Le TGV n’est pas un service public, a récemment affirmé Jean-Pierre Farandou quand il était encore PDG du groupe SNCF. C’est un des arguments repris par Sud Rail qui demande pourquoi les cheminots affectés au TGV devraient déposer un préavis de grève et se déclarer grévistes 48 heures à l’avance comme le prévoit la loi sur le service garanti dans les transports terrestres alors qu’ils devraient relever du droit privé. Le syndicat a saisi l’inspection du travail de la Seine-Saint-Denis qui vient de lui donner raison. Dans une lettre datée du 21 octobre dont Ville, Rail & Transports a eu connaissance, une inspectrice du travail estime que l’obligation de dépôt d’un préavis de grève ne devrait pas s’appliquer « aux agents de SNCF Voyageurs affectés aux services librement organisés » (SLO, autrement dit les TGV).
Une distinction entre trains du service public et TGV
L’inspectrice du travail distingue les agents travaillant pour les trains du service public (TER, Transilien, Trains d’équilibre du territoire) de ceux affectés aux trains commerciaux (TGV). Elle estime que « le plan de prévisibilité n’est pas applicable aux services librement organisés pour lesquels il n’existe pas d’obligation de continuité de service public ». Et juge donc que les agents de la SA SNCF Voyageurs ne sont pas assujettis à la déclaration individuelle d’intention (DII). Rappelons que la DII impose à certains métiers (conduite, contrôle, aiguillage) de se déclarer 48 heures à l’avance afin que l’entreprise puisse mettre au point un plan de transport et en informer les voyageurs.
De plus, ajoute dans son avis l’inspectrice du travail, les agents soumis à DII ne doivent pas être réaffectés dans le plan de transport de l’entreprise si la durée de leur grève est inférieure à une journée de service. Ce choix n’est pas de nature fautive et ne peut justifier de mesures disciplinaires, écrit–elle. Ce type de grève est extrêmement perturbateur pour les entreprises de transport public qui demandent depuis plusieurs années aux décideurs politiques d’interdire cette pratique.
L’avis de l’inspection du travail est toutefois écrit avec de multiples précautions de langage car seule la justice a le pouvoir de trancher. Dans le cas où elle ne serait pas suivie, l’inspectrice alerte le syndicat « sur la gravité de la sanction imposée à une grève organisée en dehors d’un préavis dans l’hypothèse où où un tel assujettissement serait retenu par les juridictions saisies d’un tel contentieux ».
Une remise en cause possible de l’appel à des volontaires
SNCF Voyageurs, que nous avons interrogé, n’a pas du tout la même interprétation des textes. Selon la compagnie, « les salariés concourant aux TGV sont soumis à DII depuis 2008 car ils relèvent d’une entreprise chargée de l’organisation d’un service public : SNCF Voyageurs. A ce titre, la règlementation en matière de droit de grève s’applique à l’ensemble des salariés des activités de l’entreprise quel que soit le mode d’exploitation ». Selon la compagnie, le champ d’application du chapitre relatif au dialogue social et à la prévention des conflits collectifs et exercice du droit de grève du code des transports a d’ailleurs été étendu par ordonnance en 2019 aux entreprises exploitant des services librement organisés de transport ferroviaire de voyageurs.
Reste que la question est posée et interroge la stratégie mise en oeuvre par la direction qui a réussi, lors des dernières grèves, à en minimiser l’impact en faisant appel à des agents volontaires pour faire rouler un maximum de TGV. Une réorganisation possible grâce justement à l’obligation faite aux agents occupant des postes clés de se déclarer grévistes 48 heures à l’avance, ce qui lui permet de redéployer des effectifs en conséquence.
Une position syndicale qui ne fait pas l’unanimité
Sud Rail compte interpeler prochainement la direction sur le sujet. « L’avis de l’inspection du travail valide notre analyse. Nous verrons ce que la direction nous répondra. Nous ne nous interdisons rien pour la suite », indique Julien Troccaz, secrétaire fédéral de Sud Rail.
Mais la position de Sud Rail n’est pas forcément partagée par les autres organisations syndicales, attachées à la mission de service public assurée par le groupe SNCF. « Nous considérons que le TGV relève du service public et de l’aménagement du territoire. D’ailleurs on le voit bien puisqu’il participe à l’aménagement du territoire grâce au système de péréquation financière mis en place entre lignes rentables et non rentables », souligne Thomas Cavel, le secrétaire général de la CFDT Cheminots. De plus, selon lui, « le préavis de grève et la DII s’inscrivent dans une démarche d’alarme sociale qui permet de mener des négociations avec la direction ». Autrement dit, enlever cette prérogative pour l’activité des TGV reviendrait finalement à affaiblir les syndicats.