Yann Goubin