La SNCF a réalisé un bel été en transportant 23 millions de personnes sur son marché domestique, soit 10 % de plus qu’en 2019, souligne, dans une interview accordée à Ville, Rail & Transports, Christophe Fanichet, le PDG de SNCF Voyageurs. Alors que des pénuries de main-d’œuvre se font de plus en plus sentir dans de multiples secteurs, le dirigeant fait du recrutement une de ses priorités.
Ville, Rail & Transports : La SNCF parle d’un été record. Quel est le bilan chiffré ?
Christophe Fanichet : C’est un très bel été pour le tourisme, pour le train et pour la SNCF. Sur les grandes lignes, nous avons transporté 10 % de voyageurs en plus comparé à l’année 2019. Soit 23 millions de voyageurs sur le marché national, et 28 millions en comptant l’international. Sur septembre, les premiers indicateurs montrent que l’envie de train ne se dément pas pour les voyageurs loisirs. Pour les pros, il faudra attendre la fin septembre.
L’été s’est globalement bien passé malgré la canicule et les conditions climatiques exceptionnelles. Des dizaines et des dizaines de milliers de cheminots ont été sur le pont et ont permis la réalisation de notre plan de transport. Je leur dis un grand merci. Le 14 juillet, tous les trains sont partis et 2 millions de voyageurs ont été acheminés même si la canicule nous a obligés à adapter nos plans de transport, c’est-à-dire à réduire la vitesse de circulation des trains. Nous avons su le faire. Ce qui n’a pas été le cas partout ailleurs en Europe.
VRT : Comment mieux anticiper les canicules qui devraient se multiplier à l’avenir ?
C. F. : J’ai demandé aux équipes de SNCF Voyageurs et plus particulièrement à la direction Industrielle de travailler sur les retours d’expérience concernant tous les trains et de prendre en compte la canicule dans nos standards.
Cet été, personne ne nous en a voulu quand les trains avaient 5 à 10 minutes de retard à cause de la canicule : les voyageurs ont reçu des SMS les informant que leur train aurait peut-être du retard. Mais cela peut faire rater une correspondance. Il faut donc que nous revoyions nos standards pour mieux nous adapter. Nous regardons comment les intégrer dans nos process, en coopération avec SNCF Réseau. Nous ouvrons tout le champ du possible sans que cela nuise à l’attractivité du train.
VRT : En début d’été, on a entendu des critiques sur l’insuffisance de sièges offerts sur certaines liaisons, en particulier sur l’axe Paris-Bordeaux. Limitez-vous les circulations en raison du coût des péages ?
C. F. : Cet été, nous avons sorti tous nos trains et proposé, au plan national, 500 000 sièges de plus qu’en 2019. Il n’y a ainsi jamais eu autant de places offertes sur la ligne Paris-Bordeaux que cette année ! L’offre y a été accrue d’environ 3 %. Cela peut paraître un petit pourcentage mais, à l’échelle de la SNCF, un petit pourcentage concerne beaucoup de voyageurs.
Toutefois, les péages sont très élevés sur cette ligne. Il faut trouver une solution sur leur montant. Nous en discutons avec Lisea. La SNCF ne dimensionne pas son plan de transport seulement sur les quelques week-ends de pointe de l’année mais de façon à être en équilibre économique sur une durée longue.
VRT : Vous avez commandé à Alstom 15 TGV M supplémentaires, capables de circuler en Europe. Pour quelles lignes ?
C. F. : Cette levée d’option entre dans le cadre d’une commande de 100 TGV M qui seront livrés à partir de 2024. Il était prévu de pouvoir commander des TGV internationaux. Comme nous voyons que les trafics repartent et que le ferroviaire est un temps long, nous commandons dès maintenant ces rames qui pourront aller partout, aussi bien en France qu’en Suisse, qu’en Italie, en Belgique. Ces rames n’arriveront qu’en 2026-2027. Elles sont modulaires, ce qui est très important car elles permettront d’ajuster le nombre de voitures en fonction du marché ou de reconfigurer la composition entre 1re et 2de classe.
VRT : Après ce bel été, la rentrée s’annonce plus compliquée… La SNCF fait-elle face à une pénurie de conducteurs comme l’affirment les syndicats et la presse (1 200 conducteurs manquants selon Libération) ? Y a-t-il eu un manque d’anticipation ?
C. F. : Plusieurs phénomènes s’additionnent en cette rentrée. Il y a le sujet, vécu par tous, de la baisse du pouvoir d’achat, de l’inflation, de la crise énergétique, des difficultés d’approvisionnement en pièces industrielles. Si des problèmes d’approvisionnements perdurent, il y aura un impact sur notre plan de transport que nous devrons adapter.
