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Ewa

« Il faut sortir d’une vision malthusienne pour le ferroviaire »

roman

Bernard Roman a pris en 2016 les rênes de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), rebaptisée depuis Autorité de régulation des transports (ART). Sous l’impulsion de son prédécesseur Pierre Cardo, puis sous son influence, l’Autorité de régulation a vu ses compétences s’élargir considérablement. Celles-ci vont désormais du contrôle du secteur aéroportuaire à celui de la mise à disposition des données, en passant par le transport terrestre. A l’avenir, le gendarme des transports sera chargé de la régulation du futur réseau du Grand Paris. Fin observateur de la vie économique des grandes entreprises du secteur, l’ART est donc devenu un régulateur de transport multimodal.  « Une absolue nécessité, permettant de considérer la mobilité dans sa globalité », a expliqué l’ancien député socialiste lors de son intervention le 7 juillet dernier au Club VRT.

L’ouverture à la concurrence est un long apprentissage pour le secteur public. Pour Bernard Roman, le président de l’Autorité de régulation des transports (ART), c’est aussi clairement une voie d’amélioration du service rendu aux clients.

Pour appuyer ses propos, l’ancien député socialiste rappelle les grandes étapes qui, dans les années quatre-vingt, ont mis fin à de grands monopoles publics en France, comme EDF ou France Telecom.

Le ferroviaire a entamé sa mue plus tardivement et il a fallu attendre 2009 pour que soit créée l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). Avec l’objectif d’assurer un accès transparent, équitable et non discriminatoire à l’infrastructure ferroviaire.

Le fret était alors ouvert à la concurrence depuis 2006 en France. Il a été suivi, en 2010, par le transport international de voyageurs. Depuis décembre 2020, la concurrence est possible sur les liaisons commerciales domestiques, et depuis décembre 2019 sur les TER.

Bernard Roman Club
Le Club VRT, avec Bernard Roman, a eu lieu le 7 juillet dans nos salons, rue de Clichy dans le 9e arrondissement de Paris.

Pourtant, jusqu’à présent, nul n’a vraiment osé venir affronter la SNCF sur ses grandes lignes, regrette Bernard Roman, tout en reconnaissant que la crise sanitaire a retardé les projets des uns et des autres. Le président de l’ART évoque toutefois l’expérience de la compagnie italienne Thello qui a exploité des trains de voyageurs entre la France et l’Italie de 2011 à 2021, avant de suspendre son service. Mais qui prépare son retour sur le marché français.

Bernard Roman en est convaincu : la concurrence permet d’améliorer le service offert aux clients, comme cela a été le cas pour les télécommunications ou l’énergie. En 2018, le gendarme des transports a réalisé une enquête démontrant les bénéfices de la concurrence en Europe : la concurrence a permis une progression de l’offre et de la demande, liée à une diminution du coût du transport ferroviaire, observe cette étude.

« L’ouverture à la concurrence a boosté le transport ferroviaire dans tous les pays où elle a été réalisée », affirme Bernard Roman.

Guillaume Pepy, l’ancien président de la SNCF, le reconnaissait aussi. Il lui avait confié, raconte Bernard Roman, que l’ouverture à la concurrence est un bienfait, car elle oblige l’entreprise à se remettre en cause pour être plus performante et plus productive. « La SNCF qui réalise 50 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, sait qu’on peut être plus productif ailleurs qu’en France. Tout simplement parce qu’un monopole ne pousse pas à se remettre en cause », souligne Bernard Roman.

Un marché français très convoité

Avec 28 000 km de voies, 49 000 km de lignes dont 70 % électrifiées, le réseau ferré français est le deuxième réseau en Europe après le réseau allemand, et le deuxième, après le réseau espagnol pour les lignes à grande vitesse.

Selon Bernard Roman, tous les grands opérateurs ont des vues sur ce marché attrayant. Toutefois, tempère-t-il, « acheter du matériel pour se lancer dans notre pays où, pour le moment, il n’existe pas de Rosco pour en louer, est un frein à l’entrée. Quand on investit des millions dans du matériel, il faut être sûr de son modèle économique ».

Selon le patron de l’Autorité, des concurrents pourraient arriver très vite en France sur des lignes comme Paris – Lyon ou Paris – Strasbourg. La Renfe, qui a déjà annoncé son intention de faire rouler des trains en France, a reporté son arrivée, en raison d’un problème de compatibilité du matériel pour la transmission d’information, explique-t-il.

« ACHETER DU MATÉRIEL POUR SE LANCER EN FRANCE, OÙ IL N’Y A PAS DE ROSCO POUR EN LOUER, EST UN FREIN À L’ENTRÉE DES GRANDS OPÉRATEURS FERROVIAIRE « 

En France, les systèmes de communication sont une barrière technique à l’entrée et l’agrément des matériels une procédure compliquée. La Renfe a décidé de commencer à s’attaquer à un autre marché en Europe, avant de s’intéresser au marché français. Ce pourrait être en 2023 ou en 2024.

En plus de nouveaux opérateurs, on devrait aussi voir apparaître de nouveaux services très innovants dans les trains.

Ainsi, dévoile Bernard Roman, un opérateur, dont il tait le nom, devrait proposer des trains offrant quatre classes : une classe « super luxe », une première, une seconde et une classe à bas coûts sur le modèle de Ouigo.

Du côté des TER, les grands opérateurs nationaux, Transdev, RATP Dev et autres Keolis, se montrent intéressés. Quelques Européens le sont aussi ou s’informent.

L’ART veille aussi à ce que les cars Macron ne menacent pas l’équilibre économique des TER financés par les régions. Le rôle de l’ART, explique Bernard Roman, est de s’assurer que les autorités organisatrices des mobilités (AOM) ont les informations pour élaborer des appels d’offres bien dimensionnés et attractifs, d’engager un processus d’amélioration continue des services conventionnés et de prévoir des conditions tarifaires d’accès adaptées à la phase de montée en puissance des nouveaux entrants.

Efficacité et économies

L’ancien député socialiste ne veut pas que l’ART soit considérée comme le « grand méchant loup des transports ». Il assure avoir essayé, depuis sa prise de fonction, d’insuffler le dialogue. « Pour ne plus être uniquement vus comme ceux qui sanctionnent, il faut discuter et être pragmatique. Savoir faire des compromis pour avancer et coconstruire. »

Lorsque l’Europe a ouvert les marchés, elle a introduit une notion de gestionnaire d’infrastructure efficace.

« On demande aux régulateurs de veiller à ce que les modes de production des réseaux soient efficaces avec des réductions de coûts. Cela a été le cas pour l’énergie et la communication, mais cela n’a pas été spécifié clairement pour le transport. Comme les directives sont le résultat d’un compromis entre chefs d’Etat européens, des concessions ont été faites sur cette notion d’efficacité. C’est pourquoi, depuis cinq ans, nous ne cessons de nous battre pour faire avancer cette idée au niveau européen, mais aussi français. »

Un exemple : la SNCF qui a 2000 postes d’aiguillages pourrait abaisser le nombre à 20. « On pourrait lui intimer l’ordre de réduire ces postes en quelques années parce que cela coûterait moins cher. Mais pour le moment cette notion d’efficacité n’existe pas », regrette le président de l’ART.

Extension du domaine de compétences

Au fil du temps, les missions de l’Autorité de régulation ont été élargies. Le 5 octobre 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, plus connue sous le nom de loi Macron, a transformé l’Araf en Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) avec pour mission de réguler également le nouveau marché des transports réguliers interurbains en autocars, de suivre l’économie des concessions autoroutières et de contrôler les contrats de concession et les conditions de passation des marchés.

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Depuis 2016, l’Arafer corégule aussi les conditions d’accès au tunnel sous la Manche, avec son homologue britannique. La loi d’orientation des mobilités (LOM) lui a ensuite confié toute une panoplie de nouvelles missions : la régulation des activités de gestionnaire des infrastructures de la RATP sur le réseau historique, celle de la gestion du réseau du Grand Paris Express ainsi que des prestations de sûreté du groupe de protection et de sécurisation du réseau (GPSR). S’y ajoute le rôle de veiller au respect des règles de l’ouverture des données (open data), une mission délicate, tant du point de vue juridique, économique que technique, impliquant de savoir démêler stratégies de politique publique, d’opérateurs de transports et de géants du Net. Du coup, l’Arafer a été rebaptisée, en devenant l’Autorité de régulation des transports (ART).

Une restriction toutefois : Bernard Roman a indiqué qu’il ne souhaitait pas assurer la mission de contrôle sur le transfert de personnel des bus en cas de changement d’opérateur après mise en concurrence. « Nous n’avons aucune compétence sur le transport urbain. Nous disposons de cette compétence pour le ferroviaire, ce qui nous a déjà pris neuf mois d’instruction. C’est une charge considérable. C’est pourquoi nous ne souhaitions pas cette nouvelle mission. »

Malgré cet élargissement de ses compétences, la régulation du secteur ferroviaire mobilise toujours 50 % du travail et des décisions de l’ART.

Le président de l’ART se félicite de cette évolution législative donnant au régulateur le pouvoir de collecter des données et d’exiger de tous les opérateurs de transport la transmission d’informations. Ce qui lui permet de dresser un tableau de l’économie du transport autoroutier, ferroviaire ou par car. Toutefois, Bernard Roman ne comprend pas pourquoi le gouvernement a récemment refusé de lui permettre de collecter des données sur les aéroports accueillant plus de cinq millions de passagers annuels. Le gendarme des transports dispose déjà d’un droit de collecte ponctuelle pour l’instruction de la tarification des aéroports. Il réclame un droit de collecte régulière. Bernard Roman rappelle que la collecte régulière de données permet de publier des rapports « qui éclairent les pouvoirs publics ».

Arme nucléaire

L’Autorité rend des avis conformes, juridiquement contraignants pour les tarifs d’accès au réseau et les installations de service, ou encore la nomination des dirigeants de SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions.

Ses avis simples, juridiquement non contraignants, concernent les conditions d’accès technique au réseau et aux gares, contrat de performance Etat/SNCF Réseau.

 » C’EST UNE ARME NUCLÉAIRE, SUFFISAMMENT DISSUASIVE. LORSQU’ON MET UNE ENTREPRISE EN DEMEURE DE SE CONFORMER À UN TEXTE RÉGLEMENTAIRE LÉGISLATIF OU EUROPÉEN, ELLE SAIT LE RISQUE Q’UELLE ENCOURT « 

Pour régler les différends pouvant naître entre les acteurs du secteur ferroviaire, le régulateur dispose d’agents assermentés, qui ont le pouvoir d’enquêtes, de perquisitions, de contrôles et de saisies et ses décisions s’imposent. Mais il est possible de faire appel auprès de la Cour d’appel. En cas de manquement aux règles, l’ART peut déclencher une procédure de sanction, menée par une commission comprenant un juge de la Cour de cassation, un juge de la Cour des comptes et un juge du Conseil d’Etat, tous nommés par le gouvernement. Ils peuvent, en fonction de la nature et de la gravité du manquement, prononcer une interdiction temporaire d’accès à tout ou partie du réseau ferroviaire pour une durée n’excédant pas un an, mais aussi une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, porté à 5 % en cas de récidive. « C’est une arme nucléaire, suffisamment dissuasive pour que je n’aie jamais eu à la saisir. Lorsqu’on met une entreprise en demeure de se conformer à un texte réglementaire législatif ou européen, elle sait le risque qu’elle encourt », constate Bernard Roman.

Totale indépendance

Les présidents de l’ART sont nommés par le Président, leur mandat de six ans est irrévocable. « Nous n’avons pas à recevoir d’ordre d’un ministre ou d’un président. » D’où la posture très claire de Bernard Roman : le mandat de président de l’ART ne doit pas être renouvelable. C’est une condition fondamentale pour pouvoir être totalement indépendant, explique-t-il. L’ancien élu quittera donc son poste en août 2022. « Accepter un renouvellement peut conduire à subir des pressions. L’indépendance est une force de l’ART et cela lui a permis d’imposer ses analyses et ses conclusions », justifie-t-il.

Pour maintenir cette indépendance, l’ART doit aussi en avoir les moyens. Jusqu’alors, ses moyens dépendaient de subventions et de taxes. Ils ont été transformés en dotations budgétaires. Il s’agit de couvrir principalement de la « matière grise », puisque 80 % des coûts de fonctionnement sont représentés par des salaires, l’ART ayant besoin d’un personnel très qualifié.

Avec l’extension de ses compétences, le gendarme des transports a doublé ses effectifs en cinq ans pour atteindre 101 salariés, « tous des experts, à part trois assistantes », précise Bernard Roman. Selon lui, les différents ministres du Budget ont toujours répondu à ses demandes de hausse de moyens humains. Mais la question des moyens financiers se pose désormais. « Depuis 2015, notre dotation n’a pas évolué. Elle est de 11 millions d’euros. » Cette stagnation s’explique par le fait que lors des premières années d’exercice, le régulateur dépensait moins que ce que les taxes lui rapportaient. « On nous a demandé de puiser dans notre cagnotte avant d’augmenter la dotation. Mais nous avons désormais besoin de 18 millions de budget pour fonctionner », assure Bernard Roman.

Plaidoyer pour une tarification à l’emport

« Nous avons en France les péages les plus élevés d’Europe au train/km, mais nous sommes dans la moyenne pour la taxe au passager/km », indique l’ancien élu. « Le nombre de passagers par train y est supérieur à la moyenne européenne. Les TGV ont des taux de remplissage de l’ordre de 62 %, mais la moyenne d’emport par train conventionné est de 25 %, y compris pour les Transilien. Si nous sommes le pays où les trains sont les plus remplis d’Europe, c’est parce que nous sommes aussi celui qui en a le moins qui circulent, avec 40 trains par jour au km de voie, soit quatre fois moins qu’aux Pays-Bas, deux fois moins qu’en Allemagne », poursuit-il.

Et il rappelle d’autres caractéristiques très parlantes : en France, 1 000 milliards de km sont effectués chaque année, dont 10 % réalisés en train et 80 % en voiture. La part du ferroviaire y est la meilleure d’Europe, mais elle stagne depuis des années, tandis qu’elle a progressé de 5 à 9 % ailleurs, rappelle Bernard Roman. Selon lui, l’enjeu de la mise en concurrence est donc de faire progresser la part du ferroviaire. Et pour cela, affirme-t-il, « il faut sortir de la politique malthusienne ».

 » SI NOUS SOMMES LE PAYS OÙ LES TRAINS SONT LES PLUS REMPLIS D’EUROPE, C’EST PARCE QUE NOUS SOMMES AUSSI CELUI QUI EN A LE MOINS QUI CIRCULENT, AVEC 40 TRAINS AU KM DE VOIE « 

Pour faciliter l’arrivée de nouveaux entrants dont le manque de notoriété peut être un handicap, l’ART souhaite mettre en place une tarification à l’emport, c’est-à-dire payée en fonction du remplissage. « C’est un signal économique. Cela permettrait à un nouvel entrant de prendre le risque d’investir en ayant la possibilité d’amortir son matériel, parce qu’il payera moins cher les péages quand ses trains seront peu remplis, au début. » SNCF Réseau y gagnera à terme, assure le président de l’ART qui en veut pour preuve ce qui s’est passé en Italie. « Quand la concurrence a été ouverte, les péages ont baissé de 30 % pour tous, et malgré cela, le gestionnaire du réseau a aujourd’hui, plus de ressources qu’avant parce qu’il y a davantage de trains et de demande. »

Eclairer le débat

Le président de l’ART s’interroge sur l’intérêt de poursuivre l’électrification des lignes en France, sachant qu’il existe des trains bimodes et que l’hydrogène va arriver. « Poursuivre l’électrification nécessite des travaux coûteux avec parfois des aberrations que nous avons dénoncées. » C’est le cas d’une région, qu’il ne nomme pas, mais qui a électrifié 25 km de lignes pour un montant de 30 millions d’euros pour seulement sept passagers par semaine.

S’agissant des gares et de leur fréquentation (la Cour des comptes a révélé que plusieurs centaines des 2 820 petites gares, accueillaient moins de cinq passagers par jour), Bernard Roman estime leur maintien, avec la présence d’un cheminot, relève de la démagogie. « Même si remettre un guichet pourrait permettre d’augmenter un peu le trafic, cela nécessiterait quatre équivalents temps plein, payés par de l’argent public. » Il rappelle qu’en moyenne seulement 25 % du coût des petites lignes est payé par l’usager.

