20 000 places de plus chaque semaine. C’est la promesse de la SNCF cette année pour le TGV Paris-Bordeaux, qui affiche souvent complet, du moins au moment des départs en week-end ou des congés d’été. Ces sièges en plus représenteront une augmentation de 9 % de la capacité des TGV vers le sud ouest.
La SNCF espère ainsi répondre aux récriminations régulières de voyageurs et d’élus qui réclament plus de places et critiquent sa politique jugée restrictive alors que le TGV Paris-Bordeaux affiche une fréquentation en pleine croissance : + 70 % de voyageurs en plus depuis 2017, année de lancement de la nouvelle LGV Tours-Bordeaux.
« Les voyageurs ont une perception de rareté de l’offre ferroviaire car les trains sont souvent complets et il n’y a pas de flexibilité pour changer d’horaire », estime la Fnaut. La fédération d’usagers est aussi convaincue que le nombre de places offertes est en recul sur la LGV Sud Europe Atlantique (SEA) « SNCF Voyageurs proposait 66 000 sièges quotidiens en juin 2019. En juin 2022, elle n’en proposait plus que 59 000 chaque jour, soit une baisse de 7 000 sièges par jour, l’équivalent de 14 rames Océane par jour », affirme un de ses représentants.
Divergences sur le nombre de sièges offerts
Des chiffres réfutés par la SNCF. « La Fnaut se base sur les comptages de la société Lisea, qui recense le nombre de sillons commercialisés. Elle ne tient pas compte des rames en unités multiples que nous utilisons. Cela ne reflète pas la réalité du marché », répond Franck Dubourdieu, le nouveau directeur de l’Axe Atlantique arrivé il y a six mois à ce poste. « Si le nombre de sillons entre l’Ile-de-France et Bordeaux est en baisse, c’est principalement parce que nous avons modifié les circulations intersecteurs. Mais la liaison Paris-Bordeaux est mieux desservie et l’offre y est en hausse par rapport à 2017 et par rapport à 2019 », affirme le dirigeant.
Pour augmenter le nombre de sièges, la SNCF fait rouler davantage de rames doubles (ou en unités multiples pour reprendre le jargon ferroviaire). « Nous avons connu une période compliquée, liée au parc que nous utilisions, supposé beaucoup plus homogène qu’il n’est réellement », explique Franck Dubourdieu. Cette période compliquée était due, selon lui, à un décalage entre la hausse du trafic voyageurs et l’arrivée des nouvelles rames Océane permettant d’embarquer plus de monde à bord. Ainsi, explique le responsable SNCF, quand le TGV Sud Europe Atlantique a été lancé en 2017, « la SNCF disposait d’à peine 40 % de rames pouvant rouler en double unité sur Paris-Bordeaux, le reste étant constitué de TGV Atlantique à un niveau ». Aujourd’hui, le rapport s’est inversé et on compte 60 % unités multiples et 100 % de rames Océane. « Par rapport à un TGV Atlantique, une rame Océane offre plus de 100 places en plus, et donc plus de 200 places en plus quand nous faisons rouler une unité multiple », souligne le directeur de l’Axe Atlantique. « Sur les Paris-Bordeaux directs ou rapides, nous sommes revenus à
19 fréquences quotidiennes, avec uniquement des rames Océane qui sont plus capacitaires et qui peuvent être utilisés en unités multiples. Notre objectif est de développer le trafic ».
Succès indéniable
La SNCF reconnaît le succès « indéniable » du Paris-Bordeaux. Un succès qui s’est accéléré suite à la crise du Covid et avec le développement du télétravail. « On a observé un nombre grandissant de personnes faisant le choix de quitter l’Ile-de-France. Nous constatons d’ailleurs le même phénomène vers Rennes, Nantes, Angers, ou même vers Angoulême. Nous le voyons avec l’explosion des abonnements : le nombre des abonnés a plus que doublé sur les origines-destinations attrayantes en termes de temps de parcours, autour de deux heures », précise Franck Dubourdieu.
La fréquentation est donc très forte sur toute la façade atlantique. Et pas seulement sur le sud ouest « Nous devons trouver un équilibre pour faire circuler suffisamment de trains sur tous ces marchés, donc arbitrer avec les autres succès sur l’Atlantique car les Bretons ne sont pas en reste », ajoute le directeur.