Nous rencontrons aussi des difficultés, comme tous les secteurs, à recruter. Cela vient d’une forme de situation de plein-emploi pour les profils industriels très recherchés.
Il y a aussi l’effet de la crise Covid, pendant laquelle nous n’avons pas pu autant former et recruter que nous aurions voulu. Toutefois, contrairement à d’autres secteurs, nous avons maintenu l’emploi et continué à recruter. C’est ce qui nous a permis de réaliser tous nos plans de transport cet été, même si nous avons dû les adapter ici ou là. Pour autant, cet effet retard dû au Covid se ressent maintenant car il faut 12 mois pour former un conducteur.
Nous reconnaissons qu’il y a une tension sur le métier de conducteur qui obère le plan de transport. Mais c’est ponctuel et c’est sous maîtrise. Il peut manquer quelques conducteurs, mais c’est circonscrit à quelques zones. Cela nous oblige à modifier certains de nos plans de transport comme sur le RER C à hauteur de moins de 5 %. Nous connaissons aussi des tensions sur d’autres métiers, en particulier dans les ateliers. C’est une situation difficile qui nous mobilise pleinement, mais quand nous nous comparons à d’autres industries, nous constatons que nous maîtrisons bien mieux le sujet.
En revanche, je réfute le chiffre de 1 200 conducteurs manquants, publié par le journal Libération. Ce chiffre correspond aux formations de conducteurs que nous comptons faire en 2022 pour qu’ils soient opérationnels en 2023. Plus précisément, nous recruterons cette année un bon millier de conducteurs en externe et une grosse centaine en interne.
Sur ces 1 100 postes de conducteurs à pourvoir en externe, nous avons déjà recruté 450 personnes. Nous sommes donc quasiment à mi-chemin de notre plan de recrutement. L’ensemble des agences de recrutement tournent à plein régime, les transporteurs, TGV, TER, Transilien sont sur le pont sur ce sujet. C’est une des priorités que je leur ai fixées.
VRT : Ne faut-il pas aussi encore augmenter les salaires pour être plus attractif ?
C. F. : Suite aux discussions en juillet avec les organisations syndicales, une hausse de 3,1 % des salaires ainsi qu’un effort sur les bas salaires ont été décidés. Ces augmentations ont fait suite aux 2,7 % de hausse déjà prévue dans le cadre des NAO (négociations annuelles obligatoires, ndlr). Nous continuerons à discuter de cette question, en raison de l’inflation et du sujet du pouvoir d’achat. Mais cela se traite au niveau de l’ensemble du groupe.
La question de la formation initiale se pose aussi. Puisqu’il y a un appétit de train, il faut que la filière ferroviaire propose des formations. Et pour donner envie, il y a une carte à jouer autour de l’écologie. Nous n’avons sans doute pas assez dit que nous étions une entreprise déjà ancrée au cœur de cette réflexion. Notre credo, c’est d’être l’entreprise de transport et de mobilité partagée la plus écolo de France ! Nous devons expliquer aux jeunes que s’ils veulent contribuer à la transition énergétique, il faut qu’ils viennent travailler à la SNCF !
VRT : La SNCF n’a-t-elle pas perdu de son attrait avec la fin du statut ?
C. F. : J’entends ce que disent les organisations syndicales, selon lesquelles nous avons perdu une part d’attractivité et peinons désormais à recruter avec la fin du statut. Je ne le pense pas car c’est une situation qui concerne tous les secteurs industriels, avec ou sans statut.
LVDR : Craignez-vous une rentrée sociale compliquée ?
C. F. : Il peut y avoir, ici ou là, des tensions mais elles sont locales et elles sont traitées par le management localement. La rentrée est une période sensible. Dans son discours il y a quelques jours, la Première ministre a parlé de sobriété et de rationnement. La SNCF se doit d’être au rendez-vous pour accompagner les Français.
VRT : La SNCF n’a-t-elle pas perdu de son attrait avec la fin du statut ?
C. F. : J’entends ce que disent les organisations syndicales, selon lesquelles nous avons perdu une part d’attractivité et peinons désormais à recruter avec la fin du statut. Je ne le pense pas car c’est une situation qui concerne tous les secteurs industriels, avec ou sans statut.
VRT : Craignez-vous une rentrée sociale compliquée ?
C. F. : Il peut y avoir, ici ou là, des tensions, mais elles sont locales et elles sont traitées par le management localement. La rentrée est une période sensible. Dans son discours il y a quelques jours, la Première ministre a parlé de sobriété et de rationnement. La SNCF se doit d’être au rendez-vous pour accompagner les Français.
Propos recueillis par
Marie-Hélène Poingt