« Dans notre pays, la poule aux œufs d’or pour la SNCF, ce sont les TGV qui ont un remplissage de 60 % et des prix des billets assez élevés. Sur le TER et les Transilien, les usagers ne payent que 25 % du prix du billet. Et les régions payent le reste, soit quatre milliards d’euros par an. » Il ajoute que les abonnés du TER, ne payent que 6 % du coût du transport. Un record en Europe ! Il souligne qu’il n’y a pas de réseau ferroviaire en Europe qui ne soit pas financé par des fonds publics.

Le Japon a fait un choix différent. Les entreprises ferroviaires sont propriétaires du réseau et gagnent beaucoup d’argent, mais les billets y sont quatre fois plus chers qu’en France.

Interrogé sur ce qu’il convient de faire des petites lignes, le président de l’ART botte en touche. « Ce sont des décisions politiques. » Tout est envisageable. Travailler à les améliorer, s’il y a un potentiel, ou s’orienter vers du matériel plus léger, de type tram-train, ou en faire des voies routières, par navettes électriques ou autobus…

Bernard Roman se souvient que, lorsqu’il était vice-président de la communauté urbaine de Lille, Pierre Mauroy avait remplacé certaines lignes rurales peu fréquentées, par des taxis. Ce qui avait permis à la région de réaliser de substantielles économies, tout en rendant un service apprécié des usagers. « Pour certaines petites lignes de train, cela coûterait moins cher de faire de même », plaide-t-il, avant de répéter : « ce n’est pas à l’ART de choisir, ce sont les prérogatives des régions. »

L’ART est là pour s’assurer qu’on leur fournit des informations pour décider de manière éclairée. « Cela permet de constater des choses étonnantes, comme le fait qu’il y a dans certaines régions, deux fois plus de personnel pour faire rouler deux fois moins de trains. Pourquoi ? Cela n’est pas à nous d’y répondre, mais c’est à nous de le dire. Cela peut parfois s’expliquer, mais il faut avoir les données pour le comprendre. »

Souvent accusé d’être sévère avec le ferroviaire et inquiet pour l’avenir de SNCF Réseau, Bernard Roman corrige : « Je ne suis pas sévère et je crois au train. La SNCF est une belle maison qui a inventé le train le plus moderne du monde, et qui est citée en exemple dans de nombreux pays. Mais il y a des lacunes et une culture du monopole qui concerne bien d’autres secteurs. J’essaye d’être lucide sur les défis à relever afin que le ferroviaire ait sa juste place dans notre pays. Je suis quelquefois plus sévère avec le gouvernement ou avec d’autres décideurs, qu’avec la SNCF, même si je pense qu’il faut qu’on l’accompagne ainsi que SNCF Réseau pour être le plus performant possible. Mon objectif n’est pas de dire à Réseau qu’il lui faut moins de ressources, mais de lui faire comprendre qu’avec des péages moins chers, il pourrait y avoir plus de ressources. »

Son objectif, conclut-il, c’est qu’il y ait « plus de trains et une meilleure qualité de service pour donner envie de prendre le train », et une hausse du fret ferroviaire, qui devrait passer de 10 à 17 % de part modale. « Je porte une ambition pour le ferroviaire. Le fait que l’Etat ait annoncé il y a quatre ans qu’il allait reprendre la dette de la SNCF à hauteur de 35 milliards pour offrir une perspective de rééquilibrage du budget réseau et un cash-flow négatif en 2024, rend les choses possibles. Ce gouvernement est au diapason de l’ambition pour le ferroviaire. Malgré la crise passée, il a lancé un plan de relance en réaffectant plus de quatre milliards à Réseau. Bien sûr, on pourrait faire plus, mais 35 milliards de reprises de dette, dont 25 déjà effectivement repris, ce n’est pas rien. J’ai appartenu à des majorités qui estimaient qu’il valait mieux que ce soit Réseau qui paye les intérêts de la dette. Le gouvernement actuel est à l’écoute des besoins du ferroviaire. Le seul bémol que je mettrais à ce satisfecit, c’est que si ce gouvernement était cohérent sur la nécessité d’alimenter en permanence le débat public sur la collecte de données, ce serait beaucoup mieux. »

Valérie Chrzavez

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Les cars Macron se sont imposés

La libéralisation des transports routiers de voyageurs par car a été un succès aux yeux de Bernard Roman. Ainsi, en 2019, avant la crise Covid, les cars Macron transportaient 10 millions de passagers, assuraient 2 381 liaisons, permettaient de relier 320 villes difficiles à rejoindre en train et avaient créé près de 3 000 emplois. « L’Autorité a pour mission de réguler ces cars, de veiller au respect de conditions d’accès transparentes, objectives et équitables aux gares routières et de prendre garde à ce que les lignes ne soient pas en concurrence avec des lignes financées par les collectivités », précise Bernard Roman.


Mise au point

Bernard Roman profite de son passage au club VRT pour corriger une déclaration du président de la SNCF. Jean-Pierre Farandou, qui a récemment affirmé à la presse que « l’ART a déjà enlevé à la SNCF des créneaux horaires sur Paris – Lyon », raconte le régulateur. « Ce n’est absolument pas comme cela que cela va se passer. Il appartient à SNCF Réseau d’attribuer des créneaux horaires aux candidats. Il est probable que tous voudront des créneaux aux heures de pointe, pour pouvoir remplir leurs trains. Ce sera à Réseau de les attribuer. Si les entreprises jugent que la procédure n’a pas été transparente ou équitable, les entreprises pourront saisir l’ART. Ce n’est pas l’ART qui enlève ou attribue des réseaux. Nous n’intervenons que s’il y a des différends. »

Ewa

Les Hauts-de-France remportent les Grands Prix des Régions 2021

Hauts de France TER

Hier soir, devant un public nombreux, s’est tenue la onzième édition des Grands Prix des Régions organisée par le magazine Ville, Rail & Transports. Les élections régionales, qui ont vu la reconduction des majorités en place, nous ont permis de récompenser les équipes à l’origine des initiatives primées.

Tout comme notre événement, les confinements et autres mesures liées à la pandémie de Covid-19 n’ont pas épargné les TER, même si ces derniers s’en sont mieux tiré que les autres activités de la SNCF, ne perdant « que » 35 % de leurs voyageurs en 2020. En cette année que beaucoup voudraient oublier, les initiatives n’ont pourtant pas manqué : quatre de nos sept prix thématiques le prouvent, directement ou indirectement inspirés par l’actualité, que ce soit pour les vacances de proximité, le développement du télétravail ou une catastrophe naturelle.

Nos autres prix thématiques sont plus classiques, dans la mesure où l’intégration des différents modes de transport régionaux se poursuit, de même que la mue des gares et pôles d’échanges, en dépit des retards pris lors du premier confinement.

Outre les lauréats des prix thématiques, dont une première sélection a été présentée en mai dernier, vous trouverez dans les pages suivantes la région (les Hauts-de-France ) qui a remporté le Grand prix cette année, ainsi que la collectivité régionale européenne que notre jury a primée pour ses initiatives ou réalisations récentes.

Dossier réalisé par Patrick Laval

Lire l’intégralité du dossier ici

Lire le compte-rendu de la conférence

Ewa

Les rêves déçus du TGV à l’export

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Au milieu des années 1980, c’était évident : avec le succès du TGV entre Paris et Lyon, mais aussi vers toutes les autres destinations proposées dans le sud-est de la France, voire en Suisse, le TGV allait s’imposer dans le monde entier et prendre des parts de marché aux vols court à moyen-courrier, voire remplacer l’avion sur les relations dont les temps de parcours ne dépasseraient pas deux ou trois heures.

Cette catégorie de relations, qui correspondent à des distances de l’ordre de 400 à 500 km, ne manque pas à travers le monde ; de longue date, ce sont même celles qui se classent aux premiers rangs des liaisons aériennes les plus fréquentées du monde. Et ce, non seulement en Europe (Paris – Lyon, Bordeaux ou Strasbourg, Madrid – Barcelone ou Séville, Londres – Birmingham, Liverpool ou Manchester, voire Glasgow ou Edimbourg, Rome – Naples, Milan ou Turin, Hambourg – Cologne ou Berlin, Francfort – Munich, Moscou – Léningrad…), mais aussi sur les autres continents : New York – Washington ou Boston, San Francisco – Los Angeles ou Seattle, Dallas – Houston, Rio – São Paulo, Tokyo – Osaka, Séoul – Busan…

C’est ainsi que, parallèlement aux projets de LGV Atlantique et Nord, le secteur ferroviaire français a logiquement exploré les possibilités qui pouvaient s’offrir sur tous ces marchés qui, 15 ou 20 ans auparavant, auraient fait rêver les promoteurs d’aérotrains ou autres engins guidés aussi « futuristes ».

D’emblée, deux nuages sont venus obscurcir ce tableau prometteur : d’une part, le train à grande vitesse « à la française », même s’il se veut compatible avec les réseaux ferrés existants de même écartement (électrifiés de préférence, mais on peut « faire avec » une locomotive diesel pour les prolongements), ne présente vraiment d’intérêt que si les trajets comprennent une part importante de lignes nouvelles à grande vitesse, d’où un investissement conséquent en infrastructures et la tentation pour les réseaux qui souhaitent accélérer leurs trains de recourir à des solutions moins coûteuses (aménagement des lignes classiques, pendulation).

D’autre part, d’autres pays travaillent aussi sur les trains à (très) grande vitesse de longue date, en particulier le Japon (qui le maîtrise depuis 1964), l’Allemagne fédérale (avec quelques années de retard sur la France et une ligne nouvelle en construction pour ses ICE), ainsi que l’Italie, qui piano ma sano construit par étapes sa direttissima de Rome à Florence (avec une avance initiale sur la France). Et, atout supplémentaire pour les deux premiers de ces rivaux, ils étudient également des solutions à sustentation magnétique (Maglev et Transrapid), éventuellement « vendables » aux décideurs en mal de futurisme.

En dépit de ces bémols, tout semblait aller bien il y a 30 ans. Face à la concurrence internationale, le TGV français, qui battait record sur record sur sa nouvelle ligne Atlantique, allait bientôt circuler pour la Renfe sur les premières lignes nouvelles en Espagne (1992), deux ans avant d’être choisi en Corée du Sud (1994). Et c’est le TMST, adaptation du TGV au tunnel sous la Manche et au réseau britannique, qui allait également assurer les liaisons Eurostar entre Paris ou Bruxelles et Londres (1994), voire plus au nord (les rames ont été construites, mais les relations n’ont jamais été ouvertes). Ceci alors que l’extension des dessertes TGV vers l’Italie (1995) ou le Benelux (Thalys, 1996) faisait, de facto, tomber les frontières.

Hors de l’Europe de l’ouest, nombre de marchés étaient maintenant bien identifiés et déjà circulaient les images de synthèse de dérivés du TGV pour les corridors nord-américains, en particulier le corridor nord-est des Etats-Unis : la Floride (projet FOX, avec Bombardier) et le Texas. Le corridor Québec – Windsor (au Canada) ou celui d’Australie (où le projet Speedrail Sydney – Canberra, proposé en 1993 par un consortium comprenant GEC Alsthom et la SNCF, avait été déclaré vainqueur en 1998). Le corridor de la Russie : dossier Moscou – Saint-Pétersbourg remis en 1993. Face à la concurrence, le TGV se montre adaptable : son dérivé pendulaire proposé avec Bombardier est choisi par Amtrak en 1996 pour les dessertes Acela, des motorisations diesel, ou à turbines (projet RailJet de Bombardier), sont envisagées pour se connecter aux réseaux non électrifiés d’Amérique, et, pour le projet de Taïwan, les voitures de TGV Duplex se retrouvent encadrées par deux motrices du vieux rival ICE (rame Eurotrain) !

Mis en service fin 2000 sur le corridor nord-est, l’Acela américain n’a pourtant pas fait le printemps. Avec le nouveau siècle pleuvent les désillusions. Quelques années après l’abandon du premier projet texan (1994) : le même sort est réservé aux projets Speedrail et FOX, alors que le projet taïwanais est « récupéré » par le Shinkansen japonais. Plus gênant : au TGV Duplex, la Renfe préfère en 2001 un dérivé de l’ICE 3 de Siemens, bientôt choisi par les Chemins de fer russes, turcs et chinois, alors que les Chemins de fer de Corée du Sud commencent en 2006 à commander à Hyundai Rotem de nouvelles rames obtenues par transfert de technologie du TGV. Et quand Eurostar décide en 2010 de renouveler son parc avec le Velaro de Siemens, l’affaire prend une tournure très politique.

Le nouveau record de vitesse battu en 2007 par le TGV avait éveillé quelques espoirs en Californie, au Brésil ou en Argentine (Buenos Aires – Rosario – Córdoba), vite balayés par la crise financière de 2008. Une année qui était aussi celle du démarrage du spectaculaire développement de l’immense réseau chinois à grande vitesse. Un marché sur lequel Alstom a été très prudent et s’est contenté de vendre des dérivés du Pendolino, dont le constructeur a hérité lors de la reprise des activités ferroviaires de Fiat. A Bombardier, Kawasaki ou Siemens de livrer des trains à grande vitesse qui, tôt ou tard, finiront par être copiés ou améliorés par l’industrie chinoise.

Pour autant, outre les dessertes assurées par la SNCF entre la France et les pays voisins ou en open access avec Ouigo en Espagne, les matériels dérivés du TGV finissent quand même par s’exporter, qu’il s’agisse du train à grande vitesse marocain (al Boraq de l’ONCF, qui est techniquement un TGV Euroduplex, ouvert en 2018) ou de la deuxième génération de l’Acela pour Amtrak (attendu pour l’an prochain et dont les motrices sont très proches de celles du futur TGV M). Mais la concurrence des autres trains à grande vitesse reste rude, y compris de la part de Talgo, qui s’impose en Arabie Saoudite sur la ligne Haramain (ouverte en 2018).

Et à part quelques exceptions, le train à grande vitesse n’avait pas vraiment « tué » la concurrence aérienne avant la crise du Covid et les mesures proposées en France.

Avec quelques succès à l’exportation et des espoirs qui restent permis, le TGV n’est certainement pas un « Concorde du rail » pour ce qui est de ses ventes hors SNCF et exploitants ferroviaires dont cette dernière est actionnaire. Mais en étant cruel, on pourrait garder cette analogie aérienne pour l’AGV, matériel fort réussi dérivé du TGV, mais qui n’a trouvé comme client que le « privé » italien NTV, qui en a acheté 25 rames.

Patrick Laval

Ewa

L’heure de la reconquête pour le TGV

TGV PSE 16 Villeneuve Saint Georges

Oubliée un temps, la crise sanitaire. A la SNCF, l’heure est à la célébration du TGV. Il y a quarante ans en effet, la France découvrait ce train, alors le plus rapide du monde. D’abord au moment du record de vitesse, 380 km/h, enregistré le 26 février 1981. Puis, sept mois plus tard, le 22 septembre, avec l’inauguration en grande pompe par François Mitterrand du premier tronçon à grande vitesse entre Paris et Lyon, un projet validé sept ans plus tôt par Georges Pompidou, pourtant pas un fervent défenseur du train.

40 ans plus tard, le succès commercial du TGV n’est plus à démontrer : il a transporté plus de deux milliards de passagers, réduisant les distances, facilitant les déplacements. Tant et si bien que les élus dont les territoires ne sont pas desservis par la grande vitesse crient à l’abandon.

Il a aussi, sans doute, sauvé la SNCF à une époque où le réseau routier se maillait fortement, sous l’influence du lobbying automobile, du ministère de l’Equipement et de Bercy et où on pariait sur le développement de l’avion, tandis que le ferroviaire déclinait, des lignes étaient fermées et le trafic voyageurs reculait.