Face à cette croissance de la fréquentation, la SNCF affirme engager le plus de rames possible et les faire tourner au maximum. Elle a aussi injecté des Ouigo et lancé la carte Avantage pour multiplier les petits prix. Dans le même temps, les déplacements professionnels à la journée, les plus rémunérateurs, ont reculé d’au moins 20 %. « Nous pensons qu’une partie des professionnels ne reviendra pas. Or, nous avons besoin de cet équilibre », rappelle Franck Dubourdieu. Enfin, poursuit-il, pour ajouter des sièges, il faut aussi avoir des clients en semaine et pas seulement au moment des grands départs.
Déficit structurel
La SNCF se fixe toutefois une limite : l’impossibilité d’alourdir ses pertes sur un axe qu’elle a toujours qualifié de déficitaire. En 2019, année de référence, et malgré la croissance du trafic, la compagnie ferroviaire a affiché un déficit de 87 millions d’euros sur cette LGV. La faute, selon elle, aux péages élevés demandés par Lisea, le concessionnaire de la ligne Tours-Bordeaux.
Les pertes de la SNCF pourraient encore s’aggraver avec la hausse programmée des tarifs des péages demandés par la filiale de Vinci Concessions. « Si on prend en considération la hausse prévue d’ici à 2024, l’augmentation du prix des péages aura atteint 44 % depuis 2017 », affirme Franck Dubourdieu. « La base du modèle économique qui nous est proposée ne nous permet pas de nous développer sereinement, c’est-à-dire en nous permettant d’investir. Nous arrivons à une tangente que nous ne savons pas dépasser ».
D’où un « questionnement » sur le modèle économique de Tours-Bordeaux que la SNCF souhaite partager « collectivement ». L’entreprise, qui discute depuis de longs mois avec Lisea, cherche à sensibiliser les élus sur le sujet. «Le trafic augmente mais les péages augmentent également alors que nos prix stagnent, voire baissent par rapport aux prix moyens que l’on applique. Si nous voulons dépasser ce cap, il faut se questionner collectivement pour voir comment faire. Nous sommes dans une position constructive et ouverts à la discussion avec tout le monde, élus, associations… Il faut trouver une solution », ajoute Franck Dubourdieu en rappelant que la SNCF est toujours le seul client de Lisea. « Cela peut questionner. Lisea aussi a intérêt à ce que la situation évolue », estime-t-il.
Pour Lisea, le sujet ne date pas d’hier mais a été « réactivé » depuis quelques mois. « Notre contrat de concession définit les hausses de péages sur toute la durée de la concession, c’est-à-dire jusqu’en 2061. Il y a donc une grande lisibilité », rappelle Philippe Jausserand, le directeur général adjoint de Lisea. « Nous regardons dans quelle mesure nous pouvons agir sur les péages mais nous sommes soumis à des contraintes de plusieurs ordres, notamment financières. Notre aptitude à négocier est donc très encadrée. Si une solution est trouvée, nous nous tournerons vers nos prêteurs et ils auront leur mot à dire ».
Dispositif incitatif
Le chiffre d’affaires de Lisea dépend aujourd’hui à 100 % des redevances payées par la SNCF. Redevances qui s’élèvent, selon la filiale de Vinci, à 250 millions d’euros annuels, alors que le péage sur l’axe Paris-Bordeaux atteint 33,5 euros le train-km (comprenant à la fois les péages du tronçon Paris-Tours perçus par SNCF Réseau et ceux de Tours-Bordeaux, Lisea ne précisant pas sa part). « Si la SNCF perd une centaine de millions d’euros sur l’axe Tours-Bordeaux, il faudrait un tarif autour de 15 ou 17 euros le train-km sur le deuxième axe ferroviaire le plus fréquenté de France, soit un montant deux fois moins élevé que sur la liaison Paris-Lyon », souligne Philippe Jausserand. Selon lui, la SNCF pourrait bénéficier de tarifs attractifs si elle lance un nouveau service, comme ce serait le cas pour tout nouvel opérateur se présentant sur le marché. « Nous avons mis en place un dispositif incitatif : en cas de nouvelle desserte, la réduction de tarif atteint 40 % la première année, 30 % la seconde, 20 % la troisième… Tout nouveau service est éligible pendant cinq ans. C’est un élément nouveau prévu dans notre document de référence 2024 », précise le directeur. Ce pourrait être une liaison Bordeaux-Lyon ou Bordeaux-Nantes ou encore un Paris-Bordeaux sur un sillon non utilisé.
Lisea affirme également discuter avec « de nouveaux entrants potentiels », comme la société Le Train et d’autres compagnies européennes, qui ont des projets « pas encore totalement matures ». Son idée de construire un centre de maintenance au sud de Bordeaux (projet qui nécessitera encore au moins 4 ans avant d’être concrétisé) doit contribuer à les aider à franchir le pas.
Marie-Hélène Poingt