En cherchant à forcer les lignes de la grande vitesse italienne et attaquer Trenitalia sur son pré carré, la SNCF rencontre un adversaire aussi coriace qu’elle quand il s’agit de défendre ses positions en France. Avec deux tiers des parts de marché la compagnie italienne défend les siennes, peut-être pas toujours à la loyale. C’est ce que n’est pas loin de penser l’Autorité italienne de la concurrence qui a ouvert le 21 mars une enquête pour abus de position dominante à l’encontre du groupe ferroviaire Ferrovie dello Stato (FS, maison mère de Trenitalia). Elle le soupçonne de ralentir l’entrée de son concurrent français SNCF Voyages Italia sur le marché de la grande vitesse transalpine.
« L’accès à l’infrastructure ferroviaire nationale et, par conséquent, l’entrée du nouvel opérateur SNCF Voyages Italia sur le marché du transport de passagers à grande vitesse semblent ralentis, voire entravés », explique l’autorité dans un communiqué. Dans son viseur, Rete Ferroviaria Italiana (RFI), le gestionnaire du réseau ferré et filiale de FS, soupçonné d’avoir mis en œuvre une « stratégie d’exclusion » dans « l’attribution des capacités d’infrastructure » à SNCF Voyages Italia. Le gendarme de la concurrence indique avoir mené une opération de visite et saisie dans les bureaux de RFI, de FS, de sa filiale Trenitalia ainsi que dans ceux de la compagnie de chemins de fer privée Italo, « considérés comme étant en possession d’éléments utiles à l’enquête ».
Le groupe ferroviaire italien a réagi en assurant dans un communiqué que ses sociétés « ont pleinement coopéré » avec l’Autorité de la concurrence et « auront l’occasion de démontrer la justesse de leur conduite au cours de la procédure ». De son côté, la SNCF que nous avons contactée n’a pas souhaité réagir.
« Comportement obstructif »
En juin 2024, la SNCF avait annoncé son intention d’élargir son offre en Italie à partir de 2026 avec l’ouverture de plusieurs liaisons intérieures sur la grande vitesse, envisageant d’atteindre 15% des parts de marché d’ici 2030. Avec neuf allers-retours par jour entre Turin, Milan, Rome et Naples et quatre allers-retours entre Turin et Venise, qu’elle exploitera grâce à 15 rames des nouveaux TGV M dont les premières livraisons sont prévues pour le second semestre 2025.
Dès juillet 2023, elle avait formulé une demande d’accord-cadre à RFI sur quinze ans, en vue de se voir attribuer des « capacités adéquates » sur le réseau à grande vitesse italien. Et s’était plaint que le gestionnaire du réseau ferré « ait eu un comportement obstructif » visant à « entraver l’accès à l’infrastructure ferroviaire », lit-on dans le rapport d’instruction du gendarme de la concurrence, que nous avons consulté. RFI aurait eu recours à des « critères de priorité » qui favoriseraient systématiquement les opérateurs historiques déjà présents sur le marché de la grande vitesse au détriment des nouveaux entrants », détaille le rapport.
L’Italie a été le premier pays européen à ouvrir son réseau ferroviaire à la concurrence dès 2004. Outre Trenitalia (qui a percé le marché de la grande vitesse en France fin 2021), la compagnie Italo fait aussi rouler des trains en Italie. Quant à la SNCF, elle n’opère actuellement que sur la ligne internationale Milan-Turin-Paris pour un chiffre d’affaires de 9,5 millions d’euros en 2023 et ne dessert pas d’autres destinations nationales.