Longtemps pourvoyeur de cash pour la SNCF, le TGV marque aujourd’hui le pas. La multiplication de lignes à grande vitesse de moins en moins rentables et le coût élevé des péages ont sapé sa marge opérationnelle. « Il faut avoir en tête que seulement une ligne de TGV sur deux est rentable », rappelait il y a un an dans une interview au quotidien Les Echos Jean-Pierre Farandou, le patron du groupe. D’où un débat récurrent sur la nécessité -ou pas- de continuer à faire rouler (à petite vitesse) le TGV sur des lignes classiques. Economiquement non optimal mais clairement en faveur de l’attractivité et de la simplicité d’utilisation du train.

La crise sanitaire questionne à son tour le modèle économique du TGV. Si les voyages d’affaires ne repartent pas, alors qu’ils contribuent le plus au cash de l’activité, la SNCF devra trouver d’autres moteurs économiques. Elle a déjà fait un choix clair en faveur d’une politique de massification avec des petits prix. En dévoilant en juin dernier sa nouvelle politique tarifaire avec le lancement des cartes Avantages, l’opérateur historique cherche à reconquérir les voyageurs qui se sont détournés du train avec la pandémie et à les fidéliser avant l’arrivée de la concurrence sur ses lignes. L’objectif est de dépasser les 200 millions de voyageurs en 2030, ce qui représenterait alors une hausse de trafic de 50 % par rapport à 2019, selon Christophe Fanichet, le PDG de SNCF Voyageurs.

Dans le même temps, une politique de maîtrise des coûts va être poursuivie. L’arrivée du TGV M, plus économique grâce à sa plus grande capacité d’emport, est attendue à partir de 2024. Il doit aussi contribuer à cette politique de reconquête. Dans son interview au journal Les Echos, Jean-Pierre Farandou reconnaissait que : « Pendant des années, la demande dépassait l’offre, mais aujourd’hui nous avons de la place dans les TGV, l’offre dépasse la demande. Le moment est venu de se remettre en question ». Et de souligner : « près de 40 ans après son lancement, il faut réinventer le modèle TGV ».

Marie-Hélène Poingt

Ewa

40 ans de mise à l’épreuve du ferroviaire

Auray-Quiberon petite ligne

Il y a 30 ans l’Union européenne (UE) publiait la directive 1991-440. Elle marquait le point de départ de la déréglementation du transport ferroviaire. Fidèle à son analyse des entreprises en réseaux, l’UE voulait s’appuyer sur la concurrence pour dynamiser un mode de transport crucial et pourtant en perte de vitesse. Mais comment instaurer la concurrence alors que le ferroviaire européen n’était que la juxtaposition d’opérateurs historiques nationaux en position de monopole ? Pour répondre à ce défi, l’UE a établi une feuille de route assez bien appliquée pendant 20 ans. Mais depuis 2011 les opérateurs historiques ont lancé une contre-offensive qui a mis les décideurs publics à l’épreuve, tout comme le fera la crise sanitaire et ses impacts sur les trafics et les comptes des entreprises ferroviaires.

Par Yves Crozet

1991-2011 : les entreprises ferroviaires à l’épreuve

La directive 1991-440 s’inspirait de la réforme conduite dans les années 1980 en Suède sous la forme d’une séparation entre le gestionnaire d’infrastructure (GI) et les entreprises ferroviaires (EF). Progressivement, les paquets ferroviaires successifs vont concrétiser la stratégie de la Commission. La concurrence est désormais, ou va devenir, la règle dans l’UE, pour tous les segments du marché (marchandises et voyageurs). Pourtant, les résultats, parfois remarquables localement, sont restés globalement décevants.

Les principes de la déréglementation du ferroviaire en Europe

En première analyse, la déréglementation du transport ferroviaire en Europe ressemble à une « success story ». Des pratiques totalement étrangères au rail sont devenues courantes. Il en est ainsi de l’existence d’un GI, des péages d’infrastructure, de la concurrence « pour le marché » mais aussi de la concurrence « sur le marché ».

La force de la démarche européenne a été de fixer quelques grands principes mais de laisser aux Etats une grande liberté dans l’adaptation de ces innovations :

  • La séparation entre GI et EF était, initialement, une simple séparation comptable appelée à devenir une « muraille de Chine » entre ces entités. Certains pays (Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni…) ont fait le choix d’un GI totalement indépendant. Mais, dans d’autres pays (Allemagne, Italie et France depuis 2015), le GI est resté une filiale de l’opérateur historique.
  • En matière de péage, certains pays (Suède, Espagne, Italie…) ont opté, grâce à des subventions au GI, pour des péages faibles. D’autres (Allemagne, France, Royaume-Uni) ont préféré viser une couverture maximale des coûts d’infrastructure par les péages, quitte à subventionner certaines EF.
  • L’UE a tenu compte du fait que le ferroviaire régional et urbain ne peut pas fonctionner sans aide publique. Une Obligation de Service Public (OSP) a donc été instaurée pour ces services. Les subventions sont possibles, mais l’attribution du service à une EF doit, à terme, se faire obligatoirement via un appel d’offres. C’est la concurrence « pour le marché » (off track).
  • Pour le fret et les voyageurs à longue distance, la règle est la concurrence « sur le marché » (on track). Les entreprises ferroviaires qui ont obtenu une licence, autorisation donnée par un établissement indépendant en charge de la sécurité ferroviaire, ont le droit de faire circuler des trains là où elles le souhaitent, sous réserve d’avoir obtenu les sillons ferroviaires attribués par le GI.

Au vu de ces éléments, on comprend que l’instauration de la concurrence dans le ferroviaire est un processus complexe. Il a fallu mettre en place dans chaque pays un établissement indépendant pour attribuer les licences, mais aussi un régulateur sectoriel vérifiant qu’il y a bien libre entrée sur le marché et pas de favoritisme au bénéfice, par exemple, de l’opérateur historique. Il a fallu également que les Etats se dotent de compétences visant à exercer une réelle tutelle sur les entreprises publiques, par exemple sous la forme d’un contrat de performance fixant au GI des objectifs précis en termes de coûts, de réalisations ou de productivité. Une opération délicate car elle suppose en contrepartie des engagements financiers de l’Etat, notamment pour l’entretien et le renouvellement du réseau. Le rôle des opérateurs historiques a donc été réduit, mais au prix d’une plus grande complexité institutionnelle. Cela a-t-il permis de dynamiser le rail européen ?

Des résultats en demi-teinte

La libéralisation du transport ferroviaire a donné des résultats significatifs, tant du côté des succès que des déceptions. Le principal succès est la progression des trafics. En 25 ans (1994-2019), les trafics voyageurs ont plus que doublé au Royaume-Uni et ont crû de 90 % en Suède, de 75 % en France mais seulement de 35 % en Allemagne. Cette progression, pourtant exprimée en passagers-km, provient en grande majorité de la hausse du trafic régional, y compris en France (+65 % pour la longue distance mais +85 % pour le régional y compris l’Ile-de-France).

Les trafics ont surtout progressé dans les pays qui n’ont pas donné la priorité à la grande vitesse ferroviaire

Sur la seule période 2005-2019, la hausse a atteint 50 % au Royaume-Uni et dépassé 40 % en Autriche, en Suède et en Suisse mais a été de 5 % seulement en Italie et d’environ 20 % en Espagne, en Allemagne et en France. Comme dans le même temps les autres modes de transport ont aussi progressé, la part modale du rail est restée faible à l’échelle de l’UE, 7 %, 10 fois moins que la voiture et moins que l’avion, 9,5 %. Le fret ferroviaire représente la principale déception. La somme des parts modales du ferroviaire et de la voie d’eau, deux modes considérés comme favorables à l’environnement, est au mieux restée stable (graphique ci-dessus). De 2005 à 2018, elle a même diminué en Allemagne, en France, en Suède et au Royaume-Uni.

Ces mauvais résultats du fret interpellent l’UE et l’importance qu’elle a donnée à l’ouverture à la concurrence. Le fret est en effet la première activité ferroviaire où la concurrence est devenue une réalité pour les trafics internationaux et domestiques. Mais tout s’est passé comme si le rail s’était heurté à un plafond de verre. En Allemagne où la croissance du fret ferroviaire (+40 % depuis 2000 contre – 40 % en France…) s’est faite au détriment de la seule voie d’eau, la part de marché de la route a même progressé.

graphique fret-navigation

Dans le domaine des voyageurs, la concurrence est restée limitée. La concurrence « sur le marché » pour la longue distance s’est limitée au cas italien (Trenitalia vs NTV) et à quelques lignes en Suède ou en Allemagne. Le Ouigo Madrid – Barcelone que vient d’ouvrir la SNCF ou les projets de la RENFE ou de Trenitalia en France risquent de rester des cas isolés. La concurrence « pour le marché » a été plus importante. Systématique au Royaume-Uni avec le système des franchises et la disparition de l’opérateur historique (British Railways), elle a été développée en Suède, en Allemagne ou aux Pays-Bas, principalement pour servir à aiguillonner l’opérateur historique qui a conservé une part de marché très importante.

De manière générale, il y a eu peu de nouveaux entrants dans le secteur, même si encore une fois l’Italie fait exception avec NTV. Regroupés dans l’association Allrail, ces nouveaux acteurs ont montré un réel dynamisme comme l’Autrichien ÖBB qui relance des trains de nuit internationaux. Mais ils restent marginaux. La concurrence reste largement oligopolistique, elle se fait entre les principaux opérateurs historiques via leurs filiales dédiées au fret ou aux voyageurs. Mais quand la concurrence existe, elle a parfois permis de réduire les subventions publiques pour les trains régionaux. Ainsi en Allemagne la subvention moyenne a baissé d’un tiers entre 1997 et 2014, de 15 à 10 € le train-km. En France, elle a augmenté de plus de 40 % entre 2002 et 2018. Au Royaume-Uni, après avoir beaucoup augmenté au début des années 2000 pour atteindre près de 18 £ par train-km, elle était redescendue à moins de 6 £ en 2015 (Nash et alii 2019).

2011-2031 : la Commission européenne et les effets d’annonce à l’épreuve

Ainsi, contrairement aux ambitions du Livre blanc européen de 2011, le ferroviaire est resté, sauf pour certains segments, un mode de transport peu attractif en Europe. Or, les années 2010 ont vu se développer un puissant lobbying de certains opérateurs historiques contre la séparation totale entre GI et EF. Ils ont eu en partie gain de cause dans le quatrième Paquet ferroviaire, mettant la Commission européenne à l’épreuve. Elle l’est plus encore aujourd’hui alors que le ferroviaire européen sort exsangue de la crise sanitaire, laissant craindre rien moins qu’une décennie perdue.

L’Allemagne et la France à l’assaut du 4e paquet ferroviaire

Le 15 septembre 2011 la ministre N. Kosciusko-Morizet et le secrétaire d’Etat T. Mariani lançaient les « Assises du ferroviaire », à la demande de la SNCF. Jusqu’à cette date, cette dernière s’inscrivait dans la logique européenne de la dé-intégration et s’opposait donc à la position allemande du maintien de l’EF et du GI au sein de la Deutsche Bahn (DB). Or, au début de 2011, la SNCF prenait conscience du fait que les exigences de l’UE allaient progressivement la priver de leviers stratégiques. Il en allait ainsi du transfert dans le giron de Réseau Ferré de France (RFF) de la direction des circulations ferroviaires (DCF), en charge de la construction du graphique et de la gestion quotidienne des flux. Il y avait aussi la perspective de transférer à RFF l’entité « Gares et connexions ». C’était suffisant pour déclencher un changement de stratégie. Jouant de sa capacité de lobbying, la SNCF obtint de la Droite l’organisation des Assises du ferroviaire, destinées à préparer le retour du GI dans le giron de la SNCF, que la Gauche réalisera avec la loi ferroviaire de 2014.

Au même moment, à l’échelle européenne, une initiative était lancée par la Communauté Européenne du Rail (CER), généralement présentée comme le lobby européen des opérateurs historiques, via la publication en 2012 d’une étude sur les impacts négatifs de la séparation entre EF et GI. Cette étude (EVES) notait l’existence de dysfonctionnement et de coûts de transaction liés aux défauts de coordination entre GI et EF. Il n’est donc pas surprenant que le 4e paquet ferroviaire (2015) ne soit pas arrivé à rendre obligatoire la séparation totale annoncée par le Commissaire européen Sim Kallas, incapable de résister aux pressions du couple franco-allemand et de la CER. Depuis, les marges de manœuvre de l’UE se sont encore réduites. D’abord avec le Brexit et la renationalisation du rail britannique (voir encadré pages suivantes), l’UE a perdu son meilleur élève pour défendre sa logique de dé-intégration totale entre GI et EF. Ensuite parce que durant la crise sanitaire, les Etats ont soutenu à coups de milliards les opérateurs historiques. Comme cela est appelé à durer, comme nous allons le voir, il se pourrait même que la concurrence elle-même soit moins intense dans les prochaines années du fait des difficultés que traverse le secteur.

Années 2020 : le rail et le risque d’une décennie perdue

Le ferroviaire fait l’objet depuis quelques mois de multiples surenchères. En écho à ses engagements climatiques, la Commission européenne affiche à nouveau, comme dans les Livres blancs de 2001 et 2011, des objectifs présomptueux pour les trafics de voyageurs et de marchandises. En France, le gouvernement multiplie les engagements (trains de nuit, petites lignes, LGV, fret…). Le président de la SNCF veut doubler en dix ans le nombre de voyageurs. Ces ambitions sont peu crédibles pour deux raisons principales.

EN FRANCE LE GOUVERNEMENT MULTIPLIE LES ENGAGEMENTS (TRAINS DE NUIT, PETITES LIGNES, LGV, FRET…). LE PRÉSIDENT DE LA SNCF VEUT DOUBLER EN DIX ANS LE NOMBRE DE VOYAGEURS. CES AMBITIONS SONT PEU CREDIBLES

La première est que les décideurs publics continuent à donner un rôle majeur au report modal alors qu’il n’existe que dans des conditions spécifiques.

  • Pour le fret, le rail est en concurrence avec la voie d’eau, mais très peu avec la route, la seule capable de répondre à tous les segments de la logistique.
  • Pour les voyageurs à longue distance, la grande vitesse reste une priorité pour l’UE. Or, comme l’a indiqué la Cour des comptes européenne en 2018, l’extension du réseau européen de LGV se fait depuis le début du siècle au prix de rendements décroissants. Après un maximum de 21,9 millions (M) de passagers-km (pkm) par km de réseau, atteint en 2001, l’intensité a baissé de 50 % en 2016 suite à l’ouverture de lignes dont le potentiel est inférieur au seuil de pertinence d’une LGV (9 M de pkm par an). L’idée que le TGV est un substitut à l’avion est une généralisation abusive de quelques cas d’école. Un exemple le montre. En 2017, la desserte TGV de Rennes s’est beaucoup améliorée (- 30 minutes depuis Paris). Pourtant, de 2016 à 2019, l’aéroport de Rennes a accueilli 30 % de passagers supplémentaires. Même constat pour les trains de nuit. Ils répondent à une demande spécifique mais leur potentiel est faible, ils ne modifieront pas les parts modales.
  • Pour la mobilité quotidienne, les petites lignes sont en France au cœur des discours alors qu’elles n’offrent qu’une modeste perspective de croissance des trafics au contraire des zones métropolitaines. Mais ces dernières supposent des investissements élevés dont les montages financiers restent dans les limbes (Cf Bordeaux, Lyon, Toulouse…).

La seconde raison qui incite à se défier des effets d’annonce est la situation financière et commerciale des entreprises ferroviaires. Avec la crise sanitaire, le trafic ferroviaire de voyageurs a chuté de 50 % en 2020 en Europe. Une reprise se manifeste en 2021 mais la fin de la pandémie ne provoquera pas un retour instantané à la situation antérieure. La contraction de la demande sera durable et il faudra plusieurs années pour retrouver les trafics de 2019. Les voyages d’affaires, en baisse depuis 2008, poursuivront leur décrue. Pour la mobilité quotidienne, la révolution digitale au domicile (travail, loisirs, achats…) incite à un desserrement urbain défavorable aux transports collectifs. Ce qui est certain dans les années à venir n’est pas la revanche du ferroviaire, mais un besoin croissant de fonds, privés mais surtout publics, pour maintenir à flot des opérateurs en grande difficulté.

