Tout était prêt, mais la refonte du premier paquet ferroviaire n?a pas été adoptée comme prévu par la Commission européenne ce mois-ci. Il faudra attendre la mi-septembre. Simple report estival ? Un peu plus que cela, à en juger par les réactions provoquées par cette annonce. Le président de la commission Transports du Parlement européen s’en est franchement ému par écrit auprès du commissaire Siim Kallas. « Pour être franc, ce report est inacceptable », s’insurge Brian Simpson, par ailleurs auteur d’une résolution votée par le Parlement sur la refonte. L’eurodéputé socialiste britannique réclame une remise rapide à l’agenda, en affirmant que « c’est alors seulement que les dégâts infligés à notre relation pourront être réparés » ! A la SNCF, on se déclare également « extrêmement surpris ». L’opérateur ferroviaire souhaite que ce délai « fasse l’objet de la plus exigeante transparence et indépendance à l’égard de tous les groupes de pression quels qu’ils soient ».
Brian Simpson s’inquiète lui aussi d’éventuelles interférences. L’ordre de suspendre la refonte serait venu du cabinet de José-Manuel Barroso lui-même. Le président de la Commission européenne aurait subi de fortes pressions allemandes, en provenance directe de l’entourage de la chancelière Angela Merkel. Officiellement, l’étude d’impact accompagnant la nouvelle législation serait dans le collimateur. Elle aurait sous estimé les coûts des nouvelles mesures pour les opérateurs. « L’Europe ne veut pas juste réguler en clarifiant, elle veut introduire des nouveautés, ce qui risque d’entraîner des changements importants à l’intérieur des entreprises », plaide-t-on outre-Rhin. A Berlin, la refonte du premier paquet n’a jamais été très populaire. « Nous avons ouvert notre marché en 1994, nous sommes en avance : par exemple, notre régulateur fonctionne à plein régime et crée des obligations pour les entreprises, explique-t-on en Allemagne. Tout cela coûte beaucoup d’argent. Avant de réviser la législation, attendons que tout le monde en soit au même point. »
L’Allemagne s’inquiète pour son modèle intégré, même si la direction générale Move (qui a remplacé la DG Tren) n’a pas l’intention de revenir sur la manière dont doivent être séparées les fonctions essentielles entre opérateur et gestionnaire d’infrastructure – elle préfère attendre l’opinion de la Cour européenne de justice. La nouveauté est plutôt à chercher du côté des services annexes. Le nouveau texte définit les conditions dans lesquels leur accès sera assuré de manière équitable pour tous les opérateurs. En clair, si cette version est retenue, ils devront être installés dans une entité séparée de la circulation des trains. Ce qui contraindrait la plupart des compagnies historiques à procéder à des modifications à l’intérieur de leur structure. La Deutsche Bahn serait concernée, tout comme la SNCF.
Un nouveau front qui s’ouvre alors que la plupart des Etats sont déjà engagés dans la procédure d’infraction pour mauvaise application du premier paquet ferroviaire. La Commission européenne a récemment officiellement saisi la justice. Un combat parallèle qui n’est pas forcément du goût des capitales européennes mises en cause. « La logique d’ensemble des deux mouvements simultanés est assez difficile à voir, regrette-t-on à Paris. D’un côté, nous avons un texte que l’on révise parce qu’il a des insuffisances, et de l’autre c’est sur ce texte que l’on nous attaque. » Rien de nouveau ceci dit du côté des griefs faits aux Français : absence de régulateur, manque d’indépendance dans la tarification et problème de la présence de la direction de la circulation ferroviaire au sein de la SNCF. Des points sur lesquels Paris estime avoir avancé. « La nouvelle organisation, notamment à la DCF, date seulement de quelques semaines, il aurait peut-être fallu attendre un peu pour voir si cela fonctionne avant de lancer la procédure » regrettent les Français, pour qui la refonte du premier paquet devrait davantage s’inspirer des différentes solutions mises en œuvres par les Etats.
La Commission a donc avancé sur les infractions, tout en temporisant sur la refonte, au risque de paraître un peu incohérente. A Bruxelles, la plupart des observateurs veulent croire que le report ne sera qu’une formalité et que seule l’étude d’impact sera toilettée pour satisfaire les critiques. D’ailleurs, pour éviter que le corps de la nouvelle législation ne soit touché, la DG Move a déjà envoyé le texte à traduire dans toutes les langues de l’Union, ce qui rend tout changement plus fastidieux. Pour savoir si elle a réussi sa manœuvre, rendez-vous le 15 septembre.
Isabelle ORY