La filiale de la SNCF Keolis est aux commandes du tramway et du métro automatique de Dubaï, le plus long du monde. Candidat aux appels d’offres des lignes 15, 16 et 17 du métro du Grand Paris, la filiale de la SNCF met en avant sa position de leader du métro automatique, avec neuf réseaux et 330 kilomètres au compteur, en France et à l’étranger.
En juin prochain, on connaîtra normalement le nom des transporteurs qui s’installeront aux postes de commandes des lignes 15, 16 et 17 du futur métro automatique Grand Paris Express (GPE), dont les mises en service s’échelonneront entre 2025 et 2030. Parmi les candidats, Keolis, qui se proclame numéro 1 mondial des métros automatiques. Sont également dans la course du super métro francilien, RATP Dev ainsi qu’ATM, la régie des transports milanais.
« Dubaï, joyau de la couronne »
Pour afficher son savoir-faire, la filiale de la SNCF a emmené des journalistes début février à Dubaï pour montrer son dernier trophée de chasse à l’international : les 90 km de métro automatique, sur deux lignes (53 stations), et un récent embranchement de 15 kilomètres vers le site de l’Expo universelle de 2021. Le viaduc aérien du métro (seuls 16 km du réseau sont en souterrain) surplombe les huit voies d’autoroutes de la Manhattan du Moyen-Orient.
Après Hyderabad en Inde, Doha au Qatar (lire ici), Londres, Shanghai et Pudong en Chine, Lille, Rennes et Lyon en France, Keolis a remporté en 2021 l’appel d’offres pour l’exploitation et la maintenance du métro et du tramway (Alstom) dubaïotes. Avec ses partenaires japonais Mistsubishi Heavy Industries engineering (MHI) et Mitsubishi Corp qui ont chacun participé à la construction et au développement du métro pour le compte de Roads and transport authority (RTA, l’autorité organisatrice de la mobilité.
« Dubaï, c’est le joyau de la couronne de la zone Inde-Moyen-Orient », se félicite Marie-Ange Debon, présidente de Keolis qui était du voyage. L’opérateur y gère aussi les actifs du réseau : rames de métro, de tram, centre de contrôle, stations et ateliers de maintenance. Un marché de 125 millions d’euros par an, deux milliards d’euros sur 15 ans si le contrat signé avec RTA est renouvelé pour six années supplémentaires.
La filiale de la SNCF dédiée au transport urbain gère près de 1 850 employés à Dubaï et a commencé à faire rouler les 129 rames de métro (Kinkisharyo et Alstom) en septembre 2021. Trois semaines avant le début de l’Expo universelle qui avait été décalée d’un an en raison de la crise du Covid. La coentreprise dirigée par Keolis a succédé au Britannique Cerco qui avait ouvert la ligne de métro en 2009 puis du tram d’Alstom en 2014, équipé d’un système d’alimentation par le sol sans caténaire. Le même qu’à Bordeaux, les pannes en moins.
15 minutes de retard, et l’émir est prévenu
Avec sa classe rose réservée aux femmes et enfants, sa classe « gold » qui coûte trois fois le prix d’un billet en classe « silver » ouverte à tous (environ 1 euro), le métro de Dubaï est le réseau automatique le plus long du monde, mais aussi « le plus exigeant du monde, avec Doha et Londres », décrit Bernard Tabary, directeur international de Keolis. Ici, « deux minutes de retard sur le réseau et on écope un malus financier. Dix minutes de retard, le niveau crise est déclenché et je reçois un appel du patron de RTA. L’autorité organisatrice des transports ne vise pas seulement la satisfaction du client, elle veut qu’ils soient ravis,« delighted », insiste en anglais Bernard Tabary. Dans chaque station de métro et de tram, à côté du plan de lignes, est affichée la « charte du client heureux ».
Le taux de ponctualité du métro est de 99%, celle du tram n’en est pas loin. « Quinze minutes de retard et le patron de RTA doit prévenir l’Émir Al Maktoum », précise très sérieusement le directeur international du groupe.
En centre-ville, le tramway dont la ligne équipée de porte palières s’étend sur une dizaine de kilomètres et relie deux stations du métro, doit croiser le fer avec les voitures et des embouteillages imposants aux heures de pointe. Mais il a la priorité, et gare aux contrevenants : s’ils lui soufflent le passage ou brûlent un feu rouge, c’est 30 000 dirhams d’amende (plus de 8 000 euros). Et 1 000 dirhams (environ 300 euros) pour un piéton.
