Les pouvoirs publics préparent les esprits à faire des économies d’énergie à partir de cet automne. Dès la fin juillet, le gouvernement avait demandé à tous les opérateurs de transports (tout comme aux entreprises d’autres secteurs) de travailler sur un plan de sobriété, afin de contribuer à une baisse de consommation d’énergie de 10 %, première étape avant une réduction de 40 % d’ici 2050.
« Le secteur des transports, c’est 30 % de la consommation d’énergie et 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Donc il est clair qu’il y a une responsabilité particulière de ce secteur, mais ce dernier est aussi une partie importante de la solution »,a indiqué Clément Beaune, le ministre chargé des Transports en recevant le 6 septembre les propositions d’économies d’énergie des opérateurs de transport. « Nous avons commencé à lister les secteurs les plus avancés dans la maîtrise de la consommation d’énergie, de façon très concrète », a ajouté le ministre, qui cite « l’écoconduite ou l’écostationnement pour les transports publics – les trains en particulier – afin de réaliser des économies qui représentent entre 7 à 15 % de la consommation actuelle d’énergie ».
Ecoconduite…
L’enjeu est fort pour la SNCF, qui avec 10 % de la consommation industrielle nationale (soit entre 1 et 2 % de la consommation totale) est l’un des plus grands consommateurs d’électricité en France. D’une part avec ses 15 000 trains circulant par jour en France, dont 11 000 trains de voyageurs à 90 % en mode électrique, mais aussi dans ses nombreux locaux, qu’il s’agisse des technicentres ou des bureaux.
Au sujet de ses trains, la SNCF indique intensifier depuis plusieurs mois les actions pour économiser sa consommation d’énergie, notamment en développant l’écoconduite, qui devrait permettre de réduire jusqu’à 10 % la consommation d’énergie sur un train sans réduire sa vitesse moyenne. « L’écoconduite sur les trains, c’est quand vous pouvez adapter, sur un trajet donné, les moments où vous allez accélérer ou réduire un peu la vitesse, le tout en ayant la même vitesse moyenne. Il y a aujourd’hui des applications informatiques qui aident concrètement les conducteurs de trains, de TGV en particulier, à adapter la conduite en fonction des conditions météorologiques », décrit Clément Beaune. Cette démarche s’inscrit d’ailleurs dans une très longue tradition, les économies étant déjà encouragées du temps de la vapeur (la fameuse prime de charbon) ou à bord des tramways « à l’ancienne », dont l’agent de conduite était appelé « wattman » !
… et écostationnement
La SNCF cherche aussi à fournir des efforts de sobriété dans ses bâtiments industriels, dans ses bureaux et espaces tertiaires. Au sein de cette démarche, « l’écostationnement, c’est quand un train ou un bus est dans un centre de maintenance et que l’on fait attention à la consommation de chauffage ou d’électricité. Les entreprises comme la RATP ou la SNCF ou d’autres opérateurs de transport sont très innovants pour aboutir à des économies d’énergie », précise le ministre chargé des Transports.
Aux recettes bien connues depuis les crises des années 1970 en hiver (limiter le chauffage, fermer les portes, isoler les points d’échange thermiques…) se sont ajoutées les nouvelles solutions en matière de climatisation (puits canadien) sur les bâtiments récents ou d’éclairage (remplacements des ampoules ou des tubes fluorescents par des LED). C’est pourquoi le renouvellement du parc immobilier, en particulier pour ce qui est des nouveaux technicentres certifiés HQE (haute qualité environnementale) depuis une bonne quinzaine d’années, participe déjà largement à la baisse du bilan énergétique de la SNCF.