Le rapport Spinetta (2018) indiquait que le ferroviaire en France nécessitait 14 mds de subventions par an. Contrairement aux espoirs de la loi « Pacte ferroviaire », ce chiffre va devoir augmenter, et plus que les trafics, comme nous l’avions annoncé dans cette revue en 2017 (lire VRT d’octobre 2017). Une hausse liée à la reprise de 35 mds de dette ferroviaire, mais aussi du fait de l’addition de mesures qui se révéleront indispensables et non transitoires : baisse des péages pour le fret ferroviaire, voire pour certains TGV, relance des trains de nuit, soutien accru aux TER et aux TET, maintien de certains services TGV, sans oublier les énormes besoins de renouvellement, de modernisation et d’extension du réseau. L’INSEE définit un service non marchand comme celui qui est gratuit ou vendu à un prix inférieur à 50 % du coût. Le risque est donc de placer le rail sous le régime d’une économie administrée, comme dans le traité de Rome !

• Cour des comptes européenne, Réseau ferroviaire à grande vitesse européen : fragmenté et inefficace, il est loin d’être une réalité, 2018 https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR18_19/SR_HIGH_SPEED_RAIL_FR.pdf
• EVES-Rail report, Economic effects of Vertical Separation In the railway sector, Report to Community Of European Railway And Infrastructure Companies, Full report, 2012
• Nash, C, Smith, A, Crozet, Y, Linke H, Nilsson JE, 2019, How to liberalise rail passenger services? Lessons from European experience. Transport Policy, 79. pp. 11-20. ISSN 0967-070X
• Schapps W., Great British Railways, the Williams-Schapps Plan for Rail, May 2021, 113 p

Monopole naturel, concurrence et coûts de transaction

Le transport ferroviaire relève de ce que les économistes appellent le monopole naturel, c’est-à-dire une activité dont les rendements sont croissants. Une fois construite, l’exploitation d’une voie ferrée est d’autant moins coûteuse que le trafic y est important. Sauf cas particulier, il est peu opportun de construire deux voies ferrées parallèles pour la simple raison que l’efficience des opérateurs serait stimulée par la concurrence. Sur cette base, à la différence des routes et des canaux où divers transporteurs utilisent la même infrastructure, le ferroviaire s’est construit au XIXe siècle sur le modèle du monopole intégré : infrastructure et exploitation des trains dans la même main.

Au départ il s’agissait de monopoles privés sur des segments spécifiques comme le Paris – Lyon – Marseille (PLM). L’extension des réseaux et les difficultés rencontrées par les entreprises privées, notamment après la Première Guerre mondiale, ont conduit dans tous les pays européens à la constitution d’un monopole public intégré à l’échelle nationale. Cette situation atypique était mentionnée explicitement dans le Traité de Rome (1957), le ferroviaire ne relevait pas de l’économie de marché. Cependant, au vu des médiocres résultats du ferroviaire par rapport au succès de la route, l’idée de concurrence a refait surface grâce aux travaux d’économistes qui ont proposé de circonscrire le monopole au domaine de l’infrastructure. Gérer une infrastructure est un monopole naturel. Faire circuler des trains n’en est pas un !

Pour cela il fallait dé-intégrer les entreprises ferroviaires avec d’une part un GI et d’autre part les EF qui utilisent les rails en payant un péage au GI. La tarification de l’infrastructure est aussi un moyen de traiter les risques de congestion sur le réseau, tout en fournissant au GI des recettes le rendant moins dépendant des subventions publiques. Entre le GI et les EF, s’est donc instaurée une relation contractuelle et marchande, au lieu et place d’une simple relation hiérarchique interne à l’entreprise intégrée. Cette révolution des pratiques n’a pas été sans poser la question des « coûts de transaction ».

Les économistes des organisations comme Ronald Coase et Oliver Williamson ont en effet souligné que l’intégration verticale a justement pour but d’éviter les coûts de transaction (information, données, contrôle…), plus ou moins cachés dans les mécanismes de marché. La réduction de ces coûts ne sera pas toujours au rendez-vous comme l’a montré le cas britannique.


Renationalisation : un nouveau big-bang ferroviaire outre-Manche

Le secrétaire d’Etat britannique aux transports William Schapp, a publié en mai 2021 un Livre blanc qui expose comment le système ferroviaire britannique sera entièrement repensé dans les années qui viennent. Une réorganisation indispensable car la pandémie a rendu obsolète le système des franchises. La baisse drastique de la fréquentation pendant des mois, elle reste encore faible à ce jour, a mis à genoux les opérateurs. Le Trésor britannique a dépensé en 2020 12 mds £ (14 mds €) pour sauver le système ferroviaire. La nationalisation concrétise aussi une promesse de Boris Johnson.

Une nouvelle entreprise publique intégrée va donc voir le jour : Great British Railways (GBR). Ce nom magnifie le souvenir de l’ancien opérateur historique démantelé en 1994. A l’heure du Brexit, il s’agit clairement d’un clin d’œil à la fois nationaliste et nostalgique. Mais ce n’est pas que cela. Le Livre blanc constitue en effet un bilan équilibré des 25 années de déréglementation ferroviaire.

Il pointe d’abord du doigt les nombreux dysfonctionnements : manque de lisibilité tarifaire, coûts élevés pour l’usager et les finances publiques, retards et faible qualité de service mais aussi la montée des coûts de transaction via la « culture du blâme » et la multiplication des contentieux entre les différents opérateurs ferroviaires et entre ces derniers et Network Rail, le GI. Face à ces errements, le Livre blanc regorge de promesses d’amélioration faites aux usagers du ferroviaire.

GBR SERA UN OPÉRATEUR INTÉGRÉ, GÉRANT LES VOIES ET LA SIGNALISATION, LA PROGRAMMATION DES TRAINS MAIS AUSSI L’ORGANISATION DES SERVICES ET LA VENTE DE BILLETS

Le Livre blanc insiste ensuite sur la nécessité de conserver les acquis du système des franchises et du partenariat avec les opérateurs privés. Il ne veut pas jeter le bébé du doublement des trafics ferroviaires avec l’eau du bain de la dé-intégration. Concrètement, GBR sera un opérateur intégré, gérant les voies et la signalisation, la programmation des trains mais aussi l’organisation des services et la vente de billets. Ce guichet unique pour les voyageurs, billettique et information, est une réponse à l’une des principales critiques faite au système des franchises. Mais cela ne signifie pas la disparition des opérateurs privés qui vont être transformés en purs tractionnaires, comme cela est pratiqué dans la capitale anglaise par Transport for London (TfL) pour les bus et les métros.

GBR va donc planifier tous les services ferroviaires de voyageurs (le fret restera ouvert à la concurrence entre EF). Après appels d’offre, GBR choisira des opérateurs qui devront faire circuler les trains et sans doute les entretenir dans les dépôts, en respectant un cahier des charges, mais sans contact commercial avec la clientèle. Ce choix vise à réduire les coûts de transaction apparus avec le système des franchises, mais ce ne sera pas une baguette magique. Il en est effet probable que GBR aura besoin d’un temps d’apprentissage relativement long pour trouver les compétences nécessaires à la réalisation conjointe de la planification, du contrôle et de la tarification des services. Les gagnants seront à court terme les employés des franchisés qui pourront intégrer GBR, provoquant de fait un appauvrissement des ressources humaines des opérateurs. Le principal défi de GBR, comme de tout opérateur intégré, sera donc d’éviter les inerties internes et la méfiance à l’égard de l’innovation, tout en la stimulant chez les tractionnaires. Un beau défi !

Ewa

A Paris, la marche sort de l’ombre

Passage piétons en 3D

Avec une part de 40 %, la marche est en tête des déplacements des Franciliens. Ce n’est pas une nouvelle. C’est sans doute vrai depuis la nuit des temps. ça l’’est en tout cas depuis 1976, date d’une première Enquête ménages déplacements. Ce qui compte, c’est qu’après une baisse à la fin du XXe siècle, la part de la marche se renforce. Et, plus on est en zone dense, plus on marche. Les Parisiens sont donc champions. C’est un des points que souligne l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), qui vient de revenir sur 45 ans d’évolution des mobilités dans Paris et la Métropole du Grand Paris – et plus généralement dans toute la région –, en s’appuyant sur les résultats des sept Enquêtes ménages déplacements réalisées depuis 1976 (la dernière, en 2018, dont les premiers résultats ont été publiés par l’Observatoire des mobilités en Ile-de-France).

Parallèlement, tous modes confondus, le nombre de déplacements de chacun a fortement augmenté. On est passé, pour l’ensemble de la région, entre 1976 et 2018, de 30,3 millions de déplacements quotidiens à 42,7 millions soit 41 % de déplacements quotidiens en plus. Dans le même temps, certes, la population de la région augmentait, passant de 9,9 à 12,2 millions d’habitants, soit 23 % en plus : c’est considérable mais ça n’explique pas tout. L’Apur souligne « une augmentation de la mobilité individuelle depuis les années 90, traduisant un changement plus profond de nos modes de vie et de notre manière de vivre la ville ». On a, dirait-on, atteint en 2010 un plafond, de près de 4 déplacements par personne et par jour dans la région.

C’est, selon l’Apur, à partir de 2001, qu’on observe un changement fondamental dans les pratiques de mobilité « avec une baisse de l’usage de la voiture et une augmentation de la mobilité à pied et en transports en commun et, plus récemment et dans une moindre mesure à vélo ». Cette vue sur le long terme est on ne peut mieux venue. Mode par mode, revenons sur les infléchissements.

Concernant la voiture, à Paris « le nombre moyen de véhicules par ménage est passé de 0,52 en 1990 à 0,39 en 2017, retrouvant ainsi son niveau historique de 1975 ». Même tendance à la baisse dans les trois départements de la Petite couronne, « où le taux de motorisation est passé de 0,73 voiture par ménage en 1999, son taux le plus élevé, à 0,66 en 2017 ».

La marche, on l’a signalé, est en pleine croissance, notamment pour les Parisiens pour qui elle a augmenté de plus de 45 % entre 2001 et 2018 ; sur la même période, les résidents de la Petite Couronne ont augmenté leur mobilité individuelle à pied de 18 %.

Pour les transports en commun, à l’échelle de l’Ile-de-France, les flux quotidiens n’ont cessé de croître depuis 1976 « passant d’environ six millions de déplacements quotidiens à plus de 9,4 millions de déplacements en 2018, représentant environ 22 % du nombre total de déplacements réalisés au quotidien ». Les habitants de la Petite Couronne sont ceux « pour lesquels la mobilité individuelle en transports collectifs a le plus augmenté entre 2001 et 2018 et continue de croître au même rythme depuis 2010, quand cela se ralentit pour les Parisiens et habitants de la Grande Couronne ». Ralentissement pour les Parisiens, plutôt parce qu’on a atteint un plateau, pour la Grande Couronne, au contraire, parce que l’habitat peu dense se prête mal aux modes lourds.

Grand succès aussi pour le vélo. On remarque en passant que le vélo a longtemps échappé au radar, les Enquêtes l’ayant classé jusqu’en 2001 dans l’ensemble des deux roues… En moins de 20 ans, les déplacements à vélo ont augmenté de 175 %. Et, en 25 ans, le réseau de vélo est passé de cinq kilomètres à 1 000 km. Spectaculaire, mais très limité : son usage ne représente actuellement que 2 % de part modale.

Tous ces changements confortent la vision qu’on pouvait avoir : l’ère de l’automobile se referme. C’est vraisemblable mais mieux vaut rester modeste. Après avoir atteint un pic en 1997 (1,68), le nombre de déplacements quotidiens par personne en voiture est certes en baisse… mais il est encore supérieur en 2018 (1,32) à ce qu’il était en 1976 (1,13). De plus, la place de l’automobile est toujours inscrite dans la ville et, comme le remarque l’Apur, la voiture occupe aujourd’hui à Paris entre 50 et 60 % de l’espace public alors qu’en 2018 seulement 3,9 % des déplacements internes à Paris et 20,6 % des déplacements radiaux banlieue – Paris sont réalisés en voiture.

Mais, à lire le document, Paris aurait quasiment tout bon, et ce satisfecit est parfois agaçant. Surtout, la partie prospective du travail de l’Apur laisse sceptique. L’avenir, dirait-on, sera rose, notamment grâce au renfort du métro du Grand Paris, de la route intelligente, d’engins volants, d’innovations de haute technologie mariant l’attractivité de la capitale aux bouquets de mobilité douce. Demain, tout ne sera qu’ordre et beauté, luxe, calme et mobilité ? Il est permis d’en douter.

Lire « Evolution des mobilités dans le Grand Paris Tendances historiques, évolutions en cours et émergentes », Apur.

Ewa

Forts investissements requis pour les zones à faible émission

Nice voiture electrique

En 2019, la loi d’orientation des mobilités (LOM) a instauré l’obligation de mettre en place une zone à faible émission (ZFE) lorsque les normes de qualité de l’air sont régulièrement dépassées. Efficace, mais contraignant pour la mobilité des urbains, et très gênant pour les plus pauvres.

Camille Combe, pour La Fabrique de la Cité se demande : sommes-nous en train de construire des villes inaccessibles ? Dans la logistique urbaine, où le parc de véhicules est plus âgé que le parc automobile privé, le coût de l’adaptation aux normes devrait favoriser les grandes entreprises. Grandes difficultés aussi concernant les personnes, même si la littérature scientifique est rare sur le sujet. Cela n’empêche pas d’avoir quelques indications.

Par exemple, note Camille Combe, « la nécessité d’acheter un véhicule neuf pour continuer à pouvoir se déplacer au sein de la ZFE, faute d’alternative aussi efficace, pèse davantage sur les finances des habitants des communes périphériques, dont les revenus moyens sont moins importants que ceux des habitants de zones denses ». Une étude conduite par la DREE Ile-de-France en 2019, indique ainsi « que près de 5 % des ménages franciliens seraient affectés par la mise en place d’une ZFE à l’échelle de l’autoroute A86 et que, parmi eux, près de 25 % n’auraient pas les moyens de changer de véhicules (28 846 ménages). De même, au sein de ce dernier échantillon, 60 % ne peuvent pas se reporter vers d’autres modes (17 307 ménages) ».

La mise en place des ZFE doit s’accompagner de mesures en faveur des plus pauvres, d’installation de bornes pour les véhicules électriques et d’extensions des services de transport public. Car l’enjeu n’est pas uniquement « d’améliorer la qualité de l’air en ville mais d’atteindre cet objectif sans accroître les inégalités socio-économiques ». A envisager tout de suite pour les finances publiques.

Lire « Zones à faibles émissions : sommes-nous en train de rendre les villes inaccessibles ? », La Fabrique de la Cité.

Ewa

Billettique. La nouvelle donne

Billettique conférence 05-21

Il y a un an et demi, la LOM était adoptée, prévoyant l’ouverture de certaines données sur les transports. Le but : favoriser des applications MaaS d’informations et de paiements pour faciliter les déplacements des voyageurs et leur proposer un service sans couture. Dans le monde de la billettique, c’est l’effervescence car, à partir de juillet 2021, il sera possible pour toutes les entreprises quelles qu’elles soient, de demander aux autorités organisatrices de la mobilité de vendre des déplacements, via des plateformes MaaS. Comment les opérateurs de transport et les professionnels de la billettique se préparent-ils à cette échéance cruciale ? Quelles sont les innovations possibles ? Comment concilier intérêt public et privé ? Ce sont quelques-unes des questions qui se sont posées lors du débat organisé le 20 mai par VRT.

L’ouverture des données constitue une évolution « majeure » en termes d’offre de mobilité et de services, reconnaît d’emblée Thierry Falconnet, président chargé des Transports de Dijon Métropole. Mais avec la crise sanitaire, les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ont dû gérer d’autres priorités. « Dijon métropole a dû s’adapter à 22 protocoles sanitaires successifs en l’espace de 15 mois pour assumer une continuité de services, en collaboration avec son délégataire de service. Sur l’année 2020, les recettes accusent une baisse de sept millions d’euros, et de moins de 10 millions en comptant 2021, avec des craintes importantes sur le Versement mobilité. Nos priorités n’allaient donc pas à la mise en conformité avec la LOM mais à parer au plus pressé pour continuer à proposer une offre de qualité », tient-il à rappeler en préambule. Dijon Métropole dispose toutefois d’un peu de répit pour s’y préparer, compte tenu de sa taille. « Nous avons jusqu’en 2023 pour nous mettre en conformité. Nous travaillons avec un délégataire de service public, Keolis, qui gère toutes les mobilités intégrées dans une offre globale, dans tous ses aspects, avec le transport en commun, le tram, le bus, les navettes et aussi les mobilités actives comme la location de vélo et, dernièrement, le stationnement en ouvrage et sur voiries », détaille ce responsable des mobilités, pour qui les enjeux vont tourner autour des questions d’intermodalité, et d’interopérabilité. Cette problématique s’articule notamment autour des futurs projets de MaaS, un bouquet de services pour lequel chaque prestataire présent lors de cette conférence a développé sa vision.