Dès 26 secondes de retard sur une rame de métro, le système de commande centralisé engage une action corrective pour accélérer les rames suivantes et éviter un retard en chaîne. Equipés de tablettes PDA, les techniciens font de la maintenance prédictive, échangent en temps réel avec le poste de commande centralisée sur les disruptions, leurs causes et les interventions requises. « C’est la politique du zéro papier, comme sur le réseau de Doha (également exploité par Keolis, en partenariat avec RATP Dev, ndlr) », explique Wallace Weatherhill, directeur de Keolis-MHI. Les tickets et les plans de ligne physiques ont disparu depuis longtemps, s’ils n’ont jamais existé. « L’innovation est sur la feuille de route dans les obligations du contrat », reprendcelui qui a été aux manettes du métro léger des Docklands (DLR) à Londres, et celui de Birmingham.
Exposé à un régime de malus en cas de dégradation du service, Keolis n’est en revanche pas touché par la volatilité du prix de l’énergie. L’opérateur n’est pas exposé non plus aux recettes commerciales, donc aux résultats de fréquentation. Ce qui n’empêche pas le nouveau détenteur du contrat de mettre en avant les 8,2 millions de passagers du métro pendant l’Expo universelle (sur 26 millions de visiteurs selon les chiffres de l’émirat), les six premiers mois de son arrivée à Dubaï. Et surtout, les 800 000 voyageurs-jour en moyenne dans le métro, et les 25 000 voyageurs-jour à bord du tramway. « Depuis la sortie du Covid, la fréquentation a progressé de 30% par rapport à la période avant la crise sanitaire », indique Bernard Tabary.
Après les 15 km d’extension vers le site de l’Expo universelle sorti du désert en quatre ans et voué à devenir une zone d’habitat, l’émirat étudie 35 autres kilomètres de lignes de métro vers les banlieues résidentielles et vers la technopole Silicon Oasis, qui ne cessent de grignoter les dunes de sable.
Cop 28 et transports collectifs
D’une ville pour s’enrichir, Dubaï cherche à devenir une ville pour vivre. Et à verdir son image. Quand on contemple les quatre fois deux voies urbaines et les bretelles d’autoroutes qui s’entortillent dans la cité futuriste, les SUV et les grosses cylindrées qui filent dessus, on se dit que le virage de l’écologie est un lointain avenir. Un pied dans le fossile, un autre dans le renouvelable, la ville de la démesure a toutefois lancé son plan Dubaï 2040 pour devenir « the best place in the world » (le meilleur endroit pour vivre dans le monde). L’organisation de la Cop 28 fin 2023 est un sacré pari pour son image internationale. Comme la Coupe du monde de football l’a été pour le Qatar.
Mais ici, tout va très vite. Pour exemple, Sustainable City, énorme développement immobilier résidentiel à consommation énergétique présumée nette zéro, dont la première tranche est sortie de terre en à peine deux ans. Ou bien, la ferme solaire qui a poussé au cœur du désert, à 50 kilomètres au sud de Dubaï et qui, d’ici à 2030, comprendra 11 millions de panneaux photovoltaïques, sur 77 kilomètres carrés. La première centrale nucléaire des Emirats arabes unis a été construite à Abu Dhabi, aux manettes de la fédération.
Avec la Cop 28 présidée par le Sultan Al Jaber, pdg d’une compagnie pétrolière et ministre de l’Industrie de l’émirat, Dubaï doit donner des gages de verdissement. Les transports collectifs font partie du plan de bataille. Objectif annoncé : que 55% des 3,3 millions d’habitants (90% ont le statut d’expatriés) vivent à moins d’un kilomètre d’une station de transport public.
Paradoxalement, cela peut être une raison d’espérer une Cop constructive… « Quand un pays organise une Cop, il a envie de réussir », résume un observateur. Et pour Keolis, après le quasi zéro-faute dans le métro et le tram de Doha pendant la Coupe du Monde (lire ici), c’est le moyen de vendre à Ile-de-France Mobilités son expertise dans l’exploitation de métros automatiques sur des réseaux denses.
Nathalie Arensonas