Des voyageurs bloqués dans des rames ou des navettes de métro automatiques et qu’il faut évacuer par les tunnels, le long des voies : c’est l’un des scénarios catastrophes redoutés par la RATP. Cinq ans après la paralysie de la ligne automatique 1, en juillet 2018, lorsque 3 000 passagers avaient dû être ainsi évacués, rebelote le 14 juin dernier lors d’un incident « exceptionnel« , comme l’a qualifié Jean Castex, le pdg de la RATP. Survenu en début de soirée sur la ligne 4 du métro, également automatisée, des centaines de personnes sont restées coincées près de deux heures dans une rame sans climatisation, entre les stations Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse, suite à une panne encore inexpliquée. Avant d’être évacuées, dans le calme, le long des voies.
Le facteur humain
Sur les réseaux sociaux, certaines critiques de passagers victimes de la panne sont acerbes, et ne portent pas sur l’avarie mais sur les ratés de la prise en charge des voyageurs : le manque d’information sur la nature de la panne, le temps d’attente dans la navette à l’arrêt, l’absence d’accueil en station, à la sortie du tunnel, alors que les naufragés du métro étaient déshydratés. En cause, le protocole d’accompagnement des usagers dans une situation de crise comme celle-ci. Bref, la gestion humaine de l’incident.
« Le public accepte bien les métros automatiques, mais en cas d’incident de cette nature, les voyageurs sont devenus très exigeants. Tout se passe comme si les incidents d’exploitation d’une ligne de métro automatique devaient eux-mêmes être gérés avec la même souplesse apparente. La chaleur en ce jour de canicule a dû ajouter à leur angoisse. Mais il y a un temps incompressible nécessaire pour diagnostiquer avec exactitude la nature d’un incident, et ce temps est préalable à une remise en exploitation respectant toutes les conditions de sécurité des voyageurs et du personnel« , commente Jean-François Revah, psychosociologue qui travaille notamment avec la RATP et la SNCF sur le facteur humain et la transformation des métiers.
Et c’est justement la transformation des métiers, et « l’automatisation à tout crin » que dénonce Jean-Christophe Delprat, délégué FO à la RATP. Un métro automatique n’est pas un ascenseur horizontal, c’est un train avec des avaries sur la voie, sur la navette, les capteurs, des intrusions sur les voies, et tout cela nécessite du personnel qualifié. Il faudrait plusieurs agents de maîtrise polyvalents sur chaque secteur d’intervention [au nombre de sept sur la ligne 4], or il aujourd’hui, il n’y en a qu’un seul : ça ne suffit pas », juge le syndicaliste.
Polyvalents, ces agents travaillent dans les gares et sont chargés des équipes en station, de la surveillance des rames automatiques, des évacuations des passagers. Ils sont aussi habilités à prendre les manettes de la navette automatique. « Tout seul, ils ne savent plus où donner de la tête si les événements s’emballent, selon le délégué FO. Quand on supprime 200 conducteurs sur la ligne 4 en l’automatisant, on pourrait créer des postes d’agents de maîtrise polyvalents, plaide-t-il. Et Valérie Pécresse (patronne de la région et d’Ile-de-France mobilités, ndlr) a beau jeu de dénoncer la RATP, mais elle serre la vis dans les contrats avec les transporteurs, et par conséquent, la RATP réduit la voilure« .
Même son de cloche du côté de la CGT: « Un conducteur intervient dans les rames pour rassurer les voyageurs et décide d’un plan d’évacuation dans les délais les plus courts possible », décrit Christophe Cabos, conducteur sur la ligne 11 et delégué CGT. Sur les lignes automatiques, il y a un manque chronique de personnel, c’est criant pour les agents en station, et les leçons de l’incident de 2018 n’ont pas été tirées« , selon le syndicaliste.
Pour Agnès Ogier, directrice du réseau ferré à la RATP (métro et RER) citée dans Le Figaro, et qui a présenté ses «excuses» au nom de la régie, la situation sur la ligne 4 n’aurait pas été différente avec des conducteurs dans les rames. A l’heure où nous écrivions ces lignes, nous n’avions pas réussi à recueillir la réaction de la RATP concernant le présumé manque de personnel sur les lignes de métro automatique, pointé du doigt par les syndicats.
Pour Arnaud Bertrand, le président de l’association d’usagers Plus de Trains, les conséquences des incidents sur les lignes automatisées semblent pires que sur les lignes classiques, « avec des évacuations souvent plus difficiles à gérer parce qu’il n’existe pas d’agents dédiés à la gestion de crise et qui fournissent une information voyageurs claire et rassurante« . Pendant les JO de l’été 2024, en cas de situation très perturbée comme celle qu’ont vécu les passagers le 14 juin, cette information devra aussi être délivrée dans de nombreuses langues…
Nathalie Arensonas