 » NOUS AVONS JUSQU’EN 2023 POUR NOUS METTRE EN CONFORMITÉ. NOUS TRAVAILLONS AVEC KEOLIS, QUI GÈRE TOUTES LES MOBILITÉS INTÉGRÉES DANS UNE OFFRE GLOBALE, DANS TOUS SES ASPECTS.  » Thierry Falconnet

Un service sans couture

Pour Philippe Vappereau, PDG de Calypso Networks Association, le MaaS consiste à offrir des services de mobilité de porte-à-porte et « seamless » (sans couture) : « Nous proposons vraiment une offre intégrée de bout en bout, avec le transport public et tous les nouveaux services comme la bicyclette, la trottinette ou le rabattement sur un parking. L’objectif est de faciliter l’intégration de ces différents services, comme le transport public qui fonctionne avec des solutions de cartes de transport comme nous pouvons en proposer, ou bien des services de bicyclette qui s’appuient plutôt sur des solutions de QR Code ou du paiement bancaire direct. Notre objectif est donc de proposer des solutions qui uniformisent l’accès avec la même performance quel que soit le support utilisé », expose-t-il.

La fluidité du parcours est également évoquée par Eric Alix, PDG de RATP Smart Systems. Pour lui, le MaaS doit répondre aux attentes de l’utilisateur, c’est-à-dire offrir une solution intégrée dans son téléphone, toujours à portée de main, lui permettant d’accéder à toute l’offre de transport, quel que soit le mode. « L’utilisateur va pouvoir faire ses choix en disposant de toutes les informations et de toutes les connexions dans son téléphone. Pour moi, c’est la meilleure façon de libérer le choix car il va falloir s’adapter aux nouvelles contraintes d’accès à la ville, avec la mise en place de ZFE et des interdictions temporaires de circulation. Il faudra savoir être souple et accepter de changer ses routines. Or, c’est très difficile, et l’application va justement permettre d’aider les utilisateurs à s’adapter aux changements », commente Eric Alix. « Rappelons aussi que la LOM confie à l’autorité organisatrice la gestion de l’écosystème sur son territoire. Sa politique de mobilité sera déclinée à travers les algorithmes permettant l’affichage des points d’intérêts sur une carte, les recherches d’itinéraires et la consommation des forfaits et des tickets. Le MaaS, c’est l’intégration de tout cela de manière très fluide », ajoute-t-il.

 » LE FAIT D’AVOIR UN SMARTPHONE NE GARANTIT PAS L’UTILISATION D’APPLICATIONS. D’AILLEURS, UNE MAJORITÉ D’UTILISATEURS D’ANDROID N’UTILISE JAMAIS LES APPLICATIONS DE SON TÉLÉPHONE.  » Philippe Vappereau

L’avance française

Alexandre Cabanis, directeur marketing d’Ubitransport, tient, quant à lui, à rappeler le contexte unique de la situation française par rapport au reste de l’Europe : « Nous avons l’avantage d’avoir un temps d’avance grâce à la LOM. D’ailleurs, la Commission européenne nous scrute de près. Elle s’intéresse notamment à l’article 28 qui permet l’ouverture de la distribution et la vente de titres, et il se peut que la France soit copiée », souligne-t-il. Selon le directeur de cette société spécialiste des services intelligents de mobilité, « certains acteurs vont pouvoir répondre au besoin d’information, d’un point de vue front-office, avec une ergonomie parfaite pour les usagers, tandis que d’autres acteurs seront plus à l’aise sur le côté transactionnel, donc plutôt back-office, qui demande un savoir-faire particulier ». Et il insiste sur le fait que le transport collectif doit rester l’élément central du MaaS.

Christophe Sanglier, directeur des Avants Projets Ticketing & MaaS chez Conduent, ajoute qu’il est essentiel d’orienter l’utilisateur vers les objectifs les plus vertueux. « Nous devons permettre aux collectivités de satisfaire la demande des utilisateurs, pour qui la notion de préférence reste centrale – en termes de temps, de tarifs, de modes plus ou moins écologiques –, mais nos outils doivent également orienter les utilisateurs dans le sens commun. »

Le MaaS permet de répondre à ces deux attentes, affirme de son côté François Mottet, responsable de la Gestion des produits et de la Stratégie de Flowbird Group. « Elle donne aux utilisateurs finaux un accès facile à toutes les mobilités sur un territoire, en leur permettant de planifier et de payer les différents titres de transport », précise-t-il. Mais il faut aussi répondre aux demandes des opérateurs et des collectivités qui désirent garder la main sur leur mobilité grâce à une plateforme technique qui permet de privilégier l’intérêt collectif. « Cela nous différencie par rapport à d’autres opérateurs du privé qui vont chercher à privilégier certains services au détriment des autres », prévient-il.

 » LE MAAS PERMET DE GÉRER LE PROBLÈME DE CONGESTION DANS LES VILLES, GRÂCE À LA COMBINAISON DU TRANSPORT EN COMMUN AVEC D’AUTRES MODES. «  Eric Alix

La maîtrise des données

Une allusion aux Gafa, exprimant la crainte d’une perte de la maîtrise des données utilisateurs. Cet enjeu semble majeur pour Thierry Falconnet, qui estime nécessaire « d’avoir une vision globale des dessertes pour avoir un retour sur le comportement des voyageurs afin de cibler leurs attentes ».

Selon lui, « cela demandera un accompagnement fort de la part des prestataires, car les AOM ne sont pas dans une relation entreprise-clients mais collectivité-usagers ». D’autres questions se posent, comme celle de la protection des données. « Par exemple, qui doit concentrer et analyser ces données ? Un entrepreneur privé ou bien l’autorité organisatrice ? ». Avant d’apporter une première réponse : « Les opérateurs doivent se conformer aux choix des AOM qui organisent leur mobilité sur leur propre territoire ».

Sur ce point, Christophe Sanglier se veut rassurant. « En tant que billetticien, nous pouvons donner toutes les garanties d’ouverture des données billettique, qui appartiennent déjà aux collectivités. La difficulté serait plutôt de pouvoir extraire ces données pour les mettre à disposition de tiers notamment pour la distribution afin qu’ils puissent les commercialiser sous forme d’un QR Code, ou d’un titre mobile dématérialisé, voire recharger un titre sur une carte physique », indique le responsable de Conduent.

Egalement interrogé sur des questions de souveraineté, Eric Alix indique que les AOM ont l’habitude de gérer des infrastructures de transport collectif, mais qu’avec la LOM, elles vont devoir « brasser » de nouvelles mobilités. « Cela implique de nouvelles responsabilités de régulation pour les AOM, qui vont devoir définir une stratégie et la décliner à travers un écosystème, qui existe ou qui n’existe pas encore, sur leur territoire. Plus il y aura d’acteurs de la mobilité et plus cela nécessitera de la coordination, ce qui multipliera les contrats avec un ou plusieurs acteurs, en allant plus ou moins loin avec chaque acteur mais en veillant à maintenir une équité entre tous », estime le patron de RATP Smart Systems.

Si une AOM souhaite lancer une application MaaS, elle aura besoin de créer une plateforme ainsi que des offres, tout en animant une base client et en faisant de l’acquisition. « On est bien au-delà d’un simple outillage car il faut aussi qu’il y ait de la gouvernance, la gestion d’un écosystème avec des contrats à mettre en place », souligne encore Eric Alix. Les prestataires de services sont là pour les accompagner.

 » NOUS AVONS L’AVANTAGE D’AVOIR UN TEMPS D’AVANCE GRÂCE À LA LOM. D’AILLEURS, LA COMMISSION EUROPÉENNE NOUS SRUCTE DE PRÈS.  » Alexandre Cabanis

Le défi de la confidentialité

Comment garantir la confidentialité des données usagers ? Alexandre Cabanis rappelle « qu’on ne part pas de nulle part : la RGPD offre un premier cadre qui devra être affiné dans le domaine transactionnel et billettique, on attend pour cela le décret de l’article 28 de la LOM qui devrait donner des précisions ». Et d’ajouter : « Les données appartiennent aux collectivités. On leur donne les clés pour faire ce qu’elles veulent. On met en place également des dictionnaires pour les récolter et les comprendre, afin d’adapter l’offre en fonction des usages ». Concernant la souveraineté, il évoque l’exemple de la ville de Berlin, qui a choisi d’héberger ses données MaaS chez un hébergeur américain, malgré le fait que le Cloud Act oblige potentiellement tout fournisseur américain à transmettre les données qu’il héberge à son gouvernement sur demande. « Les Allemands sont pourtant les fers de lance en Europe pour pourfendre le Cloud Act américain. Mais Berlin a préféré arbitrer en faveur de la qualité de service, quitte à tirer un trait sur sa souveraineté. » Il y a donc un arbitrage à effectuer.

D’autres soucis peuvent aussi se poser, cette fois-ci en matière de sécurisation des données. « Les incendies récents à Strasbourg chez l’hébergeur OVH ont eu des impacts directs dans le secteur en matière de continuité de services (billettique, remontées de données). Ubitransport n’a pas été concerné mais certains concurrents l’ont été durement. Cet événement a permis un réveil salutaire, qui a enclenché toute une série de garanties en matière de plan de continuité. »

 » PEUT-ÊTRE POURRA-T-ON ALLER JUSQU’À OFFRIR UN TÉLÉPHONE, CERTAINS Y ONT PENSÉ. ON RECEVRAIT UN SMARTPHONE DANS UNE AGENCE DE MOBILITÉ, C’EST UNE SOLUTION POSSIBLE.  » Christophe Sanglier

La risque de la fracture numérique

Dans un monde idéal, tous les utilisateurs de transport se serviraient de leur téléphone pour se renseigner sur les possibilités de trajets, puis pour payer leurs déplacements en s’informant, en temps réel, du moindre aléa.

Mais cela reste un vœu pieux car il faut tenir compte de la fracture numérique et ne laisser personne au bord du chemin. « Nous avons effectivement proposé ce type de service sur Dijon avec Divia Mobilités. C’est très fluide pour ceux qui ont la maîtrise de ces applications mais je suis aussi président de l’association des maires et banlieues de France, et je sais bien que tous les usagers n’ont pas forcément de smartphones et, s’ils en ont un, ne s’en servent pas forcément pour rechercher des horaires et se déplacer », souligne Thierry Falconnet. L’élu explique qu’il y a encore 5 à 7 % de ventes à bord sur Dijon Métropole, avec une population « très loin » des offres sur mobile, et qui n’est pas seulement constituée de voyageurs occasionnels. « Il ne faut pas oublier les voyageurs captifs de la mobilité. Dans le quartier de politique de la ville d’intérêt national de Chenôve, on compte moins d’un véhicule par ménage contre trois dans les quartiers les plus riches. C’est donc une population qui dépend des transports en commun pour aller au travail et faire des démarches à la CPAM. Ce n’est pas une mince question pour ces populations toujours laissées pour compte dans les grands mouvements de progrès techniques. »

Même tonalité du côté de Philippe Vappereau : « Le smartphone reste au cœur de la mobilité, mais le fait d’avoir un smartphone ne garantit pas l’utilisation d’applications. Si l’on regarde la répartition du parc, on compte 80 % de smartphones Android et 20 % de smartphone IOS (Apple), mais au niveau des usages d’applications, c’est du 50-50. Donc une majorité d’utilisateurs d’Android n’utilise jamais les applications de son téléphone ».

« Attention aux angles morts ! », prévient aussi François Mottet. « Il ne faut pas oublier les usagers occasionnels qui ont besoin de tickets, il faut savoir rester pragmatique ». Et d’évoquer des solutions qui complètent les applications mobiles, comme l’open payment, et, pour les réfractaires à la carte bancaire, l’installation de kiosques multiservices. « Flowbird en dispose de 300 000 à travers le monde. C’est plus qu’un parcmètre. Cela permet d’acheter des titres de transport ou de stationnement, de louer (ou recharger) des véhicules électriques et des vélos. Ces kiosques font également office de bornes de taxi. »

Christophe Sanglier acquiesce. « On constate une inertie phénoménale car on n’a jamais vu autant d’appels d’offres pour des systèmes conventionnels, avec le renouvellement de machines physiques pour avoir des points de rencontre avec des personnes, et ceci partout dans le monde. Peut-être pourra-t-on aller jusqu’à offrir un téléphone, certains y ont pensé. On recevrait un smartphone dans une agence de mobilité, c’est une solution possible », avance-t-il.

Pour Eric Alix, il existe de multiples façons pour ne laisser personne de côté. « L’une de nos pistes de travail consiste à faire un lien entre le MaaS numérique et le MaaS physique. Nous disposons de beaucoup d’agents en stations qui peuvent aider les voyageurs et les guider. C’est un nouveau métier : il faut aller chercher les clients car le MaaS permet avant tout de gérer le problème de congestion dans les villes, grâce à la combinaison du transport en commun et des autres modes pour le premier et le dernier kilomètre. »

Mieux vaut, en effet, ne pas oublier la finalité du MaaS qui vise avant tout à limiter l’usage de la voiture, surtout quand il n’y a qu’une seule
personne à bord. « Ce qu’on ne souhaite surtout pas favoriser, c’est l’autosolisme », lance Thierry Falconnet. « Sur Dijon, on compte 37 000 véhicules qui entrent et sortent chaque jour dans la métropole, avec, en corollaire, la pollution et des engorgements sur les points d’entrée. C’est l’une des conséquences de la crise de la Covid. On s’en rend compte notamment avec la part des recettes du stationnement en voirie qui augmente. On a vécu une année exceptionnelle en 2019 avec l’augmentation de la part du transport en commun et des mobilités actives, grâce à des opérations comme « Dijon sans ma voiture » qui montaient en puissance. Et puis, la crise sanitaire est arrivée. Il va falloir regagner des parts modales », explique-t-il.

 » CELA NOUS DIFFÉRENCIE PAR RAPPORT À D’AUTRES OPÉRATEURS DU PRIVÉ QUI VONT CHERCHER À PRIVILÉGIER CERTAINS SERVICES AU DÉTRIMENT DES AUTRES.  » François Mottet

La multiplicité des choix

La multiplicité des choix de transport sera, en partie, gérée par des algorithmes capables de faire correspondre les choix individuels aux impératifs dictés par les aléas du moment et les orientations transport définies par les collectivités. Mais peut-on faire confiance à des prestataires privés ? « On doit être garant de l’intérêt collectif », affirme François Mottet. « Uber ne se soucie pas de faire passer les voitures devant une école à 11 h 30 du matin. Alors que quand on gère les mobilités d’une collectivité via un partenariat public-privé, on cherche à limiter les passages devant les écoles entre 11 heures et midi en mettant en place des algorithmes d’intérêt collectif, qui vont pousser telle mobilité en fonction de l’heure, ou pousser pour une mobilité plus verte avec des modes doux, en fonction de la météo et de la préférence des utilisateurs, comme le choix du vélo », précise-t-il.