De fausses bonnes idées
En revanche, la diminution de la vitesse de circulation des trains serait une fausse bonne idée, juge la SNCF. « La réduction de la vitesse des trains désorganiserait tous les plans de transport et les correspondances pour les voyageurs sans être le plus efficace sur le plan énergétique », assure-t-elle. De fait, en dégradant la performance de ses trains, elle redonnerait un avantage compétitif à l’avion et à la voiture. Pas très malin dans une période où il faut soutenir les déplacements les moins carbonés…
Et encore moins malin serait de supprimer des circulations de trains, comme l’a affirmé Le Parisien. Dans son édition du 4 septembre, le quotidien a annoncé que la SNCF travaillait, à la demande de l’exécutif, sur un plan de transport dégradé en cas de sévères pénuries, « un scénario noir qui ne serait utilisé qu’en cas d’ultime recours ». Le gouvernement a aussitôt démenti l’information, expliquant avoir demandé à la SNCF de faire des économies, mais pas de se préparer à faire circuler moins de trains cet hiver en cas de pénurie d’électricité. « La sobriété, ce n’est pas moins de transport ou moins de mobilité », a souligné Clément Beaune, car « le transport, c’est aussi la solution à la transition écologique, en encourageant le report vers des modes qui peuvent être moins polluants. C’est là que se situe un très grand réservoir de réduction des gaz à effet de serre ».
« Nous travaillons à tous les scénarios dans le cadre de ce plan de sobriété. Aucun n’est privilégié et aucun n’est décidé », a indiqué de son côté la SNCF. « Nous nous adapterons aux demandes du gouvernement comme nous l’avons toujours fait pendant la période Covid ».
Quel que soit le scénario retenu, le mode de transport ferroviaire reste un champion incontesté de la frugalité, que ce soit pour le faible niveau de ses émissions ou sa consommation énergétique. Mais mieux un train est rempli, plus les économies sont réelles pour la Société prise dans son ensemble, en particulier si ce train transporte des voyageurs qui auraient pu prendre l’avion ou pratiquer l’autosolisme. Rappelons en effet qu’avec un taux d’occupation de l’ordre de 60 %, un voyageur en train consomme grosso modo cinq fois moins d’énergie par km parcouru qu’en roulant dans une voiture avec un autre passager à son bord ou sept fois moins qu’en volant dans un avion moyennement rempli…
Des économies à chaque lancement de nouveaux matériels
En allant plus loin, les trains peuvent-ils encore mieux faire en matière de frugalité énergétique ? La réponse est oui, selon leurs constructeurs, qui à chaque mise en service d’un nouveau matériel roulant depuis un quart de siècle n’affichent jamais moins de « 15 % d’économies d’énergie par rapport à la génération précédente », quand ce n’est pas de l’ordre de 20 %… Voire 37 % par place assise pour le TGV M, par rapport au Duplex, avec 20 % de voyageurs en plus, il est vrai.
Loin du « greenwashing », ces économies – réelles – sont dues à un ensemble d’innovations qui ont permis d’alléger les trains ces dernières décennies, tant au niveau structurel que par la compacité des nouvelles chaînes de traction, du fait de l’évolution de l’électronique de puissance. Ceci alors que la récupération de l’énergie de freinage a bien progressé, mais pourrait progresser encore avec l’évolution des batteries et des condensateurs, les nouvelles sous-stations électriques réversibles ou l’écoconduite citée plus haut. Car moins de cycles décélération-accélération sur un très grand nombre de trains permettraient de réaliser des économies considérables, auxquelles devraient contribuer l’automatisation de la marche des trains ou du moins la généralisation de dispositifs d’aide à la conduite, le tout associé à un système de signalisation fluidifiant le transit ferroviaire, comme ERTMS.
Ajoutons que dans le domaine du confort dans les trains, la généralisation des LED depuis une vingtaine d’années a divisé par 8 à 10 la consommation d’énergie dans l’éclairage intérieur des trains et sur les signaux lumineux. En même temps, l’amélioration du chauffage en hiver et la récente généralisation de la climatisation sont a priori énergivores. Mais sur ces points, les dernières générations de trains ont fait de grands progrès avec l’installation de capteurs permettant de connaître le nombre de voyageurs (par exemple par mesure du CO2 émis par leur respiration) afin d’adapter la climatisation au plus juste, sans perte de confort thermique…
Tous ces points font que les nouvelles générations de trains sont déjà susceptibles de permettre des économies substantielles, d’autant plus que les calculs basés sur le cycle de vie du matériel, en tenant compte du coût de possession, peut amener les propriétaires de parcs à remplacer les matériels roulants trop gourmands, donc trop onéreux à la longue, par des matériels moins chers à l’emploi.
Patrick Laval avec Marie-Hélène Poingt