« Plus de régularité, plus de robustesse. » Quel que soit le contexte, on entend souvent ces mots dans la bouche du patron des TGV Alain Krakovitch. Et d’autant plus quand il évoque le projet d’amélioration de la voie ferrée qu’empruntent les TGV intersecteurs au sud de Paris entre Massy (Essonne) et Valenton (Val-de-Marne), handicapée par une voie unique et des cisaillements. Avec, cerise sur le gâteau, la perspective d’une nouvelle gare prometteuse près de l’aéroport d’Orly.
Interconnexion Sud
Retour en arrière. Dans l’euphorie du Grenelle de l’environnement, l’ambitieux programme de construction de LGV voté en 2009 comprenait une « Interconnexion Sud », destinée à compléter le contournement à grande vitesse de l’Ile-de-France pour le raccorder à l’axe Atlantique. Réseau Ferré de France à l’époque (désormais rebaptisé SNCF Réseau), a multiplié les études et même organisé fin 2010 un débat public, envisageant trois options largement souterraines, alors estimées entre 1,8 et 3,3 milliards d’euros. Un peu cher, peut-être… « Son échéance a été renvoyée à un horizon lointain », écrit pudiquement le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) dans son dernier rapport.
On s’est donc attaché à améliorer la voie ferrée existante, un morceau de la grande ceinture ferroviaire qui fait le tour de Paris. Les TGV venant de la LGV Atlantique y cohabitent sur 19 km avec le RER C et quelques trains de fret. Avec des petits bouts de voie unique aux extrémités « constituant un goulot d’étranglement et une source majeure de fragilité pour toute la grille horaire nationale ». Il s’agit donc de « déboucher les deux bouts », résume Gilles Gautrin, le directeur de la modernisation et du développement du réseau en Ile-de-France chez SNCF Réseau.
Deux projets
Le projet a concrètement été divisé en deux projets, « Massy-Valenton Ouest » et « Massy-Valenton Est ». Les travaux ont été longtemps retardés, en raison surtout de protestations des riverains et de l’opposition acharnée de la mairie d’Antony (Hauts-de-Seine), puis de l’incendie, en 2014, du poste d’aiguillage des Ardoines à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). L’abandon de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, a finalement aidé Massy-Valenton : le Grand Ouest n’aura pas de nouvel aéroport, mais il aura des TGV plus fiables.
A l’Est, le chantier s’est achevé fin 2021, sur la commune d’Orly (Val-de-Marne) : on a réaménagé les voies entre Pont de Rungis et Orly-Ville et créé un saut-de-mouton, afin que les TGV intercesseurs venant de l’Ouest ne se retrouvent plus en circulation alternée avec des RER circulant dans l’autre sens… L’opération comprenait également l’installation d’un poste d’aiguillage informatisé.
Les travaux battent leur plein de l’autre côté à Antony, dans un milieu contraint où le RER B croise le C, au milieu de pavillons et de barres d’immeubles. Les TGV intersecteurs y circulent actuellement sur un bout de voie unique, avant de pénétrer sur la grande ceinture moyennant un cisaillement.
Nouvelle voie
Il s’agit de créer une nouvelle voie ouest-est en reprenant un moment la plateforme actuelle du RER B avant de passer en tranchée couverte au nez de la gare des Baconnets pour rejoindre les voies du RER C. Doublement des voies et saut-de-mouton : « Le TGV sera autonome plus longtemps », décrit Gilles Gautrin. « Il ne passera plus par un tronçon de voie unique et ne sera plus en conflit avec les RER », même s’il devra toujours partager la grande ceinture stratégique avec eux pendant quelques kilomètres. Il ne gagnera d’ailleurs pas vraiment de temps.
Les voies du RER B vont être déplacées cet été sur 850 mètres ; le pont qui les fera passer sous le RER C est déjà construit (l’ouvrage actuel étant repris pour les TGV). Conséquence pour les voyageurs : la ligne sera coupée entre La Croix de Berny et Massy-Palaiseau pendant six semaines, du 15 juillet au 27 août inclus. D’autres interruptions sont prévues d’ici 2028.
Entretemps, SNCF Réseau a également supprimé un passage à niveau problématique sur la grande ceinture dans le quartier de la Fontaine-Michalon, toujours à Antony.
Peu cher et efficace
La fin du chantier — qui comprend aussi son lot de protections phoniques — est envisagée pour 2030, selon M. Gautrin. Le responsable de SNCF Réseau voit de nombreux avantages dans cette opération : moins d’irrégularités, plus de capacité, et « une bifurcation plus pratique » pour dérouter les TGV Atlantique en cas de problème à la Gare Montparnasse (notamment vers Austerlitz). Le tout pour 200 millions d’euros à l’Ouest et autant à l’Est, arrondit-il.
« C’est un projet peu cher qui est super efficace », avait indiqué en avril, lors d’un Club VRT, Alain Krakovitch. Le patron des TGV, qui était auparavant celui des trains de banlieue Transilien, attend donc « plus de régularité, plus de robustesse », tant pour les intersecteurs que pour les RER, mais aussi pour les trains de marchandises. L’achèvement de Massy-Valenton Est permettra de faire passer 74 TGV par jour, contre 51 actuellement (sachant que SNCF Voyageurs en fait effectivement circuler une quarantaine).
Point d’arrêt à Pont-de-Rungis
Et après ? Le projet d’Interconnexion Sud comprenait une gare nouvelle à proximité de l’aéroport d’Orly, voire carrément sous l’aérogare. On n’en est plus là, mais les études ont repris pour créer un point d’arrêt des TGV à Pont-de-Rungis. Il serait couplé à la gare du RER C et en correspondance avec la ligne 14 du métro parisien, nouvellement prolongée (la station s’appelant Thiais-Orly). Cette ligne 14 permettrait de gagner l’aéroport en quelques minutes, et le cas échéant de rejoindre Paris facilement en cas de pépin à Montparnasse.
Un projet particulièrement « efficace » pour Alain Krakovitch, puisque cette gare appelée Pont de Rungis-Aéroport d’Orly serait fréquentée par 3,6 millions de voyageurs par an, dont « deux millions seraient de nouveaux voyageurs ferroviaires et 1,6 million reportés d’autres gares franciliennes ou parisiennes » — ce qui, souligne-t-il, permettrait à la fois « de désengorger Montparnasse » et d’« aller chercher de nouveaux voyageurs » d’autant que ce coin de la banlieue parisienne est mal desservi par les trains à grande vitesse. « On n’a pas beaucoup de gares en France à ce niveau-là », note le directeur de TGV-Intercités.
Il reste à réunir la somme nécessaire et à s’armer de patience, la mise en service de cette gare nouvelle étant envisagée vers 2035-2040. Pour l’heure, l’Etat finance une reprise de l’étude préliminaire, « notamment en consolidant son coût pour constituer un tour de table financier, en parallèle d’une étude de désaturation de la gare de Paris Montparnasse », indique-t-on chez Gares & Connexions. Un premier devis atteignait 435 millions d’euros en 2021.