Pour gérer la complexité des choix de voyages sans dépendre d’un géant du calcul d’itinéraires, la RATP a ainsi racheté Mappy, troisième application de mobilité derrière Google et Waze comme se plaît à le rappeler Eric Alix. Ce rachat permet aussi de s’adresser aux 12 millions de visiteurs qui utilisent l’application chaque mois, dont 80 % le font pour des trajets en voiture : « A Paris on aura des quartiers qui seront réservés aux vélos et sans voiture à certains moments. Il faudra encourager le fait que l’automobiliste se rapproche du centre-ville mais n’y rentre pas et se gare dans un parking relais. On pourra proposer des trajets alternatifs à la voiture, ou du covoiturage pour partager un véhicule, ou bien encore suggérer un trajet en voiture à un utilisateur de transport en commun qui souhaite gagner du temps », détaille-t-il. Mais pour bien réussir, il n’y a pas de secret. « Il faudra maîtriser parfaitement la data, avec deux choses à concilier, d’abord la personnalisation des besoins individuels, la préférence des modes et aussi la suggestion liée à l’étude du comportement individuel. Mais on devra aussi s’accorder avec la politique de mobilité qui ne doit pas être trop rigide pour 80 000 ou 500 000 personnes, sinon cela risque de ne pas fonctionner. » Pour ces raisons, RATP Smart Systems a créé son propre Data Lab, « avec pas mal de datas scientists pour travailler sur ces sujets. Ce sera via l’appli Mappy et RATP et aussi dans les applis qu’on proposera en marque blanche ».

Le recours à la personnalisation des trajets signifie-t-il le glas de l’abonnement forfaitaire ? C’est l’une des tendances remarquée par Calypso. « Beaucoup d’AOM développent le « pay as you go ». On le voit en Ile-de-France notamment. Il s’agit de proposer le meilleur tarif quelle que soit la consommation de transport et cela en couvrant tous les usages. Cette tendance se développera d’autant plus après la pandémie car les gens ne seront plus enclins à payer pour un abonnement forfaitaire de transport en commun. Ils préféreront un paiement à l’usage entre le transport public et les nouvelles mobilités. On ne pourra plus les enfermer dans des schémas tarifaires », estime Philippe Vappereau.

Les dangers côté Gafa

Google, Apple ou Uber deviendront-ils les premiers vendeurs de billets de transports en France ? Les craintes sont légitimes qu’il s’agisse de pertes de données clientèles ou bien de pertes financières. Les Gafa risquent de profiter de l’ouverture de données sans participer au financement des infrastructures, s’inquiète-t-on à Dijon. « Leur métier c’est de maîtriser la donnée, mais qui va payer pour les infrastructures ? Dijon Métropole a installé 20 km de tramway (une dépense de 400 millions), et mis en place une solution d’open payment grâce à un partenariat public-privé, une solution originale à laquelle la collectivité, et donc l’usager et le contribuable, ont très largement contribué. Voir des entreprises privées s’emparer de tous ces investissements sans nécessairement des contreparties c’est une vraie question par rapport à l’argent public », souligne Thierry Falconnet. Une interrogation partagée par François Mottet : « un des points positifs de la LOM, c’est l’explosion des canaux de vente. Les Gafa pourraient avoir un certain intérêt à vendre des titres, mais comment va s’effectuer le partage des données générées ? Cela peut être dangereux si elles ne sont pas communiquées ». Selon lui, la situation sera différente selon la taille de l’agglomérations. Google pourrait se positionner à l’échelon national en se concentrant sur les plus grosses villes et proposer des billets unitaires sans tenir compte des situations particulières et leurs innombrables réductions tarifaires. « Google ne va pas s’amuser à les gérer. »

Alexandre Cabanis se veut pragmatique : il ne faudra pas craindre les plateformes si elles se contentent de vendre de titres sans opérabilité : « Dans ce cas, cela fera pschitt, mais si elles proposent un véritable parcours d’un point A à point B, cela sera très différent ».

Eric Alix estime que tout dépendra du niveau d’intégration des MaaS. « Il y a les niveaux 1 et 2 – l’information voyageurs et la vente du titre –, pour lesquels la LOM impose l’ouverture de la vente de titres. Mais il y a aussi des modèles plus ambitieux, le niveau 3 avec une logique de forfait et enfin le niveau 4, le Graal du Maas, qui consiste à combiner les titres. Si le marché du transport reste sur les niveaux 1 et 2, les gros acteurs de la mobilité risquent de prendre une bonne partie des ventes. Le salut viendra d’une intégration beaucoup plus forte en termes d’offres billettique avec la proposition de nouveaux services comme le vélo, la trottinette ou le parking. »

Mais attention, il ne faudrait pas que la part la plus « lucrative » (les niveaux 1 et 2) soit utilisée par les grands opérateurs, et que la gestion des niveaux 3 et 4 soit soutenu uniquement par les AOM, alerte Thierry Falconnet : « il faut éviter une offre à deux vitesses avec tous les investissements soutenus par les AOM tandis que le bénéfice irait uniquement aux gros opérateurs privés ». Pourtant, certaines petites agglomérations, jusqu’à 300 000 habitants, trouvent à l’inverse qu’elles ont plus à gagner à faire distribuer leurs titres par des tiers, soutient Christophe Sanglier : « cela représente des nouvelles opportunités de distribution, qui s’avèrent supérieures au risque de voir capter la maîtrise nominative de leurs clients », objecte-t-il.

Les collectivités doivent donc apprendre à s’approprier le MaaS, un marché en plein devenir et dont le business model n’est pas encore établi. « Les premiers projets mis en place en Scandinavie ne sont pas rentables. La collectivité n’est pas forcément en mesure de payer le service en totalité alors qu’elle a d’autres arbitrages à faire », rappelle Christophe Sanglier. Pour François Mottet, les AOM devront veiller à toujours donner la priorité à l’intérêt collectif tandis qu’Alexandre Cabanis estime que « l’un des enjeux pour les AOM sera de pouvoir trouver les meilleurs acteurs, capables de travailler collectivement ». Pour Philippe Vappereau, il reste encore beaucoup de questions sur la LOM, en particulier celles qui touchent à la gouvernance : « Il faut trouver un dialogue entre le public et le privé, aux objectifs différents, ce qui est loin d’être simple ». D’où ce mot de conclusion formulé par Eric Alix et largement partagé : « l’AOM a pour rôle de créer un écosystème et de le rendre vivant sur son territoire ».

Grégoire Hamon

Ewa

Bus propres. Quelle technologie choisir aujourd’hui ?

Conf bus 06-21

Electromobilité, biogaz et hydrogène sont les trois technologies actuellement disponibles pour « verdir » les parcs d’autobus. Selon les critères que l’on considère – autonomie effective, prix des véhicules, infrastructures à envisager dans les dépôts ou sur la voie publique, gains environnementaux – chacune possède son propre domaine de pertinence, qui ne cesse d’évoluer au fil des progrès réalisés. Au moment où certains décideurs se demandent encore laquelle de ces technologies choisir, la conférence VRT le 27 mai a permis d’actualiser et de comparer leurs performances et coûts d’investissement respectifs.

Les autobus urbains rouleront-ils au gaz, à l’électricité ou à l’hydrogène en 2030 ? Avant même d’évoquer les avantages et les inconvénients de chacune des motorisations Guy Le Bras, directeur général Gart, a indiqué que le choix des collectivités sera aussi guidé par le contexte législatif européen. Or ce dernier comporte quelques incertitudes. « Dans l’article 36 de la loi TEC, il est prévu que le renouvellement des flottes de véhicules de transport public se fasse à 50 % en véhicule faible émissions jusqu’à 2025 et 100 % au-delà. Le spectre est assez large puisqu’il comporte des véhicules électriques et hydrogène et même au gaz naturel à condition que 20 % du gaz soit d’origine bio », a rappelé le représentant du Gart. « La plupart des constructeurs se sont bien adaptés et proposent une offre satisfaisante pour le marché urbain. Mais il faut aussi tenir compte de la directive européenne, qui stipule une part de renouvellement avec des véhicules zéro émission, ce qui exclu donc les véhicules GNV », a-t-il ajouté.

Ainsi, sur le créneau M3 des autobus, entre août 2021 et décembre 2025, 43 % des renouvellements des autobus doivent se faire avec des véhicules fonctionnant avec des carburants alternatifs, dont 21,5 % à émission nulle. Après 2026, le taux passera à 61 % des renouvellements en carburants alternatifs, dont 30,5 % à émission nulle. « Il s’agit d’objectifs nationaux, et toute la question va être de savoir comment on les atteint. La directive européenne doit être transcrite en droit français avant la fin du mois d’août 2021 et les premières versions des décrets font état de notions de zonage, selon la taille des agglomérations. Ainsi on atteindrait les objectifs de la commission européenne sur la globalité du marché français, sans qu’il y ait besoin de l’appliquer réseau par réseau », révèle-t-il.

Un besoin de clarification

Un réseau de taille moyenne ne peut pas forcément se permettre de disposer d’un parc urbain fonctionnant avec plusieurs énergies. Le plus souvent, une seule énergie est choisie, pour des raisons de coût et d’exploitation, indique encore Guy Le Bras.

A l’inverse, les réseaux de taille grande et moyenne devront-ils nécessairement recourir à plusieurs énergies ? Là encore, il n’y a pas de réponse précise. « Une consultation, toujours en cours, a été lancée par le ministère de l’Ecologie. Les autorités organisatrices de la mobilités ont besoin de clarification pour savoir si elles pourront continuer durablement avec des flottes composées de tout ou partie de GNV. Si tous les objectifs européens doivent être remplis au niveau national, c’est plutôt une bonne nouvelle », poursuit Guy Le Bras, en précisant que cette indécision, qui laisse tout le monde au milieu du gué, génère surtout beaucoup d’inquiétude, de nombreux réseaux étant constitués uniquement de flottes fonctionnant au GNV. Et de s’interroger : « Comment trouver des ressources pour changer d’énergies ? De plus, on sait qu’il n’est pas souhaitable, d’un point de vue technique et d’exploitation, d’avoir un parc 100 % électrique, aussi bien d’un point de vue réseau électrique et météo ».

Iveco Bus a l’avantage d’être présent sur les deux créneaux du GNV et de l’électrique. Pour son directeur Mobilité durable, Jean-Marc Boucheret, il convient de défendre le biogaz, dont l’usage se trouve légitimé au regard de quatre critères : l’amélioration de la qualité de l’air, le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), le TCO (Total cost of ownership) et la vitesse à laquelle il est possible de déployer des véhicules utilisant cette énergie. « Selon les experts, tout ce qui n’est pas fait avant 2030 nous retarde sur tous nos objectifs, notamment l’accord de Paris », insiste-t-il. « L’étude d’AirParif sur la qualité de l’air, qui recouvre deux ans de mesures sur 28 bus différents, indique que les motorisations Euro VI GNV ont apporté un grand bénéfice, avec sept fois moins de Nox émis par rapport aux véhicules diesel et 10 % de CO2 en moins. Dans le projet de loi évoquant les ZFE, les véhicules au bioGNV figurent dans le même groupe que les véhicules électriques, et il y a une certaine cohérence à mettre ensemble ces différentes énergies », souligne Jean-Marc Boucheret. « Les études de l’IFPEN et Carbone 4 sur l’analyse du cycle de vie indiquent également que le bioGNV émet 18 % de CO2 de moins par rapport à l’hydrogène d’origine renouvelable. Quant au TCO, les études en cours menées par le ministère des Transports soulignent que le bioGNV possède un TCO équivalent au diesel sur des coûts complets (acquisition, utilisation et maintenance). Enfin, la rapidité, c’est d’être capable de mettre rapidement en parc roulant un grand nombre de véhicules, ce qui est notre cas aussi bien pour les véhicules GNV qu’électriques. »

En tant qu’industriel, Iveco s’est donc préparé à la migration des motorisations gaz et électrique – un projet à 10 ans – tout en tenant compte d’aléas toujours fâcheux pour un industriel. Ainsi, ce dirigeant regrette que la France soit pénalisée par le décret d’août 2018 sur les aménagements des dépôts, « avec des exigences très particulières par rapport aux autres pays européens ».

Sur ce point, Guy Le Bras ajoute que « les normes ont été conçues surtout pour les gros réseaux de type RATP, ce qui crée des difficultés pour les réseaux plus petits. On discute avec le ministère pour obtenir des assouplissements ». Il pointe également quelques difficultés réglementaires supplémentaires, notamment pour les tunnels, avec des impératifs fixés par les pompiers.

Un enjeu de souveraineté

Il y a cependant d’autres signaux, plus positifs, pour le marché des autobus électriques, complète Nicolas Dagaud, directeur commercial de HCI Karsan. Cet importateur du constructeur turc indique que sur ses trois dernières années d’activité, Karsan a commercialisé 60 % de ses véhicules avec un moteur électrique : le Jest, un minibus de 6 m, et l’Atak, un midibus de 8 m. « En 2021, 90 % de nos ventes seront électriques, car ces véhicules bénéficieront pleinement de l’instauration des ZFE et des aides. Quand on parle de TCO, il faut aussi tenir compte des aides Moebus et du plan de relance. Ainsi, un Jest électrique se retrouve un peu près au même coût que sa version thermique. Il faudra voir si ces aides perdurent, mais en parallèle le prix des batteries va continuer à baisser », justifie-t-il.

Vincent Lemaire, président du groupe Safra qui est précurseur des bus hydrogène en France avec le Businova, tient pour sa part à « défendre » la technologie hydrogène en insistant sur le fait que les bus à hydrogène permettent de répondre aux enjeux de la qualité de l’air, et que la Commission européenne ne prend personne au dépourvu en les intégrant dans ses directives zéro émission. « Des groupes de travail ont été mis en place depuis 2018 sur le sujet. C’est un long processus de mise au point de ces textes, votés par nos députés en juin 2019, avec deux ans de transposition pour mettre en place une sous-cible à zéro émission, avec des quotas, pays par pays, selon leurs niveaux de richesses respectives », insiste-t-il.

Certes, reconnaît-il, les industriels comme Safra doivent encore faire de gros progrès en termes de coût de développement. « Les régions nous aident à lancer le système. On arrive à trouver 250 000 euros d’aides publiques sur les bus 12 mètres H2 », précise-t-il.

Rouler avec de l’hydrogène coûte plus cher, mais faut-il pour autant faire une croix sur le développement d’une filière européenne, au risque de voir arriver des concurrents chinois ? « Peut-on se permettre d’attendre ? D’autres viendront prendre cette place. Le gouvernement chinois s’est positionné sur l’hydrogène après l’électrique. Le fabriquant Yutong ne s’en cache pas. Sa devise, qui orne son hall d’entrée, l’annonce déjà : Nous allons envahir le monde ! Si l’on veut que notre industrie résiste, il faut y aller, c’est un enjeu de souveraineté, d’autant plus que ces nouvelles technologies sont assez faciles en termes d’exploitation ». Pour Safra, le marché commence à bouger dans le bon sens. Il y a un an, les gros marchés ne dépassaient pas cinq bus, alors que maintenant, une ville comme Dijon fait un appel d’offres avec 27 bus.

 » DANS L’ARTICLE 36 DE LA LOI TEC, IL EST PRÉVU QUE LE RENOUVELLEMENT DES FLOTTES DE TRANSPORT PUBLIC SE FASSE À 50% EN VÉHICULES FAIBLES ÉMISSIONS JUSQU’À 2025 ET 100% AU-DELÀ.  » Guy Le Bras

Les effets du climat

L’hiver dernier a été marqué par des températures très basses et certains réseaux ont connu des problèmes sur leurs bus électriques en France, ou en Allemagne, comme à Berlin.

« Des exploitants allemands ont partagé leurs valeurs : on est monté à 2,5 kWh par km sur des bus électriques, ce qui est très élevé », rapporte
Jean-Marc Boucheret (Iveco). Le constructeur donne la possibilité de faire du préconditionnement le matin pour le confort thermique du poste du chauffeur, de manière à utiliser les kWh du dépôt et non ceux de la batterie. Nicolas Dagaud (Karsan), indique que ses mini et midibus n’ont pas connu ce type de problèmes, étant positionnés sur du TAD ou opérant en cœur de ville, voire sur des sites privés. « L’autonomie demandée pour ce type de mission permet de préserver le confort thermique », indique-t-il en précisant que si les missions étaient amenées à devenir plus longues, et en cas de contraintes, il faudrait trouver une recharge intermédiaire, ce qui pourrait poser des problèmes en France qui « n’avance pas beaucoup » sur le sujet.

