Même s’ils ont subi de plein fouet la crise sanitaire, les opérateurs de fret ferroviaire ont réussi à répondre à la demande de leurs clients l’année dernière. Frédéric Delorme, qui a pris les commandes en début d’année de Rail Logistics Europe, la nouveau pôle de fret ferroviaire et de logistique de la SNCF (en remplacement de TFMM) dresse, pour VRT, le bilan 2020 et les perspectives pour Fret SNCF et les autres filiales.
Ville, Rail & Transports. Quels sont les résultats enregistrés en 2020 ?
Frédéric Delorme. Nous avons pris de plein fouet la crise. Avec le premier confinement, Fret SNCF et la plupart de nos autres filiales ont perdu 40 % de trafics. Puis il y a eu la reprise mais nous sommes restés à 20 % en dessous de notre plan de transport normal.
Sur la fin de l’année, le trafic a bien repris, comme c’est le cas sur les deux premiers mois de 2021. Nous sommes actuellement un peu au-dessus du budget en termes de chiffre d’affaires.
Deux segments se comportent plutôt bien : la sidérurgie et, surtout, le transport combiné qui connaît une forte croissance, notamment le combiné maritime. Nous voyons bien que l’e-commerce est de plus en plus utilisé par les consommateurs. Nous observons aussi un dynamisme des autoroutes ferroviaires. Actuellement, sur l’axe Bettembourg – Le Boulou, le coefficient de remplissage est élevé, autour de 80 à 90 %, avec une bonne qualité de service, même si le nombre de trains, moins élevés que d’habitude, y contribue. De nouveaux clients arrivent.
VRT. Quelle est plus précisément la situation de Fret SNCF ?
F. D. En 2020, Fret SNCF a enregistré 19 % d’activités en moins. Soit 694 millions de chiffre d’affaires, une baisse de 161 millions d’euros.
La marge opérationnelle de Fret SNCF s’est améliorée de 49 millions d’euros par rapport à 2019 même si nous restons déficitaires avec un résultat net négatif de 163 millions d’euros. Fret SNCF a un objectif de résultat opérationnel positif d’ici deux ans.
Ces résultats s’expliquent par notre capacité de résilience et l’adaptation de nos moyens à la charge. Nous avons réalisé de gros efforts sur les coûts d’achats et les investissements. Nous n’avons gardé que les investissements essentiels. Et la dynamique commerciale a permis de faire revenir des marchandises et des clients. Nous avons aussi pu bénéficier du dispositif de chômage partiel.
Enfin, nous profitons, au même titre que les autres opérateurs de fret ferroviaire, du plan de relance avec des aides sur les péages : la gratuité durant le deuxième semestre 2020 et une réduction de 50 % du montant des péages en 2021 pour tous les opérateurs.
Les résultats sont contrastés pour nos autres filiales. En moyenne, la baisse de l’activité est de 15 %. Captrain France gagne de l’argent ainsi que Naviland Cargo. Mais les filiales en Espagne ou en Belgique ont perdu de l’argent.
VRT. Quelles sont les perspectives pour Fret SNCF ?
F. D. Nous tablons sur un retour à une marge opérationnelle positive en 2023.
Nous avons réalisé un plan d’économies et adapté nos effectifs en les réduisant de 300 personnes en 2020. Cette année, nous prévoyons d’en supprimer 400 (dont 100 conducteurs) en leur proposant des postes dans d’autres sociétés du groupe SNCF. Les conducteurs peuvent aller travailler chez Captrain France, d’autres chez TER. Il s’agit donc de mobilité interne, il n’y a pas de plan social. Quand on enregistre 20 % d’activité en moins, il est normal d’adapter ses effectifs.
Aujourd’hui, Fret SNCF compte un effectif de 5 100 personnes. Mais nous serons capables de rehausser les effectifs là où les trafics repartent.
Cette année, nous nous attendons à + 5 % ou + 6 % de volume par rapport à 2020. Ce qui signifie que l’activité sera de -15 % par rapport à 2019. Nous sommes donc obligés de continuer à adapter nos moyens de production. Il y a six mois les clients n’avaient pas beaucoup de visibilité. Désormais, nous ressentons un frémissement.
Reste que nos frais généraux sont plus élevés que ceux de la concurrence. Nous disposons de deux ans pour réussir notre effort d’adaptation. Nous développons des outils informatiques de gestion opérationnelle qui permettent de faire plus avec moins de moyens. La production sera plus performante et nous aurons besoin de moins de moyens de support. Les efforts vont être réalisés en 2021 et 2022.
VRT. Pourra-t-on vraiment sauver Fret SNCF ?
F. D. Oui, c’est possible sous deux conditions : nous devons poursuivre nos efforts d’efficacité. Nous sommes sur la bonne trajectoire économique. Nous avons aussi réalisé la titrisation des créances et sommes en train de céder des actifs immobiliers en Ile-de-France. Tout cela nous rapporte une centaine de millions d’euros de cash qui nous permettent de faire face. Mais il faut aussi -et c’est la deuxième condition-, que l’Etat confirme son aide au secteur en 2021 et au-delà. L’aide doit être pérenne. C’est ce que demande aussi 4F.
Nous visons, pour Fret SNCF, un cash-flow libre positif en 2024.
VRT. Pourquoi y croire après tant de plans de la dernière chance ?
F. D. Pendant 30 ans, il n’y a pas eu de reconnaissance de la disparité de compétitivité entre le rail et la route. La France est devenue un pays de transit de camions qui ne payent pas leurs externalités. Or, le rail rejette neuf fois moins d’émissions de CO2 par tonnes transportées, émet huit fois moins de particules et consomme six fois moins d’énergie. Si on évalue ces bénéfices, il est normal que l’Etat apporte son soutien.
Mon objectif est aussi de développer Naviland Cargo et VIIA qui ont de gros potentiels de croissance, pas forcément rattachés qu’au rail. Si le transport combiné se développe, le transport routier français en profitera car il assurera la collecte et la distribution à l’échelle régionale. De grands transporteurs routiers régionaux sont d’ailleurs aujourd’hui convaincus que le combiné représente leur avenir. Les responsables politiques comprennent aussi que développer le combiné permet de massifier sur le rail et, ainsi, de développer l’emploi localement.
Propos recueillis par Marie-Hélène Poingt