Il signale aussi un avantage dont bénéficient ses véhicules, qui utilisent une batterie issue du monde automobile puisqu’elle a été conçue par BMW. « Elles n’ont besoin que d’une simple Wallbox pour se charger, ce qui fait que toutes les municipalités qui utilisent déjà des Zoé électriques sont déjà équipées pour les recevoir. » En revanche, le chauffage « n’est pas un projet simple » pour des véhicules de taille plus importante, reconnaît Vincent Lemaire (Safra). « Il n’y a pas grand-chose qui chauffe dans un bus électrique, contrairement au diesel ou au GNV qui possède un moteur thermique et produit de l’eau chaude. Il faut trouver des astuces, comme le préconditionnement, ou privilégier l’environnement chauffeur. On peut aussi faire le choix d’embarquer plus de batteries, c’est la tendance. Il y a deux ou trois ans, les cahiers des charges demandaient 250 kWh embarqués pour un 12 m, actuellement c’est plutôt 400 kWh. Mais il faut déplacer cette batterie toute la journée et la recharger, cela prend plus de temps. C’est justement l’un des intérêts de l’hydrogène. De plus la pile à combustible n’a pas un rendement à 100 % et produit un peu de chaleur, on peut utiliser cette énergie dissipée », expose-t-il.

L’arrivée de grands équipementiers

En termes de fiabilité, la technologie GNV a l’avantage d’être la plus mature par rapport aux technologies électriques à batterie ou à pile à combustibles. « FPT Industrial, qui développe nos moteurs en Bourgogne avec 1 300 employés, consacre 20 % de sa production aux moteurs GNV, c’est un exemple de reconversion industrielle. Ce moteur a une maturité, même s’il doit suivre les évolutions, comme la future norme Euro 6 step E qui arrive en 2022 », explique Jean-Marc Boucheret.

Iveco indique être en contact étroit avec les territoires, notamment l’Ile-de-France qui va devenir la première région en Europe pour le GNV avec 10 000 véhicules en parc, une trentaine de dépôts et surtout une trentaine de méthaniseurs en mesure de produire un gaz renouvelable d’origine locale. « Les collectivités veulent avoir une mobilité propre tout en redynamisant leurs territoires, avec la méthanisation de déchets agricoles ou provenant de l’industrie agroalimentaire pour les territoires ruraux. On compte près de 1 000 projets de méthaniseurs qui devraient fournir une vingtaine de tWh de bioGNV. Cette capacité devrait largement permettre de fournir la demande en France. Les collectivités urbaines peuvent mettre en place des méthaniseurs adossés à des stations de traitement des eaux, avec des gisements potentiels remarquables : 7 000 habitants produisent suffisamment de biodéchets pour alimenter un véhicule lourd sur un an. Des métropoles qui se sont lancées comme Lyon ou Marseille ont déjà la capacité d’alimenter 150 à 250 bus GNV rien qu’avec la méthanisation de leurs propres déchets », décrit-il, en insistant sur le fait que le bioGNV n’est pas qu’une énergie de transition.

Vincent Lemaire se montre également serein : le système de pile à combustible utilisé par Safra, développé par Symbio, est « de plus en plus fiable », même s’il reconnaît qu’un bus à hydrogène n’a pas encore la disponibilité d’un véhicule à moteur thermique. « Avec un bus à hydrogène, il faut faire attention en termes de sécurité. Un autobus, c’est devenu un gros ordinateur avec beaucoup de capteurs, qui peuvent créer des faux défauts : le véhicule peut se mettre en sécurité en cas de microcoupure, lorsqu’un capteur perd le signal pendant quelques secondes. Pourtant c’est positif, car il vaut mieux être très prudent en cas de véritable fuite d’hydrogène. Il y a encore du travail sur ce sujet, on progresse tous les jours. » Ce dirigeant ajoute que l’univers industriel autour de l’hydrogène se développe positivement : « les équipementiers se sont remis en cause sur l’autobus électrique à hydrogène. Avant, qu’il n’y avait qu’un seul fabriquant de courroies, ou de pignons par exemple. Maintenant l’offre s’est beaucoup plus développée et les grands équipementiers arrivent. Tant mieux, on va progresser pour atteindre les niveaux de fiabilité attendus ».

 » DANS LE PROJET DE LOI ÉVOQUANT LES ZFE, LES VÉHICULES AU BIOGNV FIGURENT DANS LE MÊME GROUPE QUE LES VÉHICULES ÉLECTRIQUES, CE QUI EST COHÉRENT.  » Jean-Marc Boucheret

Le retour d’expérience est encore plus récent pour Nicolas Dagaud, puisque les premiers véhicules Karsan n’ont été livrés qu’en septembre 2019 en France. Sur une échelle plus globale, Nicolas Dagaud constate que les constructeurs chinois ont fortement accéléré depuis 2016 avec de gros volumes. « Les véhicules de maintenant n’ont plus rien à voir avec ceux lancés en 2010, en termes de batteries et d’autonomie, la vision du marché permet d’être assez positif », estime-t-il. Un constat partagé par Jean-Marc Boucheret puisque Iveco est également présent sur le créneau des véhicules électriques. « C’est aussi un moyen d’exporter, puisque nous avons vendu des bus électriques produits en France en Norvège, aux Pays-Bas, en Italie, Autriche et Allemagne. Nous développons aussi la télématique. Le groupe a lancé Iveco On, ce qui permet de connecter les véhicules depuis notre centre de contrôle installé à Vénissieux. Cela permet de travailler au plus près des véhicules pour avoir la meilleure disponibilité au quotidien, en travaillant sur des principes de maintenance prédictive. »

La prise en compte des énergies vertes

Les quatre intervenants sont au moins unanimes sur un point : faire rouler des bus électriques, hydrogène ou gaz avec un carburant dont l’origine proviendrait de sources fossiles non renouvelables n’aurait aucun sens. « En France, on sait faire de l’hydrogène sans carbone grâce au nucléaire, sans compter les nombreux projets avec de l’éolien ou du photovoltaïque. C’est l’une des forces de notre pays, il faut aller vers ces nouvelles énergies, car si on produit de l’électricité avec du charbon cela n’a aucun intérêt », avance Vincent Lemaire (Safra). Côté GNV, la part du biogaz continue également à augmenter : 17 % du gaz utilisé par les véhicules gaz est d’origine bio, ce qui est « déjà significatif », estime Jean-Marc Boucheret (Iveco). « Nous sommes en phase avec les objectifs, avec une trajectoire qui aboutirait à 100 % de biogaz en 2050. »

Des améliorations seront également apportées sur la durabilité des batteries, ajoute-t-il. « L’Europe a lancé fin 2020 un projet de règlement sur les batteries, qui exigera de la part des industriels des critères de durabilité. Il faudra gérer sa fin de vie : la batterie aura son passeport, il faudra aussi déclarer la composition des minerais. Dans une période où on s’attend à voir décupler le nombre de batteries sur le marché, ces batteries seront beaucoup plus durables », souligne-t-il. L’efficacité accrue des batteries pourrait même faire de l’ombre aux véhicules hydrogène. « Bientôt les véhicules à batteries auront une autonomie équivalente à celle des véhicules à hydrogène, grâce aux progrès réalisés sur la densité énergétique et la baisse des coûts. Le point d’équilibre de la solution hydrogène est encore loin à atteindre et celui de la batterie arrivera plus vite. On rouvrira le dossier dans 2, 5 ou 10 ans pour comparer l’efficacité de ces deux solutions, d’autant plus que le rendement de l’hydrogène n’est pas aussi performant, on aura besoin de beaucoup plus d’électricité verte, c’est un autre inconvénient », objecte-t-il.

Made in France

Sur les 5 000 bus électriques vendus en Europe, un tiers provient de Chine. « En tant qu’industriel, c’est un mauvais signal », regrette Jean-Marc Boucheret (Iveco). « La particularité des producteurs chinois, c’est qu’ils fabriquent les batteries. Or en Europe, on n’a pas de filières de fabrication, on est en retard, on n’a pas pris le parti de développer cette activité, c’est le pari de demain, si on sait le faire, le pari sera gagné », lance Nicolas Dagaud (Karsan).

L’Union européenne commence heureusement à se saisir du problème, à travers le futur « Airbus des batteries », avec par exemple l’alliance de Total et Saft ou les projets de Stellantis dans le nord de la France « même si l’Allemagne pourrait devenir le barycentre de la production avec 20 à 25 % de la production mondiale prévue », analyse Jean-Marc Boucheret. Ce dernier indique qu’Iveco mise sur le label Origine France garantie pour ses véhicules électriques à batteries, puisque le constructeur possède des usines et un bureau d’études dans l’hexagone, en lien également avec le constructeur de batterie Forsee Power qui crée une usine à Poitiers.

Dans le domaine de l’hydrogène, Safra jouit d’une position unique puisque le constructeur albigeois indique être le seul constructeur à proposer un véhicule complètement européen, avec des piles développées par Symbio, filiale de Michelin et Faurecia « alors que nos concurrents utilisent une technologie canadienne ou japonaise. C’est aussi un choix collectif, qui dépend de la puissance publique ».

Vincent Lemaire note que les bus chinois n’ont pas eu beaucoup de succès en France : « les aspects de souveraineté sont prégnants chez nos politiques, on peut leur faire confiance. » La situation de HCI est différente, puisqu’il distribue les véhicules Karsan fabriqués en Turquie, même si les bus sont préparés en France à Nantes. Nicolas Dagaud souligne qu’il n’est pas prévu de monter des véhicules en France.

Positionnés sur des créneaux porteurs, ces trois constructeurs ne manquent pas de projets pour étoffer leurs gammes de véhicules. Ainsi Karsan va prochainement proposer sur le marché européen des véhicules électriques de 12 et 18 m, « qui seront dévoilés au cours du mois de juin 2021 », indique Nicolas Dagaud. Le constructeur turc travaille également sur un projet de bus autonome, sur la base d’un modèle Atac, déjà commercialisable. Un premier projet est prévu avec Keolis en Belgique.

 » EN 2021, 90% DE NOS VENTES SERONT ÉLECTRIQUES, CAR CES VÉHICULES BÉNÉFICIERONT PLEINEMENT DE L’INSTAURATION DES ZFE ET DES AIDES. «  Nicolas Dagaud

Safra s’est pour sa part engagé dans un projet investissement de 30 millions sur 10 ans, avec l’objectif de produire 200 véhicules à hydrogène par an. Le constructeur vise également la commercialisation d’un bus articulé de 18 m en 2023. « Le 18 m c’est un segment important. Ce véhicule a besoin de plus d’énergie et pour l’instant, il n’existe que la solution gaz. L’hydrogène prend tout son sens, d’autant plus que certaines régions sont en train d’acheter des trains à hydrogène et posséderont ainsi les infrastructures et des stations qui vont pouvoir être mutualisées », justifie Vincent Lemaire.

Les régions Occitanie et Aura ont également des projets de lignes d’autocars hydrogène, et Safra s’est engagé dans un projet de rétrofit d’autocars, avec une première commande de 15 véhicules. « En revanche, le rétrofit d’un autobus urbain est moins évident, car il y a des problématiques d’encombrements pour placer des réservoirs, le contexte économique n’est aussi pas le même entre les agglomérations et les régions. »

Changement d’échelle pour Iveco qui a investi « un zéro de plus » que Safra (comprendre au moins 300 millions) pour adapter son outil industriel aux nouvelles motorisations. « Le plus important c’est d’avoir les outils industriels et de développer l’après-vente. Une centaine de points de services en France ont été formés pour s’adapter au GNV, en termes de pièces détachées et d’entretien, et il en va de même pour les autobus à batteries. Notre centre de formation à Saint-Priest est très sollicité », détaille Jean-Marc Boucheret. Il ajoute qu’Iveco est capable de prendre en compte des projets clés en main intégrant également l’infrastructure, avec des recharges au dépôt ou par pantographes, en citant Brest comme exemple.

Le coût des infrastructures

Le coût des infrastructures est évidemment un sujet majeur. Nicolas Dagaud indique que c’est un facteur « très maîtrisé », surtout pour la première gamme déjà commercialisée de 6 et 8 m qui n’a besoin que d’une wallbox pouvant s’installer sur un réseau traditionnel avec une prise 220v 32 ampères. « C’est un vrai avantage, cela permet une recharge lente sur courant alternatif, il faut plus de 4 heures pour 88 kWh embarqué sur un Jest, alors qu’un Atac qui fait 201 kWh mettra 5 heures, soit encore plus court que dans l’automobile. » Avec une technologie de charge rapide, en courant continu, un Jest peut se recharger en 1 h 30 contre moins de quatre heures pour un Atac, ajoute-t-il.

La recharge d’un véhicule hydrogène nécessite par contre la présence d’un électrolyseur, souvent installé au dépôt, couplé à une station de compression. « Nous disposons de grands faiseurs en Europe et en France avec McPhy et nos énergéticiens Air Liquide, Engie EDF Hynamics. Des alternatives arrivent pour faire baisser encore plus vite le coût de l’hydrogène, en visant trois euros du kilo, c’est le cas des très grosses installations qui commencent à apparaître en France », indique Vincent Lemaire.

Le prix d’une station de compression dans le GNV tourne autour de 50 000 euros, indique Jean-Marc Boucheret. « On voit apparaître de plus en plus de stations mixtes de flottes privatives avec des pistes accessibles aux artisans ou aux transporteurs. A Aubagne, sur la RDT13, un investissement de cinq millions d’euros permet d’accueillir 80 à 100 autocars GNV. Ce prix comprend la conversion du dépôt et sa rénovation, ce qui est relativement abordable. Au-delà de 100 véhicules, le prix du GNV n’est pas celui à la pompe, mais plutôt deux fois moins, donc le coût est inférieur au gazole. C’est intéressant de faire cet investissement patrimonial », explique-t-il.

Le recyclage en ligne de mire

Interrogé sur la fin de vie des véhicules et le retraitement des déchets, Vincent Lemaire se montre rassurant. « Une pile à combustible est constituée de plaques en inox pour le cœur technologique et de matériaux plastiques pour le revêtement catalytique, il n’y a pas de difficulté avec la recyclabilité. Il y a aussi une batterie tampon pour donner 200 à 250 kW de puissance instantanée au démarrage, et là on tombe dans les problématiques de toutes les batteries lithium-ion avec une filière qui commence à s’installer en France. »

 » LE GOUVERNEMENT CHINOIS S’EST POSITIONNÉ SUR L’HYDROGÈNE APRÈS L’ÉLECTRIQUE. YUTONG NE S’EN CACHE PAS. SA DEVISE : NOUS ALLONS ENVAHIR LE MONDE !  » Vincent Lemaire

Sur ce point, Nicolas Dagaud souligne que la France dispose de deux structures de recyclage, dont une gérée par une filiale de Veolia, avec un chiffre annoncé d’un recyclage à 95 %. « Ce sont les chiffres de l’automobile car c’est encore assez récent pour les bus, ce sera intéressant de confronter les données », ajoute-t-il.

De son côté, Jean-Marc Boucheret indique qu’un bus conventionnel, recourant à la recharge de nuit, possède de 2 à 2,5 t de batterie à recycler, avec un deuxième jeu dans sa durée de vie, soit quatre à cinq tonnes de batterie à recycler. « Nous préparons le développement de la filière de recyclage, avec tout d’abord une seconde vie en usage stationnaire, puis la fin de vie en recyclage à travers les différentes filières. Selon les études cycle de vie complet IFPEN-Carbone 4, cette opération s’est extrêmement améliorée par rapport au véhicule à combustible fossile. » glisse-t-il. Ce dernier en profite pour mettre avant les trolleybus, qui ne possèdent qu’une batterie minime ne servant qu’à faire un demi-tour en bout de parcours. « Nous continuons à produire cette solution de recharge par pantographe qui reste totalement pertinente, avec des projets d’importance comme à Prague, Berlin, Lyon ou encore à Limoges où nous avons livré des premiers véhicules Crealis l’an passé », conclut-il.

Grégoire Hamon

Ewa

« Nous devons relever le défi de la crise financière et de la transition énergétique »

Jeans Sebastien Barrault Club VRT

Les autocaristes sont confrontés à de multiples défis. Ils ont été très impactés par la crise sanitaire, dont les effets continuent de peser sur leurs activités. Dans le même temps, ils doivent se préparer à n’utiliser que des véhicules « propres » alors que l’industrie n’a pas grand-chose à leur proposer, a expliqué Jean-Sébastien Barrault, le président de la FNTV, lors de son intervention au Club VRT le 10 juin. L’occasion de faire le point sur un secteur très exposé à un moment-clé pour son avenir.

La crise sanitaire a été extrêmement violente pour le secteur du transport de voyageurs, qui l’a subie bien avant le premier confinement. Dès février 2020, de nombreux voyages étaient annulés par précaution. En mars, la chute d’activité du transport non conventionné était de 88 %.

Le transport conventionné a été aussi fortement touché. « Le transport scolaire a été totalement mis à l’arrêt au début du premier confinement et l’interurbain a dû revoir ses offres, ce qui a impacté les comptes de résultats », explique Jean-Sébastien Barrault, le président de la Fédération nationale des transports de voyageurs.

jsb e1542986183531Pour aider les entreprises à s’y retrouver dans le maquis des aides mises en place par le gouvernement, la FNTV a mis sur pied une cellule de crise. Elle a organisé des discussions avec les pouvoirs publics pour obtenir des indemnisations en faveur des transports scolaires. Côté régional, Jean-Sébastien Barrault pointe les difficultés auxquelles il a fallu faire face pour obtenir la prise en charge du coût des mesures sanitaires mises en place pour protéger les voyageurs.

Au niveau national, la FNTV a joué son rôle de lobbying pour obtenir des aides gouvernementales. Selon son président, qui est aussi président du groupe de transport Bardhum, dès le début de la crise, le ministère des Transports et Bercy ont été à l’écoute de la profession et de ses difficultés. Si la Fédération n’a pas obtenu tout ce qu’elle demandait, elle se félicite d’avoir réussi à faire intégrer le secteur dans la liste S1 des entreprises les plus impactées par la crise, au même titre que les cafés et les restaurants. Ce qui lui a permis de bénéficier de mesures de soutien renforcées en matière d’activité partielle, de fonds de solidarité, de décalage de remboursement des emprunts et crédits baux et d’exonération de charges.

Aujourd’hui les discussions se poursuivent. Car si de nombreux autres secteurs ont pu reprendre leurs activités, c’est encore loin d’être le cas pour les autocaristes. « Les carnets de commandes ne sont pas revenus au niveau d’avant la crise et il faudra du temps pour faire revenir les clients ». C’est pourquoi la profession va avoir besoin d’un accompagnement économique à plus long terme.

Les autocaristes, ayant des charges fixes importantes liées au remboursement de leurs matériels, ont bénéficié de la suspension de leurs échéances durant un an. Mais depuis mars 2021, on leur demande d’en reprendre le paiement, alors que leur activité n’a pas encore repris. Ce qui les met dans une situation insurmontable.

Pour leur éviter de sombrer, la Fédération a plaidé leur cause auprès du ministre de l’Economie et obtenu de Bercy un dispositif de concertation et de conciliation pour étaler ou annuler partiellement des dettes de ces entreprises, au cas par cas. Il s’agit de proposer une solution sur-mesure à toutes celles qui se retrouvent face à un « mur de la dette », selon l’expression employée par Jean-Sébastien Barrault, faute d’avoir retrouvé l’activité nécessaire.

La Fédération négocie avec le gouvernement un dispositif d’accompagnement des TPE, jusque-là exclues du dispositif d’aide des coûts fixes. Comme elle le fait aussi pour trouver une solution aux difficultés des sociétés les plus importantes, pénalisées par le plafonnement total du montant des aides à 1,8 million d’euros par entreprise.

Interminable crise

Jusqu’ici les entreprises du secteur ont su faire preuve de résilience. Grâce aux mesures de sauvegarde prises par l’Etat, il n’y a pas eu de dépôts de bilan en cascade. Mais les inquiétudes restent fortes, les deux tiers des adhérents de la FNTV ne prévoyant pas de retour à une situation au niveau d’avant crise avant 2022.

« Les carnets de commandes de la profession ne sont pleins qu’à hauteur de 25 % de ce qu’ils étaient en 2019. On sent un frémissement et les activités reprennent, mais avec des disparités selon les secteurs. Tout l’enjeu est de faire revenir les clients dans les autocars », poursuit le président de la FNTV.

C’est pourquoi l’un des grands objectifs de la profession consiste à rassurer les voyageurs en mettant en avant les mesures sanitaires prises. La Fédération va ainsi lancer une grande campagne de communication dans les médias et les réseaux sociaux, pour mieux faire connaître le secteur et relancer l’activité.

La FNTV a aussi choisi un thème très fédérateur, pour son prochain congrès qui se tiendra en octobre : « Ré-enchanter l’expérience voyageur ». Tout un programme !

Autre axe de travail, la FNTV planche avec le ministère de l’Education Nationale pour faciliter la reprise de l’activité des transports scolaires. Il s’agit notamment de faciliter les procédures très contraignantes quand un enseignant souhaite organiser un voyage scolaire. « Nous souhaitons que les inspections d’académie labellisent des produits, afin que les enseignants aient la possibilité de lancer des voyages scolaires dès la rentrée, en raccourcissant les délais », précise Jean-Sébastien Barrault.

Quasi-absence de cars propres sur le marché

Sur les 69 000 autocars immatriculés en France, seuls 250 circulent au GNV et 70 à l’électrique. 99 % du parc roule au diesel et 38 % des autocars en circulation ne sont pas aux normes Euro 5 ou 6. « En matière de transition écologique, tout reste à faire », reconnaît Jean-Sébastien Barrault qui assure que ce n’est pas faute, pour la profession, d’avoir conscience de la nécessité de s’inscrire dans cette transition écologique. « Je ne connais pas d’opérateur qui la refuse, dès lors qu’il a le matériel et qu’il est accompagné par l’autorité organisatrice. Par conviction personnelle, ou sous la pression des pouvoirs publics et de l’opinion, les chefs d’entreprise souhaiteraient pouvoir agir, mais ils se trouvent limités par une quasi-absence d’offre industrielle. »

En effet, sur la cinquantaine de modèles de cars proposés par les constructeurs, seuls quatre sont au gaz et l’offre électrique se limite à deux véhicules de marque chinoise. « Il faudrait imposer la production d’autocars propres », estime le responsable de la FNTV qui regrette l’absence de contraintes sur les constructeurs, y compris au niveau européen. « En matière de transition énergétique, l’offre est nulle pour le transport touristique et quasi nulle pour le transport scolaire. Les rares offres disponibles ne concernent que l’interurbain et nous avons le sentiment d’être coincés entre le marteau et l’enclume, entre la pression pour verdir notre flotte et l’absence d’offre industrielle. »

De plus, ces véhicules sont plus chers à l’achat et leur réseau d’avitaillement (les stations d’approvisionnement en gaz ou en électricité) est très peu développé. Pour prendre en compte le surcoût, le gouvernement a reconduit son système de sur-amortissement (40 % de déduction fiscale) sur l’achat de matériel neuf au gaz jusqu’au 31 décembre 2024.

 » LES CARNETS DE COMMANDES NE SONT PAS REVENUS AU NIVEAU D’AVANT LA CRISE ET IL FAUDRA DU TEMPS POUR FAIRE REVENIR LES CLIENTS. « 

Et dans le cadre du plan de relance de l’économie, il a annoncé la mise en place d’un bonus pour l’achat de véhicules lourds fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène. « Il s’agit d’une prime de 30 000 euros pour l’achat d’autocars électriques et hydrogènes, des véhicules rares ou qui n’existent pas », ironise Jean-Sébastien Barrault. Un montant d’autant plus étonnant que les transporteurs routiers qui achèteront des camions au gaz bénéficieront, eux, d’une prime de 50 000 euros, alors que ces véhicules coûtent deux fois moins que des cars propres. Le président de la FNTV plaide donc pour un renforcement des aides à la conversion des véhicules. Selon lui, les autorités organisatrices des mobilités ont aussi une part de responsabilité : la durée des marchés est trop courte pour laisser le temps aux entreprises d’amortir des véhicules plus chers à l’achat. De plus, ajoute-t-il, si les appels d’offres demandent de plus en plus souvent de chiffrer une option portant sur l’utilisation de véhicules « propres », force est de constater que cette option n’est quasiment jamais retenue.

Carburants alternatifs et rétrofit

Pour pouvoir s’engager efficacement et rapidement dans la transition énergétique, la FNTV souhaiterait que deux pistes soient étudiées. La première passe par une meilleure reconnaissance des carburants alternatifs. « Utiliser du carburant B100, par exemple, pourrait permettre d’accélérer la transition énergétique en France, mais les textes ne le prévoient pas. Ils s’attachent uniquement à la motorisation », regrette le président de la Fédération qui suggère aussi de travailler la piste du rétrofit des matériels. « Les conversions des véhicules diesel au gaz ou à l’électrique restent encore artisanales en France, alors que d’autres pays sont plus avancés sur ce sujet. » Il précise que cela n’aurait de sens que si on augmentait la durée de vie des autocars, dont la moyenne est aujourd’hui de 14 ans. La FNTV planche sur cette question avec le ministre des Transports, Jean Baptiste Djebarri, qui a mis en place une task force de la transition énergétique, réunissant les transporteurs, les constructeurs de véhicules et les énergéticiens afin d’établir une convention entre l’ensemble de ces acteurs et l’Etat. Trois groupes de travail ont été constitués : usages et mix énergétique ; offre des constructeurs et avitaillement et aspects économiques et TCO (total cost of ownership).

Calendrier à revoir

Dans la mesure où les autocaristes ne sont pas concernés par la réduction de la ristourne de la TICPE ou par l’écotaxe, la FNTV se dit favorable au projet de loi Climat et Résilience et pas opposé à l’amendement qui vise à interdire la vente des autocars thermiques en 2040. « C’est une interdiction de vente, pas d’usage et c’est un bon moyen de mettre la pression sur les industriels », explique Jean-Sébastien Barrault. Face à l’extension des Zones à Faibles Emissions (ZFE) dans les grandes métropoles, qui conduisent à y interdire les autocars thermiques, la FNTV espère que les négociations menées dans le cadre de la convention sur la transition énergétique, lui permettront de se mettre d’accord avec l’Etat sur un calendrier réaliste. La Fédération a déjà fait savoir à la mairie de Paris que la profession ne serait pas prête pour l’échéance de 2024. « Pour lutter contre la pollution routière, nous comprenons que l’on ne puisse pas attendre 14 ans, le temps nécessaire pour renouveler l’intégralité de notre parc. Mais nous voudrions un calendrier raisonnable pour sortir du diesel, qui prenne en compte les disponibilités des constructeurs. »

Multiplication des achats et des fusions

Les lois Notre et LOM ont étendu le champ de compétences des régions, faisant craindre un éloignement du centre de décisions. D’où aussi une tendance au lancement d’appels d’offres sur des lots de taille plus importante. « Les cahiers des charges ont tendance à devenir plus complexes », indique le président de la FNTV. Un mouvement de concentration dans le secteur a déjà commencé pour constituer des groupes plus importants et donc censés être plus puissants pour répondre aux appels d’offres. En dix ans le nombre d’entreprises du transport routier de voyageurs est ainsi passé de 3000 à 2000, alors que dans le même temps le trafic augmentait.

 » NOUS AVONS LE SENTIMENT D’ÊTRE COINCÉS ENTRE LE MARTEAU ET L’ENCLUME, ENTRE LA PRESSION POUR VERDIR NOTRE FLOTTE ET L’ABSENCE D’OFFRE INDUSTRIELLE. « 

Certes, les créations de TPE se poursuivent, mais les fusions et rachats se multiplient. Les PME représentent encore 55 % des cartes grises, mais une tendance se dessine avec des entreprises plus importantes et présentes sur plusieurs territoires. Le président de la FNTV constate aussi que les autorités organisatrices sont tentées d’acheter elles-mêmes le matériel, comme cherche à le faire actuellement Ile-de-France Mobilités. « Les chefs d’entreprise n’y sont pas favorables, car ils redoutent qu’en étant dépossédés de leur matériel, leur rôle se limite à gérer les problèmes de personnel », prévient-il. Il estime que d’ici une dizaine d’années, le transport interurbain devrait connaître la même organisation que le transport urbain, avec des collectivités devenues propriétaires du matériel et demandant de plus en plus de services.

L’ouverture à la concurrence en Ile-de-France n’inquiète pas la FNTV puisque ses membres y sont déjà confrontés ailleurs. « Aujourd’hui, le mouvement est lancé. Ce n’est plus un sujet », résume son président. Mais, ajoute-t-il, « la FNTV a joué son rôle pour que les appels d’offres se passent bien ».

L’organisation professionnelle a ainsi conclu un accord avec les partenaires sociaux sur le transfert automatique du personnel attaché à un lot, lorsque celui-ci est perdu par une entreprise. Cette possibilité n’était pas prévue par le Code du travail qui n’envisageait que le transfert automatique d’une entité économique et sociale, c’est-à-dire au niveau d’une entreprise. Or, l’ouverture à la concurrence du transport interurbain en Ile-de-France a pour particularité de porter sur des lots qui ne concernent qu’une partie de l’activité de l’entreprise. Il fallait donc régler ce problème.

Le sujet social est d’ailleurs au cœur des actions de la FNTV, qui se préoccupe de longue date des difficultés de recrutements du secteur. Or, ses besoins sont croissants en raison d’une pyramide des âges vieillissante. La profession doit travailler sur son manque d’attractivité du fait des niveaux de rémunération pratiqués et parce que 40 % des postes proposés sont à temps partiel. Pour les rendre plus attractifs, la FNTV et le ministère du Travail ont travaillé à la mise place d’un pacte gagnant-gagnant. La Fédération discute du sujet avec les partenaires sociaux pour voir comment jouer sur la complémentarité avec d’autres secteurs d’activité.

S’agissant des revalorisations salariales, le gouvernement a demandé au CNR de créer un indice qui servira de références auprès des autorités organisatrices de la mobilité. « Nos entreprises qui ont de nombreux contrats pluriannuels, doivent pouvoir répercuter l’évolution de leurs coûts de revient de façon objective et fiable. Cet indice a vocation à être utilisé dans les clauses de revalorisation des marchés », explique Jean-Sébastien Barrault.

Pour faciliter les recrutements des jeunes, le gouvernement a aussi accepté de baisser l’âge minimal pour l’obtention du permis D à 18 ans. « Le permis à 21 ans était un obstacle. Nous ne recrutions que des gens pour qui c’était un 2e emploi, ou une reconversion ». Une réforme bienvenue et saluée par le secteur qui pourra ainsi attirer plus facilement de nouveaux profils de candidats aux postes de conducteurs.

Valérie Chrzavzez


Une fédération au service des autocaristes et de leur écosystème

Jean-Sébastien Barrault, président du groupe Bardhum est, depuis 2017, président de la Fédération Nationale des Transports de Voyageurs (FNTV). Créée en 1992, après une scission avec la FNTR, la FNTV regroupe 1 500 autocaristes, dont une majorité de TPE. Parmi les nouveautés, depuis trois ans, FNTV Nouvelles Mobilités, a été créée pour représenter les nouvelles activités, des sociétés de covoiturage aux plateformes de mobilités.

La FNTV a pour mission d’aider ses adhérents en les informant, de promouvoir les entreprises du transport routier de voyageurs en menant des opérations de lobbying auprès des pouvoirs publics, de négocier avec les partenaires sociaux l’évolution de la convention collective et d’assurer la promotion des métiers du secteur.


Cars Macron : des pistes pour un nouveau modèle économique

Le 7 août 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, autorisait l’ouverture à la concurrence du transport par autocar. Dès 2016, leur taux de remplissage atteignait 38 %. Ces cars ont permis de créer près de 3 000 emplois, permettant de démocratiser les transports, 60 % de leurs utilisateurs rapportent qu’ils n’auraient pas voyagé sans cette solution, affirme la FNTV. Depuis leur création, les cars Macron ont transporté plus de 40 millions de voyageurs, avec une tendance à la hausse jusqu’en 2020.

Mais la crise sanitaire a fait retomber leur niveau d’activité au niveau de 2016.

Reste qu’ils n’ont jamais été rentables. Leur pérennité dépendra de leur capacité à le devenir, souligne Jean-Sébastien Barrault, pour qui les marges de manœuvre sont limitées. Augmenter leurs prix, leur ferait perdre des voyageurs, c’est pourquoi la FNTV estime que la seule piste envisageable serait de faire baisser leurs charges, en diminuant les droits de toucher et de péage. Deux postes qui représentent 25 % de leurs coûts de revient.